Aurélie Filippetti, Reichsminister für Kultur

On a appris l’autre jour qu’Aurélie Filippetti, la ministre de la culture considère vraiment que la culture fait partie du domaine régalien de l’État. » Voilà une remarque intéressante d’autant plus qu’elle le considère vraiment.

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Aurélie Filippetti en avril 2012

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Aurélie Filippetti, Reichsminister für Kultur

Publié le 13 juillet 2012
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On apprend qu’Aurélie Filippetti, la ministre de la culture considère que la culture fait partie du domaine régalien de l’État. Voilà une remarque intéressante d’autant plus qu’elle le considère vraiment.

Par Georges Kaplan.

Aurélie Filippetti en avril 2012

On a appris l’autre jour qu’Aurélie Filippetti, notre lumineuse ministre de la culture[1], « considère vraiment que la culture fait partie du domaine régalien de l’État. » Voilà une remarque intéressante d’autant plus qu’elle le considère vraiment ; venant d’un ministre de la République on peut à bon droit estimer qu’elle pèse pleinement le sens de cette déclaration. Détaillons donc : ce que l’on désigne par droit régalien, en français comme en théorie politique, c’est un pouvoir exclusif du souverain. En d’autres termes, mademoiselle Filippetti nous explique qu’il existe un domaine d’activité que l’on appelle « la culture » qui est une prérogative de l’État ; qui, sur le territoire de la République, ne peut être exercé par personne d’autre que ce dernier.

Je ne crois pas m’avancer beaucoup en supposant que ce n’est pas du tout ce qu’Aurélie Filippetti voulait nous dire. Plus probablement, notre ministre de la culture n’a aucune culture politique ; elle utilise le mot qui lui vient, peu importe sa signification et notre presse culturelle s’empresse de relayer la déclaration urbi et orbi sans émettre la moindre objection. Le message que mademoiselle Filippetti voulait plus probablement faire passer aux artistes subventionnés et autres intermittents du spectacle, c’est qu’elle estime tout à fait légitime que l’État dépense l’argent des contribuables – et, si possible, en grande quantité – en politiques culturelles ; que s’occuper de culture est un devoir du gouvernement.

Cinq décennies à brasser du vent

S’il y a bien une chose dont nous autres, Français, pouvons nous enorgueillir sans donner plus de crédit à notre réputation d’arrogance, c’est bien notre culture. De notre patrimoine architectural à notre littérature, de la musique au théâtre, de la peinture à nos innombrables spécialités culinaires, nous sommes assis sur un trésor séculaire d’une richesse et d’une variété qui, je crois, n’a été égalé par aucune autre nation. Dans le monde entier, pour autant que je puisse en juger, nous continuons à véhiculer ces siècles de tradition et de génie créatif comme une image de marque de notre pays ; hier, à la cour de Frédéric II de Prusse, on parlait français et on réservait l’allemand aux chiens ; aujourd’hui, de New York à Tokyo, parler la langue de Molière reste encore infiniment hype [2].

Il a fallu attendre 1959 pour que le général de Gaulle ait cette idée saugrenue que de créer un ministère de la Culture, comme si notre pays souffrait de graves carences en la matière. Pour être tout à fait honnête, il faut dire que telle n’était pas l’idée du grand Charles ; il pensait juste que confier ce ministère des affaires culturelles à Malraux donnerait « du relief » au gouvernement de Michel Debré. De ce point de vue, il faut lui reconnaitre d’avoir été visionnaire ; c’est en effet à peu près tout ce que les titulaires successifs du poste – je pense notamment à l’inénarrable Jack Lang – laisseront derrière eux : du relief et quelques ardoises bien salées.

« Aussi magnifique que puisse vous sembler une stratégie, disait Sir Churchill, vous devriez à l’occasion en considérer les résultats. » De fait, alors que notre culture a rayonné sur le monde pendant des siècles sans qu’aucun ministère ne soit chargé de cette lourde tâche, le moins que l’on puisse dire c’est que, depuis 1959, les résultats ne sont pas particulièrement probants. Une anecdote amusante, reportée il y a quelques années par France Inter (c’est dire !), rappelait que c’est aux velléités gouvernementales d’imposer des quotas de chansons en langue française à la radio[3] que nous devions l’explosion du rap hexagonal ; je n’ai rien contre le rap mais je suis à peu près certain que ce n’était pas précisément l’objectif de la manœuvre. Ils voulaient du Johnny et du Cabrel, ils ont eu du « Wesh, wesh, cousin »… Avouez que ça ne manque pas de sel.

