La science moderne serait née dans une culture où dominait l’idée d’une alliance entre un homme doué de raison et un Dieu unique législateur et intelligible, architecte souverain.
Par Damien Theillier.
Pourquoi la science moderne est-elle née en Europe et pas ailleurs ? Pourquoi n’est-elle pas née en Chine par exemple ? Dans l’Antiquité, la Chine et l’Occident avaient le même niveau scientifique. Or c’est seulement à partir de l’époque de la Renaissance que la modernité a pris son essor en Occident, la Chine ne faisant que stagner.
Parmi les explications de l’origine de la science moderne, on trouve cette idée que la science elle-même n’apparaît qu’en fonction d’un contexte culturel, de l’idée que les hommes se font de Dieu, d’eux-mêmes et de l’organisation sociale. On se souvient de la thèse de Max Weber sur les origines du capitalisme dans son livre L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Telle est la thèse que nous allons explorer dans le domaine épistémologique.
Cette thèse ne minimise pas l’importance d’autres facteurs, comme les facteurs sociaux-économiques ou politiques. Mais elle tend à montrer que, contrairement à l’analyse marxiste, des facteurs d’ordre culturels ou métaphysiques ont pu jouer dans la naissance de la science moderne.
De la Renaissance aux Lumières
Aux XVe et XVIe siècles, l’Europe était ravagée par les guerres de religion. Certains attribuèrent alors ces malheurs aux croyances religieuses de l’ère métaphysique médiévale. La méthode scientifique pensait-on, allait unifier les hommes par-delà les préjugés dans une même conception du monde. En 1604, Galilée formule la loi de la chute des corps, première loi de la dynamique moderne. Et en 1687, les Principes mathématiques de la philosophie naturelle d’Isaac Newton exposent de façon systématique un ensemble de lois physiques qui demeureront inchangées pendant plus de deux cents ans.
Au XVII et XVIIIe siècle, on assiste à la proclamation de l’égalité entre les hommes, fondée sur le principe que tous les hommes sont dotés de la faculté rationnelle : tous les hommes ont accès au savoir. Mais cette idée d’égalité, qui s’affirme pleinement au siècle des Lumières à partir de Descartes, a été précédée par l’affirmation du caractère rationnel et objectif de la réalité. Or cette idée est propre à l’Occident. Elle a d’abord été défendue par les savants grecs, Platon, Aristote, Épicure, mais elle a été aussi fortement réaffirmée par le christianisme au cours du Moyen Âge.
En effet, à la différence de la pensée orientale, la tradition judéo-chrétienne attribue à Dieu d’une part la rationalité et d’autre part la création d’un univers ordonné qui lui est extérieur. Dès lors, le monde naturel possède une consistance propre. Il n’est ni une illusion, ni un être divin. Et l’idée d’un ordre naturel indépendant et ordonné est un présupposé fondamental de la méthode scientifique. C’est sur cette base qu’il devient possible d’étudier les rapports de cause à effet. D’une certaine manière, la doctrine de la création a eu pour effet de désacraliser le monde et de l’ouvrir à l’analyse rationnelle.
Avec le temps, la physique de Newton est apparue comme le modèle d’une œuvre vraiment scientifique, détachée des spéculations métaphysiques ou religieuses. Mais en fait Newton s’appuyait sur des convictions chrétiennes ; il rattachait l’ordre du monde à l’intelligence du Créateur.
— Pierre Thuiller, Jeux et enjeux de la science : Essai d’épistémologie critique. 1972 pp. 46-47.
La Chine et l’Occident au Moyen Âge
Dans ses travaux sur la science et la technologie chinoises (La science chinoise et l’Occident, Paris, Seuil, 1969), le grand savant biochimiste Joseph Needham (1900-1995), communiste repenti, a posé la question de savoir pourquoi la science moderne n’était pas née en Chine. En effet, la Chine était particulièrement bien placée pour devenir le berceau des sciences et des techniques modernes.
Parmi les raisons invoquées par Needham pour répondre à sa question figurent :
1° l’absence d’un Dieu législateur souverain, idée profondément enracinée dans la pensée chrétienne de la fin du Moyen Âge ;
2° l’organisation bureaucratique de la Chine. En effet, l’Europe médiévale disposait d’un Dieu fort et d’un pouvoir faible du fait de la querelle permanente entre les papes et les rois. Au contraire, la Chine connaissait une divinité faible et un pouvoir bureaucratique fort.
Le prix Nobel de chimie, Ilya Prigogine, (1917-2003), suivant en cela Needham, a beaucoup insisté sur ce facteur culturel dans l’émergence de la science. Sa thèse est que la science moderne est née dans une culture où dominait l’idée d’une alliance entre un homme doué de raison et un Dieu unique législateur et intelligible, architecte souverain. Il écrit : « ma conviction est que l’idée d’un dieu garant des lois de la nature et de leur rationalité a joué un rôle essentiel lors des premiers développements de la science européenne. » (Ilya Prigogine, Quel regard sur le monde ? Communiqué lors de la Conférence des lauréats du Prix Nobel « Nobel Laureates Facing the 21st Century », Paris, 18-21 janvier 1988.)
Dès le Haut Moyen Âge, la croyance biblique selon laquelle le monde est l’œuvre d’un Dieu personnel, créateur et auteur des lois, imprégnait toute la civilisation occidentale. Cette foi en un Dieu créateur a conditionné la confiance dans l’idée d’un ordre naturel que la raison peut connaître. De même, au XVIIe siècle, le concept de lois de la nature renvoie à l’idée d’un législateur suprême.
