La Cour européenne a sanctionné l’incohérence du droit italien qui, à ses yeux, impose une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale d’un couple qui se voit privé d’une chance d’avoir un enfant indemne de toute maladie génétique.
Par Roseline Letteron.
On a souvent tendance à considérer que la Cour européenne laisse aux États une très grande autonomie pour définir les droits et libertés  en matière de bioéthique. L’arrêt Pavan c. Italie rendu par la Cour le 28 août 2012 vient pourtant quelque peu tempérer cette idée.
Un couple d’Italiens a eu, en 2006, un premier enfant atteint de mucoviscidose. Une seconde grossesse, en 2010, a conduit à un avortement thérapeutique, le diagnostic prénatal ayant montré que le fÅ“tus était porteur de la même maladie. Depuis cette date, le couple souhaite  pouvoir bénéficier d’une fécondation in vitro, l’embryon pouvant faire l’objet d’un diagnostic pré-implantatoire, voire d’un traitement génétique, avant d’être réimplanté dans l’utérus de la mère. C’est précisément le refus de ce type de diagnostic par le droit italien que contestent les requérants devant la Cour européenne.
Différents types de diagnostics
Le droit français, plus précisément la loi du 7 juillet 2011 donne une définition claire des deux types de diagnostics.
Le diagnostic pré-natal (DPN), celui auquel le couple requérant a déjà eu recours, de manière tout à fait licite,  regroupe « l’ensemble des pratiques médicales (…) ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fÅ“tus une affection d’une particulière gravité » (art. 20). Cette technique permet notamment de déceler plus de 90 % des cas de trisomie, et de proposer alors une IVG pour motif médical.
Le diagnostic pré-implantatoire (DPI), celui que le couple sollicite, consiste à réaliser « un diagnostic biologique (…)  à partir de cellules prélevées sur l’embryon  in vitro« . L’examen permet de s’assurer que l’embryon, qui est biologiquement celui du couple, n’est pas atteint d’une affection génétique, éventuellement de la traiter, avant qu’il soit réimplanté dans l’utérus de sa mère.
Le droit français autorise même, désormais, le recours à ce que certains ont appelé le « bébé du double espoir ». Cette technique consiste à utiliser le DPI pour faire naître un enfant dépourvu de toute anomalie génétique, dont les cellules seront ensuite utilisées pour soigner son aîné atteint d’une maladie incurable. Encore faut-il, bien entendu, qu’il n’y ait pas d’autre moyen de soigner l’enfant malade.
La cohérence du droit
Le droit français apparaît ainsi comme un droit cohérent. Il autorise les diagnostics génétiques et en tire les conséquences. Cela signifie que le couple qui a bénéficié d’un DPN se verra proposer une IVG thérapeutique. Celui qui a bénéficié d’un DPI renoncera tout simplement à la réimplantation de l’embryon, s’il n’a pas été possible de remédier à l’anomalie génétique.
Le couple italien requérant se trouve dans une situation beaucoup plus étrange. Le droit italien en effet interdit le DPI in vitro, et n’autorise que le DPN in utero. Autrement dit, le couple requérant n’a pas d’autre solution que de commencer une grossesse, puis, éventuellement, de pratiquer une IVG si les analyses effectuées sur l’embryon in utero révèlent qu’il est porteur de mucoviscidose. Rien n’interdit de pratiquer une IVG sur le fÅ“tus à un stade de développement déjà avancé, mais il est interdit de choisir la non réimplantation d’un embryon d’à peine quelques jours. On peut avorter en cas de maladie génétique, mais on ne peut pas tenter de la traiter.
La Cour européenne sanctionne l’incohérence du droit italien car, à ses yeux, il impose une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale d’un couple qui se voit privé d’une chance d’avoir un enfant indemne de toute maladie génétique. Cette solution s’inscrit, sur ce point, dans la droite ligne de la sa jurisprudence, qui considère, notamment depuis une décision du 3 novembre 2011 S.H et a. c. Autriche, que l’accès à la procréation médicalement assistée, y compris hétérologue c’est-à -dire effectuée à partir d’un don de gamètes, constitue un choix qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale.
Ce principe de cohérence du droit est nettement mis en évidence par la Cour, et on peut évidemment s’interroger à son propos. S’agit-il du fondement conjoncturel d’une décision d’espèce ou d’un nouveau principe général susceptible de fonder une jurisprudence ? L’avenir le dira sans doute.
Le faux débat de la dérive eugénique
La Cour sanctionne également une seconde incohérence qui réside dans l’argument des autorités italiennes. Ces dernières justifient en effet l’interdiction du DPI par le risque de dérive eugénique. Celle-ci consiste, on le sait,  à « trier » les embryons, à rejeter celui qui ne correspond pas tout à fait au désir des parents, lorsqu’il a une anomalie génétique, mais aussi, peut-être, lorsqu’il n’a pas le sexe espéré ou la couleur des yeux attendue.
