Plus que quelques heures avant la fin du premier tour de la présidentielle française. Pour les derniers indécis, voici un passage en revue des programmes des candidats, sous l’angle libéral (fait à partir des programmes disponibles en février 2012).
Par Xavier Chambolle.
Voilà plusieurs jours que je lis les programmes de 15 candidats à l’élection présidentielle française de 2012 : Christine Boutin (Parti Chrétien Démocrate), Corinne Lepage (Cap21), Dominique de Villepin (République Solidaire), Eva Joly (Europe Écologie Les Verts), François Bayrou (Mouvement Démocrate), François Hollande (Parti Socialiste), Frédéric Nihous (CPNT), Hélène Feo (Parti Fédéraliste Européen), Hervé Morin (Nouveau Centre), Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche), Marine Le Pen (Front National), Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République), Nicolas Sarkozy (Union pour un Mouvement Populaire) et Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste). Vous pouvez tous les télécharger en cliquant ici, ils datent du 12 février 2012.
J’ai lu en intégralité ces programmes. Sauf ceux du Front National (presque 100 pages), d’EELV (100 pages également) et du NPA (plus de 100 pages avec énormément de redondances) que j’ai lu en diagonale pour trouver leurs positions sur les sujets qui m’intéressaient plus particulièrement. Je suis très rarement allé chercher des compléments d’informations sur les sites des candidats, par exemple dans le cas d’ACTA puisque c’est une actualité récente (pour un vieux dossier certes). J’ai également eu l’opportunité d’échanger quelques messages avec Hélène Feo, ce qui m’a permis de trouver des réponses qui ne sont pas dans son programme. J’aurai souhaité faire de même avec Poutou, mais n’ai pas trouvé de courriel direct.
Christine Boutin, Hervé Morin et Frédéric Nihous se retirent pour soutenir Nicolas Sarkozy. Ils ont tous déclaré forfait pendant la rédaction de ce présent article, alors je les laisse dans mon tableau.
Tableau comparatif des candidats
Ce tableau n’a pas la prétention d’être objectif ni exhaustif. J’y synthétise la position des candidats sur quelques questions qui m’intéressent plus particulièrement, parfois très vastes, parfois très précises. C’est en fait simplement une démarche personnelle et citoyenne que je souhaite partager avec vous. J’en tire quelques tendances et je réagis ensuite pour chaque candidat. Le ton est parfois volontairement irrévérencieux, je n’ai pas voulu être uniquement négatif, mais aucun programme ne m’a convaincu.
L’intérêt de l’exercice reste relatif puisque, vous le savez bien, entre les promesses des programmes et la réalité appliquée… Néanmoins ces programmes en disent long sur leurs conceptions de leur rôle dans nos vies.
Pour chaque cellule j’ai appliqué un code couleur selon mon opinion personnelle* : favorable, défavorable, mitigé. L’ordre est alphabétique (prénom du candidat). Astuce : passer la souris sur la ligne pour la mettre en surbrillance. [Mise à jour du 6 mars 2012 : en violet les corrections ou ajouts au tableau postérieurs à la publication initiale]
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Tendances
La mode est au « mix » des taxes, charges et impôts. On augmente un peu par ici pour réduire par là , on fusionne, on sépare, on change de place et de nom ; on en profite pour tenir compte de critères sociaux et environnementaux. On n’a d’ailleurs toujours pas résolu le problème de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) : concrètement il y a quoi là -dedans ? Imaginez juste un seul instant la complexité pour définir la chose, la quantifier, la gérer et la contrôler. Et pour quels avantages ? Plus d’argent pour l’État, voilà l’incitatif. Même le principe pollueur-payeur est moins complexe que la RSE, mais celui-ci bénéficie de très forts arguments en sa faveur.
Comme on taxera selon des critères sociaux et environnementaux, on modulera également selon ceux-ci les subventions (parfois désignées « partenariats public-privé »), exonérations, crédits d’impôts et prêts à taux zéro.
La politique de la rustine est très répandue, malgré la présence d’idées originales ou de simple bon sens. Bien sûr quelques candidats ont des propositions assez ambitieuses, voire carrément révolutionnaires. La politique de la rustine, c’est la généralisation de micro-mesures et du bricolage ; plus un programme comporte de rustines, moins il traite le problème à la source. Une telle politique est souvent totalement inefficace et aggrave parfois la situation.
