La solidarité avant l’État-providence

À écouter les étatistes, l’État-providence est une nécessité. Pourtant, le passé récent montre qu’une société sans État-providence peut très bien fonctionner, même pour les moins favorisés.

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La solidarité avant l’État-providence

Publié le 23 mars 2012
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À écouter les étatistes, l’État-providence est une nécessité. Pourtant, le passé récent montre qu’une société sans État-providence peut très bien fonctionner, même pour les moins favorisés. 

Par Joshua Fulton, depuis les États-Unis.
Un article du Mises Institute.

Note de traduction: Pour le cas français, voir le fameux article de Frédéric Bastiat, prémonitoire, sur le sujet.

Beaucoup de gens pensent que sans l’État-providence la vie serait le chaos. Selon eux, personne ne viendrait en aide aux moins fortunés et il y aurait des émeutes dans les rues. Peu savent que les gens avaient trouvé des moyens innovants de se soutenir les uns les autres bien avant que l’État-providence n’existât. L’un des plus importants était les sociétés de secours mutuel.

Le secours mutuel, aussi connu sous le nom de fraternité, désigne les organisations sociales qui récoltaient des cotisations et finançaient des prestations à ceux de leurs membres qui affrontaient des difficultés. Selon David Beito dans From Mutual Aid to the Welfare State, il y avait au cours des 18e et 19e siècles une “stigmatisation importante” à l’encontre de ceux qui acceptaient les aides gouvernementales ou les dons privés. Une stigmatisation que l’on ne retrouvait pas en revanche pour le secours mutuel qui était basé sur la réciprocité : les bénéficiaires du secours mutuel d’aujourd’hui étaient les potentiels donneurs de demain, et vice versa.

Le secours mutuel était particulièrement populaire chez les classes pauvres et ouvrières. Par exemple, à New York en 1909, 40 % des familles gagnant moins de 1 000 $ par an, soit un peu plus que le « salaire de subsistance », avaient des membres qui participaient à des sociétés de secours mutuel. Cependant, l’ethnicité était un facteur plus important de l’adhésion au secours mutuel que le revenu. Les « nouveaux immigrants » tels que les allemands, les bohémiens et les russes, dont la plupart étaient juifs, participaient aux sociétés de secours mutuel environ deux fois plus que les blancs natifs et six fois plus que les irlandais. Cela peut s’expliquer par le besoin plus élevé qu’avaient les immigrés d’un filet de protection sociale.

Dans les années 1920, plus d’un homme sur trois était membre d’une société de secours mutuel. Les membres de telles sociétés détenaient plus de 9 milliards de dollars d’assurance-vie en 1920. À la même période, « les loges dominaient le domaine des assurances santé ». De nombreuses loges offraient des allocations chômage. Des loges fraternelles noires, tenant compte de la nature sporadique du chômage des Afro-Américains à l’époque, distribuaient des allocations chômage à leurs membres, même si ils n’étaient pas à jour de cotisation depuis plus de six mois.

Dans les loges médicales, le prix de l’assurance maladie était faible. Typiquement, les membres payaient 2 $, soit environ un salaire journalier, pour bénéficier d’un accès annuel aux soins d’un médecin (les chirurgies mineures étaient fréquemment comprises dans cette cotisation). Ceux qui à cette époque n’étaient pas membres des loges payaient de leur côté environ 2 $ par consultation médicale.

Les prix bas pour rejoindre les loges ne signifiaient cependant pas forcément une mauvaise qualité des soins. L’Independent Order of Foresters, l’une des plus importantes sociétés de secours mutuel, se targuait fréquemment que le taux de mortalité de ses membres était de 6,66 pour mille, bien plus bas que les 9,3 pour mille du reste de la population.

Les loges étaient aussi incitées à conserver des prix bas. Par exemple, la Ladies Friends of Faith Benevolent Association, une société de femmes noires, payait ses membres en arrêt maladie 2$ par semaine si ils avaient vu le médecin de la loge, et 3$ sinon. Un comité de visite contrôlait le demandeur pour veiller aux demandes frauduleuses. Les membres qui échouaient à la visite devaient payer 1$ de contravention.

