Plus l’impôt est inique et est illégitime, plus il faut des lois pour en exiger l’application et des peines lourdes pour en assurer le paiement. Toute ressemblance avec le durcissement actuel du discours fiscal des politiques n’est pas que pure coïncidence.Â
Par Thierry Afschrift.
Lorsque les Empires perdent de leur puissance, ils ont paradoxalement besoin de davantage de moyens, pour financer ceux qui représentent leurs piliers. C’est ce qui arriva, là encore, à l’Empire romain lorsqu’il ne fut plus en état, militairement, d’asservir de nouveaux peuples étrangers auxquels il aurait pu réclamer le tributum. Il fallut alors, en même temps qu’on augmentait les impôts, et que ceux-ci perdaient leur apparence de légitimité, majorer les peines, et augmenter les moyens de ceux qui les faisaient payer. Ce texte célèbre décrit les moyens utilisés par l’Empire romain déclinant pour assurer la perception du census :
Les recenseurs mesuraient les terres jusqu’à la moindre motte, comptaient les ceps de vignes et les arbres, inscrivaient les animaux de toutes espèces, prenaient note de tous les habitants… de tous côtés retentissait le bruit des fouets et des instruments de supplice ; on torturait les enfants pour les forcer de déposer contre leurs pères, les plus fidèles esclaves contre leurs maîtres, les femmes contre leurs maris. Ceux qui n’avaient ni femme, ni enfant ou esclave, on les torturait pour leur extorquer des aveux contre eux-mêmes ; et quand, vaincus par la douleur, ils déclaraient même ce qu’ils ne possédaient point, on l’enregistrait aussitôt. Ni l’âge ni la mauvaise santé n’étaient une excuse, les censiteurs se faisaient apporter les malades et les infirmes pour les inscrire ; ils fixaient l’âge de chacun : aux enfants ils ajoutaient des années. Ils en retranchaient aux vieillards… ; on payait pour avoir le droit de vivre.
Cette spirale est connue et se retrouve à toutes les époques où le pouvoir est affaibli et n’a plus comme seul recours que la violence, pour recouvrer l’impôt qui le fait vivre. Toutes proportions gardées, elle peut expliquer le regain de vigueur dans la « lutte contre la fraude » dans la plupart des pays occidentaux, depuis la crise économique qui sévit depuis 2008.
Cette violence ôte évidemment au pouvoir les atours de légitimité qu’il pouvait éventuellement revendiquer et pousse les contribuables, non pas à payer l’impôt, mais à choisir la fraude, quel que soit le niveau des peines, ou l’évitement de l’impôt par optimisation légale.
Ainsi, la forme suprême d’évitement de l’impôt peut paraître l’abstention : l’État peut apparaître comme sans remède contre celui qui, voyant que le fisc s’accapare de tout ce qu’il gagne ou de tout ce qu’il possède, s’abstient encore de travailler pour en recueillir du revenu. Les empereurs romains ont cru trouver la réponse à ce genre de comportement, devenu fréquent à partir du IIIème siècle. Ils exigèrent tout simplement que les cultivateurs ne quittent plus leurs parcelles de terre, et qu’ils y soient attachés, comme plus tard les serfs au Moyen-âge. De même, il fut vite interdit aux artisans de cesser leur métier, et plus tard, il fut même exigé des fils qu’ils poursuivent les activités de leur père défunt, après avoir payé bien sûr des droits de succession.
La lourdeur des impôts amena enfin, de nombreux habitants de l’Empire romain à renoncer à leur liberté elle-même pour y échapper. Les esclaves étant exonérés d’impôt, puisque considérés comme des choses. Le choix du statut d’esclave devint une méthode courante correspondant à ce que l’on appelle aujourd’hui « le choix licite de la voie la moins imposée ».
On rattachera à cette méthode, celle qui consistait, pour de nombreux habitants de l’Empire de Chine, au Vème siècle, à choisir de devenir moine bouddhiste, par millions, parce que ceux-ci étaient exonérés d’impôt.