Les candidats qui ont les programmes les plus « originaux » (et parfois les moins rustinés) sont souvent ceux qui n’ont pas la faveur des médias et cela se reflète dans les sondages. On pourrait donc conclure que le contenu, la réflexion et la crédibilité importent peu et que seuls comptent la médiatisation, les coups d’éclats, les grands gestes. Si les citoyens prenaient la peine de lire entièrement les programmes, les résultats des sondages seraient probablement radicalement différents.
Une mesure originale se retrouve dans plusieurs programmes, avec des noms différents : revenu de base, revenu universel, etc. Une somme fixe distribuée à tous les citoyens, quelle que soit leur condition (sociale, physique, etc.). Mesure également mise en avant par des libéraux (parfois sous le nom d’impôt négatif). Ce n’est pas toujours clair selon les candidats, mais il va de soi que cela n’a de sens qu’avec une suppression des allocations, bourses, subventions et aides diverses.
La fédéralisation de l’Europe est rarement avancée comme une solution. On préfère de loin l’intergouvernementalisme ou bien le retrait total. Bien sûr il y a l’Allemagne, symbole de réussite, un modèle pour la France, de nombreux candidats la mentionnent dans l’optique de s’en rapprocher. Pourtant ils se gardent de bien d’aller plus loin dans leur analyse pour proposer de véritables solutions « germaniques » et parler notamment de la culture du dialogue de ce pays. Il est dommage que seul cet État retienne l’attention des candidats. La Nouvelle-Zélande, la Suisse, le Canada, la Finlande ou encore le Danemark ont tous mener des politiques dont nous pourrions fortement nous inspirer. Généralement on me répond sur ce point que «ce sont de petits pays, la France c’est grand», alors qu’à cela ne tienne, divisons la France en petites entités pour que cela fonctionne !
À ce sujet, la décentralisation de la France est un point récurrent. Comme s’il fallait la placer et que cela suffisait. Mais non, à chaque fois qu’il y a une tirade allant en ce sens, on est très vite ramené à la triste volonté du candidat : tenir en laisse les régions et donner le « la ». Le programme du FN, au moins, ne cache pas ses intentions. Ainsi, les régions n’ont dans quasiment aucun programme la possibilité d’explorer des pistes, d’être créatives et ambitieuses. Aux élections vous aurez donc le choix entre jacobin et jacobin, heureusement qu’il y a des modérés, un moindre mal. L’Allemagne et la Suisse sont-ils des pays si éloignés de Paris qu’aucun candidat ne daigne s’intéresser au fédéralisme ? Ou bien le pouvoir est-il tellement attrayant qu’il leur est impossible d’envisager de se délester de nombreuses responsabilités ? Seule Hélène Feo du Parti Fédéraliste Européen est convaincante sur ce sujet ; ce qui n’a rien de paradoxal, son programme consiste en une distribution des compétences entre Europe, Nations et Régions. Dommage qu’elle ne mette pas plus en avant l’Europe des régions.
Légiférer est le moyen le plus commun pour résoudre les problèmes (avec les Agences et Conseils qui préparent le terrain ou permettent d’appliquer les Lois). C’est probablement là le fruit de la surreprésentation de personnes issues de formations et carrières juridiques dans la politique.
Nombreux sont les candidats à se targuer de dire « la vérité » aux Français. Qu’ils commencent par en admettre une simple : ils ne sont pas capables de rendre certains de leurs pouvoirs aux citoyens. Aucun n’applique le principe de subsidiarité jusqu’au bout, aucun ne laisse la créativité s’exprimer, aucun ne se bat pour plus de libertés. Il n’est donc pas surprenant de voir que les idées de « démocratie directe » restent timides et rarement concrètes et que la proportionnelle n’est évoquée ni par le PS, ni par l’UMP.
La liberté de l’individu n’est pas une tendance. La liberté économique non plus. L’État est toujours plus omnipotent, omniprésent et omniscient. L’appel du pouvoir absolu est tellement plus fort que le respect des libertés individuelles et économiques…
Est-il d’ailleurs judicieux de sacrifier la liberté et la créativité sur l’autel de l’égalité ?
Pour de nombreux candidats, la monnaie est un outil magique, créateur de richesses et de prospérité ! Raison pour laquelle tous ceux qui s’expriment sur la BCE sont contre son indépendance. D’autres souhaitent également revenir au franc (comme monnaie complémentaire ou unique). La nostalgie du franc est aussi bien-fondée que celle de l’Allemagne de l’Est.
