Milton Friedman avait prévu la crise de l’euro

Milton Friedman n’a jamais jugé nécessaire de cacher ses sentiments à l’égard de la création de la monnaie unique, qu’il n’appréciait guère. Il avait estimé qu’il était peu probable qu’elle puisse survivre à une sérieuse épreuve économique.

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Milton Friedman avait prévu la crise de l’euro

Publié le 31 juillet 2012
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Par Arnaud Bichon.

« Le responsable de la crise, c’est Milton Friedman ! » C’est en ces termes que, l’année dernière, l’ancien Premier ministre de la France, Michel Rocard, avait accusé l’économiste et les partisans du libéralisme d’être responsables des difficultés financières actuelles.

Pour beaucoup de personnes, comme pour Michel Rocard, les choses sont entendues : la crise que connaît aujourd’hui l’eurozone est une crise monétaire, Milton Friedman était le chef de fil du courant économique monétariste, par conséquent l’échec de l’euro est la conséquence de l’adoption des thèses « néolibérales » promues par Friedman et ses sbires. Estimant que « les idées peuvent tuer », Michel Rocard avait d’ailleurs ajouté : « La plupart des gouvernements ont adopté cette doctrine, mais ça ne marche pas. Nous sommes obligés d’en sortir. » En 2005, lors du référendum français sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, on se souvient également que bon nombre de « nonistes » étaient convaincus de s’opposer à la construction d’une Europe souhaitée par les monétaristes. On peut même trouver certains libéraux de l’école autrichienne d’économie convaincus que Milton Friedman, s’il était encore parmi nous, aurait préconisé, avec les keynésiens, les programmes de « planches à billet » des banques centrales pour contrer les difficultés rencontrées par les États-membres de l’eurozone.

Ces points de vues sont particulièrement étonnants quand on sait que non seulement Milton Friedman voyait la construction d’une zone euro d’un mauvais œil, mais qu’il avait également prédit la plupart des déboires qu’elle connaît aujourd’hui. Pour s’en convaincre, il suffit de revenir à ses déclarations.

Milton Friedman n’a jamais jugé nécessaire de cacher ses sentiments à l’égard de la création de la monnaie unique, qu’il n’appréciait guère. Il avait estimé qu’il était peu probable qu’elle puisse survivre à une sérieuse épreuve économique. En 1998, juste une année avant le lancement officiel de l’euro, Friedman déclarait qu’il ne voyait pas la zone euro durer plus de dix ans. De même, en décembre 2005, quelques mois avant son décès à l’âge de 94 ans, il demeurait encore très pessimiste :

L’euro va être une grande source de problèmes, non pas une source d’aide. L’euro n’a pas de précédent. Autant que je sache, il n’y a jamais eu d’union monétaire, lançant une monnaie fiduciaire, composée d’États indépendants. Il y a eu des unions basées sur l’or ou l’argent, mais pas sur de la monnaie fiduciaire – monnaie vouée à faire de l’inflation – lancée par des entités politiquement indépendantes. (interview au New Perspectives Quarterly Magazine, 2005).

Voici ce que déclarait Friedman le 17 juillet 1998 dans une interview à Radio Australia, au moment où, rappelons-le, la création de l’euro suscitait beaucoup d’enthousiasmes dans les milieux d’affaires et financiers :

Radio Australia : […] Pourrais-je juste prendre la liberté de vous demander ce que vous pensez des tentatives en Europe de créer une zone de monnaie commune ? Est-ce que vous êtes optimiste sur leur succès ?

Professeur Friedman : Je pense que c’est un grand jeu de hasard et je ne suis pas optimiste. Malheureusement, le Marché Commun n’a pas les caractéristiques qui sont exigées pour constituer une zone de monnaie commune. Une zone de monnaie commune est une très bonne chose dans certaines circonstances, mais pas nécessairement dans d’autres.

Les États-Unis sont une zone de monnaie commune. L’Australie est aussi une zone de monnaie commune. Les caractéristiques qui rendent l’Australie et les États-Unis favorables à une monnaie commune sont que les populations y parlent toutes la même langue ou une langue approchant ; il y a le mouvement libre des gens d’un point à un autre du pays de sorte qu’il y a une mobilité considérable ; et il y a beaucoup de flexibilité des prix et, dans une certaine mesure, des salaires.

