Une courte histoire de la dette publique aux premières heures de la République américaine vous laissera juge des similitudes et des différences avec la situation européenne, ainsi que des enseignements que nous pourrions ou non en tirer.
Par Acrithène.
Les commentateurs à courte vue voient dans la crise de la dette publique l’échec fatal du projet européen d’une union dont les États-Unis seraient la référence idéale. C’est méconnaitre l’histoire tumultueuse de cette nation. Violemment chahutée par la question raciale, l’unification douloureuse des États-Unis s’est aussi confronté à la question de la défaillance des comptes publics.
Une courte histoire de la dette publique aux premières heures de la République américaine vous laissera juge des similitudes et des différences avec la situation européenne, ainsi que des enseignements que nous pourrions ou non en tirer.
La dette publique américaine à l’indépendance
Victorieux de l’Angleterre en 1783, les États-Unis naissent avec une dette publique colossale ayant financé l’effort de guerre. Elle représente alors 40% du PIB, les deux tiers ayant été émis par le Congrès Continental, le reste de manière inégale par les 13 États composant la nouvelle nation.
Cette dette pose au moins trois problèmes. D’abord, sa taille est immense au regard des normes fiscales de l’époque. Par ailleurs, elle a été principalement émise par le Congrès Continental, qui, en vertu des Articles de la Confédération, traité régissant l’Union des treize colonies, ne dispose d’aucune autorité lui permettant de lever des impôts. Enfin, le tiers restant de la dette est disséminé entre les États de manière inégale mais a été contractée pour une cause commune.
D’après les Articles de la Confédération, le Congrès Continental ne peut lever de taxes qu’avec l’accord unanime des 13 États. Il s’y essaie en 1781 et 1783 et rencontre à chaque fois le véto d’un unique État (Rhodes Island puis New York). Par ailleurs, chaque État dispose de sa propre politique commerciale permettant à l’Angleterre, qui reste le principal partenaire commercial, d’imposer ses conditions abusives en jouant la carte du 1 contre 12. Or, à l’époque, les droits de douane constituent une des principales ressources fiscales de l’État.
Sans revenu, le Congrès est contraint de tenir ses engagements par l’émission de nouvelles dettes dont la valeur se déprécie rapidement sur les marchés. Évidemment, cette stratégie vouée à l’échec n’empêche pas un défaut rapide sur le paiement des intérêts.
Les évolutions institutionnelles
Cette situation aboutit à l’adoption d’une Constitution créant un véritable pouvoir central pouvant lever des impôts et menant une politique commerciale extérieure commune pour les 13 États-membres.
L’importance du remboursement de la dette de guerre scinde l’échiquier politique en deux. D’une part les Fédéralistes défendant son remboursement, et de l’autre les Républicains (aucun rapport avec le Parti Républicain contemporain) n’en faisant pas une priorité. La question de la dette aura une forte influence sur la politique étrangère de la République américaine de 1789 à 1815 alors que sa cadette française s’oppose à toutes les monarchies européennes. Soucieux de rembourser la dette, les Fédéralistes  veulent garantir les recettes douanières issues du commerce avec la Grande-Bretagne, tandis que les républicains se lancent en 1812 dans une nouvelle guerre contre l’ancienne métropole.
Les fédéralistes sont convaincus que les États-Unis tireront à long terme d’immenses bénéfices d’une réputation d’emprunteur crédible. Une première étape consiste à mutualiser l’ensemble des dettes au niveau fédéral.
En 1790, Alexander Hamilton obtient du Congrès la nationalisation des dettes des 13 États. Cette initiative fait partie des trois grands compromis (1790, 1820, 1850) qui différent la guerre civile américaine de 70 années. En échange de ce fédéralisme budgétaire, les États du Sud obtiennent du Nord une garantie quant à la préservation de l’esclavage, et pour s’en assurer exigent la création d’une nouvelle capitale, Washington D.C., enclavée entre deux États esclavagistes (la Virginie et le Maryland).
Durant le débat, le républicain James Madison suggère de discriminer les créanciers selon qu’ils soient des prêteurs originaux des États-Unis ou des investisseurs ayant racheté les titres de créance en profitant de leur forte décote. Hamilton objecte qu’un tel précédent de discrimination a posteriori, en instillant le doute dans l’esprit des futurs prêteurs, aura d’importants effets pervers.
La question du remboursement de la dette est un arbitrage entre une promesse explicite, le remboursement des individus ayant financé la guerre d’indépendance, et une promesse implicite aux citoyens et aux combattants : la faiblesse de l’impôt. Jusque-là garantie par les Articles de la Confédération, cette dernière revendication était une des causes principales de la guerre d’indépendance. Si Washington et Hamilton choisissent la voie plus impopulaire, c’est qu’ils sont convaincus que le remboursement permettra à leurs successeurs de financer les besoins exceptionnels de la Nation à moindre coût grâce à la réputation financière du pays, ce qui au final profitera aux contribuables. Ils pensent aussi que l’existence d’un marché de la dette solide est un soutien au développement économique de la jeune République.
Une fois la question fiscale traitée, les États-Unis font le choix d’accorder à une banque à capitaux privés, le monopole de la création monétaire gagée en argent et réplique conforme du dollar espagnol.
Comme le montre ce graphique, bien qu’entravé par la guerre de 1812, le remboursement de la dette est efficace. Aidé par la forte croissance du pays, le gouvernement fédéral doit tout de même lui consacrer 40% de son budget total.
Une seconde crise de la dette
Jusqu’à la Guerre Civile, les États ont individuellement la charge du financement des infrastructures publiques qu’ils développent. Ces constructions sont financées sur la base de larges déficits publics, justifiés par l’idée selon laquelle ils ne sont pas consacrées à des dépenses courantes mais à des investissements en capital. La doctrine d’alors veut que ces constructions soutiendraient la croissance, donc les recettes fiscales, et donc que leur remboursement dériverait en définitif de leurs fruits mêmes, à l’image d’une entreprise privée. Convaincus par cette théorie, les investisseurs se souviennent, de toutes manières, qu’en derniers recours, le précédent établi par Hamilton en 1790 garantit que le gouvernement fédéral interviendra en cas de défaillance des États.
Durant les années 1840, de nombreux États se retrouvant surendettés, le Congrès se voit logiquement proposé un nouveau renflouement sur le modèle de 1790. Les opposants à cette intervention fédérale objectent que la situation est fondamentalement différente de celle de 1790 car ces nouvelles dettes n’ont pas financé une grande cause commune mais des dépenses locales. Le Congrès refuse cette fois de sauver les finances des États-membres et les laisse faire défaut.
L’effet immédiat est la perte de la réputation durement acquise en honorant la dette de la guerre d’indépendance, notamment vis-à -vis de l’Europe. Dans leur sanction, les marchés européens ne font hélas pas de nuance entre la dette fédérale et la dette des États. Cependant, à long terme, l’épisode contribue à la solidité financière des États-Unis en empêchant les comportements de passager clandestin d’États tentés par un surendettement dont ils espèrent le remboursement par leurs voisins vertueux. De cette expérience, de nombreux États de l’Union ont acquis l’interdiction constitutionnelle d’un déficit public, ce que nous appellerions aujourd’hui, en France, la « règle d’or ».
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Sur le web.
Pour en savoir plus, vous pouvez lire la conférence de Thomas Sargent à ce sujet, donnée l’an dernier à l’occasion de la réception de son prix Nobel : United States then, Europe now.
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tu vois il y a encore de l’espoir!!!!!
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Génial cet article ! 🙂