Synthèse par candidat
Cette synthèse tente d’être à peu près égale pour chaque candidat, « pour respecter le temps de parole ». C’est une réaction à chaud (pendant et juste après la lecture du programme) et partisane, parfois accompagnée de questions. Toutes les photos proviennent soit de Wikipedia, soit du site du candidat.
Christine Boutin (Parti Chrétien Démocrate) : l’État Grand-Mère
Pour voter pour Christine Boutin, il faut bien sûr adhérer à sa vision très précise de la famille et des relations humaines. Est-ce néanmoins à l’État de s’occuper de cela ? Son programme regorge de pistes intéressantes, notamment sur l’enseignement (il ne manquerait plus qu’à confier la gestion des programmes aux régions). Sur ce point, c’est le programme qui respecte le plus la liberté de choix des parents. Il faut également souligner l’idée du «bon scolaire», qui correspond simplement au «voucher enseignement» des libéraux. Christine Boutin pourrait faire une excellente ministre de l’Instruction Nationale, à condition qu’elle soit en mesure de faire évoluer le mammouth «Éducation Nationale».
Au final, le programme de Christine Boutin est intéressant, souvent original et bien-fondé. C’est l’un des moins liberticide, même si on sent clairement le potentiel interventionniste. Dommage qu’il soit si clivant dès que cela touche à la morale (raison pour laquelle il reste liberticide).
Corinne Lepage (Cap21) : l’autre parti vert
N’est-ce pas redondant d’éco-moduler les taxes des entreprises et les revenus du capital ? En éco-modulant les taxes, les entreprises ainsi taxées seront moins rentables et distribueront donc moins de dividendes. Inclure dans l’éco-modulation la spéculation (intérêt ?) et la destruction du tissu économique local (trop subjectif) est douteux. L’instauration des «actions de classe» (class action aux USA) est une idée à saluer. De même que la volonté d’améliorer l’information auprès des consommateurs. Louable intention que de vouloir réduire l’influence des groupes de pression, mais cela ne se fait que d’une seule manière : réduire les prérogatives de l’État, ses interventions et son ingérence pour que celui-ci soit moins attrayant.
Il est plus que regrettable que Cap21 ne fédère pas plus les écologistes, face au parti d’extrême gauche qu’est EELV (Eva Joly). Corinne Lepage peut dignement représenter la partie non-sectaire de l’environnementalisme.
Dominique de Villepin (République Solidaire) : la République des Conseils
L’Europe semble plus être un fardeau qu’autre chose pour Dominique de Villepin. On retrouve dans son programme l’idée de revenu citoyen. Il propose également un impôt unique (attention, à ne pas confondre avec l’impôt à taux unique), encore plus progressif qu’actuellement. C’est un programme qui propose des pistes intéressantes et audacieuses pour la décentralisation, notamment la légalisation des référendums à l’échelle locale. Dommage qu’il n’aille pas jusqu’au bout de sa logique et soit parfois complètement à rebours (recrutement national pour les polices municipales, interdiction du recrutement local des enseignants-chercheurs). Au niveau économique, Villepin a bien compris que l’État n’avait simplement pas les moyens d’investir ni de subventionner et compte donc forcer les banques à le faire. L’État interviendra en revanche encore plus qu’aujourd’hui.
Pourquoi avoir créé un nouveau parti alors qu’il pourrait en intégrer des existants, tout en avançant ses quelques idées originales ?
Eva Joly (Europe Écologie Les Verts) : la pastèque
Le programme d’Eva Joly est une magnifique pastèque : verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur et avec plein de petits pépins. C’est l’économie planifiée à la sauce verte, donc auréolée de vertu. Les aparatchiks devront être écologistes, écologues ou environnementalistes ; ce qui revient à institutionnaliser et verrouiller la pensée unique. Usine à gaz en perspective (ironique pour des écologistes). La propagande verte (page 12) n’est rien d’autre qu’une dérive autoritaire assumée. EELV compte-il mentionner Fritz Vahrenholt dans ses émissions aux heures de grande écoute ? C’est également un parti qui composera le menu de vos assiettes. Quelle incohérence que tout ce programme avec le projet de VIème République (très bon sur les aspects décentralisation et fédéralisme) ! Il y a donc de véritables démocrates chez EELV (ils devraient peut-être songer à rejoindre Corinne Lepage). Mais est-il envisageable d’adhérer à un parti autoritaire parce que quelques idées méritent d’être approfondies et soutenues ?