Needham écrit :
Dans la civilisation occidentale on peut facilement montrer que les idées de loi naturelle (au sens juridique) et de lois de la nature (au sens des sciences de la nature) ont en fait une racine commune. L’une des plus vieilles notions de la civilisation occidentale est, sans doute, celle qui dit que de même que les législateurs impériaux terrestres ont constitué des codes de loi positives pour que les hommes y obéissent, de même une Divinité créatrice céleste, suprême et rationnelle a donné une série de lois auxquelles doivent se soumettre les minéraux, les cristaux, les plantes, les animaux et les astres dans leurs cours. Il y a peu de doute que cette idée s’est trouvée intimement liée au développement de la science moderne tel qu’il s’est opéré à la Renaissance en Occident. (La science chinoise et l’Occident, p. 32).
La théologie chrétienne fonde en un sens la démarche scientifique, même si elle ne suffit pas à l’engendrer. En revanche, les grandes civilisations comme l’Inde ou la Chine, malgré leur puissant développement mathématique ou technique, ont toutes échoué à formuler le concept de loi physique ou de loi naturelle. Leur cosmologie est le reflet d’une vision théologique panthéiste et animiste vouée à l’éternel recommencement. La civilisation indienne est à l’origine de l’invention du concept de zéro et du système de numération, indispensable à l’essor de la science. Mais la métaphysique hindoue a fait obstacle au développement de la démarche scientifique. Dans le panthéisme hindou, les cieux sont perçus comme divins et animés. De même, le concept hindou de « maya » affirme que l’expérience sensible n’est qu’une illusion et non le reflet du monde extérieur.
Par ailleurs, c’est en Chine que furent faites les découvertes fondamentales de la boussole, de la poudre et du gouvernail. Mais en Chine, on conçoit l’ensemble de la nature comme une sorte d’animal ou de grand organisme traversant un cycle répétitif de naissance, de maturation et de mort. Un tel cadre de pensée interdit de penser la nature comme une machine et de formuler les lois de la mécanique.
Au contraire, pour les théologiens du Moyen Âge, Dieu est rationnel et il a créé un univers ordonné. Cela signifie que l’univers n’est pas Dieu, qu’il a une existence autonome et qu’il peut être soumis à l’analyse rationnelle. Or la croyance métaphysique dans un univers intelligible, structuré et ordonné par Dieu, qui peut être compris par la raison humaine, a constitué l’une des conditions de possibilité de la science moderne. En ce sens, le christianisme a favorisé l’essor du progrès scientifique, parfois malgré lui.
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Sur le web.
Publié initialement sur 24Hgold.
Sans remettre en cause l’intérêt de votre analyse, je m’interroge sur l’importance du dieu unique. En effet, la civilisation scientifique a commencée en Grèce, et a été stoppé par les romains qui ont apporté avec eux le christianisme.
Cela c’est traduit par une grande période d’obscurantisme.
Ce n’est que quand la culture grecque nous est revenue grâce à l’invasion arabe, que l’occident a renoué avec l’esprit scientifique.
Archimède est l’archétype du savant moderne, 200 avant JC.
Le lien entre monothéisme et science n’apparait donc pas si évident, c’est même à partir du moment où la religion est remise en cause (réduction de l’espace divin), que l’esprit scientifique renaît.
Vous devriez réviser votre histoire avant de parler. Les Romains ont en effet conquis la Grèce… en adoptant les dieux de cette dernière. Le Christianisme n’est venu que plusieurs siècles après.
Dans les prémisses du développement scientifique de l’Occident, il faut citer la première: la synthèse que fit St Thomas d’Aquin de la philosophie d’Aristote et de la morale chrétienne. La Somme contient tous les principes de rectitude de pensée et de raisonnement qui permirent les progrès scientifiques.
Cet article est l’oeuvre d’un ignorant total.
Une lecture attentive et un tant soit peu érudite des grands textes scientifiques rédigés à partir de la renaissance, et en particuleir
» PHILOSOPHIAE NATURALIS PRINCIPA MATHEMATICA » de l’immense Newton fait apparaître le fait INCONSTESTABLE suivant
( incontestable car les textes mathématiques ne permettent pas de tricher: la démonstration est juste ou elle ne l’est pas)
Le paradigme de la science moderne part de la physique mathématique ( la contribution de galilée est également immense) « Newtonienne ».
Or, la formulation Newtonienne de la Mécanique ainsi que toutes les démonstrations des « principia » n’utilisent qu’un seul formalisme:
La GEOMETRIE GRECQUE.
Il n’est que de juxtaposer les ouvrages d’euclide, d’Archimède, d’apolonios , de Heron d’alexandrie ..;et d’autres avec les « principia » , pour s’apercevoir que « SEULE UNE CULTURE DOTEE DE LA DEMONSTRATION MATHEMATIQUE GRECQUE POUVAIT INVENTER LA MECANIQUE MODERNE GALILEO NEWTONIENNE »
il n’est donc absolument^pas étonnat que des cultures non fertilisées par te terreau hellénique aient été incapables d’inventer la science moderne.
Ne confondons pas la science avec une multitude de recettes empiriques efficaces.
les chinois, pour ne prendre qu’eux, coincés dans leur traditionalisme et leur sous mathématiques, les « neuf châpitres » ( simples recettes de scribes et de percepteurs) auraient été bine incapables d’égaler le genie mathématique ( entre autres) des grecs.
votre argument n’en est pas un, et je pense que c’est l’auteur qui a raison, avec un bémol ou plutôt un ajout que je vais énoncer.
Pourquoi votre argument est faux ? car l’occident a redécouvert la philosophie grecque par l’intermédiaire de la civilisation arabe qui a dominé le bassin méditerranéen pendant 700 ans.