Le pouvoir, à ce stade, ne peut qu’ajouter la répression à la réglementation. Ainsi, Rome édicta l’interdiction, pour les hommes libres de devenir esclaves, tandis que les empereurs chinois firent la guerre aux monastères bouddhistes.
Plus l’impôt est inique et est illégitime, plus il faut des lois pour en exiger l’application et des peines lourdes pour en assurer le paiement. À Rome, l’absence au recensement avait toujours été puni de la mort civile, qui impliquait notamment la confiscation de tous les biens. Lorsque cela ne fut pas suffisant, il fut décidé de substituer à la mort civile la véritable peine de mort pour sanctionner celui qui quittait son occupation, et renonçait ainsi à percevoir des revenus, parce qu’elle ne profitait plus qu’à l’Etat.
Il ne resta alors aux contribuables que le choix de devenir des évadés fiscaux. Dès le IIIème siècle – et cela marqua le début de la chute de l’Empire romain – des agriculteurs révoltés par la dîme, et les autres impôts, quittèrent petit à petit leurs champs pour tenter leur chance ailleurs, le plus loin possible du pouvoir qu’ils fuyaient, c’est-à -dire à l’époque au bord du « limes », de la frontière séparant l’Empire romain des barbares. La furie fiscale de l’Empire romain transforma ainsi d’honnêtes agriculteurs en des « bagaudes », bandes de brigands, qui contrôlèrent jusqu’aux deux cinquièmes de la Gaule, et celle-ci fut d’autant plus aisément envahie par les Barbares… Ces bagaudes se rendirent d’ailleurs rapidement compte que la barbarie ne présentait pas que des inconvénients, puisque la fiscalité y était plus douce…
L’appétit fiscal du plus grand empire du monde, l’augmentation systématique des sanctions et des pouvoirs du fisc causèrent finalement l’effondrement d’un pouvoir qui fit disparaître les richesses en voulant les accaparer.
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Extrait de la conférence, L’impôt, contribution ou imposture, de Thierry Afschrift.
Lire aussi : Étymologie de l’impôt.
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Remarquable rétrospective.
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En complément de ce texte, il faut bien comprendre que l’objectif premier et en même temps ultime de toute organisation humaine est sa survie, à n’importe quel prix, financier ou humain.
La seule méthode organisée et pacifique pour mettre fin à une organisation est la faillite. Mais celle-ci ne concerne que les structures privées capitalistes évoluant dans des marchés concurrentiels.
C’est pourquoi la multiplication des structures et des superstructures publiques ou parapubliques, ainsi que l’augmentation sans fin de leurs moyens financiers et humains, sont extrêmement dangereuses pour la paix civile.
L’anarchie n’est jamais provoquée par l’absence d’Etat mais en réalité par l’excès d’Etat.
Notre régime est en pente douce dans cette direction depuis 31 ans. Moi je suis pressé d’arriver à la chute de tous ces politiques qui ont mené notre pays à la ruine et qui ne savent qu’amplifier l’asphyxie par des augmentations de taxes et impôts. La situation de la Grèce devrait amener nos dirigeants à réfléchir et à arrèter les beaux discours.
tout ceci est vrai,mais:les politiques ne sont pas spécialement la pour faire notre bien ou celui du pays.ils ont d’autres intérets plus urgents que leur soumettent les lobbies.la macroéconomie passe en second,juste le temps de se faire réélire
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Il faut préciser que la citation provient de Lactance, « De la Mort des persécuteurs de l’Eglise ».
Pouvez vous nous donner les références, l’auteur, …, du « texte célèbre décrit les moyens utilisés par l’Empire romain déclinant pour assurer la perception du censu » ?
Il y a quelque chose de peu rassurant, dans cette explication de la situation romaine : si tant est qu’on estime l’effondrement définitif de l’empire romain à 476, il aura donc fallu +/- 200 ans pour aplatir définitivement le régime fiscal romain. On n’est pas sauvé, dès lors que, chez nous, ils ont à peine commencé depuis 40 ans…