Le projet environnementaliste d’Eva Joly est incontestablement plus liberticide que celui de Corinne Lepage. Il n’est pas forcément plus efficace. Eva Joly sait-elle mieux que vous comment vous souhaitez «vivre mieux» ?
François Bayrou (Mouvement Démocrate) : les rustines modérées
Bayrou ne propose pas de programme complet en PDF, j’ai navigué sur son site pour copier-coller les différentes parties dans un seul document, et je me demande si je n’en ai pas oublié. Pour compléter un peu mon tableau je suis donc retourné sur son site pour fouiller dans ses discours. On sent bien sûr qu’il est centriste et laïc, mais le programme n’est pas assez clair. On y trouve par exemple ceci : «Cinquante milliards d’économies : comment les obtenir sans rompre l’élan du pays ?» On suppose donc que c’est l’État qui donne de l’élan au pays avec ces 50 milliards qui viennent… des contribuables, qui auraient pu eux-même les investir directement. Le volet démocratique est intéressant, mesuré, réfléchi.
Globalement François Bayrou donne l’impression de s’être plus penché sur le style de son écriture que sur les idées.
François Hollande (Parti Socialiste) : la démagogie c’est maintenant
François Hollande s’engage sur un État moins centralisé, c’est à saluer. En revanche il sera encore plus fort, encore plus interventionniste. Il s’agit bien sûr de prendre aux uns pour donner aux autres. Peut-être pas autant que souhaite le faire le NPA par exemple, mais la logique est la même. Les propositions restent très vagues, aucune n’est approfondie. Comment ces 60 rustines peuvent-elles bien aboutir à un quelconque changement «pour la France» ?
En Nouvelle-Zélande et au Danemark par exemple, ce sont les socialistes qui sont allés à l’encontre de leur idéologie pour appliquer quelques recettes libérales (au sens classique), pour le plus grand bénéfice des citoyens et des finances publiques. François Hollande et surtout son parti sont-ils capables de mettre l’idéologie de côté ? D’être pragmatique, réaliste et courageux (faire confiance en la société civile, se délester de pouvoirs) ? Vu l’emphase qui est mise sur le «Je», comme si Hollande était le messie, cela n’est pas rassurant.
Frédéric Nihous (Chasse, Pêche, Nature et Traditions) : la relance en campagne
 Il dénonce beaucoup, mais ne propose pas grand chose. Son programme est une analyse très négative et alarmante de la situation actuelle (pas forcément fausse). Lorsque des solutions sont avancées, il s’agit simplement d’augmenter la présence de l’État dans les zones rurales : réglementer, réguler, subventionner, gérer. On voit bien le problème avec un État interventionniste : chacun essaie de tirer la couverture. Il ne suffit que de citer une phrase pour le comprendre : «Les ruraux ont droit eux aussi à leur part de développement et de progrès» (après s’être plaint que les crédits n’allaient que dans les banlieues). Le fait que Nihous rejoigne Nicolas Sarkozy montre bien que, justement, le président de la république n’est absolument pas libéral (au sens classique).
Il est difficile de déterminer à quel point Frédéric Nihous est jacobin. Il l’est, mais dans quelle mesure ? Fort ou très fort ? Vu son positionnement, on aurait pu s’attendre à une position ambitieuse par rapport à la place des régions en France, mais le thème est totalement absent.
Hélène Feo (Parti Fédéraliste Européen) : l’euro-présidente
 Si même les fédéralistes européens critiquent la complexité actuelle de l’Europe ainsi que sa carence démocratique, c’est que cela doit être vrai. Il est très rassurant que des pro-européens n’aient pas peur de critiquer les institutions actuelles, tout en esquissant des solutions ambitieuses (notamment avec le revenu inconditionnel de base). Hélène Feo est pro-européenne, fédéraliste, mais pas eurocrédule. Le Parti Fédéraliste Européen semble avoir une vision régionale de l’Europe Fédérale. C’est probablement la raison pour laquelle cette candidate se prononce sur si peu de sujets : le «reste» ne sera simplement pas de sa compétence. Le parti le plus européen est donc le plus décentralisateur. Feo souhaite donner à une Fédération européenne la monnaie, la défense/diplomatie, l’environnement, la santé et le modèle social. Mais pourquoi ne pas laisser ces deux derniers points aux régions, comme pour l’enseignement et la police ? Ce qui n’empêche pas les coopérations ! La création d’une agence de notation européenne ne constitue pas une solution à quoique ce soit. Pourquoi vouloir que la BCE imite le comportement irresponsable de la FED ? Dites-nous que «harmonisation de la fiscalité» ne signifie pas «uniformisation» ! Pourquoi empêcher des régions d’être des enfers ou des paradis fiscaux ? Même question pour les charges sociales.
