L’EURO 2012 a démontré une chose : les politiciens polonais l’ont utilisé comme une machine à dépenser de l’argent. Coûts et intérêts sur les emprunts contractés astronomiques, retombées réelles très faibles : le bilan économique de l’EURO 2012 est catastrophique pour la Pologne.
Par Marek Langalis, depuis la Pologne.
L’EURO 2012 est derrière nous. Selon la propagande, il s’agit d’un succès énorme qui va donner des intérêts dans le futur. Et c’est parfaitement vrai car les intérêts sur les emprunts contractés pour construire les stades sont déjà connus et leur montant rien que pour les stades s’élève au moins à 250 millions de zlotys [60 millions €]. Si nous tenons compte de tous les investissements réalisés, le service de la dette s’élève peut-être à 5 milliards de zlotys par an [1,25 milliards €].
La normalité organisée
De nombreux concerts et événements de masse ont lieu en Pologne et les villes les organisent sans dizaines de milliards pour de nouvelles routes, gares, tramways… Certains concerts attirent plus de 100.000 personnes. Et malgré cela, les media mainstream ne s’interrogent pas si les villes (sans aucune aide de l’État) s’en sortent avec ces 100.000 spectateurs. Même Kosztryn s/Oder [petite ville frontière avec l’Allemagne, ndt] parvient à accueillir 700.000 personnes. Ne surestimons donc pas ces quatre villes qui comptent ensemble plus de 5 millions d’habitants pour avoir accueillis uniquement quelques dizaines de milliers d’étrangers. En réalité, l’EURO était une épreuve facile à organiser. Accueillir (en une fois) quelques dizaines de milliers d’étrangers si on a à sa disposition 100 milliards de zlotys [25 milliard €] n’est pas un grand défi. Et si quelqu’un croit que c’en est un, il prend nos fonctionnaires et nos politiques pour des attardés mentaux incapables de faire quoi que ce soit. Comment peut-on rater l’organisation de 15 matchs de football en Pologne en dépensant pour cela 100 milliards de zlotys ? Il suffit de se rappeler qu’il y a dix ans 2,5 millions de personnes sont venues à Cracovie pour la messe célébrée par le pape. Et cet événement a eu lieu sans pratiquement la moindre préparation et pour un coût minime.
En collaboration avec l’Institut pour la Globalisation, nous avons présenté en mars le rapport « Des jeux aux frais du contribuable » qui était une réponse à celui demandé deux ans auparavant par le ministère des Sports et du Tourisme et intitulé « Rapport sur les conséquences de la préparation et l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA EURO 2012 sur l’économie polonaise ».
Des coûts encore plus astronomiques
Dans le rapport ministériel, on retrouve ce qui est régulièrement colporté par les journalistes soutenant la propagande du succès, à savoir que grâce à l’EURO 2012 la Pologne va gagner 27,9 milliards de zlotys [7 milliards €] d’ici 2020. Ceux-ci seraient principalement générés par un accroissement de la fréquentation touristique, une augmentation de l’attractivité pour les investissements (la Pologne s’illustrant à l’étranger), une accélération (de trois à cinq ans) de la construction des infrastructures routières. Pour savoir si le pronostic se vérifie, il faudra encore attendre près de huit ans. Nous espérons que ce sera le cas. Néanmoins, il est une chose que les experts qui ont écrit le rapport pour le ministère des Sports et du Tourisme ont oubliée : comptabiliser les coûts. Beaucoup d’hypothèses reposent sur la manifestation d’un souhait. Pour toutes les infrastructures, nous devions dépenser 87,5 milliards de zlotys et juste avant le début du championnat nous apprenions qu’il s’agissait de 94 milliards alors que beaucoup d’investissements n’étaient pas encore terminés. Il faut également se demander si grâce à l’EURO 2012 la construction des infrastructures a été effectivement accélérée. Peut-être s’agit-il d’une excuse pour surpayer les investissements. Par ailleurs, dans une situation telle que les acteurs de la construction pouvaient compter sur de nombreuses commandes, les matériaux sont devenus plus chers (tous s’intéressant aux mêmes produits) et par conséquent les prix ont enflé. En évaluant la construction d’un tronçon de l’autoroute A2 20% moins cher que son plus proche concurrent, les Chinois de Covec ont cru que les prix des matériaux resteraient à leur niveau normal. On peut considérer que «l’accélération des investissements» (qui, disons les choses comme elles sont, n’a pas eu lieu) ait conduit à des dépenses plus importantes qu’à des recettes quelconques pour l’économie polonaise. Et l’effet sur le long terme de ces investissements précipités est la faillite de nombreuses entreprises du bâtiment engagées dans la construction des infrastructures pour le championnat.
