Les investisseurs, qui spéculent sur une explosion de l’euro et un retour du Deutsche Mark, achètent des obligations allemandes, même si les rendements sont négatifs. Les articles qui envisagent une explosion de l’eurozone se multiplient dans la presse européenne.
Par Richard North, depuis Bradford, Royaume-Uni.
Un des vrais problèmes du suivi de la crise de la zone euro est que la couverture faite par les médias vient des journalistes économiques. Immanquablement, cela signifie que les questions politiques brûlantes sont rapportées par des gens qui sont parmi les moins compétents pour les comprendre. De toutes façons, ils montrent avoir peu de capacités à comprendre leur propre spécialité. J’en veux pour preuve la fréquente sur-interprétation des mouvements de marché à moyen terme. Les commentateurs suggèrent régulièrement que ces mouvements de marché ont beaucoup plus d’importance qu’ils en ont réellement.
Ainsi en a-t-il été pour l’article concernant l’augmentation de toutes les bourses, et la hausse de la valeur de l’euro par rapport au dollar avant-hier – largement interprétées par les médias comme une réponse à l’attente vis-à-vis de la Banque Centrale Européenne de commencer à acheter des obligations espagnoles et italiennes. Il y a peut-être quelques opérateurs de marché qui y croient. Mais il faut bien garder en mémoire que la quasi-totalité des opérations de marchés sont dorénavant automatisées par ordinateur, sans aucune intervention humaine. Lors de la période estivale relativement calme, ils peuvent conduire le marché, réduisant toute tentative d’analyse à un avis insignifiant.
Le marché est bien sûr une machine à faire des profits. Ainsi, il est stérile d’utiliser les fluctuations à court terme comme une source d’intelligence politique. Seulement une certaine crédulité et une propension à encourager les comportements délirants peuvent tirer des conclusions de la plupart de ces données.
Pour une analyse sur le long terme de l’euro plus mûrement réfléchie, nous devrions nous référer à une étude menée par la Commerzbank, qui a conclu que l’euro est condamné à s’affaiblir. Un article récent du Spiegel explique aussi que des investisseurs se préparent à un effondrement de l’euro. De plus, un article important de Die Welt nous donne une bonne indication des sentiments réels du marché. Il y est écrit que les spéculateurs parient sur un retour du Deutsche Mark.
C’est une interprétation de la volonté des investisseurs qui achètent des obligations allemandes, même si pour quelque temps il n’y a virtuellement pas de rendement. Récemment certaines obligations ont même eu un rendement négatif. Il faut donc payer le gouvernement allemand pour lui prêter de l’argent. En effet, les investisseurs s’attendent à être compensés [NdT : sur leurs pertes de rendement] par des gains massifs sur les opérations de change quand l’euro explosera. Avec les titres possédés suite aux appréciations du Deutschemark, tout pourrait s’acheter pour une bouchée de pain. Des difficultés à exporter pourraient toutefois compenser la possibilité d’acheter des actifs bradés à l’étranger.
C’est peut-être pourquoi, une fois encore, nous entendons des discussions sur un “Plan Marshall” pour la Grèce, comme celui qui a été discuté en Février dernier. Essentiellement, nous allons voir que l’Allemagne va acheter tous les intérêts de la Grèce en euros. Une somme de 90 milliards d’euros a été mentionnée – une petite somme comparée au millier de milliards d’euros que l’Allemagne devrait supporter autrement, et il ne faut pas oublier le potentiel de profit. Tout ce que le gouvernement a à faire, dit Handelsblatt, est de dire clairement qu’il refusera toute aide supplémentaire à la Grèce – ce qui conduirait en fait à la sortie d’Athènes de la zone euro – non pas en vue de poursuivre une stratégie de « renationalisation » de l’Europe mais pour sauver l’euro et rendre l’Europe crédible à nouveau.
