Conseil de lecture pour la fin des vacances. Tandis que médias et politiciens accusent le libéralisme de tous les maux, les deux ouvrages Libres et Dictionnaire du libéralisme prennent un pas opposé et plaident sa juste cause auprès du public.
Par Thierry Guinhut.
L’épouvantail commun du libéralisme est-il à prendre au sérieux ? Préjugés, médias et politiciens n’ont de cesse de le vilipender, de le brocarder, responsable qu’il serait de tous nos maux économiques et sociétaux. Pourtant c’est de manière opposée et cependant complémentaire que deux ouvrages tentent de plaider sa juste cause, de rendre à un public, que l’on ne dira pas inculte, mais plutôt trompé, maintenu sous le joug de l’ignorance, le sens vivant du libéralisme. Ces deux manuels collectifs s’efforcent avec succès d’aplanir les embûches placées devant qui veut s’initier aux arcanes de cette philosophie politique. Et loin d’apparaître comme des traités savants, abscons et pesants, l’un venu, de la volonté spontanée d’une poignée d’individus, l’autre d’une ancestrale et fort sérieuse maison d’édition, ils font tous les deux preuve de la plus accessible pédagogie. Qu’est-ce que le libéralisme, son histoire, son quotidien pour aujourd’hui, ses solutions pour la croissance de l’économie et des libertés individuelles ?
Libres a germé dans l’esprit de deux esprits imaginatifs : Ulrich Génisson et Stéphane Geyres. Pourquoi ne pas réunir quelques dizaines de bonnes volontés, d’auteurs, parmi le réseau qu’ils ont peu à peu lié sur Facebook et au contact des blogs, pour qu’un livre issu de la société civile et non forcément des chaires d’université puisse proposer un parcours balisé parmi les arcanes et les évidences si peu reconnues du libéralisme… Pari tenu. Ce sont cent auteurs [1], pour cent textes de deux pages, qui se sont vus confier points de repère et d’ancrage en cette pensée philosophique, économique et concrète, grâce à une progression thématique.
D’abord, les « Principes » du libéralisme, puis « Mon travail, mon argent », ensuite « Mes enfants, notre avenir », puis « Ma vie, ma décision », « Mes risques, ma protection », pour terminer par le couronnement de l’édifice, la conclusion par l’évidence : « L’État, oppression et inefficacité ». On devine que sont d’abord établies ces prémisses sine qua non : la liberté individuelle, le respect de la propriété, la clarté et le respect des contrats et enfin le dynamisme de la concurrence sans entrave. Plus loin, on dynamite avec soin et rigueur les effets pervers du protectionnisme, de l’impôt, on rétablit dans leur noblesse les marchés financiers et la spéculation, cisaillant les clichés médiatiques et marxistes. Le développement harmonieux des sociétés et des richesses au service du plus grand nombre n’est-il pas lié au capitalisme libéral, plutôt qu’aux collectivismes, keynésianismes, colbertistes et autres étatismes forcenés ? Ainsi le réalisme, la connaissance des faits, le pragmatisme éclairent-ils une nécessité occultée : c’est non seulement la liberté des mœurs et d’expression, mais aussi la liberté économique qui sont à l’origine du développement et du bonheur humains, en comptant parmi eux l’érosion continue de la pauvreté, générée au-contraire par le socialisme confiscateur, redistributeur, générateur de fonctionnaires et de subventions, bientôt asséché de dettes abyssales, et intrinsèquement liberticide.
Bien sûr, ce vade-mecum n’oublie pas un instant d’être concret, voire quotidien. À travers des exemples précis, « Le génocide batelier » (où l’on trouve quatre fonctionnaires pour un bateau !), « Taxi, vous êtes libres », « Le triste déclin du port de Marseille » (autodévoré par un syndicalisme totalitaire et égoïste et par la pénurie d’une liberté d’entreprendre corsetée par l’État) l’ouvrage, volontiers polémique, pointe les aberrations françaises qui nous acculent à l’inévitable dépression économique, sans oublier de remettre en cause les 35 heures, « le Smic français, antisocial », les monopoles…
Le maître-mot de cet indispensable opus est la concurrence. Ainsi l’éducation, la sécurité sociale, le logement, « L’écologie de marché » seraient, contre tout préjugé, à même d’être moins des problèmes que des solutions, grâce aux soins de la concurrence qui dynamise la responsabilité, la baisse des coûts et la qualité des produits, de la recherche et des services (ce dont témoigne la percée de Free). L’économie, qui n’est pas celle du « renard libre dans le poulailler libre », pour reprendre un cliché de mauvaise foi et d’inculture associé au libéralisme, doit être l’occasion pour chaque individu de développer ses capacités de travail et de création, auprès d’un État minimal, d’une « minarchie », qui se contentera d’être efficace et incorruptible dans le cadre de ses missions régaliennes : la justice, la police et la défense, nourri par un impôt équitable et fort modeste, dont le taux à ne pas dépasser devrait être inscrit dans le marbre de la constitution.
