Il y a deux choses certaines, dit-on : les impôts et la mort. Ce que beaucoup ignorent, c’est qu’au-delà des impôts et par delà la mort, la paperasserie que la bureaucratie étatique impose à tous, morts y compris, est devenue en France une incroyable machine à broyer minutieusement les familles.
On se souvient, il y a quelques années déjà , que les sénateurs avaient décidé que la crémation devait être fermement régulée, parce que, comprenez-vous, si on laisse les familles s’occuper de leurs morts, on aboutira forcément à des gens qui font n’importe quoi avec les cendres (les sniffer, les répandre partout dans leur jardin, les jeter en pleine mer sans autorisation de polluer les poissons et tout ça). Bref : devant l’abominable vide juridique qui laissait ainsi les gens libres de faire ce qu’ils pensaient le mieux pour leurs défunts (quelle horreur !), les sénateurs, n’écoutant que leur courage et leur besoin compulsif de fourrer leurs doigts boudinés dans les affaires des autres, avaient pondu une magnifique loi tatillonne qui avaient rapidement mis de l’ordre dans tout ce bazar libre et auto-organisé.
Grâce à leur rapide intervention, il ne fut bientôt plus possible en France d’organiser ses funérailles et sa crémation comme on l’entendait. Ouf ! Il était temps ! Un peu plus, et des milliers de familles se seraient empressées d’aller répandre les cendres de leurs chers disparus depuis des ponts surplombant des autoroutes, provoquant des accidents graves. Sans même compter les petits comiques qui n’auraient rien trouvé de mieux à faire qu’à distribuer les restes de leurs défunts dans des préparations culinaires amusantes, et autres inventions géniales pour se débarrasser d’encombrants souvenirs avec des méthodes que la loi et la morale réprouvent.
On pourrait croire que les pénibleries bureaucratiques ne concernent que les originaux qui choisissent – bêtement – le mode de la crémation pour des raisons forcément troubles (comme, par exemple, s’éviter des frais de mise en bière, d’enterrement, et de concession) et qu’après tout, puisque ces familles font ce choix pour s’éviter des impôts et des taxes – quels rapiats, quand on y pense – au moins, par contraste, on n’enquiquinerait pas trop les familles qui ont, elles, choisi de procéder de la manière normale (à savoir, du bon enterrement stato-compatible et bien reconnu en République du Bisou Égalitaire).
Le récent témoignage d’une de mes lectrices m’a permis d’ajouter quelques intéressantes informations sur le douloureux chapitre de la Gestion Étatique de la Mort. Force est de constater que ce sujet, très très mal couvert par les médias, pour lequel il n’existe qu’assez peu d’information, a été largement laissé au bon vouloir du législateur qui s’en est donné à cÅ“ur joie, probablement parce que n’ayant senti aucun frein de la part des médias. Eh oui : en république laïque, les morts n’intéressent pas, on peut donc leur faire subir tous les derniers outrages légaux, ça ne provoquera aucun tollé d’aucun journaliste pas du tout conscientisé.
Si, on le sait, les ennuis commencent en réalité dès la naissance, pour le cas qui nous occupe, c’est au moment où la personne rend son dernier soupir que le Niagara d’emmerdements paperassiers débute. Et si jamais le défunt a eu la très mauvaise idée de claboter loin de son lieu normal de résidence, alors là , vous décrochez la timbale.
En effet, dans ce cas, vous avez 48 heures (et pas une de plus) pour rapatrier le corps (d’où qu’il vienne). Sinon, quoi que le défunt ait décidé pour ses funérailles, il sera mis en bière. On imagine que, avec ce genre de délais, le rapatriement depuis certains pays doit donner un délicieux parfum d’aventure dont la famille doit apprécier toute la valeur à ce moment là .