Or, pourquoi donc cette civilisation n’a pas eu de Newton ni de galilée ni d’autres ?
Voilà pourquoi et mon ajout à l’auteur : car la religion chrétienne (pas catholique, chrétienne) met en avant le libre arbitre, le libre examen et l’individu responsable de ses choix.
Pourquoi la science s’est développée à la renaissance et non au moyen-age ? car la réforme protestante, permise entre autres par la lecture « en direct » de la bible grace à guttenberg, et le libre examen a fait le reste.
Le principal apport des grecs et Aristote, qui a mis en avant la Raison.
Je rajouterai que l’apport considérable de Newton a été ( entre autres, et monté sur les épaules de galilée) de sortir la mécanique d’un
e vision finaliste divine, telle que pouvait l’avoir le grand Leibniz
« »la recherche des causes finales dans la physique est justement la pratique de ce que je crois qu’on doit faire, et ceux qui les ont voulu bannir de leur philosophie, n’en ont pas assez considéré l’utilité.[…]
C’est pour celà que j’ai coutume de dire qu’il ya, pour parler ainsi, deux règnes dans la nature corporelle même qui se pénètrent sans se confondre et sans s’empêcher: le règne de la puissance [divine], suivant lequel tout peut s’expliquer mécaniquement par les causes efficientes, lorsque nous en pénétrons l’intérieur; et aussi le règne de la sagesse[divine], selon lequel tout peut s’expliquer architectoniquement, pour ainsi dire, par les causes finales, lorsque nous en connaissons assez les usages.
Et c’est ainsi que l’on peut dire, avec Lucrèce, que les animaux voient parce qu’ils ont des yeux; mais aussi que les yeux leur ont été donnés pour voir, quoique je sache que plisieurs n’admettent que le premier [règne] pour mieux faire les esprits forts »
Leibniz in « Tentamen analogicum » ( 1694)
Bonjour,
Je ne partage pas complètement votre analyse, car il me semble que vous inversez la cause et l’effet (comme, du reste, le faisait Weber : il pensait que les gens étaient capitalistes et entrepreneurs parce que protestants, alors qu’ils étaient protestants parce que capitalistes et entrepreneurs).
Vous remarquez fort bien que les racines de la science occidentales sont déjà présentes chez les Grecs. Or les grecs n’étaient pas monothéistes. Ceux qui ont eu tendance à aller vers le monothéisme étaient au contraire les scientifiques, les philosophes, qui tels Aristote avec la Cause Première, et avant lui Anaxagore avec l’Intelligence, ont développé ce qu’on peut appeler un monothéisme rationnel, la certitude scientifique dans l’existence d’un Dieu unique.
Ce n’est pas un hasard si la culture grecque s’est si facilement emparée du jeune christianisme (après avoir été assez largement séduite par le judaïsme hellénistique) : c’était une religion qui, enfin, collait avec les conclusions de la raison.
Et de fait, le premier chemin vers le monothéisme, c’est la raison droite ; c’est pour cela que les grands philosophes grecs ont convergé vers cette conviction. Tout simplement parce que l’exercice de la raison droite conduit à la vérité, et le Christ dit bien que celui qui entend la vérité entend sa voix. Donc tout individu qui utilise sa raison pour rechercher la vérité dialogue avec Dieu (sans le savoir, en général), et tout individu qui formule une vérité rationnelle est (sans le savoir aussi) un prophète.
Pour revenir, donc, à ce qui nous concerne, vous faites une remarque très juste et je m’étonne que vous ne soyez pas allé au bout : vous notez qu’en Chine il y avait un pouvoir fort. Or c’est bien cela le problème : le pouvoir fort qui étouffe l’individu, l’esprit d’entreprise, l’initiative individuelle, et entrave le progrès.
Alors que qu’est-ce qui a caractérisé l’Europe ? Vous l’avez vu aussi : le conflit entre le Pape et l’Empereur, mais plus généralement une multitude de conflits entre un tas de pouvoirs locaux. C’est-à-dire un état de concurrence ! Le même qu’il y avait entre les cités grecques, et qui a favorisé la pensée libre et, par l’exercice de la raison, le monothéisme rationnel. Une évolution en sens inverse, donc, de celle que vous décrivez, me semble-t-il.
Cela dit c’est toujours un plaisir de vous lire.
Note : toute l’évolution de la civilisation grecque antique a été exactement la même trajectoire que celle de la civilisation européenne moderne. je le démontre sur mon site internet, si cela vous intéresse.
Nous sommes ici dans un raisonnement « scolastique », aquiniste, , quitte à vouloir absolument démontrer que, au final, les grecs( lesquels?) étaient en quelque sorte « chrétiens par anticipation »;
type même de raisonnement « finaliste » qui ne eput d’ailleurs se concevoir qu’en postulant que les effets précèdent les causes ( ce à quoi conduit le eaisonnement de Leibniz)
Or, jusqu’à présent, la flèche du temps semble bien s’écouler dans un seul sens, du passé vers le futur……conséquence d’ailleurs del a mécanique newtonienne.
Votre affirmation selon laquelle les protestants étaient protestants parce que capitalistes et entrepreneurs me semble parfaitement fantaisistes.
Les pays bas et l’angleterre se sont éveloppés après avoir connu le protestantisme et non avant.
Les protestants sont en premiers protestants, et ce fait est un terreau fertile pour devenir entrepreneurs.
Dans cette affirmation, vous sous entendez une sorte d’utilitarisme religieux des protestants, ce qui me semble faux, et d’ailleurs Weber le démontrait bien dans son livre.