Cet argument est tout à faire surprenant, dès lors que le droit italien accepte le DPN qui pourrait, également être utilisé à des fins eugéniques, les parents choisissant alors d’interrompre la grossesse si l’enfant ne leur convient pas. Il n’est cependant pas très difficile de limiter les deux types de diagnostic (DPN et DPI) aux seuls cas dans lesquels l’enfant risque d’être victime d’une grave maladie génétique, et d’éviter ainsi toute dérive eugénique.
Dans la domaine de la bioéthique, la Cour adopte une jurisprudence toute en nuance. Il est vrai qu’elle reconnaît à l’État une large autonomie pour définir s’il accepte ou non le recours à la fécondation in vitro avec donneur. Il s’agit, dans ce cas,  d’offrir aux couples le moyen de concrétiser leur désir d’enfant. Si le système juridique ne l’autorise pas, rien ne leur interdit d’utiliser la voie de l’adoption, ou d’aller tout simplement bénéficier de cette technique dans un pays plus tolérant. En revanche, l’accès au DPI a une finalité purement thérapeutique qui est de réaliser un diagnostic génétique et, le cas échéant, un traitement, qui permettra la naissance d’un enfant parfaitement sain. Toutes les possibilités de guérison doivent alors être offertes, et c’est précisément ce que juge la Cour.
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Sur le web.
Le fond du problème du dépistage est la pratique eugéniste qui en découle. Aussitôt que l’Etat sort de son rôle de défense des plus faibles, et qu’y a-t-il de plus faible qu’un enfant dans le ventre de sa mère, et autorise l’assassinat, tout dépistage connaît forcément la dérive correspondant aux préoccupations de la société dans laquelle on évolue. En Inde, en Chine, le dépistage permet d’assassiner plusieurs millions de petites filles uniquement parce qu’elles sont « filles ». En France, grâce au Téléthon, ce sont des milliers d’enfants myopathes qui sont assassinés chaque année, permettant ainsi à telle ou telle association d’affirmer péremptoirement avoir permis la diminution du nombre de malades. Demain, grâce au dépistage du « gène de la délinquance », on pourra permettre à des « parents » (peut on appeler ainsi des gens qui préfèrent tuer leur progéniture plutôt que de connaitre le risque d’avoir à en assumer l’éducation et la vie) d’assassiner en toute légalité une progéniture « potentiellement » difficile à élever et présentant un danger pour la société. C’est précisément cela, l’eugénisme. Lorsque, il y a deux ans, des parents ont demandé au tribunal le droit de tuer un enfant parce qu’il avait une malformation de la main, certains ont poussé des cris d’orfraies. Tartufferie, il ne s’agit là que de l’application simple du principe énoncé et défendu par l’auteur de cet article, le droit de vie et de mort pour raison culturelle ou personnelle sur autrui.
Si on plaide pour la non restriction de tout acte de dépistage pré-natal, on se doit, à moins d’appartenir à une catégorie de barbares particulièrement sanguinaire, de plaider aussi pour l’interdiction de l’avortement. Car c’est la combinaison de l’un et de l’autre qui engendre ce toutes les sociétés totalitaires et déshumanisantes ont généré, l’eugénisme. Le mythe de l’homme nouveau a toujours cours et, comme l’histoire nous l’enseigne, n’a de raison d’être que l’élimination de l’homme ancien, trop indépendant, trop libre. Dans toutes les sociétés qui ont prôné l’eugénisme et l’homme nouveau, nous retrouvons l’aliénation et le despotisme.
C’est nouveau, ça : un avortement d’un foetus atteint de mucoviscidose est un « avortement thérapeutique » ? Dans ce cas l’euthanasie sera bientôt appelée « meurtre thérapeutique » ?
L’avortement thérapeutique est un terme qui s’applique lorsque la santé de la mère est menacée et qu’il faut sacrifier le foetus pour sauver la mère.
Lorsque l’on élimine le foetus parce qu’il donnera un enfant atteint d’une maladie génétique, ce n’est aucunement thérapeutique : on ne soigne pas l’enfant, on le tue, et on ne soigne pas la mère, qui ne risque rien.
Mais on imagine aisément que triturer le vocabulaire permet de faire avancer les causes douteuses.
Il ne faudrait pas oublier une chose à propos de l’avortement, qui est probablement le cas le plus facile à trancher pour un libéral attaché au droit inaliénable de l’individu : tout avortement non thérapeutique est une agression à l’encontre d’un individu innocent. Si les mères sont enceintes, c’est leur responsabilité (principe libéral s’il en est !). A la limite on peut admettre le cas d’exception du viol, puisque dans ce cas la mère n’est pas responsable (encore que cela ne change rien à la sanction mortelle pour l’individu en formation).