Mais même sans parler de cas pénibles où le défunt n’est pas dans son pays d’origine, lorsqu’il s’agit simplement d’une mort hors de sa commune, ce délai de 48 heures est rapidement passé. En effet, peu importe son choix, il devra être inhumé dans sa commune d’habitation. Ce qui veut dire qu’il faut donc contacter les pompes funèbres du lieu d’habitation afin de faire rapatrier le corps et obtenir les papiers et autorisations nécessaires, autorisations que l’on obtient auprès de la mairie où la personne est décédée. Ici, on comprend qu’on va devoir faire travailler de concert deux administrations complètement étrangères, puisque de deux communes différentes. Le langage administratif étant ce qu’il est, la famille servira d’interprète entre les deux entités.
Eh oui : c’est bien à la famille de faire les petits papiers nécessaires au rapatriement du défunt ; les pompes funèbres ne s’en occupent pas (elles sont, pour rappel, dans la commune de destination). Évidemment, on s’en doute, ces petits papiers sont à la fois simples et peu nombreux : l’original de l’acte de décès, dont on devra aussi fournir une photocopie, l’autorisation écrite de tous les parents directs du défunt pour le rapatriement, avec la photocopie de leur carte d’identité, bien sûr. Et on y ajoutera la photocopie du livret de famille, parce que oui, on a tous, toujours, sur soi, son livret de famille prêt à servir, avec une ou deux photocopies récentes pour la joindre à toutes les demandes judicieuses d’une administration pour laquelle la mort n’est, rappelons-le, qu’une petite étape rapide, et une série de cases à cocher dans une douzaine de cerfa. Pas plus.
Muni de ces papiers indispensables (sans lesquels il va de soi que les familles détourneraient le cadavre pour le manger en petits morceaux goûtus, marinés dans une sauce maison, ou en barbecue, entre voisins), on peut aller à la mairie y faire les actes de décès pour les registres civils. Si tout se passe bien (mairie ouverte, horaires idoines, personnel compréhensif, démarches simples, papiers tous corrects), la mairie donne l’autorisation pour le transport du corps. On imagine assez bien que dans une petite commune, on doit faire face aux horaires judicieusement ciselés pour éviter toute praticité. Et dans une grande commune, on peut y ajouter l’inévitable distributeur de tickets, la queue interminable et la probabilité non nulle d’arriver devant le guichet pour entendre « Ah désolé revenez plus tard là c’est fermé ». Parce que, rappelez-vous bien que personne ne meurt un samedi soir d’août à 500 km de son lieu d’habitation. Personne. On est en France, merde. Les gens, bien élevés, meurent chez eux le mardi, entre 10h et midi !
Vous ne le savez sans doute pas, mais il y a un acte de décès civil, qui vous sera remis, après quelques péripéties bureaucratiques, par la municipalité où aura eu lieu le décès. Enfin, si elle est ouverte. Et il y a aussi un acte de décès médical, qui vous sera remis, après quelques autres péripéties bureaucratiques sans rapport avec les précédentes, par l’hôpital ou la clinique qui aura constaté le décès. L’original de cet autre acte vous sera indispensable pour que le croque-mort puisse trimbaler le défunt. Et comme personne (ni à la mairie, ni à l’hôpital) ne vous remettra le précieux certificat si vous ne le demandez pas (ce qui suppose de savoir qu’il existe et qu’il vous est indispensable, hein, bien sûr), vous serez bon, à un moment ou un autre, pour trotter dans l’établissement médical afin de le réclamer.
Heureusement, là encore, ce sera facile puisque les services administratifs de ces endroits sont ouverts de façon extensive, que leur personnel y sera, comme d’habitude, charmant, compréhensif et prêt à se mettre en quatre pour atténuer la douleur de la perte d’un proche. Mais faut pas pousser. Ce sera le mercredi, entre 14:00 et 15:30, et encore, si Simone n’a pas pris ses congés d’août. Sachons vivremourir. 35h et tout ça. Non mais.