Ce sont enfin les libertés individuelles qui sont âprement défendues par Libres : qu’il s’agisse de drogue, de culture de cannabis, du droit à l’euthanasie, de la sexualité, qu’a-t-on besoin d’un État pour décider à notre place, sinon pour nous garantir contre les atteintes à la propriété, contre les violences…
Le plus stimulant de cet ouvrage, qui est une mine, est peut-être la multiplicité des courants, du libéralisme humaniste des libertariens à l’anarcho-capitalisme. Sans compter le renoncement des auteurs à tout droit de reproduction, cohérents en cela avec une libérale mise à disposition des idées à autrui ; ce en quoi on ne taxera pas les libéraux d’aride égoïsme, mais au contraire d’une réelle empathie avec une société ouverte issue des Lumières et définitivement vaccinée contre le communisme, les collectivismes, les délires constructivistes de l’État providence, et, inévitablement contre les tyrannies religieuses, guerrières et sectaires, quoique cet ouvrage n’aie pas la pertinence de penser le péril de l’Islam…
De même, le pluralisme des cent auteurs est étonnant, de tous âges et de tous milieux, de l’étudiant au retraité, ils sont employé, avocat, ingénieur, chef d’entreprise, professeur de philosophie, voire viticulteur, plombier, blogueur… Certes, de rares maladresses, des principes trop répétés, inhérents à l’exercice, doivent se pardonner, des points de vue peut-être trop dogmatiques devront être discutés (comme lorsque la volonté de libéralisation de la propriété intellectuelle se heurte justement au droit de propriété)… L’on tiendra compte alors de l’enthousiasme de nos penseurs plus ou moins professionnels et cependant assurés, par leur conviction, leur clarté. Quoique réunis sous l’égide d’un mystérieux « Collectif La Main invisible ».
Non, il ne s’agit pas en cette « Main invisible » d’une secte fumeuse tapie dans l’ombre de l’ultralibéralisme carnassier, mais de ceux qui reconnaissent la perspicacité géniale d’Adam Smith, qui, dans La richesse des nations en 1776, usa de ce concept pour signifier la collaboration de tant d’acteurs économiques qui s’ignorent et pourtant sont au service de tant de productions qui enrichissent notre quotidien et notre humanité ; ainsi que cette indéracinable loi du marché qui concourt au renouvellement de l’offre, de la demande et de l’innovation. C’est ainsi qu’au fil des textes de Libres, philosophes, économistes, concepts et perspectives se croisent, nourrissant une réflexion issue de la tradition libérale classique, dont on trouvera tous les attendus dans le Dictionnaire du libéralisme.
Ce que l’on faisait plus que soupçonner dans Libres, nous est confirmé par ce Dictionnaire du libéralisme qui a mis, hélas bien plus de temps à nous parvenir qu’un Dictionnaire du marxisme, qui, plutôt que par ordre alphabétique, aurait dû procéder dans l’ordre des cent millions de morts qu’il faut imputer à cette idéologie mortifère, autrement nommée « communisme ». Au contraire, la part d’utopie du libéralisme, cette harmonie des libertés et des responsabilités qui n’a rien de meurtrier, s’appuie autant sur l’examen des réalités économiques et humaines que sur une solide et séculaire tradition philosophique. Au fil des entrées alphabétiques de ce Dictionnaire du libéralisme, elle commence entre la démocratie athénienne et le « Rendez à César ce qui est à César » du Christ, en passant par le libre-arbitre de Saint Thomas d’Aquin et les scolastiques espagnols de l’école de Salamanque au XIV°, déniant aux gouvernants et analystes la capacité de connaître et de réguler les prix et autres données économiques… Ensuite, de Locke, pilier de la liberté naturelle, de la séparation des pouvoirs, sans oublier Adam Smith et sa dignité du commerce et de la vertu d’entreprendre, à la constitution américaine, la voie est tracée vers l’école de Chicago, vers Milton Friedmann, vers l’école autrichienne, vers Hayek, tous ceux qui dénoncent le poids de l’État, des réglementations, des fonctionnaires, de la relance keynésienne par les gouvernements spoliateurs, tentant de détacher les boulets aux pieds de la liberté individuelle et du développement des richesses…