Sinon, tout à fait d’accord avec vous, le premier principe du développement humain, c’est le respect de l’individu !!!!
« Pourquoi la science moderne est-elle née en Occident http://t.co/YaCbHSH0
Les Grecs étaient un peuple de commerçants. Les Romains un peuple de conquérants.
Or la science est le fruit de l’échange et de la concurrence, jamais de la coercition.
Pour répondre à Scaletrans, c’est bien l’empire romain « chrétien » qui a posé les bases de ce que nous appelons la civilisation occidentale. L’empire n’a réellement existé qu’après la conquête de César.
Mais c’est aussi lui, qui l’a maintenu dans l’obscurantisme.
Avant l’empire romain, il n’y avait pas de cohérence européenne, même s’il y avait des échanges.
L’empire romain a créé un pouvoir central fort, et donc peu propice au développement culturel.
je recommande aux commentateurs l’étude sérieuse des textes mathématiques grecs et de la renaissance, avant d’avancer toutes sortes d’hypothèses foireuses, de type « construction sociale de la réalité ».*
L’outil par excellence de la raison, à savoir la démonstration, est une invention exclusivement grecque antique.
l’outil par excellence de la mécanique rationnelle, c’est à dire de la théorie du mouvement des corps, est la mathématique de l’espace, des trajectoires, c’est à dire la géométrie grecque.
Pourquoi la Grèce? récurrente question
Peut être parce que: « les athéniens ne sont esclaves ni sujets de personne » ( eschyle)….
La civilisation « surdouée » fut celle de la liberté humaine.
Et bien sujet passionnant. Et dans toutes ces divergences, je vois un point fort qui me parle beaucoup: c’est bien la liberté individuelle qui est la base de tout progrès.
@ Yves le dernier mot, qui résume bien l’évidence :
l’être humain libre et responsable seul peut progresser, et l’histoire économique ne cesse de nous le rappeler.
Je trouve cet article fort peu pertinent, voire source de contresens. Il est indiqué : « Dans la civilisation occidentale on peut facilement montrer que les idées de loi naturelle (au sens juridique) et de lois de la nature (au sens des sciences de la nature) ont en fait une racine commune. » C’est, à mon avis, précisément l’inverse, car les lois naturelles décrivent ce qui est, or les lois normatives décrivent ce qui doit être. Les premières sont déterminées par un processus scientifique (et cherche à déterminer ce qui est vrai ou faux) et sont indépendantes de toute volonté humaine, tandis que les secondes sont des créations purement humaines qui sont déterminées selon des critères philosophiques et moraux (afin de savoir ce qui est bien ou mal) mais il n’y a pas de lien entre les deux. On ne peut pas déterminer scientifiquement ce qui est bien ou mal, et on ne peut pas utiliser la morale ou la philosophie pour dire ce qui est vrai ou faux. C’est le propre des sociétés primitives (et des marxistes ou socialistes) de ne pas distinguer la différence entre les lois naturelles et les lois normatives (voir Karl Popper à ce sujet), comme par exemple le fait de lier une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre à une punition divine visant à châtier le mauvais comportement des hommes. Or le tremblement de terre résulte d’une loi naturelle, et la façon dont les individus doivent se comporter d’une loi normative.
C’est bien pourquoi les lois mémorielles limitant la liberté d’expression (comme la loi Gayssot ou la loi Taubira) sont dangereuses et constituent une véritable régression intellectuelle (comme l’a montré Philippe Nemo) car elles confondent lois naturelles et lois normatives, ce qui est vrai ou faux avec ce qui est bien ou mal.
Par ailleurs, il est dit que « Newton s’appuyait sur des convictions chrétiennes ; il rattachait l’ordre du monde à l’intelligence du Créateur. » Peut-être, mais les convictions philosophiques, religieuses et métaphysiques du scientifique ne doivent pas entrer pas en rapport avec la science proprement dite. L’existence (ou non) de Dieu n’a rien à voir avec la logique et l’expérimentation scientifique. (Ou alors on est dans la pseudo-science, comme le créationnisme.) On pourrait, en ce sens, citer la remarque de Napoléon à Laplace au sujet de son ouvrage dans lequel il explique la naissance du système solaire :
– Votre travail est excellent mais il n’y a pas de trace de Dieu dans votre ouvrage.
– Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse.
Moins il y a de religion (intrusive), plus il y a de rationalité dans la pensée.
C’est toujours probant, un siècles et plus après la suprématie du raisonnement scientifique.
Article intéressant sur un sujet fondamental, car la religion est au fondement historique de toute construction intellectuelle, libéralisme ou science moderne.
L’auteur avance des généralités quant au monothéisme qui, à mon avis, sont des généralisations abusives des propriétés du christianisme.
Ses considérations sur les blocages rencontrés en Chine ou en Inde font écho à celles faites par Bernard Lewis sur le monde islamique, pourtant monothéiste, dans son livre bien connu, « Que s’est-il passé » (What went wrong?). En effet le monde musulman réunissait en l’an mille des conditions objectives très favorables : Paix, unité linguistique, situation de carrefour culturel (e zéro…), possession des territoires ayant les cultures les plus avancées (perse, grecque…). La chrétienté occidentale était loin de présenter de tels atouts, de sorte que s’il avait fallu parier sur le succès de l’une des deux civilisations, on aurait privilégié la musulmane – sauf à cpnnaître le mystérieux ingrédient qui a fait le succès, écrasant, de la chrétienté.
Cet ingrédient, Lewis ne le connaît pas et ne prétend pas le cerner, il ne répond pas à la question posée par son titre. Mais il examine les différences entre les deux civilisations au travers de témoignages d’époque, principalement musulmans, sur trois plans, dont l’attitude face à la science. Je recommande donc chaudement cette lecture à l’auteur.
