Crise de l’État-providence : redonner leur chance au don et à la philantropie privés

Le don privé est durable, il est décentralisé. Lui seul peut être vraiment altruiste, car il agit au-delà de la vie du donateur ! Il faut donc lui ouvrir l’avenir et le laisser agir librement !

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Crise de l’État-providence : redonner leur chance au don et à la philantropie privés

Publié le 23 mai 2012
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Le don privé est durable, il est décentralisé. Lui seul peut être vraiment altruiste car il agit au-delà de la vie du donateur ! Il faut donc lui ouvrir l’avenir et le laisser agir librement !

Par Jean-Pierre Chamoux, président de l’Institut Turgot.

Article publié en collaboration avec l’Institut Turgot.

Dans un essai paru en fin 1981, Pierre Rosanvallon annonçait La crise de l’État-providence.

En réalité, il n’en était rien. Mais sous la plume d’un homme connu pour son engagement à gauche, ce titre était provocateur pour le régime socialiste qui ressentait les premiers effets de ses largesses électorales.

Aujourd’hui, la crise étant consommée, il est temps de revenir sur l’argumentation de cet auteur et de lui opposer une vision libérale de la providence !

Peu de temps après la victoire de l’union socialo-communiste en mai 1981, des difficultés politiques et financières secouaient le nouveau gouvernement.

Avec un peu d’avance sur la maturation ultérieure des phénomènes sociaux et politiques, Rosanvallon posait une question que, pour notre part, nous ressentions depuis longtemps et qui est aujourd’hui d’actualité : « L’État-providence peut-il rester l’unique agent de la solidarité sociale ? »

Tout en portant son estocade, il poursuivait un peu peu plus loin :

« La perspective libérale ignore cette dimension du problème. Elle se contente d’opposer les vertus du marché aux rigidités de l’État re-distributeur ».

Il sentait donc confusément, et avec un peu d’avance sur ses collègues, que la redistribution finirait par épuiser un jour l’État, mais, au lieu d’en tirer la conséquence qu’il faudrait bientôt cesser les distributions prodigues, il proposait au contraire de prolonger l’État-providence par un tissu de solidarités sociales décentralisées qu’il qualifiait comme une post-social démocratie.

Il suggérait, et il a continué de le faire sous des formes complémentaires depuis lors, non pas de restreindre la redistribution politique dont il prévoyait la saturation, mais de la transférer à des échelons territoriaux, en deçà de l’État dont il imaginait, à juste titre, qu’il ne pourrait pas éternellement prendre en charge la société entière sans se détruire lui-même !

Trente années ont passé depuis cet essai.

La crise se développe avec une rapidité et une force qui en a surpris beaucoup, mais qui ne devrait pas nous étonner : car, si prendre pour redistribuer ne crée aucune richesse, cela en consomme au contraire d’autant plus que le prélèvement est plus grand. Ce qui arrive aujourd’hui à l’État français, après l’État grec ou l’État portugais, c’est bien, effectivement, la concrétisation de la menace imaginée par Rosanvallon en 1981. Cette menace est désormais si pressante qu’elle risque d’étouffer la société, un risque bien plus réel qu’il ne l’était en 1981 !

Confrontée à la menace d’un raz-de-marée, la démocratie distributive devrait donc brider ses réflexes démagogiques. Malheureusement, elle nie tout simplement le risque, l’épreuve de la campagne présidentielle de cette année 2012 l’a prouvé, comme dans les années 1930 au moment de la Grande dépression. À quelques exceptions près, les gouvernements européens sont englués dans la poursuite de solutions aussi complexes qu’inefficaces pour tenter d’échapper à la crise, tandis que la faillite de l’État grec (et quelques autres) est manifeste !

Soyons clair : notre État-providence est vraiment en butée.

Rosanvallon renvoyait la redistribution à l’utopie autogestionnaire et à la décentralisation dont les moyens, en France, viennent surtout de l’État ! Or, tandis que cet État est en dépôt de bilan, le consensus mou qui rassemble les démocrates-chrétiens, les réformistes, une grande partie des néo-gaullistes et des sarkozistes affirme encore que l’État peut encore entretenir ses largesses ! Ce consensus est pourtant trompeur car, aujourd’hui, la solidarité instrumentée par l’État et par ses démantèlements est condamnée à faillir !

Se pose dès lors la vraie question politique : par quoi remplacer la redistribution publique qui ne fait plus face à ses engagements ? Qui, autre que l’État tutélaire, pourrait prendre le relais ?

En d’autres termes : au-delà des oppositions entre droite et gauche, que Rosanvallon et d’autres s’efforcent d’entretenir, la très grande majorité des politiques français continue d’affirmer la capacité distributrice de la puissance publique. Les uns comme les autres affirment que, sans l’État, nul ne peut répartir la richesse ni diffuser le bien-être.

Tous semblent également persuadés de l’impuissance des personnes ou des institutions privées à poursuivre autre chose qu’une quête égoïste !

Mais tous se trompent, intoxiqués qu’ils sont, sans doute, par leur propre discours ! Ils affirment, comme Rosanvallon :

« le scénario libéral implique automatiquement un retour en arrière. Il est lié à un déficit de légitimité, même si sa force d’attraction sur les classes moyennes n’est pas négligeable. Ce scénario n’aurait de sens qu’au détriment exclusif de la minorité la plus démunie de la population« .

Je crois utile de prouver que cette affirmation est inexacte, d’illustrer par des exemples nombreux et variés que la générosité philanthropique est une source sure et durable de redistribution ; d’associer cette forme de générosité altruiste aux phénomènes économiques qui les rendent possibles, qui sont des mécanismes de marché et d’échange ; de rappeler la variété et le caractère foisonnant des innombrables fondations privées que dotent, à travers le monde, tant d’hommes d’affaires et de personnalités soucieux d’entretenir, au-delà de leur mort, le bienfait d’une éducation, d’une formation professionnelle ou d’une création artistique auxquelles ils dévouent leur fortune post mortem ! De faire aussi le compte de ces bienfaits et de leur effet sur le développement humain, par exemple en Inde ou en Corée où les universités privées sont bien mieux dotées et beaucoup plus efficaces que les universités d’État !

Je résume : au cÅ“ur de la crise qui secoue l’Europe -et qui fait aussi souffrir l’Amérique- il nous faut redorer le blason du don et du leg volontaire, rendre son rôle social à la liberté de doter, contredire les affirmations trompeuses que je viens de citer et en prouver la partialité : les donateurs publics s’épuisent, sans compter qu’il sont soumis à un marché politique qui oriente leur action vers des buts parfaitement égoïstes, ceux de la conquête des voix en vue des élections à venir !

Les donateurs privés, au contraire, sont divers, multiples et concurrents les uns des autres. Si l’un s’épuise, d’autres prennent le relai ; si l’un dit blanc, l’autre dira noir ; si l’un est chrétien, l’autre sera musulman etc. Cette diversité, qui est celle de la vie même, est la meilleure garantie contre les aléas du futur que les politiques publiques ont bien du mal à cerner et à contrer : nous en avons eu un exemple criant avec la crise qui nous frappe depuis plus de trois ans, crise que les politiques sont incapables de conjurer, car c’est leur propre prodigalité qui en est la cause profonde !

Le don privé est durable, il est décentralisé. Lui seul peut être vraiment altruiste car il agit au delà de la vie du donateur ! Il faut donc lui ouvrir l’avenir et le laisser agir librement ! C’est l’un des thèmes que des institutions comme la nôtre s’efforcent d’introduire dans le débat public !

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