LIBOR, les raisons d’un scandale

Le scandale du LIBOR illustre à la perfection l’interpénétration nauséabonde du monde politique et du financier.

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LIBOR, les raisons d’un scandale

Publié le 2 juillet 2012
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Tiens, un scandale financier. Tiens, c’est sur un marché de plus de 300 trillions de dollars. Tiens, cela implique des manipulations de cours. Tiens, c’était connu du milieu et les journalistes ne se réveillent que maintenant. C’est ballot, alors que le sommet européen venait juste de s’achever en fanfare… Zut alors.

Pour ceux qui suivent de près les sites financiers, la nouvelle n’a pas été réellement surprenante : le LIBOR, le marché des taux interbancaires à Londres, est massivement manipulé. C’est une information qui circule depuis plusieurs années dans les milieux boursiers, et qui était déjà disponible depuis février dernier pour ceux qui se donnaient la peine de s’informer.

Pour rappel, le LIBOR est le London Interbank Offered Rate, autrement dit le taux auquel les banques se prêtent de l’argent. Ce taux est fixé à 11h (heure de Londres), par un groupement de banques déterminé (la British Bankers’ Association) et concerne les prêts non gagés par des titres. Au passage, il existe la même chose sur d’autres marchés, comme celui de la zone euro (EURIBOR). De façon indirecte, ces taux définissent aussi ceux des crédits aux ménages et aux entreprises.

Au courant du mois de février, on apprenait donc, dans la discrétion feutrée qui sied à tout ce qui se passe dans le monde de la bourse, que le taux auquel les banques se prêtent sur le marché de Londres (un marché de 350.000 milliards de dollars) était largement bidouillé. Pour le moment, Royal Bank of Scotland (qui fut l’une des banques sauvée en 2008 de la faillite à grande injection d’argent gratuit du contribuable britannique) et Barclays sont directement impliquées dans le scandale qui secoue toute la City. Et c’est bien normal, puisque le LIBOR sert de base à un nombre considérable de transactions financières dans le monde entier et bénéficiait jusqu’à présent d’une réputation sans tache…

Et le scandale est lisible, presque heure par heure, ici ; on y découvre les échanges (d’e-mail, essentiellement) entre différents traders qui s’arrangent pour obtenir des taux spécifiques du LIBOR en fonction de leurs besoins. Connaissant la variation et l’ampleur de celle-ci avant que le taux ne soit officialisé, on imagine sans mal que les traders concernés ont alors toute latitude pour faire fructifier cette information. La consternante décontraction avec laquelle ces manipulations sont faites laissent le lecteur dans une sorte d’incrédulité : d’un côté, le truquage semble aussi grossier que courant, et de l’autre, les traders ne semblent même pas réfléchir plus loin que le bout de leur nez en utilisant des moyens électroniques qui laissent des traces évidentes un peu partout.

Cette désinvolture viendrait-elle d’une sorte de paradigme de « Too Big To Get Caught », dérivé directement du « Too Big To Fail » dans lequel baignent les banques depuis que les Etats ont, unilatéralement, décidé de les sauver ?

En attendant, de fil en aiguille, après une petite manip par ci, une petite manip par là, on finit par parler millions, puis milliards de livres. C’est donc de sommes colossales qu’il s’agit à la fin. Pour le moment, les premières enquêtes aboutissent aux condamnations de Barclays pour un montant de 450 millions de dollars (ce qui est relativement peu si l’on compare aux bénéfices que les opérations frauduleuses ont pu générer) et de 235 millions pour RBS.

tyra banks - some banks truly cannot fail

Évidemment, la joyeuse coterie des banques trop grosses pour tomber qui se sont un peu trop senti pousser des ailes ne s’arrête pas à ces deux-là : Citigroup, HSBC, UBS comptent dans les rangs de ceux qui ont aussi participé à la bonne blague. Rassurez-vous : on voit mal des banques comme BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale échapper à la fête. Quant à Dexia, si elle n’est pas encore dans les noms cités, c’est probablement parce qu’elle a déjà d’autres chats, tigres, lions et panthères à fouetter.

