Quand l’État français s’assied sur la liberté de la presse

Le président de la République règne toujours sur les médias français. Beaucoup trop, en fait, pour une vraie démocratie libérale. C’est comme ça depuis de Gaulle. Mitterrand ne s’est pas gêné, tout comme Chirac ou Sarkozy. Sous Hollande, rien n’a changé. Le changement, pour la presse, ce n’est pas maintenant.

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Quand l’État français s’assied sur la liberté de la presse

Publié le 28 juillet 2012
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Le président parle, les journalistes applaudissent. C’était en France, il y a peu. À la fin des conférences de presse du général de Gaulle, les journalistes applaudissaient. Ils ne le font plus aujourd’hui. Mais le président de la République règne toujours sur les médias français. Beaucoup trop, en fait, pour une vraie démocratie libérale. C’est comme ça depuis de Gaulle. Mitterrand ne s’est pas gêné, tout comme Chirac ou Sarkozy. Sous Hollande, rien n’a changé. Le changement, pour la presse, ce n’est pas maintenant.

Par Fathi Derder.

François Hollande a beau promettre du nouveau, il est comme les autres. Ainsi donc, quelques semaines après son élection, il vient de faire sauter le président de l’Audiovisuel extérieur de la France, Alain de Pouzilhac, à la tête de France 24 et RFI. Le même sort est réservé, d’ici peu, aux patrons de Radio France et France Télévision, Jean-Luc Hees et Rémy Pflimlin. Ils sauteront eux aussi. Perpétuant cette vieille tradition française : la nouvelle majorité dégomme les patrons du service public.

Certes, il y a du nouveau cette année. Pour marquer sa différence, François Hollande propose aux présidents de démissionner. Officiellement, Alain de Pouzilhac a donc remis sa démission à l’État actionnaire. Dans les faits, le Président l’a viré. Motif officiel : un désaccord sur la stratégie de fusion RFI – France 24 voulue par le patron, et dont l’État actionnaire ne veut plus entendre parler. Une stratégie pourtant incontournable dans une perspective multimédia : radio et télévision sont appelés, à terme, à faire le même produit. Un État surendetté peut-il se permettre le doublon de deux chaînes internationales faisant le même job ? Poser la question, c’est y répondre. La nouvelle majorité s’y oppose pourtant, alignée sur les syndicats. Juste pour exister politiquement. Une brave dame sans la moindre expérience professionnelle médiatique se prend soudain pour Murdoch. Aurélie Filipetti explique aux professionnels que la fusion est exclue. Elle décide ainsi, sur décret présidentiel, du fonctionnement d’une entreprise contre le bon sens économique d’une part, mais surtout contre l’indépendance d’un média libre.

Ceci a l’air normal en France. En fait, c’est un vrai scandale, totalement incompréhensible vu d’un pays libre : comment voulez-vous assurer la liberté de la presse si les patrons des «médias d’État» (et leur stratégie) changent selon les majorités ? Hollande avait promis un changement majeur : il ne nommera pas les présidents, c’est promis. Le CSA s’en chargera. Belle séparation des pouvoirs. Chapeau. Le président ne nomme plus. Par contre, il peut toujours faire virer qui il veut. Avec une nouveauté majeure : par la grâce présidentielle, Hees et Pflimlin pourront terminer leur mandat. Quelle révolution !

C’est grave, mais il y a pire : le jour de l’éviction de Pouzilhac, le patron du Figaro est aussi viré. Quel rapport ? Aucun, en apparence. Le Figaro, premier quotidien national français, est un journal libre. Et de droite. Comment se peut-il que l’élection d’un président de gauche le fasse sauter, lui aussi ? C’est pourtant bien le cas : Étienne Mougeotte a fait campagne contre Hollande. Normal pour un journal de droite. Mais le propriétaire du Figaro, l’avionneur Serge Dassault, dépend des commandes de l’État français. Il doit donc avoir les faveurs du président, fût-il socialiste. Il sacrifie donc son loyal – et compétent – directeur. Difficile d’imaginer que cette décision fut prise sans passer par l’Élysée…

À nouveau, cette information est passée quasi inaperçue, jugée « normale », en France. Mais vu d’un pays libre, c’est affolant. Un rédacteur en chef viré pour ces opinions, pour s’être opposé au chef de l’État, c’est une procédure courante dans les dictatures. Pas en démocratie.