En tout cas, on a ENFIN un programme intelligent pour la défense, le contrôle des frontières et la diplomatie à l’échelle européenne.
Hervé Morin (Nouveau Centre) : le potentiel inexploité
 Programme long, donc précis, il regorge de détails. Une impression de sérieux s’en dégage fortement (même si on est en désaccord avec les solutions avancées). Certaines idées me plaisent particulièrement (par exemple les «actions de groupe»), surtout celles qui laissent une grande liberté aux individus (donc un État qui n’influence pas leur comportement) ; par exemple les «chèques formation» (comparable au voucher enseignement des libéraux). La volonté de réduire les délais de jugement est à souligner. Hervé Morin a probablement le programme le plus pertinent pour les PME : stabilité fiscale et juridique (une évidence !), baisse de l’imposition et simplification administrative.
Pourquoi soutenir Sarkozy et non Bayrou ? Pourquoi ses quelques idées de simple bon sens et si peu clivantes sont-elles si rares chez les autres candidats ? Je ne connaissais absolument pas les idées de Hervé Morin avant d’avoir lu son programme, j’ai été très agréablement surpris.
Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche) : l’enfer est pavé de bonnes intentions
 Les inégalités de revenus et de patrimoine ne sont-elles pas dues au capitalisme d’État (ou capitalisme de copinage) plutôt qu’au libéralisme classique ? Le SMIC n’est-il pas, avec la rigidité du droit du travail, le grand responsable de la précarité… des jeunes notamment ? Les services publics sont supposés trouver des financements sans contrainte de rentabilité financière… Qui va donc leur prêter de l’argent ? Finalement, ses solutions appauvriront les riches, mais n’enrichiront pas les pauvres (comme ses camarades d’extrême gauche). D’un côté il est très cohérent. Parce qu’il appauvrira la France, mais a prévu de construire de nombreux logements sociaux pour les pauvres d’aujourd’hui et de demain. Parce qu’il souhaite mettre fin à la spéculation et, effectivement, en appliquant son programme, plus personne ne spéculera sur la France. Spéculer c’est miser sur l’avenir, or la France n’en aura plus. Il est en revanche fortement incohérent dès que cela touche aux libertés : l’économie sera planifiée, de même que nos vies (jusqu’à notre culture, puisque l’État décidera de ce qui est culturel et ce qui ne l’est pas). Je crains que bien peu de personnes lisent son programme (indigeste et mal mis en page) et se contentent de sourire face à ce candidat caricatural et haineux, mais que, finalement, on finit par apprécier parce qu’on apprécie les trublions. Son programme reste néanmoins dangereux : une « avancée démocratique » basée sur des recettes fondamentalement liberticides, nous ne pouvons pas y croire un seul instant.
Amateurs de la DDR (qui se disait démocratique), réjouissez-vous, nous construirons bientôt un mur autour de la France pour que les capitalistes ne viennent pas se réfugier chez nous.
Marine Le Pen (Front National) : l’État drogué aux stéroïdes anabolisants
 Marine Le Pen n’envisage l’Europe que comme un boulet, alors que c’est une immense source d’opportunités pour les citoyens. Il est regrettable qu’elle souhaite à ce point jeter le bébé avec l’eau du bain. Le pouvoir régional est vu comme une «féodalité locale». Le programme du FN est clairement le plus jacobin, tant dans sa vision des choses que dans ses «solutions». Comme avec Mélenchon et Joly, nous connaîtrons avec cette candidate un retour à l’économie planifiée. La vision de l’économie est socialiste, pour citer Reagan : «Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le.» On y trouve quelques bonnes idées et d’autres qui seraient vraiment intéressantes à approfondir. Marine Le Pen est très pragmatique sur de nombreuses questions peu clivantes. Malheureusement, dans sa volonté de couper la France du reste du monde, elle semble avoir oublié d’aller voir comment ça se passe à l’étranger.
Au final, il faut reconnaître que le programme de Marine Le Pen est de loin le plus complet et l’un des mieux construits. Après on est convaincu ou pas. Je le trouve incohérent sur de très nombreux points (Marine Le Pen qui cite Milton Friedman c’est le pompon) et totalement à côté de la plaque sur d’autres (la CECA par exemple). Pour l’économie, son application sera probablement un désastre (certes moins que d’autres), parce qu’il parie sur l’État et non sur la liberté individuelle. Programme autoritaire qui est probablement une réponse au laxisme ambiant.
Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) : la tyrannie de l’égalité, la haine de la liberté
 On ne peut qu’acquiescer lorsque, en substance, elle pointe du doigt le fait que les profits sont privatisés et les dettes nationalisées, que les grands groupes sont largement subventionnés et exemptés d’impôts (elle n’est pas la seule à souligner ces évidences, les libéraux classiques s’en insurgent également). Ce n’est pas pour autant que la négation totale des libertés et de la propriété sont la solution. Ce réflexe de catégoriser les citoyens et cette vision totalement manichéenne et haineuse sont fatigants. Son programme correspond à un changement total des paradigmes : on adhère ou pas. Vision effroyablement simpliste de l’économie, totalement paralysée par la notion de risque. Rappelons tout de même qu’une économie durable, c’est une économie profitable. Pourquoi ne pas augmenter le SMIC à 20 000€ net par mois ? Pourquoi Lutte Ouvrière souhaite-t-elle la transparence totale des entreprises privées, mais qu’il n’y a pas un mot au sujet de la transparence de l’État, notamment vis-à -vis des fonctionnaires ? L’idée du «programme questions naïves/réponses» est plus rigolo qu’efficace.
Nathalie Arthaud devrait voyager en Corée du Nord, puisqu’il n’est plus possible d’aller en URSS. Programme à lire en écoutant les Chœurs de l’Armée Rouge (magnifique).
Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République) : au moins il est souriant
 Si l’euro ne convient pas à des «économies si différentes», en quoi «l’euro-franc» conviendrait-il à la fois à l’Alsace, l’Île-de-France, la Corse, la Guyane et la Bretagne ? Puisque le «protectionnisme intelligent» protège les emplois et enrichi les territoires, pourquoi ne pas l’instaurer entre les régions de France ? Est-il cohérent de vouloir «permettre à nos agriculteurs de vivre de leur travail», tout en restaurant «les aides directes» ? Certaines analyses sont intéressantes. Pour ce qui est des solutions, on ne peut penser qu’à Hervé Sérieyx qui disait : «avec les solutions d’hier pour les problèmes d’aujourd’hui, on a les catastrophes de demain». Citation qui conviendra également à de nombreux candidats.
Jean-Luc Mélenchon, au moins, affiche la couleur.
Nicolas Sarkozy (Union pour un Mouvement Populaire) : le projet 2007
 Le programme détaille les nouveaux critères pour accéder à telle aide ou crédit d’impôt ou exonération, mais, on est très rassuré, il y aura un guichet unique pour simplifier les procédures administratives. Que les programmes soient utopiques n’est guère une surprise, mais l’UMP étant au pouvoir, on s’attend naturellement à un peu de réalisme et de pragmatisme de leur part. Déception. Le rustinage élevé se comprend aisément : il aurait été malvenu d’avancer des idées audacieuses puisqu’elles sont censées avoir déjà été menées. Pourquoi ne pas avoir appliqué ce programme ces dernières années ? Elle a bon dos la crise. Supprimer les textes et décrets inutiles ne coûte pas un rond. Les Finnois ont un meilleur système éducatif que nous et pourtant il est également moins coûteux. La France pâtit du capitalisme d’État (copinage et interventionnisme fort) et l’UMP souhaite imposer ce modèle si vertueux et performant à l’Europe toute entière. Ayons donc pitié de nos amis Européens et gardons-le seulement pour nous, ils nous en seront reconnaissants.
Sarkozy est souvent étiqueté «libéral» ; il ne l’est ni d’un point de vue classique, ni d’un point de vue nord-américain.
Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste) : l’anti-programme clair
Le programme de Philippe Poutou réussit le tour de force d’être encore plus illisible que celui de François Bayrou ! Au moins avec Bayrou on peut identifier à peu près clairement quelques solutions, chez Poutou c’est souvent dilué dans une gigantesque critique. Le NPA souligne néanmoins parfaitement toute la complexité du système actuel, notamment fiscal. Leur solution est claire à ce sujet : la progressivité totale et accrue. Mais en quoi cela est-il plus juste qu’un taux unique ? Quel est l’objectif du NPA ? Réprimer la richesse ou sortir de la misère ?
Le NPA critique de manière acerbe le capitalisme et le libéralisme. Pourtant, un libéral (au sens classique) pourrait reprendre de nombreux points dans sa critique du capitalisme d’État, de copinage, de connivence, qui caractérise la France.