Pour ma part, je dirais que les considérations qu’il fait sur les propriétés du monothéisme sont vraies s’agissant du christianisme, mais pas s’agissant de l’islam, qui s’est avéré, et continue de s’avérer, un obstacle considérable à la science, à l’objectivité et à la curiosité scientifique.
Le monothéisme n’a donc, par lui-même, aucune propriété.
Cela se conçoit aisément si on prend la peine de comparer les références écrites du christianisme et de l’islam, qui sont aussi dissemblables qu’il est possible, hormis le fait qu’elles affirment l’existence d’un dieu unique et créateur de tout. Les deux visions de ce dieu unique, et, partant, de ce qu’il convient de faire de sa vie, sont aux antipodes. Il est vrai que la notion de cyclicité n’existe dans aucun des deux monothéismes, mais je ne vois aucune raison d’en faire une généralité.
Galilée est cité : Je trouve son histoire passionnante et éclairante quant à l’attitude chrétienne face aux idées, même gênantes. L’intérêt du pape pour l’héliocentrisme (proposé initialement par Kopernic, un chanoine encouragé à la publier par son évêque), l’inévitable conflit devant un tel bouleversement cosmologique (et aussi la caractère ombrageux et brouillon de Galilée), le procès qui s’ensuivit, et le verdict du Saint Office : L’héliocentrisme ne pouvait pas être présenté comme plus qu’une hypothèse. C’était de la rigueur scientifique. Galilée ne prouvait effectivement rien, mais son modèle fonctionnant aussi bien que celui était mis sur le même pied, bien que ce dernier fût en usage et même eût quasiment force de dogme.
Il faut souligner que le second procès, qui se solda par la mise à l’index du Dialogue, pourtant commandé par le pape, eut cette issue à cause d’un concours de circonstances (irrespect du premier verdict, extrême maladresse de Galilée, quelques erreurs, et le contexte de la contre-réforme). Dans la ligne du premier procès, l’enjeu de l’héliocentrisme en tant que tel n’y aurait pas conduit.
Je voulais dire: Galilée ne prouvait effectivement rien, mais son modèle fonctionnant aussi bien que le modèle en vigueur (ptoléméen) était mis sur le même pied, bien que ce dernier fût en usage et même eût quasiment force de dogme.
L’histoire de Galilée montre la science en marche dans la chrétienté, contrairement à l’idée répandue.
@ stephane : « Or, pourquoi donc cette civilisation n’a pas eu de Newton ni de galilée ni d’autres ?
Voilà pourquoi et mon ajout à l’auteur : car la religion chrétienne (pas catholique, chrétienne) met en avant le libre arbitre, le libre examen et l’individu responsable de ses choix. »
L’Islam aurait pu avoir ses Newton et ses Galilée. Je crois avoir un peu exploré le sujet dans une vieille review (qu’il me soit ici permis de me citer) : http://www.contrepoints.org/2011/08/21/41640-la-fermeture-de-l%E2%80%99islam-the-closing-of-the-muslim-mind
@ Fucius : le livre que je viens de mentionner va plus loin dans l’analyse et me semble plus convaincant que Lewis (que j’apprécie par ailleurs).
@ Citoyen : « Moins il y a de religion (intrusive), plus il y a de rationalité dans la pensée. »
Quel préjugé contemporain… De nombreux scientifiques renommés étaient ou sont des croyants fervents. Inversement, de nombreux athées sont de fieffés ignares (qui a dit Albert Jacquard ?). Il n’y a pas de corrélation entre les deux, ni dans un sens ni dans l’autre.
@ hippocrate : « Or, jusqu’à présent, la flèche du temps semble bien s’écouler dans un seul sens, du passé vers le futur……conséquence d’ailleurs del a mécanique newtonienne. »
Non. Un des grands problèmes de la mécanique newtonienne, c’est justement qu’elle est parfaitement symétrique par rapport à toutes les dimensions, y compris le temps. L’idée de l’asymétrie de la dimension temporelle (c’est-à-dire, l’irréversibilité de certains processus physiques) n’a pu être réellement formalisée qu’avec le concept d’entropie, dans un XIXème siècle déjà bien avancé.
Tout à fait d’accord, je me suis mal exprimé.
J’aurais du dire:
Contrairement à l’hypothèse finaliste « forte » ( doctrines des causes finales, type Leibniz) , qui ne peut fonctionner sans supposer que le futur agit sur le passé ou le présent, la mécanique Newtonienne ( je dirais même galileo newtonienne) ne présuppose rien de ce genre: l’hypothèse finaliste ( qui est en rélité un principe d’extremum ou de « moindre action » selon maupertuis et lagrange) « donne l’impression » d’une action du futur sur le présent.
Un examen attentif ( ne serait ce que mathématique) montre que cette hypothèse n’est pas nécessaire, mais psychologiquement- cognitivement facilement présente à l’esprit.