Enfin, il y a un gouvernement central qui est grand comparé aux gouvernements des États locaux de sorte que si des circonstances spéciales affectent une partie du pays défavorablement, il y aura des flux de fonds en provenance du centre qui auront tendance à fournir des compensations.

Si vous regardez la situation du Marché commun, elle n’a aucune de ces caractéristiques. Vous avez des pays avec des gens qui parlent tous des langues différentes. Il y a très peu de mobilité des gens d’un point du Marché commun à un autre. Les gouvernements locaux sont très grands comparés au gouvernement central, à Bruxelles. Les prix et les salaires sont soumis à toutes sortes de restrictions et de contrôles.

Les taux de change des différentes monnaies fournissaient un mécanisme pour s’adapter aux chocs et aux événements économiques qui affectaient des pays différents, différemment. En établissant la zone de monnaie commune, l’euro, les pays séparés rejettent essentiellement ce mécanisme d’ajustement. Qu’est-ce qui s’y substituera ?

Peut-être auront-ils de la chance. Il est possible que les événements, qui apparaîtront dans les 10 ou 20 années prochaines, seront communs à tous les pays ; il n’y aura pas de choc, pas d’événement économique qui affectera les différentes parties de la zone euro asymétriquement. Dans ce cas, ils s’entendront très bien et peut-être les pays séparés desserreront-ils progressivement leurs réglementations, se débarrasseront-ils de certaines de leurs restrictions et s’ouvriront-ils de sorte qu’ils seront plus adaptables, plus flexibles.

D’un autre côté, la possibilité plus vraisemblable est qu’il y aura des chocs asymétriques frappant les différents pays. Cela signifiera que le seul mécanisme d’ajustement dont ils pourront se satisfaire sera budgétaire et fiscal, avec du chômage : pression sur les salaires, pression sur les prix. Il n’y aura pas d’échappatoire.

Avec un « conseil d’administration de la monnaie », il y a toujours la possibilité ultime que vous brisiez le « conseil ». Hong-Kong peut démanteler demain son « conseil » s’il le veut. Il ne le veut pas et je ne pense pas qu’il le voudra. Mais il pourrait le vouloir.

Supposons que les choses aillent mal et que l’Italie ait des problèmes ; comment l’Italie se débarrassera-t-elle du système de l’Euro ? Elle n’aura plus de lire après tout, en 2000 ou 2001, de sorte que ça devient un très grand jeu de hasard.

Je souhaite que la zone euro marche bien ; ce sera dans l’intérêt de l’Australie et des États-Unis que l’euro soit une réussite. Mais je suis très inquiet qu’il y ait beaucoup d’incertitude en perspective.

Cela fait maintenant un peu plus de dix ans que l’euro et l’eurozone sont devenus une réalité. Certes, rien de tout cela n’a encore disparu, comme le prévoyait Friedman, mais l’Europe se trouve tout de même au milieu d’une profonde crise. Il semblerait que les vues de Friedman se soient vérifiées : la construction d’une union monétaire à partir d’États indépendants qui, certes, ont des économies fortement inter-reliées, mais qui, par ailleurs ont des pratiques fiscales et sociales ainsi que des niveaux de compétitivité trop différents, ne fonctionne pas.

En effet, c’est une chose de maintenir des politiques budgétaires communes lorsque les temps sont bons et les pays relativement prospères, mais dans les moments difficiles, il était prévisible de voir le même degré de coopération s’estomper. Un citoyen de l’Allemagne, par exemple, continuera de se considérer avant tout comme Allemand ; quand bien même il pourrait être attaché à l’objectif d’une Europe unifiée, il est peu probable qu’il approuve durablement, en qualité de contribuable, toute politique budgétaire et fiscale qui favoriserait un autre pays aux dépens de l’Allemagne. C’est cette réalité, je crois, que Friedman avait parfaitement compris, et qui nous a conduit à cette crise grave, qui pourrait déboucher au-delà sur des troubles civils.