Les sociétés de secours mutuel renforçaient également les codes moraux. En 1892, le Bureau of Labor Statistics du Connecticut constatait que ces sociétés obéissaient à la « règle invariable » de refuser les prestations « pour toute maladie ou autre incapacité consécutive à l’intempérance, ou à une conduite vicieuse ou immorale ». Beaucoup de sociétés refusaient les prestations pour toute blessure survenue au cours de la « participation à une émeute ». Certaines loges refusaient même l’adhésion aux personnes qui travaillaient dans la production d’explosifs ou faisaient du football en professionnel.

De nombreuses sociétés de secours mutuel se diversifièrent et fondèrent leurs propres hôpitaux et sanatoriums. La Securities Benefit Association, ou SBA, facturait 21$ pour un séjour de 11 jours dans son hôpital du Kansas, alors que la moyenne sur 100 hôpitaux privés était de 72$. Encore une fois, la qualité n’était pas forcément sacrifiée pour le prix. Au sanatorium de la SBA, le taux de mortalité était de 4,5 %, alors que la moyenne historique pour les sanatoriums était de 25 %. Cela semble particulièrement impressionnant quand on sait que 30 à 50 % de tous les cas admis au sanatorium de la SBA étaient « avancés ».

Un grand nombre de sociétés Afro-Américaines créèrent également leur propre hôpital. Au début du 20e siècle, on pouvait difficilement dire que les Afro-Américains étaient admis dans la plupart des hôpitaux. Quand ils l’étaient, ils devaient fréquemment faire face à des traitements indignes comme être forcés d’apporter leurs propres couverts, draps et brosses à dents et de payer une infirmière noire s’il n’y en avait pas parmi le personnel. Lorsque les Knights and Daughters of Tabor dans le Mississippi, une société fraternelle noire présente seulement dans quelques comtés, ouvrit le Taborian Hospital en 1942, le nombre de ses adhérents doubla presque en trois ans pour atteindre les 47 000.

Les sociétés de secours mutuel fondèrent 71 orphelinats entre 1890 et 1922, quasiment sans aucune subvention étatique. Le plus important fut peut-être Mooseheart, fondé en 1913 par le Loyal Order of Moose. Il accueillit à une époque des centaines d’enfants. Il possédait un journal étudiant, deux équipes de débats, trois organisations de théâtre et une petite station de radio. La réussite de ceux qui avaient vécu à Mooseheart était remarquable. Ils avaient quatre fois plus de chances que le reste de la population de fréquenter des établissements d’études supérieures. Les hommes gagnaient plus de 71 % de plus que la moyenne nationale et les femmes 63 %.

Évidemment, la multiplication des services apportés par le secours mutuel ne manquât pas de pousser certains groupes à faire du lobbying auprès de l’État pour obtenir sa destruction.

Le premier coup majeur porté au fraternalisme eut lieu lorsque l’American Medical Association obtint le contrôle des licences des écoles de médecine. En 1912, plusieurs commissions médicales des Etats formèrent la Federation of State Medical Boards qui acceptait les notations des écoles de médecine faites par l’AMA comme faisant autorité. L’AMA ne tarda pas à noter de nombreuses écoles comme « inacceptables ».

C’est ainsi que le nombre d’écoles de médecine en Amérique  chuta de 166 en 1904 à 81 en 1918, soit une baisse de 51 %. L’augmentation des coûts médicaux rendit impossible pour de nombreuses loges de conserver les services d’un médecin. Les commissions médicales se mirent également à menacer les médecins de leur retirer leur licence s’ils pratiquaient pour des loges.

La règlementation la plus néfaste qui suivit fut la Mobile Law. La Mobile Law imposa aux sociétés de secours mutuel de posséder un nombre croissant de réserves. Auparavant, elles avaient tendance à conserver peu de réserves pour offrir le plus de prestations possibles à leurs membres. Cette obligation de conserver beaucoup de réserves rendit difficile pour ces sociétés d’être moins chères que les compagnies d’assurance traditionnelles. La Mobile Law imposa également une visite médicale pour tous les membres de loges et leur interdit toute pratique « spéculative » comme l’octroi de crédit aux membres. En 1919, la Mobile Law avait été promulguée dans 40 États.

L’obligation de visite médicale pour tous les membres bloqua de façon effective l’accès des sociétés de secours mutuel au marché grandissant de l’assurance collective. L’assurance collective est l’assurance apportée à un large groupe de personnes, comme les employés d’une entreprise, sans visite médicale.

De 1915 à 1920, le nombre de personnes dans les assurances collectives grandit de 99 000 à 1,6 million. Certaines loges, comme l’Arkansas Grand Lodge of the Ancient Order of Workmen, essayèrent de contourner l’obligation de visite médicale en proposant une assurance collective à un prix plus élevé que les prestations normales de loge, mais cela les mit dans une situation de désavantage compétitif. Le secours mutuel fut entravé d’autres manières. On interdit aux loges de couvrir les enfants. Cela ouvrit la porte à des entreprises commerciales qui fournirent des polices industrielles où la couverture des enfants était standard. Le nombre de polices industrielles augmenta de 1,4 million en 1900 à 7,1 millions en 1920. En 1925, les polices industrielles dépassèrent les polices fraternelles. Les assurances collectives furent finalement défiscalisées, alors que les programmes privés tels que ceux proposés par les loges ne le furent pas.

Les hôpitaux fraternels furent aussi la cible d’attaques. Au cours des années 1960, la régulation des hôpitaux s’intensifia. Le Taborian Hospital du Mississippi fut accusé d’« espaces de rangements et de lits inadéquats,  manquement à l’installation de portes pouvant s’ouvrir dans les deux directions, et une utilisation excessive de personnel non certifié. » Un régulateur étatique des hôpitaux expliqua au Taborian Hospital, « Nous sommes constamment avertis que vous n’avez pas les fonds nécessaires à cela [à faire des améliorations], si vous souhaitez opérer en tant qu’hôpital, il va falloir que vous fassiez quelque chose pour atteindre les Normes Minimales d’Opération pour les Hôpitaux du Mississippi. »

Le Hill-Burton Hospital Construction Act de 1946 porta également préjudice aux hôpitaux fraternels, particulièrement les hôpitaux des noirs. Cette loi imposait aux hôpitaux recevant des fonds fédéraux à en utiliser une partie pour soigner les indigents et cela « sans discrimination sur des critères de race, de croyance ou de couleur ». Même si cela permit à de nombreux noirs d’obtenir un service gratuit dans des hôpitaux qui leur étaient auparavant inaccessibles, cela se traduisit par une réduction de la base d’adhérents des hôpitaux fraternels noirs. Par ailleurs, certains hôpitaux comme le Taborian Hospital  et la Friendship Clinic dans le Mississippi ne recevaient pas de subventions alors que leurs concurrents à proximité recevaient des millions.

L’avènement de Medicare précipita le déclin des hôpitaux fraternels. L’économiste du MIT Amy Finkelstein estime que Medicare a entrainé une augmentation de 28% des dépenses hospitalières entre 1965 et 1970 en encourageant les hôpitaux à adopter des nouvelles technologies médicales. Les plus petits hôpitaux, comme de nombreux hôpitaux fraternels, incapables d’adopter ces nouvelles technologies aussi vite que les plus gros hôpitaux, furent écartés du marché, un fait également constaté par Finkelstein. Certaines sociétés fraternelles parvinrent à échapper aux attaques de l’État en se convertissant en société d’assurances traditionnelles. Prudential et Metropolitan Life ont toutes les deux des origines dans le fraternalisme. Cependant, beaucoup de sociétés disparurent tout bonnement.

Même si des millions d’Américains sont toujours membres de sociétés fraternelles comme Masons ou Oddfelows, ces organisations n’ont plus l’importance dans la société qu’elles avaient auparavant. L’histoire du fraternalisme nous rappelle le pouvoir de la coopération humaine dans une société libre.


Article original. 

Traduction GB/Contrepoints.

En complément : les pauvres avant l’État-providence.

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