Mais il y a pire encore : vous l’aurez peut-être noté aussi, au grand dam d’une immense majorité de nos intellectuels autoproclamés, le pays qui a le mieux développé et exporté sa culture au cours des dernières décennies reste sans conteste les États-Unis d’Amérique. Eh bien figurez-vous qu’au pays d’oncle Sam, il n’y a pas la queue d’un radis de ministère de la Culture et encore moins de politique culturelle ! De Hollywood à Jean-Michel Basquiat ; de Paul Auster à Jack White : la domination culturelle des États-Unis n’est pas l’œuvre d’une volonté centralisée mais d’initiatives privées. Et que répondent nos ministres, nos bureaucrates et l’immense cohorte de nos artistes fonctionnarisés ? Il faut donner plus de moyens au ministère bien sûr !

Oh bien sûr, on m’opposera que Molière bénéficia des largesses de Louis XIV ; c’est oublier que les dépenses du Roi-Soleil n’étaient en aucune manière des dépenses publiques mais des dépenses privées ; que ses choix n’étaient pas guidés par une politique culturelle mais par ses goûts personnels – pardon, mais l’École des femmes ou Tartuffe ne me semble pas correspondre tout à fait à ce qu’aurait pu être la politique culturelle de la fille aînée de l’Église. Pour la suite, Monet, Renoir, Zola, Maupassant, Cézanne, Flaubert, Sand ou Baudelaire – pour ne citer que quelques noms – ne me semblent pas précisément avoir bénéficié du soutien de la puissance publique ; et je vous passe la sollicitude de Napoléon III pour Victor Hugo.

Hégémonie culturelle

Je ne sais pas si mademoiselle Filippetti donnera du relief à ce gouvernement mais ce qui, en revanche, me semble à peu près certain c’est qu’elle participera – peut être involontairement – à renforcer l’hégémonie culturelle des idées étatistes, jacobines, centralisatrices et socialisantes dans notre beau pays. Je ne sais pas si mademoiselle Filippetti a lu Antonio Gramsci mais si elle voulait faire en sorte que le petit monde de la culture française soit totalement et définitivement inféodé au pouvoir politique, elle ne s’y prendrait pas autrement : subventions, commandes publiques, régime de sécurité sociale avantageux… La meilleure méthode jamais inventée par les États pour contrôler leurs sujets consiste à les rendre dépendants de subsides publics.

D’ailleurs, il ne vous aura pas échappé que la presse, l’éducation, les milieux intellectuels et l’essentiel de l’industrie culturelle de notre beau pays sont désormais fermement ancrés à gauche et que les quelques poissons qui sont passés au travers des mailles du filet et se disent de droite sont profondément étatistes. Autant dire qu’à quelques nuances près, ils sont tous d’accord. Si Gramsci vivait parmi nous aujourd’hui, il repasserait probablement son drapeau rouge dans l’attente du grand soir et s’émerveillerait sans doute qu’un ministre de la République puisse qualifier la culture de « domaine régalien de l’État » sans que cela ne choque visiblement grand monde.

Sur le web

  1. Qui, pardonnez-moi cette remarque odieusement sexiste, n’en est pas moins une très jolie femme.
  2. Cessez donc de hurler, c’est tout à fait volontaire.
  3. Loi n° 92-61 du 18 janvier 1992 et suivantes.
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  • Cela va dans ce sens quend elle déclare « Quand je vois le nom de Wendel, issu de la dynastie qui a régné pendant … en Lorraine, sur les murs du Centre Pompidou à Metz, cela me fait mal ».

    Pour elle si une personne privée s’occupe de la culture cela n’est pas légitime.

    Elle sera tondue en place publique

  • + 1
    Italie, Japon, Royaume-Uni, au hasard, voilà des nains culturels.

    Sinon, d’accord avec le reste de l’article. (sauf peut-être les goûts de l’auteur en matière de beauté féminine, mais bon…)

    • Sans minimiser l’apport de toutes ces nations, il est incontestable que la France tient le premier rang ; pas forcément de beaucoup, et essentiellement en vivant sur ses acquis depuis un gros demi-siècle, mais elle le tient. De la même façon que si vous voulez aller visiter la Grèce, vous irez un peu partout, mais vous passerez forcément par Athènes.
      C’est pas pour rien que la France est la première destination touristique du monde.

  • La France a un riche patrimoine historique sans aucun doute, mais on peut en dire autant de nos voisins européens ou même des USA ou du Japon, il suffit de voyager pour dénouer le mythe.
    La France a un riche passé culturel sans aucun doute. Cependant cette richesse ne s’est plus exportée à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Les Balzac, Zola et compagnie ne sont connus à l’étranger que par des francophiles. En revanche, les ouvrages de Rousseau, Toqueville, Bastiat ou Montesquieu ont voyagé dans le monde entier. Aujourd’hui la littérature française n’est connu que des francophiles ou des français.
    Quant à la langue française, inutile de dire qu’elle est en régression mais qu’elle compte toujours.

    Sinon je suis ok sur le reste de l’article.