Tout ceci, évidemment, est un parcours possible. On imagine sans mal qu’il peut y avoir quelques embûches supplémentaires qui ajouteront au côté épique. Tout le monde ne meurt pas forcément dans sa commune de résidence ou dans la commune avoisinante. Tout le monde n’a pas forcément une famille nombreuse et débrouillarde, dont chaque membre, fonctionnaire ou assimilé, peut prendre plusieurs jours de congé au débotté. Tout le monde n’a pas forcément des membres de sa famille libres de leurs mouvements, motorisés ou disposant d’un salaire souple et large (ou, à défaut, d’un banquier compréhensif ou d’une assurance en béton armé) permettant d’organiser tous les déplacements.
Pour les naïfs qui s’imagineraient encore que la mort est, finalement, une délivrance, ne rêvez pas : dans la patrie des Droits de l’Homme, les droits sont millimétrés, et lorsqu’on vient de mourir, on n’est plus un Homme et on n’a donc plus que le droit de subir la paperasserie étatique, en long, en large, en travers. On ne fait pas ce qu’on veut avec le corps d’un défunt. Même pas lui rendre hommage sans le cerfa 27B-7 tamponné ici et là .
Et non, vous n’aurez pas le droit de vous faire enterrer là où vous voulez (chez vous par exemple), sauf dans des conditions très particulières, encadrées par une palanquée d’articles législatifs taillés au cordeau pour, en définitive, rigoureusement écarter la plèbe de ce genre de facilités (on pourra se rappeler du cas de Jean Gabin, dont la famille avait dû subir un parcours administratif « rigolo » pour que les cendres de l’acteur soient bien répandues en mer selon sa volonté). Quant à la dispersion, justement, elle doit faire l’objet d’une autorisation explicite de la mairie de la commune où la cérémonie aura lieu, sans doute pour éviter le cas où cela se fait de façon amusante, sur des pare-brises de voitures, au milieu d’un match de foot avec l’urne, ou je ne sais quoi d’autre. Il est indispensable, là encore, que l’État y mette son nez. Il en va de la vie mort de ses administrés, quoi !
Bref.
Si l’on ajoute les lois sur la crémation à ces parcours administratifs innovants et jouissifs lorsqu’un décès survient, si l’on n’oublie pas que viennent ensuite tous les organismes d’État à commencer par le fisc pour grignoter un peu le corps froid, on comprend que la mort n’est, depuis bien longtemps, plus une affaire intime, la cérémonie n’est plus ce dernier moment privilégié de salutation, d’adieu à un être cher, c’est, avant tout, une simple étape de plus que nous fait subir le plus froid des monstres froids, avec une bonne quantité d’avanies et de vexations pour bien nous faire comprendre qu’il nous possède, de la naissance à la mort, et au-delà .
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Sur le web
Vous ne seriez pas un dangereux anarchistes qui ne rêve que d’échapper à la bienveillante sollicitude de l’état sitôt poussé votre dernier soupir?
« En effet, peu importe son choix, il devra être inhumé dans sa commune d’habitation. »
Faux faux et archi faux! Cassez du sucre sur le dos des administrations, ils le méritent c’est vrai, mais attention aux infos que vous diffusez, tout n’est pas vrai.
Je pense que le témoignage de votre lectrice peut illustrer les ennuis que rencontre une famille lors d’un décès lorsqu’elle souhaite elle-même effectuer les démarches administratives qui sont effectivement un vrai casse-tête, mais en tant que pompes funèbres je m’occupe généralement de cela. En revanche il est fréquent de raconter tout et n’importe quoi aux familles pour obtenir le décès, dans certaines boîtes peu scrupuleuses (par exemple: il n’y a plus besoin d’autorisation de la Mairie pour faire un transport de corps..)
« … pour obtenir le décès … »
Espérons tout de même que ça ne va pas jusque là .
Malheureusement si, certains sont prêts à raconter n’importe quoi pour qu’une famille viennent chez eux, c’est la politique du chiffre qu’applique certaines sociétés.