Avec cela, après le silence relatif des médias internationaux, nous atteignons le point de saturation pour la parution d’articles d’analyses. Même le Figaro nous en fait les honneurs et discute des perspectives pour l’euro. Partout à travers l’Europe, et même en Allemagne, il se dit, qu’il y a “une confirmation implicite que l’Europe prépare un plan B dans le cas d’une sortie de la Grèce de la zone euro”.
Les Italiens s’y mettent aussi, avec le commentaire du Corriere della Sera se réjouissant de la nouvelle suivante : l’agence de notation Moody’s pense que la crise sera terminée en Italie d’ici à 2013. Les pays comme la Grèce et l’Irlande devraient prendre jusqu’en 2016 pour compléter leurs programmes d’assainissement budgétaire, disent les agences. Mais l’Italie, l’Espagne et le Portugal seraient capables de sortir de l’ornière après 2013, s’ils sont capables d’appliquer complètement les réformes adoptées jusqu’ici.
La presse italienne est tout spécialement intéressante puisque La Republica et la Stampa contredisent l’affirmation d’Ambrose Evans-Pritchard [1] selon laquelle l’Allemagne a acheté tout un lot d’obligations de la BCE. La Stampa dit en fait qu’à la fois « Berlin et la Bundesbank » s’opposent à la BCE.
Incidemment, nous apprenons que le Failygraph a offert deux versions de ses gros titres pour l’article d’Ambrose. Sur le Web, c’était : « L’Allemagne soutient le plan obligataire de Draghi contre la Bundesbank », mais la version papier est devenue : « Le responsable de l’Allemagne à la BCE soutient le plan obligataire ». Plus clair, Faz a intitulé : « La BCE et la Bundesbank en plein mélodrame. » De son côté, Lüder Gerken, président du Centre de Fribourg pour la Politique Européenne, est peut-être le plus franc à propos de la BCE. Le plan ne vise en aucun cas la sortie de la crise de la dette, dit-il. Il ne peut pas résoudre les problèmes ayant amené à la crise de l’euro, ou rééquilibrer la crise des balances de paiement. La BCE est maintenant dans une impasse, ajoute-t-il.
Nous avons évoqué tous les points de vue, et pourtant la quantité des commentaires ne diminue pas. Les autres commentateurs comme Martin Walser – qui voit l’explosion de l’euro comme un ‘scénario cauchemardesque’ – ont très peu de chose de neuf à offrir.
Effectivement, nous sommes de retour là où nous en étions avec l’article de Booker, avec Handelsblatt nous expliquant que « la Grèce est à la merci des politiciens allemands », ensuite décrivant l’ « automne chaud » du sauveur de l’euro. Ce dont nous avons réellement besoin nous dit Frank Schäffler, ce sont des règles pour les retraits et les expulsions de la zone euro. Beaucoup de gens sont d’accord avec lui. Si ces règles étaient déjà en place, la Grèce serait déjà en train de vendre des séjours de vacances en drachmes.
—-
Sur le web. Traduction : Nicolas B. Pour Contrepoints.
Note :
- Ambrose Evans-Pritchard est journaliste, responsable de la rubrique des affaires internationales du Daily Telegraph, NdT. ↩
Je dois avouer que cette partie là est très clair… et donne une autre idée sur les taux d’intérêt négatif!
C’est une interprétation de la volonté des investisseurs qui achètent des obligations allemandes, même si pour quelque temps il n’y a virtuellement pas de rendement. Récemment certaines obligations ont même eu un rendement négatif. Il faut donc payer le gouvernement allemand pour lui prêter de l’argent. En effet, les investisseurs s’attendent à être compensés [NdT : sur leurs pertes de rendement] par des gains massifs sur les opérations de change quand l’euro explosera. Avec les titres possédés suite aux appréciations du Deutschemark, tout pourrait s’acheter pour une bouchée de pain. Des difficultés à exporter pourraient toutefois compenser la possibilité d’acheter des actifs bradés à l’étranger.
mouaip, bizarre quand même comme interprétation, amha, il faut aller voir ailleurs ces taux négatifs, et pour 2 raisons:
– ces investisseurs prennent des obligations en euros, quand bien même il y aurait un retour au DM, ces obligations seraient toujours en euros il me semble.