L’EURO 2012 a démontré encore une chose : les politiciens l’ont utilisé comme une machine à dépenser de l’argent. Les investissements sont évalués par les media mainstream principalement par le montant qui a été dépensé. Il en est de même pour l’évaluation des dépenses des fonds européens pour lesquelles la seule question posée par les journalistes et les experts est la suivante : est-ce que nous avons dépensé autant que nous le pouvions ? Il n’y a pas de discussions sérieuses sur la destination et le montant de l’argent employé. Et c’est le cas à présent. L’information reçue par l’opinion publique est que 94 milliards ont été dépensés pour les infrastructures (y compris les stades). Et pour le dire clairement : tous les investissements pour l’EURO 2012 devait coûter 87,5 milliards, 20 projets ont été entrepris dont plus d’une dizaine ne sont pas terminés et cela pour un montant de 94 milliards. C’est tout simplement de l’incompétence. On peut se féliciter que c’était encore pire en Ukraine. L’arène de Lwów, le plus petit stade de l’EURO (avec une capacité de 34.000 spectateurs) a couté autant que la Donbas Arena [stade situé à Donetsk dans l’est de l’Ukraine, ndt] (plus d’un milliard de zlotys). La différence est que la Donbas Arena est beaucoup plus grande (52.000 spectateurs), c’est un véritable complexe sportif qui plus est entièrement financé par les fonds privés de l’oligarque Rinat Achmetow. Celui-ci n’avait certainement pas besoin de recevoir de pots-de-vin des entreprises qui ont construit le complexe (les pots-de-vin en Ukraine se seraient élevés à 50% du montant des contrats ?) pour faire le plus moderne et le plus beau stade de ce championnat (à l’avenir, Donetsk pourra organiser entre autre la finale de la Ligue des champions).
À la lumière de tout cela, on voit que les politiciens mentent éhontément. En estimant qu’on a dépensé 94 milliards et en déclarant que la Pologne va percevoir 28 milliards de bénéfice, il s’avère donc que le revenu total pour l’économie engendré par l’EURO devrait s’élever à plus de 120 milliards. Par quel miracle ? Cela signifie que jouer 15 matchs donne 120 milliards. Un match, 8 milliards ! Et donc pour un match joué, on peut construire quatre stades nationaux. Si c’est le cas, pourquoi la Pologne n’organiserait-elle pas une centaine d’autres matchs et ne muterait-elle pas vers une économie liée à cela. Il est regrettable que les Polonais prennent ces non-sens pathétiques et ces mensonges pour la réalité.
Les retombées réelles de l’EURO 2012
En réalité, la seule source de revenu sur laquelle la Pologne pouvait vraiment compter provenait des supporters. À l’inverse de ce que nous sert la propagande, de tels touristes amateurs de football ne sont pas venus en nombre. On parle de deux millions, un million et de quelques chiffres intermédiaires. En attendant, seulement 400.000 supporters sont arrivés. Pire, les hôteliers se sont plaints que l’occupation était moindre qu’habituellement à cette époque de l’année. Le taux d’occupation moyen en juin dans les villes hôtes est à un niveau quasi-identique que d’ordinaire à cette époque de l’année (+/- 70%). Le jour des matches, le taux d’occupation était de 100% tandis qu’entre les matchs il retombait à 60%. Les restaurateurs n’ont pas non plus connus d’euphorie. Les supporters ont préféré les boissons servies dans les périmètres réservés par un des sponsors principaux. Les villes avaient prévu de nombreuses attractions culturelles pour les voyageurs mais d’après les premières données recueillies chez les organisateurs, les supporters auraient choisi d’autres activités pas nécessairement en rapport avec notre histoire (musées) et notre culture (galeries) – ces établissements n’ayant noté aucune augmentation de fréquentation.
À Poznań, les supporters ont laissé 150 millions de zlotys, soit 1.200 zlotys [300 €] par personne. Dans les autres villes, il en sera certainement de même sauf à Wrocław où les Tchèques n’auront sans doute pas laissé autant d’argent. Il semble que ce montant soit supérieur à Poznań (grâce à la participation des Irlandais à deux matchs) mais en admettant que ce sera 1.000 zlotys par personne pour toute la Pologne et qu’à un match étaient présents 30.000 fans étrangers, cela donne 30 millions de revenus en provenance des étrangers par match de l’EURO 2012 et en multipliant par 15 matchs, cela donne 450 millions. C’est un montant qui peut sembler impressionnant mais il faut se rappeler qu’en temps normal les touristes étrangers viennent aussi en Pologne.
