Trop souvent le langage courant nous présente le pouvoir comme une caractéristique d’un homme ou d’une fonction : François Hollande “a” le pouvoir. Abusé par l’image, on en vient à concevoir le pouvoir comme un objet ou une caractéristique personnelle.
Par Pasm, depuis la Belgique.
En préalable à un billet à venir sur les stratégies politiques à disposition des libertariens, j’aimerais revenir rapidement sur les notions de pouvoir et de système politique. La plupart du temps, ces termes sont utilisés à tort et à travers alors que, pour une fois, la sociologie en propose des définition assez claire. En évitant l’exposé académique stérile, je tiens à partir de l’erreur la plus fréquente, l’illusion du pouvoir personnel, pour montrer la façon comment se construit et s’intègre le système politique social-démocrate.
Trop souvent le langage courant nous présente le pouvoir comme une caractéristique d’un homme ou d’une fonction. Désormais, en France, François Hollande “a” le pouvoir, comme il “a” une jolie cravate ou qu’il “a” le cheveux rare. D’ailleurs, sera très prochainement organisé une “passation de pouvoir”, durant laquelle on imagine bien Sarkozy offrant le pouvoir à Hollande, comme il lui offrirait une tasse de thé ou des gâteaux secs. Abusé par l’image, on en vient à concevoir le pouvoir comme un objet ou une caractéristique personnelle.
En réalité, l’accès à telle ou telle fonction, ne donne pas le pouvoir, mais donne le contrôle sur des ressources de pouvoir. La distinction est importante, en arrivant à l’Élysée, François Hollande ne trouve pas le pouvoir au milieu de son bureau, mais acquiert la possibilité de contrôler une série de ressources qu’il va pouvoir décider d’utiliser (ou non) au sein d’une relation afin d’acquérir le pouvoir dans cette relation. Ce qui est premier, c’est la relation, pas le pouvoir. Vous pouvez encore bien posséder une bombe atomique, si vous êtes seul au monde, sans personne à menacer, vous n’aurez pas de pouvoir.
L’accès aux ressources de pouvoir et l’exercice du pouvoir lui-même sont deux réalités différentes. L’exercice du pouvoir nécessite un autrui dont vous allez faire plier la volonté à la vôtre. Tout l’enjeu du pouvoir réside dans cette capacité à réduire autrui à vos fins. Si personne ne paye ses impôts de bon cœur, rares sont ceux qui se le font littéralement arracher par la force. En réalité, l’autorité publique est parvenue à obtenir que le citoyen assujetti agisse contre sa propre volonté au bénéfice de l’État. Et elle obtient cela par le contrôle de ces ressources précieuses que sont les gendarmes, les matraques et les prisons. Il n’existe aucun lien direct entre le gouvernent et le contribuable. Que les gendarmes (quel que soit leur nom administratif) disparaissent et les impôts ne rentreront plus dans les caisses.
Et c’est là que l’analyse du pouvoir en tant qu’accès à des ressources prend tout son intérêt car, par définition, les ressources s’épuisent quand on les utilise. Quand un gendarme frappe un voleur, il use sa matraque et elle finit par casser, laissant le gendarme sans ressource. Quand un État tire un missile sur un pays voisin, il dispose d’un missile de moins. Quand un politicien local offre un subvention à une association, c’est autant d’argent qu’il ne peut utiliser à autre chose. Le maintien d’une relation de pouvoir stable nécessite donc un renouvellement permanent des ressources. Si une association reçoit une subvention, elle l’utilisera à son bon plaisir. Mais, si elle a conscience que cette subvention peut être versée tous les ans, elle s’abstiendra de nuire à celui qui l’attribue. C’est la récurrence de la subvention qui garantit la stabilité du pouvoir.
Vu sous cet angle, la grande question de la politique devient donc celle de la régénération des ressources de pouvoir. Comment garantir la pérennité de la relation de pouvoir en maintenant un flux permanent de ressources nouvelles ? Si un politicien subventionne une association qui utilise ensuite cet argent pour le combattre, on aura compris qu’il a dépensé inutilement ses ressources de pouvoir. Si, au contraire, l’action de l’association subventionnée lui permet de dégager de nouvelles ressources de pouvoir (par exemple financières), la première dépense aura été un investissement intelligent lui permettant à terme d’accroître son pouvoir. Il en sera de même si l’association en question, sans lui garantir de nouvelles ressources, travaille à légitimer son action et, donc, à réduire les ressources à consommer dans d’autres relations. Celui qui aura investi intelligemment verra son aire d’influence augmenter progressivement au détriment de celui qui aura mal investi.
Ainsi se met progressivement en place, presque par sélection naturelle, un système politique stable où chaque relation de pouvoir permet d’obtenir des ressources qui garantissent d’autres relations. Les impôts levés sur le territoire permettent de faire la guerre. La guerre permet d’instaurer un échange image contre loyauté avec les médias. La loyauté des médias garantit la légitimité du gouvernement qui peut donc plus facilement lever des impôts. Un système politique stable se caractérise donc par un ensemble de relations de rétroaction qui se renforcent les unes les autres formant un tout cohésif.
Avec le temps, le système va s’étendre et intégrer l’ensemble de la population. Car, si le dominant veut soumettre le dominé, c’est bien que celui-ci peut offrir quelque chose à celui-là. La relation est déséquilibrée en faveur de l’un des partenaires (sinon on ne pourrait parler de pouvoir), mais aucun des partenaires n’est totalement démuni. Ainsi le dominé peut, dans une certaine mesure, manœuvrer le dominant et il le pourra d’autant plus qu’il fournira à ce dernier de nouvelles ressources de pouvoir. L’accès au centre du système sera donc déterminé par la capacité à intégrer toujours plus de personne dans le système politique.
Au modèle traditionnel de la hiérarchie pyramidale où la question majeure est celle de la domination et de la soumission, va se substituer progressivement un modèle systémique en réseau où domine la question de l’intégration et de l’exclusion. Aujourd’hui, celui qui est démuni de pouvoir, ce n’est plus l’opprimé, c’est le marginal.
Par là, il apparaît qu’il est illusoire d’espérer un changement du système par l’intérieur. Les actions contraires à la stabilité du système réduisent l’influence de celui qui les pose et l’excluent progressivement en le renvoyant aux marges. Au contraire, ceux qui aident à la reproduction du système y puiseront plus de pouvoir et verront augmenter leur influence sur le cœur du système. C’est la définition même d’un système fonctionnel et stable que d’assurer sa propre régénération. La destruction du système ne peut se concevoir que par deux moyens, la destruction directe du lien politique qui en unit les acteurs ou la disparition soudaine des ressources qui en assurent la reproduction.
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Sur le web.
« Le pouvoir, base du système politique » http://t.co/0EHVIDRq via @Contrepoints
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