Non, le libéralisme, n’est pas qu’une tradition anglo-saxonne ; de Montesquieu et Voltaire à Raymond Aron et Jean-François Revel, en passant par la libre concurrence de Constant et de Bastiat, sans oublier la méfiance envers la tyrannie de la majorité chez Tocqueville… Qu’importe d’ailleurs la tradition si elle est mauvaise, comme celle du surétatisme français, il faut alors la balayer par souci d’efficacité… Regardons alors par exemple du côté de Reagan et de Thatcher, de l’écrivain Vargas Llosa, des réussites canadiennes et suédoises, ces vainqueurs de l’hydre État-providence et du chômage… Car seul le libéralisme est le puissant antidote attendu contre la crise financière des années 2000, dont la cause (hors les erreurs de banques privées que seules pertes et faillites doivent sanctionner) réside dans cette bulle de l’endettement privé encouragée par les autorités publiques, dans ces plans de relances babyloniens et inefficaces, dans ces dépenses prétendument sociales et pléthoriques des États, dans ces trains infinis d’endettement qui invalident jusqu’à plusieurs générations, dans cette fiscalité hypertrophiée qui décourage les initiatives…
Non, le libéralisme n’est pas immoral, non il n’est pas qu’un économisme froid, non il n’est en rien un nouveau totalitarisme. Mathieu Laine, en sa préface généreuse plaide la cause d’une vertu caricaturée, honnie par les nationalistes, les assoiffés de pouvoir qui croient nous nourrir de démagogie, les constructivistes de l’idéologie souveraine dont la libido dominandi intellectuelle et manœuvrière encombre le spectre politique de l’extrême droite à l’extrême gauche, jusqu’au centre, pour nous faire croire que toutes les solutions viennent des mains de l’État et de la régulation économique, alors que là est la source indéracinable du problème récurrent des post-démocraties occidentales. Car le « doux commerce » de Montesquieu, le libre-échange, la moralité du capitalisme libéral, les droits de l’homme, le respect des points de vue et des comportements d’autrui, s’ils ne s’arrogent pas le privilège de la violence, sont les gages autant de la croissance économique partagée, nonobstant les inégalités consenties, que de la paix.
Bien sûr, ce dictionnaire n’est pas que celui des auteurs et des acteurs politiques, mais aussi, avec près de 300 entrées, des concepts, des points d’Histoire, des défis intellectuels et économiques, de la monnaie à la dette, de la laïcité au Front populaire, de la banque au chômage, du racisme au libertinisme, du capital à l’État, des marchés financiers au développement durable… Tout cela avec une clarté limpide, menée de main de maître par Mathieu Laine qui entraîne avec lui 65 auteurs, et qui ne nous laisse que sur une seule faim : quoique de fort tonnage, ce Dictionnaire reste trop mince encore, inévitable invitation à la bibliothèque et à l’histoire libérale qui, espérons-le sont celles de notre avenir…
Allons jusqu’à dire que ne pas compter parmi sa bibliothèque ce Dictionnaire du libéralisme, pourrait passer pour un délit contre l’ouverture d’esprit, pour une cécité volontaire.
L’on s’aperçoit ainsi que l’apparemment modeste projet de Libres, trouve en ce Dictionnaire du libéralisme une caution inattendue, par leur congruence intellectuelle et éthique. C’est à croire alors, compulsant ces deux ouvrages indéniablement complémentaires, l’un thématique, l’autre alphabétique, que la limite entre l’amateurisme passionné d’un collectif libéral et le professionnalisme des éditions Larousse et d’un Mathieu Laine, par ailleurs animateur d’un séminaire à Sciences-Po et rédacteur de la revue Commentaires, est on ne plus labile. Libérer les initiatives intellectuelles est ainsi un principe qui vient de faire ses preuves. Qu’attendons-nous pour libérer les initiatives économiques ?
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Sur le web.
NDLR : en juin dernier Contrepoints publiait l’interview des créateurs du projet Libres ainsi que l’interview de Mathieu Laine.
Le Dictionnaire du libéralisme est en vente sur Amazon et Libres sortira en septembre 2012.
Note :
- Parmi lesquels on aura la modestie de ne pas nommer mon texte « Pour une éducation libérale ». ↩
RT @Contrepoints: Libres et Dictionnaire du libéralisme : deux manuels des libertés http://t.co/C9aF4TN8
Pour avoir lu « Libres », je confirme qu’il est d’excellente facture.
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