Pour qui voter ?
Si vous cédez aux sirènes de l’État fort, donc interventionniste et protectionniste, que pour vous le « libéralisme » (plus fantasmé qu’autre chose) est une plaie, alors vous avez l’embarras du choix : de l’extrême gauche à l’extrême droite, évitez simplement les partis centristes, ils sont trop modérés pour vous.
Sur les extrêmes (Front de Gauche, Front National, Europe Écologie les Verts, Nouveau Parti Antipcapitaliste, Lutte Ouvrière) vous aurez les politiques les plus « ambitieuses » (et les plus risquées). Ces partis conviennent également si vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que l’égalité soit liberticide et si vous êtes pour l’uniformisation à l’échelle nationale. Bien que similaires, on trouve quelques différences sur le fonds : si vous êtes anti-européen votez Le Pen ou Dupont-Aignan, si vous croyez être écolo votez Joly, si vous avez un poster de Staline ou de toute autre figure communiste il y a Lutte Ouvrière, le Front de Gauche et le NPA. Ces derniers conviennent également si vous jugez trop compliqué de vous installer en Corée du Nord (ou trop long d’apprendre le coréen).
Si vous êtes un peu moins casse-cou, il y a les « bonnes » vieilles rustines du Parti Socialiste et de l’Union pour un Mouvement Populaire.
En votant pour l’UMP, le PS ou un parti d’extrême gauche ou droite, vous prolongerez la grande et lourde tradition jacobine française (État fort et centralisé), alors même qu’on peut admirer le potentiel démocratique des modèles fédéraux (Canada, Allemagne, Suisse, Suède, États-Unis, Australie, Autriche).
Si vous voyez tout le potentiel de l’Europe, sans forcément adhérer à la situation actuelle, il y a les partis plus centristes comme Cap21, le Nouveau Centre, le Modem et le Parti Fédéraliste Européen. Ceux-ci sont également les moins jacobins et interventionnistes. Le parti de Hélène Feo est probablement le moins intrusif, le moins tenté par une dérive interventionniste tout azimut, tout en étant le plus ambitieux, parce qu’il compte confier bon nombre de pouvoirs aux régions. C’est une très grande qualité que de savoir déléguer. À ce titre, Hélène Feo est probablement la seule candidate à exclure de la conclusion qui va suivre.
En votant pour Christine Boutin, Corinne Lepage, Dominique de Villepin, Eva Joly, François Bayrou, François Hollande, Frédéric Nihous, Hervé Morin, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Nathalie Arthaud, Nicolas Dupont-Aignan, Nicolas Sarkozy ou Philippe Poutou, vous opterez pour une orientation qui n’a été suivie par aucun pays ayant surmonté des difficultés similaires aux nôtres (le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Danemark et la fameuse Allemagne).
Votez pour l’Être Suprême !
Après lecture de tous ces programmes, une conclusion s’impose : le président est un être omniscient qui est en mesure de résoudre tous les problèmes. De sa seule volonté il améliore la situation. Parce qu’il l’a dit, le soleil va briller. Parce qu’il a fait voter une Loi, les oiseaux vont chanter. Parce qu’il l’a décrété, les gens vont être heureux. D’ailleurs le président sait mieux que vous ce dont vous avez besoin et comment vous pouvez atteindre le bonheur.
Eh quoi ! est-il donc si difficile de laisser les hommes essayer, tâtonner, choisir, se tromper, se rectifier, apprendre, se concerter, gouverner leurs propriétés et leurs intérêts, agir pour eux-mêmes, à leurs périls et risques, sous leur propre responsabilité ; et ne voit-on pas que c’est ce qui les fait hommes ? Partira-t-on toujours de cette fatale hypothèse, que tous les gouvernants sont des tuteurs et tous les gouvernés des pupilles ?
— Å’uvres complètes, Frédéric Bastiat, éd. Guillaumin, 1870, t. 6, partie Harmonies Économiques, chap. Des Salaires, p. 462 (texte intégral sur Wikisource)
PS : Les programmes n’étant pas toujours très clairs, si des points sont incorrects, veuillez m’en faire part dans les commentaires avec citation provenant soit du programme soit du site officiel du candidat ou de son parti.
* Il convient de préciser que je ne suis ni sympathisant ni encarté dans aucun parti politique ; je n’ai jamais milité pour un quelconque parti. Je fais en revanche partie des Jeunes Européens Strasbourg (donc du Mouvement Européen, des Jeunes Européens France et des Jeunes Européens Fédéralistes), association pro-européenne transpartisane. Cette analyse et mes opinions n’engagent donc que moi-même.