Sur le plan de la mécanique rationnelle ( ou autre), le paradigme Newtonien est fondamental car il écarte cette possibilté d’illusion cognitive: c’est un mécanique des causes efficientes et non finales
Pour mémoire, une citation du grand Poincaré:
» l’énoncé même du principe de moindre action a quelque chose de choquant pour l’esprit.Pour se rendre d’un point à une autre, une molécule matérielle, soustraite à l’action de toute force, mais assujettie à se mouvoir sur une surface, prendra la ligne géodésique, c’est à dire le chemin le plus court.Cette molécule semble connaître le point où l’on veut la mener, prévoir le temps qu’elle mettra à l’atteindre en suivant tel ou tel chemin, et choisir le chemin le plus convenable.l’énoncé nous la présente pour ainsi dire cimme un être animé et libre. Il est clair qu’il vaudrait mieux le remplacer par un énoncé moins choquant, et où, comme diraient les philosophes, les causes finales ne sembleraient pas se substituer aux cause efficientes. »
Henri Poincaré in « La science et l’hypothèse » ( 1902)
@hippocrate
Je suis d’accord avec vous.Malheureusement l’idée selon laquelle la science occidentale ne pouvait naître que dans le contexte de la rationalité monothéiste a une foule d’avocats prestigieux. La liste des auteurs condamnant cette idée, qui me paraît aussi absurde que celle faisant d’Hitler le leader d’un peuple de grands blonds aux yeux bleu, car enfin, la science n’est-elle pas née dans la Grèce polythéiste ? est malheureusement vide, à ma connaissance. Et à la vôtre ?
1/ A l’instar des marxistes il me semble que vous commettez une erreur fatale similaire. Remplacer les « conditions socio-économiques objectives « , auxquelles vous semblez donner un certain crédit au demeurant, par des conditions culturelles et métaphysiques id est civilisationnelles c’est ignorer le primum movens de ces découvertes
2/ La compréhension des phénomènes complexes nécessite un cerveau particulièrement performant. La mesure de cette performance ne se résume bien sur pas au QI mais c’est un indicateur. Nous en avons d’autres aujourd’hui.
3/ Comment se fait la sélection de cerveaux ultraperformants capables de percer les secrets de la nature ou de la construction divine à votre convenance architecturale?
4/ Par sélection darwinienne c’est à dire évolutionniste. Et c’est probablement là que l’aventure des peuples européens est capitale. Sortant du paléolithique à travers les glaciations et des difficultés de survie incroyables les humains européens ont été soumis à des conditions extraordinaires de sélection qui étaient beaucoup moins opérantes dans les autres régions de la diaspora humaine. Du croissant fertile à la Grèce ils ont inventé pour survivre, ils ont imaginé la réalité pour l’analyser et la transformer. Les guerres acharnées ont aussi joué un rôle car elles ont accéléré la sélection non seulement physique mais cérébrale dans la hiérarchie des sociétés.
5/ est ce à dire qu’il n’y a pas eu un facteur civilisationnel? Bien sur que si mais alors examinons les faits! Les Dieux grecs personnes magnifiées de l’humain terrien, ont joué un rôle important dans la représentation du possible de la raison et donc dans la stimulation de l’action humaine. Les Dieux grecs n’interdisent pas ils sont un reflet amplifié de nos actions. Ils les favorisent et les justifient. A l’inverse d’autres religions ou peuples avaient des représentations divines stigmatisantes et coercitives plutôt bloquantes pour la recherche l’innovation et la science. Ce fut le cas du monothéisme surtout catholique, mais aussi de l’Islam et des religions extreme orientales.
Bonjour. Travaillant sur la violence monothéiste, je suis très intéressé lorsque vous dites » Les Dieux grecs qui n’interdisent pas ils sont un reflet amplifié de nos actions. Ils les favorisent et les justifient. » au dieu coercitif du monothéisme. Pourriez-vous développer votre phrase, donner des références dans ce sens? Merci
@ thegap Bonjour. Travaillant sur la violence monothéiste, je suis très intéressé lorsque vous dites » Les Dieux grecs qui n’interdisent pas ils sont un reflet amplifié de nos actions. Ils les favorisent et les justifient. » au dieu coercitif du monothéisme. Pourriez-vous développer votre phrase, donner des références dans ce sens? Merci
@thegap
Bonjour. Travaillant sur la violence monothéiste, je suis très intéressé lorsque vous dites » Les Dieux grecs qui n’interdisent pas ils sont un reflet amplifié de nos actions. Ils les favorisent et les justifient. » au dieu coercitif du monothéisme. Pourriez-vous développer votre phrase, donner des références dans ce sens? Merci
@Benjamin Guyot
Merci pour ce conseil de lecture.
Toutefois, au vu de la richesse de votre article, je crains de me noyer dans les détails historiques !
D’autant que certains virages sont irrévocables.
C’est d’ailleurs le principe même des religions: Ëtre irrévocables.
Principe qu’on ne peut condamner comme tel, sauf à sombrer dans l’erreur relativiste.
Mais qui est Ô combien dangereux…
Pour moi, le dogme du Coran incréé est maintenant irrévocable, tout comme il est impossible d’en expurger les versets problématiques (voire, comme beaucoup en rêvent, tous ceux postérieurs à l’Hégire).
L’islam sera ainsi ou ne sera plus.
D’ailleurs il n’existe pas de précédent à une telle réforme.
Ceux qui citent la Réforme protestante disent n’importe quoi: Elle ne changea pas un iota de la Bible.
Les islamoptimistes sont des rêveurs.
La science s’est certes développée en Europe et non pas en Chine, en Inde ou en Afrique. En attribuer la paternité à la religion dominante en Europe depuis Constantin relève d’une triple erreur :
d’une part réduire la science grecque à un pur exercice spéculatif sans lendemain , et donc ignorer que les Grecs ont posé les principes essentiels de la démarche scientifique que sont la causalité, la nature, la démonstration ,
d’autre part négliger les facteurs purement historiques voire géographiques : la fragmentation du relief européen, son polycentrisme linguistique et décisionnel, la rivalité entre un pouvoir temporel fragmenté et le pouvoir centralisé de l’Eglise . Est-ce ce pluralisme et cette diversité qui firent le succès de l’Europe contre la Chine , de Florence contre Rome , de l’Europe de la Réforme contre l’Europe de la Contre-Réforme ? « Chaque fois qu’un organisation sociale a su mettre l’accent sur la diversité, elle a été féconde et productrice. »
enfin et surtout attribuer au monothéisme une attitude mentale typiquement occidentale, partagée par Athènes et Jérusalem, et qui leur est sans doute antérieure : l’individualisme et le réductionnisme.
