« Droit à ceci », « à cela », « de faire ci », « de faire ça », voilà autant d’invocations qui inondent les discours et les débats politiques. Chaque parti politique, chaque organisation militante, chaque bord idéologique défend sans cesse l’intronisation de nouveaux droits, que les pouvoirs précédents auraient omis, par inadvertance sans doute, de rajouter à la longue liste des droits fondamentaux des citoyens que nous sommes. C’est devenu le mot le plus banal qui soit. Et cependant, il a perdu beaucoup de son sens, à tel point que ce qu’il désignait à l’origine a comme cessé d’exister dans les représentations intellectuelles modernes, au détriment de la réalité qu’il recouvrait et devrait encore recouvrir aujourd’hui. Si bien que désormais, la réalité qu’est le droit est devenue le grand absent des réflexions politiques.
Dans l’ensemble des philosophies politiques, le droit est devenu le synonyme de revendication. Des logements pour les non logés ? Il faut le droit au logement ! L’école gratuite ? Le droit à l’éducation ! Dans le débat politique, s’interroger sur le droit, c’est simplement s’interroger sur des mesures politiques que l’autorité de l’État devrait chercher à accomplir. Le droit n’est plus qu’une espèce de grâce que chacun cherche à obtenir de l’autorité. Jusqu’à « lutter » pour l’acquérir. Avec trop d’aisance, il a été confondu avec la permission et donc la liberté. Ce qu’il m’est permis de faire, ce qu’il m’est donné sans contrepartie, j’ai le droit de le faire, à la chose acquise. Pour devenir libre, il s’agirait donc désormais d’acquérir le maximum de droits et de faveurs pour sa personne.
Il faut noter que chez les libéraux, ces confusions ont aussi réussi à percer. Il y est devenu nécessaire, pour certains, de décréter quels étaient les droits fondamentaux de l’homme pour qu’il soit libre. Un homme libre dispose des droits x, y, z, et il n’est pas libre quand il ne lui est pas permis par l’autorité et la loi de faire x, y et z. C’est en quelque sorte le principe même de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Cependant, toutes ces revendications, toutes ces permissions et toutes ces acquisitions qu’on appelle « droits » sont tout sauf du droit. En parlant de « droit » pour ces choses, nous affaiblissons le terme et surtout, nous finissons par oublier complètement la réalité qu’il désigne.
Qu’est-ce véritablement alors ? Le droit est un objet indépendant des volontés individuelles (et donc de leurs revendications) qui existe spontanément dans toutes les sociétés humaines. Au sein de toute société humaine, c’est-à -dire partout où les hommes vivent en relation les uns avec les autres, existe le droit. Parce que les êtres humains sont doués de raison, leurs rapports impliquent spontanément des règles, des pratiques et des coutumes.
Le droit est l’objet de la science juridique, qui se charge de le découvrir par l’intermédiaire de certaines méthodes. Le juge cherche à découvrir le droit tel qu’il est au sein d’une société, c’est-à -dire la juste répartition des biens et des prérogatives impliquée par les relations entre les hommes. De fait le droit ne se décrète pas. Il ne consiste pas, comme on le fait aujourd’hui, à écrire des lois qui s’empilent afin d’obtenir de l’autorité tel ou tel avantage et privilège. Le droit existe, il s’agit seulement de le découvrir : c’est dans les conflits exposés au juge que celui-ci le cherche. On pourra lire, pour davantage de détails, l’excellent livre de Michel Villey, Le Droit et les Droits de l’Homme (lien Amazon), ainsi que La Liberté et le Droit (lien Amazon) de Bruno Leoni (et sa recension sur Contrepoints).
La notion de « vide juridique » n’a donc pas de sens : le droit existe avant la loi, et il n’a pas besoin d’être écrit sur un bout de papier, aussi constitutionnel soit-il, pour exister. Seulement les hommes ont besoin de s’en approcher et de le connaître, ce qui ne peut se faire que lorsque le juge rempli une vraie fonction de juge. Aujourd’hui, le juge se contente de faire appliquer des décrets pris par l’autorité, pas de rendre le droit. Et il le fait dans des situations qui ne sont mêmes pas nécessairement conflictuelles : il suffit que la loi du législateur interdise une pratique légitime pour que le juge soit le tortionnaire de l’innocence et du droit.
Pour que le droit soit rendu au sein d’une société, il n’est alors pas tellement besoin de lois, mais surtout de juges.
Il est donc capital de rendre tout son sens à la notion de. Toutes les parodies que représentent les « droits » modernes, qu’ils soient prétendument « naturels » comme ceux de la DDHC ou qu’ils soient positifs comme l’ensemble des revendications politiques sont des fossoyeurs de la réalité juridique de la société.
Le droit sans juge et sans science juridique n’est pas seulement une pauvre abstraction, il est un décret arbitraire confié à l’autorité du maître, à savoir l’État, et donc le plus grand danger qui soit pour la justice et la liberté des hommes.
Les libéraux ne devraient donc pas faire le jeu de leurs adversaires politiques en réclamant de meilleures constitutions ou de meilleurs lois mais au contraire se saisir de la question du droit, grand absent des débats, et lui rendre sa grandeur en reconnaissant son existence et en le défendant, car le droit est un frein puissant à l’arbitraire de l’État, même démocratique.
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Article très juste.
Et j’ai même envie de dire que vous pourriez aller plus loin, en particulier quand vous dites « Le juge cherche à découvrir le droit tel qu’il est au sein d’une société ». C’est tout à fait cela : le juge est normalement un individu chargé de faire oeuvre de raison pour savoir ce que dicte le droit, un droit qui n’a pas à être écrit mais est, en définitive, immanent : il est dans les choses. Le juge, ainsi, ne devrait être qu’un chercheur du droit naturel dans les cas d’espèce qui lui sont présentés.
Ce qui pose, en définitive, la question du rôle du droit positif. En toute logique, il ne devrait que consacrer les certitudes rationnelles acquises au sujet du droit naturel, afin de faciliter le travail des juges en leur donnant des repères généraux qu’ils n’aient pas à rechercher à chaque fois.