– la France a également emprunté à taux négatif alors que personne ne mise sur le retour du franc non?
Oui mais la France a emprunté à court terme avec des taux négatifs… Et une seule fois. L’Allemagne est plus coutumière du fait non?
« les investisseurs » … ne serait-ce pas surtout la banque nationale suisse ?
http://www.contrepoints.org/2012/08/17/94087-les-systemes-a-parite-fixe-source-de-perturbations-economiques-majeures
pour votre infotmation, l’allemage a acquis plus 150 machines a imprimer des billets: deutchmark ou euros? c’est toute la question!
Si l’Allemagne quitte le zone euro, ses dettes en euro seront converties en DM à son taux d’entré dans la zone (1,9 DM pour 1€), ce qui me semble logique, non ?
Le DM va (devrait) s’apprécier et les possesseurs d’obligation seront rembourser avec des DM, ces derniers seront plus fort qu’en 2001 à priori, donc une belle plus-value en perspective.
Pour la France je dirais que c’est notre capacité a payer nos impôts sans trop broncher qui rassure les investisseurs (une dette française est certainement moins pire qu’une dette Italienne).
Si l’Allemagne quitte le zone euro, ses dettes en euro seront converties en DM à son taux d’entré dans la zone (1,9 DM pour 1€), ce qui me semble logique, non ?
Le DM va (devrait) s’apprécier et les possesseurs d’obligation seront rembourser avec des DM, ces derniers seront plus fort qu’en 2001 à priori, donc une belle plus-value en perspective.
Pour la France je dirais que c’est notre capacité a payer nos impôts sans trop broncher qui rassure les investisseurs (une dette française est certainement moins pire qu’une dette Italienne).
« Si l’Allemagne quitte le zone euro, ses dettes en euro seront converties en DM à son taux d’entré dans la zone (1,9 DM pour 1€), ce qui me semble logique, non ? »
et pourquoi donc?
je ne suis pas un grand spécialiste de la question, mais j’ai entendu pas mal de spécialistes dire exactement l’inverse.
Le contrat est libellé en euros, pourquoi serait-il converti en DM?
je pense que cette possibilité n’en serait une qu’en cas de disparition de l’euro, autrement, il n’y a aucune raison.
+1
A priori, une dette en euro reste une dette en euro, tant que l’euro existe ; il n’y aucune raison de convertir quoique ce soit.
La BuBa emet des nouveaux DM (NDM) qu’elle inscrit à son bilan, à une valeur conventionnelle à sa convenance (par exemple : 1 NDM pour un euro), tout en gardant les anciens euros (dont elle aura de toute façon besoin dans le cadre des échange commerciaux avec l’Eurozone). L’état allemand ajoute le NDM comme moyen de paiement légal, en supprimant ou non l’euro pour cet usage (même pas besoin de rayer les euros, puisque tout le monde en Allemagne va volontairement s’en débarrasser, réécrire les prix en NDM plutôt qu’en euro, etc.), tout en introduisant une clause légale de conversion des contrat en cours (contrat de travail, loyers, prix, etc.). Et roule ma poule ; le NDM peut commencer à s’apprécier à proportion de l’excédent commercial allemand…
Dans tous les cas, l’industrie Allemande, que tout le monde devinent comme puissante, n’accepterait pas de voir sa monnaie prendre + de 20% face à un Euro qui s’effondrerait.
Les industriels militeront donc contre la sortie de l’Ero de l’Allemagne en tant que premier bénéficiaire.
Sur ce site les intervenants semblent beaucoup plus informés sur la finance que sur les réalités des entreprises.