L’opposition « Occident » individualiste / « Orient » holiste a été proposée par de nombreux auteurs, dont le spécialiste de l’Inde Louis Dumont , et confirmée expérimentalement par le psychologue Richard Nisbett . A partir de tests psychologiques menés sur des groupes d’étudiants des deux mondes, ce dernier met en évidence la multiplicité des concepts et comportements affectés par ce clivage :
la façon de concevoir du monde : dualisme/monisme , réductionnisme/holisme , analytique/synthétique , individus/relations, objets/environnement , indépendance/interdépendance , permanence/changement , temps linéaire/cyclique , origine/ incréé, absolu/relatif, transcendance/immanence.
les caractéristiques des langues : abstraites/concrètes, précises/contextuelles, priorité aux substantifs/aux verbes. Richard Nisbett tend d’ailleurs à associer l’Occident au monde indo-européen, et l’Extrême-Orient à l’ensemble Chine, Corée, Japon, qui, malgré leurs différences linguistiques, satisfont bien aux critères orientaux ci-dessus : ainsi le chinois ou le japonais accorde-t-il la priorité au verbe quand les langues indo-européennes l’accordent aux substantifs, les premières sont des langues « contextuelles », « field dependent », les secondes « dé-contextualisées » comme l’illustre par exemple la façon de dire « je », qui varie suivant le contexte dans les langues Extrême-orientales, alors qu’elle est unique, indépendante du contexte dans les langues indo-européennes. La grammaire est peu structurante dans les langues orientales fortement contextuelles, très structurante dans les langues occidentales faiblement contextuelles. Les langues Extrême-orientales ne permettant pas la construction de substantifs à partir d’adjectifs pour en faire des propriétés abstraites (comme la blancheur en français, the whiteness en anglais). L’écriture est souvent à bases de pictogrammes en Orient, alphabétique en Occident.
le mode de raisonnement : ou/et, causalité/affinité, pourquoi/comment, tiers exclu/interdépendance, séparation des variables/complexité, formel/intuitif, goût/aversion pour le débat, curiosité spéculative motivée par la seule connaissance/intérêt tourné vers l’action, science /technologie . Pour un Chinois ou un Japonais, ce qui se conçoit bien ne s’énonce pas nécessairement clairement, car si le raisonnement analytique, Occidental, se formule aisément avec les mots, il n’en est pas de même du raisonnement holistique Extrême-oriental : « Analytic thought, which dissects the world into a limited number of discrete objects having particular attributes that can be categorized in clear ways, lends itself to being captured in language. Holistic thought, which responds to a much wider array of objects and their relations, and which makes fewer sharp distinctions among attributes or categories, is less well suited to linguistic representation. »
la conception des contraires : « Westerners insist on the correctness of one belief versus another whereas Easterners are inclined to seek the Middle Way » ,
les critères d’action : buts précis/harmonie d’ensemble, court terme/long terme. On pourrait sans doute rajouter culpabilité/honte,
la perception de soi : individu en soi/individu uniquement perçu dans sa relation avec autrui, estime de soi/humilité, mise en avant/autocritique, introversion/extraversion,
les relations sociales : droits subjectifs de l’individu indépendant et autonome /devoirs et obligations mutuelles de réciprocité, égalité et justice/harmonie sociale ; priorité à l’Etat / à la famille, au clan ; verdict au nom d’un principe supérieur déterminant « qui a tort et qui a raison » / procédure visant à réparer les préjudices par arrangement et compromis ; respect de la lettre des contrats/priorité à la sauvegarde de la relation ; nombre d’avocats par millier d’habitants élevé/faible ,
la médecine : chirurgie (enlever l’objet, la cause du mal)/acuponcture (rétablir l’équilibre d’ensemble) .
La propension « occidentale » à imputer la responsabilité des évènements à un facteur identifiable (« personal agency ») plutôt qu’à un fonctionnement systémique global (« collective agency » ou « situational attribution ») s’illustre dans l’étude du sujet, de la subjectivité, avec ses développements en psychologie et en psychanalyse, dans la démarche scientifique, et aussi bien sûr dans celle d’un dieu créateur.
L’exclusivisme monothéiste s’oppose à l’idéal oriental d’harmonie. Le mythe de Babel condamne la diversité : c’est le pluralisme des langues qui met fin au chantier de la Tour, à la fin des temps, ce sera la victoire la religion unique amènera le salut en éradiquant définitivement le pluralisme religieux. La polyphonie polythéiste fera place à l’unisson monothéiste , ce que Joseph Ratzinger exprime par : « La Rédemption ramène l’état de dispersion de Babel à l’unité » . La Bible prend ainsi l’exact contrepied du principe selon lequel la diversité, l’échange, la curiosité sont gages de développement , illustré par les Grecs , et plus généralement par les sociétés ouvertes, autonomes .
Avec leur aversion pour l’hybris, les Grecs, c’est à dire l’Europe avant sa christianisation, connaissaient un meilleur équilibre entre réductionnisme et holisme. Ni un Chinois, ni un Japonais, ni un Grec n’aurait dit : « Dieu était le Verbe » . Si l’Occident doit reconnaître un héritage au monothéisme, c’est bien celui du Verbe, du goût pour les vérités uniques, de l’hypertrophie de l’ego. Avec sa préférence pour l’absolu, le monothéisme a rompu l’équilibre entre réductionnisme et holisme que connaissait la Grèce grâce à sa préférence pour le relatif, à son aversion pour l’hybris.
