République Démocratique du Congo : le coût de la corruption

Sur 183 pays classés dans l’indice de perception de la corruption, la République démocratique du Congo occupe la 168ème place. La présente législature a tout intérêt donc à s’y intéresser, notamment à cause du coût de ce phénomène.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

République Démocratique du Congo : le coût de la corruption

Publié le 17 mars 2012
- A +

Sur 183 pays classés dans l’indice de perception de la corruption,  la République démocratique du Congo occupe la 168ème place. La présente législature a tout intérêt donc à s’y intéresser, notamment à cause du coût de ce phénomène.

Par Oasis Kodila Tedika.
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre.

Le 16 février dernier s’est tenu à Kinshasa la première plénière de députés fraîchement élus. La nouveauté tient au fait qu’une bonne partie des parlementaires de la législature précédente n’a pas été reconduite. Une des raisons sans aucun doute est l’impression généralisée que les anciens députés n’ont pas traqué la corruption. Rappelons rapidement que sur 183 pays classés par Transparency International dans le cadre de son indice de perception de la corruption,  la République démocratique du Congo occupe la 168ème place, avec une note de 2 sur 10. La présente législature, et le prochain exécutif qui ne s’est pas encore dessiné, a tout intérêt donc à s’y intéresser, notamment à cause du coût de ce phénomène.

La spécificité de la corruption en République démocratique du Congo s’explique par la présence de toutes les formes de la corruption. La corruption dans ce pays est somme toute systémique en ce sens qu’elle est profondément ancrée dans la société. Une telle corruption ne peut qu’être coûteuse pour la société. Des études disponibles permettent de l’affirmer avec force.

Un exemple : l’activité de taxi

En effet, Batamba Balembu, dans une étude micro-économique, estime la perte résultant de la corruption de l’ordre de 8 % des recettes journalières moyennes des conducteurs des taxis et taxi-bus, dans la capitale, Kinshasa, qui sont « obligés » de payer aux policiers de la route des sommes d’argent injustifiées, représentant plus de 60 % du revenu moyen de cette catégorie socio-professionnelle. L’auteur explique aussi que la pratique corruptive est notamment à la base d’un déséquilibre (embouteillage, contournement des itinéraires, etc.) sur le marché des transports en commun. Concrètement, 94 % des enquêtés de Batamba Balembu sont de cet avis. 47 % des conducteurs recourent au contournement des itinéraires infestés par les policiers racketeurs, 48 % sectionnent carrément les trajets ordinaires en sous-trajets afin de ne pas réduire les profits du fait du racket et 5 % majorent les tarifs des transports. Conséquence : l’accès au service public est compliqué.

Une perte pour l’État

Dans la même étude, l’auteur poursuit sa quantification du coût de la corruption en République démocratique du Congo. Il estime que 55 % en moyenne des recettes du Trésor échappent à cause de la fraude fiscale liée à la corruption. L’auteur écrit : « Les manques à gagner que le Trésor public subit annuellement s’évaluent à quelque 800 millions de dollars. Ce qui représente environ 12 % de la moyenne du PIB des dernières décennies. »

Sur le tableau suivant, on peut remarquer le gap estimé entre les recettes publiques réelles et les recettes publiques que la République démocratique du Congo aurait du réaliser à l’absence de la corruption dans les décennies 1980-1990.

Graphique 1. Incidence de la corruption sur les recettes publiques (en millions de dollars américains constants de 1995)

Coût de la corruption pour les ressources publiques (dollars constants de 1995)

L’impact sur les entreprises

Dans étude récente Oasis Kodila Tedika et Remy K. Katshingu stigmatisent également le coût de la corruption, estimant qu’elle constitue un véritable problème pour la croissance en République démocratique du Congo à court terme, en renforçant notamment les distorsions au sein de l’économie. Selon l’enquête de Survey Enterprise de la Banque mondiale, 80,54 % d’entreprises ont dû faire des « cadeaux » pour obtenir un contrat public. Quatre entreprises sur cinq ont dû verser de l’argent de façon informelle à des fonctionnaires. 66,25 % d’entreprises ont fait des cadeaux pour obtenir une licence d’exploitation. Lors de rencontres avec des fonctionnaires des impôts, 64,42 % d’entreprises ont recouru aux cadeaux. Avec de tels chiffres, on se rend vite à l’évidence que l’environnement est pollué. Le climat des affaires ne peut qu’aller mal.