En juin, 200.000 étrangers se rendent dans les régions où ont eu lieu l’EURO 2012, passant en moyenne cinq nuits et dépensant à peu près 250 zlotys [60 €] par jour (les touristes d’un jour ne sont pas comptabilisés ici, ce qui est le cas pour le compte de l’EURO 2012). En temps normal, les touristes étrangers laissent donc aux alentours de 300 millions de zlotys dans les régions qui organisent l’EURO. Ce qui donne un résultat de 150 millions (recette du tourisme étranger pour ce mois de juin moins la recette en temps normal). C’est légèrement supérieur à mon pronostic (j’avais prévu une recette nette de 128 millions) mais nettement moins que les prévisions des experts ministériels (ils annonçaient 845 millions de surplus pour le tourisme étranger). Malheureusement nous n’avons respecté aucun budget. Même si personne ne croit qu’on ait pu construire des infrastructures uniquement dans la perspective de l’EURO, il n’en reste pas moins que les stades ont été édifiés pour ce championnat. Le coût final de leurs constructions s’élève à plus ou moins 4,9 milliards de zlotys [1,25 milliard €]. Les pouvoirs locaux se demandent à présent comment ils vont faire pour les entretenir.
En pensant aux coûts, on oublie pourtant le plus important, d’ordre financier, qui sont les intérêts sur les emprunts contractés. En admettant que des obligations aient été émises à 5,5% pendant les travaux, les seuls intérêts sur la somme engagée pour la construction des stades s’élève à 270 millions de zloty [70 millions €]. Personne ne prétendra que les stades rapportent autant d’argent.
À la conférence de Gdańsk clôturant le championnat, les fonctionnaires ont parlé de trois événements qui auront lieu cette année dans le PGE Arena (plus bien entendu les matchs de Lech Gdańsk qui attirent au plus une quinzaine de milliers de spectateurs, fréquentation lamentable dans un stade trois fois plus grand), mais sans plus de détails. C’est risiblement peu en comparaison des 50 millions d’intérêts annuels à payer pour ce très beau stade. Aujourd’hui déjà , aussi bien Poznań, Gdańsk que Wrocław ont dépassé le niveau d’endettement permis par la loi (60% des revenus annuels). On voit donc d’un coup d’œil à quel coût fut organisé l’EURO. Si le maire de Gdańsk annonce qu’un milliard d’euros a été consenti pour l’événement et que de son côté une fonctionnaire de son bureau se vante que Gdańsk a gagné par la promotion de la ville dans le monde un montant de 28 millions d’euros, on pourrait poser la question suivante : au lieu de dépenser un milliard, ne vaut-il pas mieux acheter à l’étranger pour 28 millions d’articles sponsorisés et laisser dans la poche des habitants 972 millions d’euros (ce qui représente plus de 4 milliards de zlotys et donc 9.000 zlotys [2.250 €] dans la poche de chaque habitant de Gdańsk ?
Prétendre que, comme pays, nous avons réalisé grâce à l’EURO une quelconque affaire revient à contredire complètement les faits. Ce n’est pas non plus l’annonce faite fièrement par une hôtelière à la télévision pro-gouvernementale que deux touristes irlandais ont réservé une chambre pour août qui changera quelque chose. Il y en aura certainement encore d’autres des images comme celle-là . On espère aussi qu’ils montreront les écoles primaires et maternelles qui auront fermé dans les quatre villes hôtes lorsque les maires chercheront désespérément à faire des économies. En définitive, les intérêts des jeux sont élevés et aussi bien la Grèce en faillite que le Portugal ont eu les leurs en 2004. Sous la pression des intérêts, l’effondrement a eu lieu à peu près cinq ans plus tard. Et de commencer à détruire ses stades pour ne pas devoir subvenir à leur entretien. Ne devrions-nous pas en Pologne commencer tout de suite ?
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Article original titré ‘Gigantyczne dÅ‚ugi po EURO 2012‘, publié le 23.07.2012 sur nczas.com.
Traduction par Serge pour Contrepoints.
RT @Contrepoints: Une dette gigantesque après l’EURO 2012 L’EURO 2012 a démontré une chose : les politiciens polonais l’on… http://t.c …
Excellent, merci beaucoup pour cette traduction. Il y a eu des articles dans la presse Francaise allant meme jusqu’a pretendre que c’est grace a l’Euro 2012 que la Pologne a enclenche sa transformation.
Ca fait 20 ans que la Pologne se transforme a grande vitesse, environ 2 fois plus vite que la France pendant les 30 glorieuses. Et ce sont des transformations saines, faites avec de l’argent gagne, pas des credits.
Depuis 2004, l’argent de l’UE permet de faire plus de choses, mais au prix d’un endettement effrene. Les subventions Europeennes, tout comme l’Euro 2012, sont toxiques et encouragent a vivre au dessus de ses moyens.
c’est un peu le serpent qui se mord la queue tout le monde connait l’origine du mal mais personne ne veut vraiment faire un effort ou préfére fermer les yeux en pensant que les plus jeunes s’en sortiront mieux peut-être.grave erreur en soi.Cependant voici une phrase d’un gouvernant Hongrois qui dit ceci:l’Europe c’est comme une drogue elle fait tout pour vous griser une fois dans son sein elle vous laissera tomber