Ces théories associant psychologie, anthropologie, linguistique demeurent sans doute jeunes, empiriques et spéculatives, mais sont en tout cas mieux étayées que les professions de foi du style de celle d’Ilya Prigogine citée en exergue. Elles suggèrent des questions et des pistes d’approfondissement.
Si la révolution scientifique a eu lieu en Europe, et non pas en Asie malgré l’avance technique que la Chine eut, jusque très tardivement, sur l’Europe et sur le monde arabe , l’origine en revient à une forma mentis occidentale une préférence pour le réductionnisme, l’analyse, la permanence , ainsi qu’à deux évènements historiques, le « miracle grec » d’abord, la Renaissance européenne ensuite, pour Cornélius Castoriadis (1922-1997) les deux seules expériences de société « autonome » de l’histoire de l’humanité. Le monothéisme n’eut aucune part à la première, et ne joua dans la seconde qu’un rôle indirect.
« En effet, à la différence de la pensée orientale, la tradition judéo-chrétienne attribue à Dieu d’une part la rationalité et d’autre part la création d’un univers ordonné qui lui est extérieur….La théologie chrétienne fonde en un sens la démarche scientifique »!!!
Comme si la science n’était pas née dans la Grèce polythéiste, comme vous le rappelez vous-même! La tradition judéo-chrétienne n’a rien à avoir là dedans, sionon1) que le christianisme est un syncrétisme judéo-grec, 2) que le mode de pensée occidental (auquel appartiennent tant Athènes que Jérusalem) est réductionniste, analytique, par oppoistion au mode holistique qui prévaut en Orient. Cf. l’excellent livre Richard Nisbett : The Geography of Thought : How Asians and Westerners Think Differently…and Why, Free Press, 2003.
Le plus étonnant, vu le nombre et la qualité des tenants de cette thèse d’une filiation chrétienne de la science, est qu’on ne trouve en revanche quasiment aucun auteur pour dénoncer cette thèse.
Je tiens à votre disposition un article que j’ai intitulé La science moderne ne pouvait-elle naître
que dans le cadre de pensée monothéiste?
thèse classique … et très contestable.
La science occidentale ne commence à surpasser la science orientale que très tardivement, juste après les guerre de religions.
autrement dit :
Pendant 1000 ans, l’occident est resté scientifiquement et techniquement loin derrière la Chine, alors que les facteurs culturels qui sont supposés expliquer l’avantage scientifique étaient présent au plus haut point.
Et paf, juste au moment où ces facteurs perdent leur prégnance, l’occident prend son essor scientifique !
Ça coince.
L’égalité n’est pas un concept politique abstrait. C’est un concept militaire très concret, fruit d’un contexte technique où le premier venu, muni d’une arquebuse ou d’une arbalète dont l’utilisation s’apprend en quelques jours, peut abattre un guerrier professionnel formé depuis l’enfance. L’Eglise peut bien interdire l’arbalète, le contexte politique et les conflits permanents ne donne aucune efficacité à cet interdit en occident ; En chine au contraire l’état puissant peut contrôler l’accès aux armes.
La science n’est pas, non plus, abstraction. Elle est le fruit de l’union d’une possibilité et d’une nécessité : la possibilité, c’est une population de gens instruit et disposant d’assez de revenus et de loisirs ; la nécessité, c’est une féroce concurrence qui donne aux découvreurs, et aux princes qui savent mobiliser les gens instruits à leur profit, un avantage massif, spécialement à la guerre.
La stabilité politique de l’Orient supprimait cette nécessité et cette possibilité ; la prédominance d’une écriture idéographique et savante traduit cette stabilité, alors même que les systèmes alphabétique et potentiellement populaire existaient (exemple : les kana japonais, le coréen).
Mobiliser le peuple dans la recherche et l’expérimentation, le faire accéder à des études, est dangereux pour la stabilité sociale. Mais en orient c’était inutile, en occident c’était indispensable. Et donc l’orient a pu se permettre de rester idéographique, l’occident, non.
On voit en ce moment même en France et en Europe ce qui se passe quand la prospérité, la paix et la stabilité règnent : le principe de précaution s’impose et il devient impossible de créer du neuf, dont on voit les dangers réels ou supposés, alors que les avantages hypothétiques semblent insuffisant (on peut se nourrir sans OGM, faire de électricité sans nucléaire, etc.). La science vivote, ou meurt.
@P: ne faites-vous pas une confusion entre technique (où oui la Chine garda très longtemps une très forte avance) et la science, où, même s’il y eut des développements dans la Chine moziste, puis au XII/XIII, et en Inde aux VI/VIII, ce ne fut pas comparable au « miracle grec »?
@hippocrate:
j’aimerais citer votre « « La formulation Newtonienne de la Mécanique ainsi que toutes les démonstrations des Principia n’ utilisent qu’un seul formalisme : la géométrie grecque. Il n’ est que de juxtaposer les ouvrages d’Euclide, d’Archimède, d’Apollonios, de Héron d’Alexan¬drie… et d’autres avec les Principia, pour s’apercevoir que seule une culture dotée de la démonstration mathématique grecque pouvait inventer la mécanique moderne galiléo-newtonienne.» Pouvez-vous m’envoyer votre nom ? Mon adresse mail: jean-pierre.castel@mines.org. Merci d’avance