Cette affaire est particulièrement symptomatique de la crise financière qui n’en finit pas de secouer le monde actuellement.

Les éternels contempteurs du capitalisme y trouveront, une fois encore, les raisons d’alimenter leur haine d’un monde qu’ils ne comprennent pas et que l’écrasante majorité jalouse en secret pour les milliards qu’il brasse sans eux. Ils argueront encore une fois que tout ceci ne serait pas arrivé avec « les bonnes régulations ». On ne peut que rire devant ces arguments ridicules : tout ceci étant déjà parfaitement interdit, tous ces marchés étant déjà, théoriquement, sous les yeux vigilants des autorités de régulation financière (SEC et compagnie), on comprend que le problème ne se situe pas dans les lois, mais plutôt dans l’éthique de ceux qui devraient les appliquer…

A contrario, les réalistes (dont, bizarrement, beaucoup de libéraux) verront que cette affaire, supplémentaire, illustre très bien l’incroyable dérive du capitalisme de connivence, de l’état lamentable dans lequel se trouve maintenant l’ensemble de la finance à force de mariages consanguins et incestueux entre le monde politique et les coulisses financières. La City n’est plus qu’un cloaque de patrons fricotant sur base biquotidienne avec les réguliers du gouvernement britannique, tout comme les banques françaises sont intimement mêlées au pouvoir politique et aux administrations françaises en place (il n’est qu’à voir le nombre d’énarques, parfaitement incompétents en matière bancaire, mais propulsés à la faveur de leurs accointances dans les conseils d’administrations de ces établissements, pour se convaincre de l’interpénétration nauséabonde des deux milieux, politiques et financiers).

L’État totalitaire, pour asseoir son hégémonie, a besoin de canons, de fusil et de soldats qui feront les guerres qu’il faudra pour assurer sa propre pérennité.

L’État social-démocrate, lui, a bien compris qu’il n’était pas nécessaire d’envahir un pays pour exister ; il lui suffit donc, pour se maintenir, de se brancher directement au monde financier. Après tout, c’est l’État qui est maître de la monnaie, qui définit le médium de toutes les transactions, et qui punit sans faiblir ceux qui tentent de s’extraire de son joug, qu’il soit monétaire ou fiscal. En cela, la sociale-démocratie aura permis aux larrons et autres aigrefins politiques de trouver de bons truchements pour leurs goûts immodérés de pouvoir et de luxe.

Et s’il faut que cette porosité se traduise par des actes purement et simplement illégaux, qu’à cela ne tienne.

Résultat : plus aucune banque d’importance, plus aucun établissement financier un tant soit peu remarquable n’est indépendant des politiciens qui, en l’échange de passe-droits et de regards tournés à gauche lorsqu’on bidouille à droite et inversement, récupèrent une partie des fonds ainsi collectés et, par voie de conséquence, du pouvoir afférent.

Maintenant que cette affaire éclate, il va être particulièrement intéressant de voir comment la presse va s’emparer du morceau (surtout la presse française concernant les banques elles-mêmes françaises). Et, encore mieux, cette semaine promet d’être intéressante : cette affaire se développe alors qu’on sort tout juste d’un sommet européen fanfaronné comme décisif et réussi…

Les marchés sauront-ils gober tout ça sans broncher ?
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Sur le web

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LIBOR trafiqué, le plus grand scandale financier de tous les temps ?

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  • C’est la charnière de la dispute actuelle entre gauchistes et libéraux : les libéraux avancent que les maîtres, dans cette connivence, sont les politiques. Pour les gauchistes, ce sont les financiers.

    Un indice, peut-être intéressant : qui contrôle la police et la justice ? Qui a le pouvoir, au bout du compte, de mettre l’autre en prison ?

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