Le calendrier de dix ans prédit par Friedman ne s’est certes pas vérifié, mais sa prévision que la zone euro ne survivra pas peut encore s’avérer.

—-
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  • Regardez la Suisse…. Langues différentes, gouvernement central faible comparé aux gouvernements locaux, faible mobilité des citoyens (entre zones linguistiques). Pourtant ça marche chez eux.

    Finalement on peut considérer l’euro comme une chance : si on veut que cette monnaie soit une réussite totale, il va falloir flexibiliser.

    Chers libéraux, plutôt que de vous battre contre l’euro, battez vous pour ! Car les politiques libérales sont d’autant plus nécessaires au sein de la Zone euro. Si on retourne aux anciennes monnaies, pourquoi mener des réformes libérales ?

    La Zone euro c’est le chemin difficile, mais il y a une belle carotte en perspective.

    • @xavier : pas d’accord, la Suisse est une zone monétaire optimale, pas l’euro, renseignez vous …
      je vous cite : « si on retourne aux anciennes monnaies, pourquoi mener des politiques libérales ? » => vous n’avez pas compris que ce n’est pas la monnaie qui fait la richesse d’une nation, mais l’action économique libre de ses citoyens, voilà pourquoi les réformes libérales. Le retour au franc ne nous ramènera pas la prospérité, peut-être la croissance si forte dévaluation du franc, mais en fait, ce sera la croissance au prix de notre pauvreté.

    • Quand on est libéral, on se bat pour la liberté monétaire! :p

    • Xavier : « Car les politiques libérales sont d’autant plus nécessaires au sein de la Zone euro. »
      ——————————-
      Appeler « politique libérale » une politique qui impose une monnaie unique à des mentalités et performances aussi différentes que celles d’un Allemand et d’un Grec, il faut quand même oser, surtout quand on a la preuve SOUS NOS YEUX que ça ne marche pas !

      Décidément, avec le relativisme post-moderne, les mots ne veulent plus rien dire. La guerre, c’est la paix, la liberté, c’est l’esclavage.

    • @Xavier Je ne sais qui vous a fourni une vision si idyllique de la Suisse. Cependant, je peux vous assurer que le gouvernement central est loin d’être faible comparé aux gouvernement locaux. L’ajustement est simplement plus intelligent que l’Europe et le principe de subsidiarité généralement mieux respecté.

      Je vous rejoins sur le problème des langues qui est très présent chez nous. La mobilité est assez faible entre zones linguistiques justement, mais assez présente entres cantons d’une même langue.

      Mais surtout, malgré les disparités usuelles dues à la langue (dernièrement, un journal polémique Suisse Allemand traitait les Romands de « Grecs de la Suisse » u_u), le peuple du pays est très unis. D’ici quelques heures, tous les suisses seront heureux de fêter le pacte de 1291, même si c’était entre 3 cantons de langue allemande. Il ne me semble pas avoir entendu que toute l’Europe fêtait la signature de Maastricht en 1992.

      Comme indiqué dans la conclusion de l’article, Friedman avait certainement compris qu’il fallait une union populaire et politique forte en plus d’une union économique, avant de songer à utiliser une monnaie commune. D’ailleurs, ce n’est qu’en 1907 que la Suisse se décide finalement à créer sa banque centrale (http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F14062.php). Cela fait environ 150 ans après la création de l’Etat fédéral sous sa forme actuelle.

      Si l’Europe veut s’en sortir, elle doit:

      – D’abord se débarrasser de Bruxelles sous sa forme actuelle.
      – Proposer une constitution instituant un Etat fédéral digne de ce nom aux peuples des différents pays.
      – Respecter la volonté de ceux qui la refuseront (donc sans les forcer à revoter et sans les maltraiter dans de futures négociations bilatérales)

      Une fois ceci réalisé, ré-envisager une politique monétaire commune avec ceux restés dans le coup. Eventuellement, un système dynamique de péréquation entres régions (comme en Suisse ou aux USA d’ailleurs) et pas un gros pot commun qu’on active dès que ça va mal quelque part ou une mutualisation des dettes souveraines des régions. Effectivement, là encore, Friedmann avait raison sur la latence des agissements des gouvernements.

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