C’est grave. Mais il y a pire, encore. Comme le rappelait récemment Jean Quatremer dans son excellent Sexe, mensonges et médias (Plon, 2012), l’ensemble de la presse française est passée sous contrôle de l’État, et donc de la majorité du moment, en acceptant le très pervers système d’aide à la presse. Comme le dit Quatremer, «on ne peut prétendre être un contre-pouvoir si l’on dépend du pouvoir». Or, c’est tragique à dire, mais la vérité est là : la presse de la patrie des Droits de l’homme n’est pas libre. Ou que très relativement. Entre les présidents gaulliens, les intérêts des actionnaires, et les dépendances structurelles, la presse française est sous le contrôle de l’État. Comme dans les plus belles républiques bananières, en plus discret. Donc plus pervers. Après les écoutes de Mitterrand et les obsessions médiatiques de Sarkozy, Hollande avait l’occasion de marquer un changement. Occasion manquée. Les journalistes français peuvent continuer à applaudir leur président. Et tant pis pour la démocratie.

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  • On pourrait avoir un exemple d’articles traitant de ça dans des pays libres ?

  • D’où l’intérêt de plus en plus évident de blogs comme celui-ci. En attendant une nouvelle législation qui les contraignent…

  • L’ode touchante du libéral de base à la liberté des organismes privés face au tyran étatique… On découvre avec amusement la conception fort libre de la liberté du libéral de base quand sous sa main de drone l’on lit cette admirable phrase : « Le Figaro, premier quotidien national français, est un journal libre. ». Pourtant, une brève lecture de la liste des actionnaires ou du propriétaire (qui sont en fait les mêmes) permet de découvrir avec stupeur que la liberté du libéral de base est fort peu libre vis-à-vis des forces de l’Argent.

    En lisant cela, j’ai comme une réminiscence de ces journaux libres de la IIIe République où des journalistes libres venaient librement faire la propagande de politiciens libres de défendre les intérêts des industries libres.

    Ai-je mentionné qu’ils étaient tous libres?

    D’ailleurs on se souvient tous de la Presse Libre qui en 2005 fit un usage libre de leur liberté d’expression pour librement condamner le vote NON – Figaro en tête.

    J’aime beaucoup ce type de Liberté, libre de l’Etat pour être lié au fric, c’est ce que j’appelle l’apothéose du libéralisme.

    • Si l’État ne subventionne pas, le journal ne vit que grâce à son lectorat. Peu importe qui est actionnaire, il a intérêt à satisfaire ses clients. Alors qu’avec les subventions de l’État, le journal vit grâce aux subventions. Il a donc intérêt à flatter son « subventionneur ».

    • « la liberté du libéral de base est fort peu libre vis-à-vis des forces de l’Argent. »
      L’argent c’est saaaale, c’est pêché.
      Le syndicat du livre, c’est bieeen, c’est vertueux.

    • L’argent, quand il est libre, est la représentation de l’utilité sociale. Etre lié à l’argent c’est donc être lié à l’intérêt commun.

      Donc, où est le problème ?

      • Être lié à l’argent c’est être capable de rendre des services et d’en recevoir en retours. Tant que l’économie est libre en tout cas.

        • « II Mesures à appliquer dès la libération du territoire

          Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide du territoire, les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R., proclament qu’ils sont décidés à rester unis après la Libération :
          (…)
          4) Afin d’assurer :
          (…)
          – la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances de l’argent et des influences étrangères ; »

          CNR !

          Peut-on m’expliquer comment critiquer la main qui nous nourrit ? Est-on libre de critiquer ou d’enquêter sur Dassault dans le journal libre de Dassault ? Oui ? Ah bon.

    • Les journalistes français bénéficient d’une très belle niche fiscale depuis 1934.

  • « Pour un journaliste de gauche, le devoir suprême est de servir non pas la vérité, mais la révolution »
    Salvador Allende

    « Dans un pays ou l’Etat est le seul employeur, toute opposition signifie mort par inanition. L’ancien principe : qui ne travaille pas ne mange pas, est remplacé par un nouveau: qui n’obéit pas ne mange pas. »
    Léon Trotski (1937)

  • Sur le sujet, lire « Ils ont acheté la presse » de Benjamin Dormann.

  • Je ne sais même pas si Pfimlin et Hees ont réellement été pro-Sarkozy, ils me semblent surtout mauvais. Quant à Mougeotte, son objectif de résultat était de faire réélire Sarkozy, il a raté, il part, c’est pas bien compliqué et le Figaro ne sera pas pour autant dirigé par un gauchiste.
    Le cas de Pouzilhac me semble plus parlant. Et on peut imaginer que ça chauffe pour les fesses de Joffrin par exemple, ce qui me semblerait là-aussi un peu plus pertinent.

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