  • Exactement, le déclin culturel de la France commença avec Malraux, pour arriver à une vitesse supérieure avec Jack et depuis confirmer le déclin. Le modèle culturel français, c.a.d. la culture soviétique française, n’intéresse plus personne en dehors de l’hexagone. Fini et je crains que ce ne soit définitivement irrécupérable. Au sujet de l’art, le blog de Christine Surgins: http://sourgins.over-blog.com/ est fort instructif.

  • +1. GK s’est bien troué sur cette réflexion. l’Hotel Drouot fait bien pale figure a coté de Christies ou Sothebys. Le marché de l’art aujourd’hui, c’est Londres, New York et Shanghai. Paris est devenu totalement inexistant. D’ailleurs, c’est marrant ca correspond avec la création du ministère de la culture.

  • « Eh bien figurez-vous qu’au pays d’oncle Sam, il n’y a pas la queue d’un radis de ministère de la Culture et encore moins de politique culturelle !  »

    Attention : il n’y a pas de « politique culturelle », mais il y a beaucoup d’aides publiques. Les soutiens publics financiers indirects sont légion aux US, et cruciaux pour l’équilibre du système.

    Relire cet excellent livre : « De la culture en amérique »
    http://www.amazon.fr/De-culture-Am%C3%A9rique-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Martel/dp/2070779319

  • les dépenses du Roi-Soleil n’étaient en aucune manière des dépenses publiques mais des dépenses privées : n oubliont pas les lourds impots de l epoque ( versailles s est pas construit tout seul merci a l impot sur le bas peuple)

    • A l’époque, Versailles n’a proportionnellement pas coûté plus cher qu’un porte-avions aujourd’hui.
      Quand on voit ce que cela rapporte en tourisme, c’était plutôt un bon investissement.

    • Lourds impôts effectivement…
      Il est couramment estimé que le Roi Soleil allait jusqu’à prélever 10 à 15% de la richesse nationale de l’époque (hors guerres) mais il est vrai qu’il n’y avait pas de Sécu-que-le-monde-entier-nous-envie-sans-la copier-pour-autant et quelques autres zakouski qui font vivre les crédirentiers de maintenant

  • Ce que laissent derrière eux les ministres de la culture, ce n’est pas tant du relief, que des reliefs.

  • Bonjour,

    « De ce point de vue, il faut lui reconnaitre d’avoir été visionnaire ; c’est en effet à peu près tout ce que les titulaires successifs du poste – je pense notamment à l’inénarrable Jack Lang – laisseront derrière eux : du relief et quelques ardoises bien salées. »: en creux, le relief, exclusivement en creux. Et profond de surcroît.

    Bonne fin d’après-midi

  • Il y’a longtemps que nous sommes dirigés par des mafieux, mais alors ceux là sont en plus de vrais clowns, « moisis » selon un terme qu’affectionne la Filippetti.
    Très bon article comme toujours!

  • Mle FILIPETTI est consciente que le vibrant soutien des acteurs de la culture française a bien contribué à l’élection du big boss et donc à son ascension sociale personnelle…

    Les rois ne doivent pas oublier de remercier les barons qui les ont fait monter sur le trône, sous peine de les retrouver ultérieurement à comploter…

    Et quel meilleur moyen que de leur assurer soutien fracassant et prébendes discrètes quoique dodues…

    L’Union Soviétique entretenait autrefois et à grands frais toute une cohorte d’artistes autochtones ou étrangers chargés de vanter constamment les mérites du Petit Père des Peuples et autres fadaises que le vent de l’Histoire a découvert pour ce que cela valait vraiment, soit des nèfles dans le meilleur des cas…

    Herr Doktor G. a fait cela très bien, lui aussi…

    Autant dire qu’on vient de nous assurer que le propagandastaffel n’était nullement remis en cause mais conforté…

  • Contrairement à ce que vous écrivez, ou feignez peut-être de croire, je pense qu’Aurélie Filipetti est tout à fait sincère et parfaitement consciente de ce qu’elle dit. Il s’agit simplement de la culture d’état et des artistes d’état qu’on connus de nombreux et malheureuses nations aux mains des communistes ou socialistes éclairés, en route pour l’Avenir Radieux. De fait, le pas n’est pas si grand à sauter. Il n’est guère plus de production artistique qui échappe à l’emprise de l’état collectiviste et de ses affidés. Si on considère l’ensemble du dispositif, quelle est l’avenir de ceux, hormis les plus fortunés, qui veulent créer et vivre de leur art hors de la sphère publique? Si les ponctions fiscales s’accentuent encore, ce qui est en bonne voie, il ne restera plus que les différentes collectivités et l’état pour financer qui que ce soit. Ce sera une nationalisation de fait. Resteront, comme en URSS, quelques lopins privés destinés à faire illusion dans les débats publics.

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