—– Mise à jour (mardi 28 février) —–
Suite à une remarque forte pertinente (partagée sur Facebook), voici un tableau complémentaire qui explique très brièvement les critères du tableau comparatif des candidats, ainsi que la position de « mon candidat idéal ». D’ailleurs en utilisant ce même tableau, vous pourriez y mettre vos propres réponses et voir ainsi quel candidat est le plus proche de vos opinions. Vous avez pu voir dans mon cas que, si je veux voter pour l’un d’entre eux, je vais devoir mettre de côté un bon nombre de mes convictions.
Explication | Mon candidat idéal | |
Jacobin | État fort ET centralisé | Non |
Enseignement régional | Pour ou contre l’enseignement comme compétence régionale | Oui (autonomie des établissements, programmes régionaux) |
Financement régional | Capacité des régions à se financer | Accru (en fait transféré de national à régional) |
Pouvoirs régionaux | Décentralisation des pouvoirs et responsabilités | Fédéralisation de la France (inspiration du Canada, de la Suisse et de l’Allemagne) |
Europe fédérale | L’Europe fédérale c’est l’État européen, une Constitution, une répartition des compétences. Ce dernier point étant particulièrement important.Ce n’est pas un but en soi. Le potentiel est intéressant. Pour ou contre ? Finalement cela dépend de la forme qu’elle prendrait.L’Europe fédérale peut être radicalement différente de l’Union Européenne actuelle. | 100 % (armée et diplomatie européenne, protection du consommateur, garantie des libertés fondamentales) |
Politique Agricole Commune | Aujourd’hui : subventions massives aux gros producteurs agricoles. | Suppression totale |
Europe de la défense | Aujourd’hui : quelques bataillons. | Armée et douane européenne. Gestion des frontières. |
ACTA | Accord commercial contre la confrefaçon | Contre |
Hadopi | Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet | Supprimée |
Relance publique | Relancer l’économie par la dépense publique | Non-croyant |
Intervention de l’État | L’État qui régule l’économie, la planifie et s’octroie des monopoles | Protection du consommateur, application effective et efficace de la justice |
Imposition et taxation des entreprises | Toutes les manières de prélever de l’argent auprès des entreprises. | Simplification (taxe unique à taux unique) et sensible réduction |
Subventions, crédits d’impôts, etc. | Aides aux entreprises | Suppression totale (interdiction de « sauver » les banques) |
Droit du travail | Contrats de travail, règles pour embaucher, licencier, temps de travail, etc. | Quasi-suppression (modèle Danois) |
SMIC | Salaire minimum | Suppression |
Euro | Pour ou contre l’euro ? | Pour |
Indépendance de la BCE | Banque Centrale Européenne indépendante ou à la solde des politiciens ? | Pour |
Principe pollueur-payeur | Faire supporter au pollueur le coût de la dépollution | Pour (mais grand débat en perspective pour le «comment») |
Brevatibilité du vivant | Le vivant peut-il être une propriété privée ? | Contre |
Moins de textes | Lois, règlements, décrets, etc. | Moins de textes, plus de bon sens ! |
Drogues | Prohibition ou légalisation ? | Légalisation totale |
Niches fiscales | Traduit la complexité de la fiscalité en France. | Suppression totale |
Impôt à taux unique | Alternative à l’impôt à taux progressif | Oui (assorti de l’impôt négatif en guise de filet social) |
TVA | Taxe sur la valeur ajoutée. | Sensible baisse |
Votations | Référence aux votations pratiquées en Suisse | Comme en Suisse |
Proportionnelle | Proportionnelle aux élections | Pour |
Vote blanc | Faire le déplacement, mais voter blanc | Reconnu |
Transparence revenu des fonctionnaires | Possibilité de consulter le traitement (salaire) des fonctionnaires avec intitulé de leur poste, etc. | Totale |
« Tableau comparatif des programmes des candidats » http://t.co/9CQg0sxe via @Contrepoints
Impressionnant, cette élection: même sur Contrepoints, en comparant les programmes, pas de mention des coupes dans la dépense publique et des nécessaires baisses dans la masse salariale de l’Etat, des autorités locales et de la sécu.
Alors que là est la question: vous allez couper de combien ?
RT @Contrepoints: Tableau comparatif des programmes des candidats: http://t.co/B5k6GqUC