L’impact sur la croissance

Dans une autre étude que nous avons menée, nous avons essayé d’isoler l’effet direct de la corruption sur la croissance car dans un pays où la corruption est généralisée ou endémique, il est plausible d’inférer l’hypothèse d’une corruption nuisant au développement lato sensu. En effet, quand les pots-de-vin peuvent être réclamés par n’importe qui, la corruption décentralisée caractéristique de la corruption est la forme la plus nocive à la croissance. Cette nocivité tient entre autres au fait que le taux d’exaction global est très élevé, mais aussi que la probabilité de condamnation pour fait de corruption est positivement corrélée à la vigueur de la puissance publique et inversement corrélée au nombre de fonctionnaires corrompus. Il y a donc un éparpillement dans tout le pays des personnes exigeant des pots-de-vin sans se coordonner entre elles. Dans un tel cas de figure, le droit de propriété et/ou le respect de contrat sont remis en cause. L’incertitude s’accroît. Cela nuit à l’activité économique. Un changement d’un point de l’écart-type (mesure de dispersion autour de la moyenne) du niveau de corruption impacterait la croissance à approximativement 4 %, selon nos estimations qui se rapportent aux trois dernières décennies. Ces chiffres sont considérables. Réduire la corruption stimulerait la croissance.

Au terme de cette recension chiffrée, il paraît évident que les pratiques corruptives en République démocratique du Congo sont véritablement nuisibles au progrès de la société, créant davantage de déséquilibre social. L’urgence s’impose afin de se tourner résolument dans la lutte contre la corruption.

Cet article est un résumé de :

  • Oasis Kodila Tedika, Anatomie de la corruption en République démocratique du Congo. Critique internationale.
  • Oasis Kodila Tedika, Corruption en République démocratique du Congo : tyrannie des nombres, Revue Congo-Afrique.

Sur le web

Pour connaître les avis libéraux sur la corruption, découvrez l’article Corruption sur Wikibéral, où notre revue des Vertus de la corruption de Gaspard Koenig.

Voir les commentaires (2)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (2)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

D’après plusieurs observateurs nationaux et internationaux, les actions du président congolais, Félix Tshisekedi, jettent un doute sérieux sur son engagement réel pour le retour à la paix au Nord-Kivu.

Malgré la médiation du facilitateur de l’Union africaine, João Lourenço, président de l’Angola, et celle de la Communauté internationale, le conflit au Nord-Kivu peine à trouver un dénouement. Plusieurs spécialistes et observateurs de la scène politique internationale accusent le président congolais, Félix Tshisekedi, d'entraver le proce... Poursuivre la lecture

Depuis 2004, la guerre du Kivu voit s’affronter dans l’est de la République démocratique du Congo de nombreux groupes armés. Un rapport de l’ONU, sorti le 8 juillet, met en perspective les responsabilités de chacun dans le cadre de ce conflit responsable de millions de morts. Dans le même temps, les autorités politiques renforcent le chaos, à l’image du Président congolais Tshisekedi qui explique que les enfants soldats répondent à « un cas de force majeure ».

Charles de Blondin

Située le long de la frontière entre l’Ouganda et ... Poursuivre la lecture

Avril 2021, alors que des procès en laxisme au sujet de la justice française fusent dans l’actualité, le nouveau garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, monte au créneau et exprime sa stupéfaction dans un entretien accordé au journal Le Monde : pour lui, c’est un gros malentendu, un problème de communication entre les magistrats et les Français qui ne font plus, à tort, confiance dans la justice de leur pays.

 

Pour le brave Éric du ministère de la Justice, de même que l’insécurité qui n’est qu’un sentiment peu étayé par la ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles