Repenser la formation des lycéens

Des lycéens d’aujourd’hui sont incapables de lire un manuel destiné à leurs grands-parents. Comment expliquer cette baisse de niveau ? Que faire pour y remédier ?

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Repenser la formation des lycéens

Publié le 10 avril 2012
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Des lycéens d’aujourd’hui sont incapables de lire un manuel destiné à leurs grands-parents. Comment expliquer cette baisse de niveau ? Que faire pour y remédier ?

Par Jean-Baptiste Noé.

En 1963 l’Éducation nationale a commandé à Fernand Braudel, alors jeune historien peu connu, la rédaction du manuel d’histoire destiné aux classes terminales des lycées. L’historien de la Méditerranée au temps de Philippe II s’est mis à l’œuvre, avec un plaisir non dissimulé, pour réaliser un manuel alors conforme aux programmes. Ce manuel, dont la qualité est indéniable, fut ensuite constamment réédité sous le titre de Grammaire des civilisations. Il s’agit en effet d’une étude des civilisations d’Afrique, d’Asie et d’Europe. On le trouve aujourd’hui en collection Champs chez Flammarion.

J’invite ceux qui ont ce livre dans leur bibliothèque à le feuilleter, et encore mieux, à le lire. Un certain nombre de points datant d’il y a cinquante ans sont à actualiser : on ne parle plus de l’URSS de nos jours, et les découvertes scientifiques ont permis d’améliorer la connaissance des civilisations anciennes. Toutefois, il reste un grand classique, offrant une vision large et panoramique de l’histoire du monde. En tant que tel, et comme son rédacteur est un de nos plus grands historiens, il conserve un intérêt réel.

Mais ce livre est d’abord un manuel destiné à des lycéens de 17-18 ans. C’est là qu’un problème se pose aujourd’hui : bien rares sont les lycéens capables de lire ce livre en 2012. Dans l’édition Flammarion il compte plus de 600 pages écrites dans une police de taille 8. Bien évidemment, il ne contient aucune photographie ni document. La comparaison avec un manuel actuel d’histoire est effrayante. En cinquante ans la chute du niveau est réel, la baisse des exigences indéniables.

Des lycéens d’aujourd’hui sont incapables de lire un manuel destiné à leurs grands-parents. Plus grave encore, je doute que des étudiants en histoire de niveau master puissent se frotter à ce texte dense quant à la typographie et à la réflexion. Les étudiants qui obtiennent le capes, et même l’agrégation en histoire sont peu nombreux à lire des livres de ce genre. Si les futurs ou nouveaux professeurs sont incapables de comprendre ces livres, il n’y a rien d’étonnant à ce que les élèves ne puissent y entrer. La comparaison des manuels suffit à prendre la mesure de la déchéance intellectuelle de notre pays. Inutile de présenter des études ou des statistiques qui essayent bien souvent de gommer l’effroyable réalité.

Pourquoi cette baisse ?

Il faut bien alors s’interroger sur les effets réels de la démocratisation de l’enseignement, et se demander si la France a gagné à ce mouvement. Ne nous leurrons pas : bien rares étaient les élèves de 17 ans qui pouvaient lire Braudel en 1963. Ceux qui étaient en terminale, et qui passaient ensuite le baccalauréat, étaient une élite, une aristocratie infime. Si en 2012 ce livre n’est plus accessible, c’est entre autres parce que l’on a envoyé au lycée des élèves dont le niveau est bien trop faible pour pouvoir suivre. Il a donc bien fallu baisser le niveau pour assouvir la soif égalitaire de la démocratisation. Ce faisant, nous nous sommes rendus incapables de former une élite et avons rendu impossible la formation correcte de cette masse plus nombreuse. Il n’est pas donné à tout le monde de rester 7 heures par jour assis à une table, écouter un professeur donner un cours, et prendre des notes. Cela requiert des aptitudes, une appétence, des possibilités qui ne sont pas présentes chez tous les lycéens. Or, par la démocratisation acharnée du système éducatif, nous avons voulu faire entrer dans le même moule, plier aux mêmes règles et aux mêmes contraintes, des personnes variées et différentes. C’est ainsi que nombreux sont les lycéens qui perdent leur temps, leurs années et leur jeunesse parce qu’on leur impose les bancs de l’école, alors qu’ils pourraient révéler leur talent et s’épanouir dans une formation professionnelle dès l’âge de 14 ou 15 ans.

 

Revoir la formation

Se former en entreprise est une réelle possibilité. C’est apprendre sur le tas, apprendre en faisant. Rien n’exclut des cours de mathématiques ou de français, voire de littérature ou d’histoire. Rien n’exclut que l’on cherche aussi à les élever vers des domaines plus intellectuels, mais de façon différente. La démocratisation et la massification du système éducatif ont non seulement empêché la formation d’une élite française, ce qui est extrêmement grave, mais a aussi détruit des générations d’enfants qui ont été obligés de suivre une formation en complet décalage avec leur appétence. Dans ce jeu stupide, tout le monde fut perdant.

Un professeur latiniste me montrait le texte fameux de Paul-Émile à la bataille du lac Trasimène. Ce texte figurait dans le manuel de quatrième de 1998. Aujourd’hui, c’est-à-dire quatorze ans plus tard, non seulement il n’est plus étudié en quatrième, mais il n’est même pas présent dans le manuel des lycéens. Ici aussi la baisse des exigences est quantifiable et visible. Mais peu de parents s’en doutent.

 

Accorder la liberté

Pour y remédier, un secondaire à trois niveaux serait nécessaire :

  1. Restaurer l’apprentissage dès l’âge de 12-13 ans, si utile pour des enfants inaptes à l’école mais qui ont tant de talents à développer ailleurs.
  2. Solidifier les filières professionnelles et technologiques du lycée, afin que les élèves qui s’y destinent soient réellement formés, et que ce ne soit pas vu comme des filières poubelles.
  3. Réserver les filières générales à l’élite intellectuelle, et faire de ce lycée l’antichambre des études supérieures, ou le baccalauréat soit le premier grade universitaire.

 

Bien évidemment, il serait aussi nécessaire de supprimer l’examen du bac et de permettre à chaque établissement d’avoir une grande souplesse dans le programme à suivre. On pourrait définir un programme commun afin de faciliter une nécessaire harmonisation, qui durerait environ la moitié de l’année, et l’autre moitié pourrait être consacrée à des figures libres, afin que les établissements et les professeurs puissent s’adapter au niveau et aux espérances de leurs élèves. C’est la liberté éducative. Hélas, l’école en France a choisi le chemin de l’égalité, ce qui la conduit à toujours rejeter la liberté.

 

Supprimer les concours

L’entrée dans le supérieur pourrait alors se faire sur dossier, avec éventuellement une lettre de recommandation du lycée.

La première année servirait à faire un deuxième écrémage, afin d’éliminer et de réorienter les étudiants qui ne sont pas à leur place, qui ne veulent pas suffisamment travailler, ou qui ne sont pas au niveau. On pourrait ainsi supprimer les concours, qui non seulement ne permettent pas de sélectionner les meilleurs candidats, mais qui, de plus, transforment l’année scolaire en parenthèse de bachotage, ce qui ne permet ni d’approfondir des matières ni de se former réellement. Supprimer les concours redonnerait tout leur sens aux examens, et serait beaucoup plus utile aux étudiants.

Pour ceux qui ont peur de la formation professionnelle, je les invite à regarder ce reportage sur la cuisine de l’Élysée, réalisé pour le magazine Michelin. Le chef actuel des cuisines de l’Élysée explique comment il est entré dans cette maison sous la présidence de Pompidou comme simple commis, comment il a gravi un à un les différents échelons, pour être, désormais, le chef des cuisines. Qui niera que c’est là un bel exemple de réussite professionnelle ? Cela ne fut possible que parce qu’il n’y avait pas le collège unique. Dans notre système actuel cette personne aurait été obligée de suivre l’enseignement jusqu’en terminale, de faire un bac S, et finalement de perdre son temps et ses envies. Que de talents gâchés nous perdons depuis si longtemps !

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Sur le web.

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  • j’ai quand même une réserve quant à la fin des programmes en commun car j’ai bien peur que cela ne fasse que privatiser l’éducation avec des lycées qui peuvent se permettre de payer de bons profs pour des élèves assez fortunés pour rentrer dans ces écoles . Je suis pour la méritocratie en tant que terminale mais on ne peut pas nier de nos jours que l’éducation soit meilleur dans un lycée privé que public , en ce sens l’argent départage les élèves avant même qu’ils puissent montrer leurs capacités . De même il est indéniable qu’un qui vient d’une famille aisée ait un accès à la culture bien plus facilement qu’un enfant de classe populaire (d’où ma haine envers HADOPI entre autres) . Pour le reste j’entends votre propos et il est facile de remarquer que dans une classe de terminale beaucoup y sont par refus d’une branche professionnelle (encore faut-il voir ce qu’il y a dans ces branches …) ou bien parce qu’on leur a dit que c’était le seul moyen de continuer vers le secteur qui les intéressent (c’est bien connu que tous les philosophes viennent forcément de L …) . Dès lors on nivelle par le bas pour se complaire dans une (fausse) réussite d’éducation normalisée tout cela pour s’étonner que 50 % des étudiants ne réussit m^me pas la licence !

    • Mais « la méritocratie » comme vous dites ne peut exister qu’au travers d’un système de sélection qui aiguille au mieux les élèves au lieu d’un « moule » égalitariste qui est tout sauf égalitaire et produit des armées d’incultes et d’analphabètes… En l’état, l’EN est irréformable et ce n’est, qui plus est, clairement pas la priorité de nos si brillantissimes politocards de combat! Alors qui?

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