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Crise de l’euro : de la grande convergence à la grande divergence, l’histoire de l’eurozone en un graphique.

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Publié le 22 septembre 2012
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Crise de l’euro : de la grande convergence à la grande divergence, l’histoire de l’eurozone en un graphique.

Par Georges Kaplan.

S’il est un graphique qui résume magnifiquement la courte histoire de l’euro, c’est bien celui que je vous propose ci-dessous. Il retrace l’évolution des taux d’intérêt moyens des obligations souveraines à dix ans d’une sélection d’État membres de la zone euro [1] de janvier 1993 à août 2012.

Le grand mouvement de convergence que vous observez de 1993 à 1997 est une conséquence directe de la construction de l’Union Européenne et de la création de l’euro [2]. Ce processus a commencé dès les premières négociations, s’est accéléré avec la signature du traité de Maastricht (février 1992), puis du Pacte de stabilité et de croissance (juin 1997) et a abouti à ce que, lorsque l’euro a été officiellement lancé en janvier 1999, l’écart entre les taux à dix ans italiens et leurs homologues allemands n’était plus que de 0,22% contre 6,28% quatre ans plus tôt. Durant les huit années qui vont suivre, c’est-à-dire jusqu’à fin 2007, les taux longs des États membres de la zone euro vont ainsi évoluer dans un étroit couloir ; l’écart le plus élevés sera observé entre le dix ans grecs et le bund allemand juste après qu’Athènes ait adopté l’euro et il ne sera que de 0,61%.

Ces écarts de taux, les financiers parlent de spreads, ont une signification économique très précise : ce sont des primes de risque. Si, en janvier 1993, l’État grec doit s’acquitter d’un taux d’intérêt moyen de 24,5% – soit 17,35% de plus que l’Allemagne – c’est qu’acheter de la dette publique grecque à l’époque, c’était un investissement pour le moins spéculatif : entre 1989 et 1993, avec un déficit budgétaire moyen de 13,6%, la dette publique hellène explosait de 69% à 110% du PIB et, le gouvernement d’Athènes disposant d’une planche à billets, l’inflation de la drachme tournait autour de 17% par an. Prêter à l’État grec, c’était donc extrêmement risqué et les seuls investisseurs qui s’y risquaient réclamaient un surcroît de rémunération en contrepartie du risque qu’ils acceptaient de prendre, un spread par rapport aux emprunts d’État allemands, une prime de risque.

La grande convergence

Or, au fur et à mesure que la création de la zone euro se concrétise, cette prime de risque va progressivement disparaître ; c’est-à-dire que les créanciers de nos États – compagnies d’assurance, fonds d’investissement, organismes de retraite, banques… [3] – vont considérer que le simple fait qu’un État adopte l’euro réduit considérablement le risque qu’ils prennent en lui prêtant de l’argent et donc, la prime qui y est associée. Il y a à cela au moins trois raisons.

La première, c’est que les différents traités qui ont ponctué la création de l’UE et l’avènement de l’euro imposent aux États qui les ont signés une discipline budgétaire stricte qui, si elle est bien respectée, offre à leurs créanciers une garantie supplémentaire quant à leur solidité financière. Par exemple, le traité de Maastricht préconisait un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB et exigeait des États qui souhaitaient rejoindre la zone euro un endettement public inférieur à 60% du PIB. Dès lors, il était tout à fait rationnel de considérer qu’un État qui s’engageait à respecter ces contraintes devenait de facto un débiteur sûr.

Par ailleurs, la signature de ces traités a créé un aléa moral. C’est-à-dire que les créanciers des États membres de la zone euro ont supposé qu’en cas de difficultés financières d’un de ces derniers, les autres viendraient à son secours. Bien sûr, il n’y avait là aucune certitude – raison pour laquelle des États comme l’Italie ou l’Espagne ont continué à payer une petite prime de risque par rapport à l’Allemagne – mais il y avait, chez la plupart des investisseurs, une forte présomption. La suite des événements, d’ailleurs, a prouvé qu’ils avaient raison.

Enfin, bien sûr, les ascendances teutonnes de la Banque Centrale Européenne laissaient présager d’une gestion rigoureuse de la monnaie unique et permettaient d’évacuer le risque d’un usage immodéré de la planche à euros. Les créanciers de l’État grec savaient pertinemment que les drachmes qu’on leur rembourserait cinq ans plus tard auraient perdu plus de la moitié de leur valeur ; avec l’euro, ce risque disparaissait – au moins en grande partie – et la prime de risque liée aux politiques inflationnistes avec.

La grande divergence

Or voilà qu’aujourd’hui, après la convergence des années 1990, nous assistons à la grande divergence. Depuis fin 2007, le charme est comme rompu et les taux des dettes souveraines se sont séparés en deux groupes : il y a ceux qui baissent – Allemagne, Autriche, Belgique, France, Pays-Bas… – et ceux qui s’envolent – pour faire court, les PIIGs. On entend dire beaucoup de choses sur cette fameuse « crise de l’euro » et sur l’éclatement de la zone qui devrait en être l’épilogue mais, arrêtez moi si je me trompe, il me semble que personne n’explique en quoi, précisément, la situation financières de ces États est liées à la fin de l’expérience monétaire européenne. Eh bien c’est très simple : la prime de risque est de retour.

Si vous observez les taux des obligations portugaises à dix ans aux alentours des 10%, ce n’est pas, contrairement à ce qu’on lit un peu partout, que les marchés financiers « attaquent le Portugal » ; c’est que les créanciers du Portugal – au nombre desquels vous pourriez bien être sans le savoir – ont peur. Ils ont peur parce qu’ils savent pertinemment que la crise modifie les équilibres politiques de ces pays et que les classes politiques locales, trop lâches pour dire la vérité à leurs électeurs, préfèrent et de loin la fuite en avant qui consiste à accuser l’euro de leurs propres errements. Ils ont peur parce que plutôt que de remettre leurs finances publiques en ordre, ces gouvernements ou leurs successeurs pourraient bien être tentés de restaurer leurs monnaies nationales dans le seul et unique but de les dévaluer massivement dans la foulée. Ce que craignent les investisseurs c’est de ne pas être remboursés ou d’être remboursés en monnaies de singe ; ce qui revient au même.

C’est précisément cette situation que le traité de Maastricht, en limitant la dette et le déficit budgétaire des membres de la zone, cherchait à éviter. C’est précisément pour tenter de réduire cette prime de risque que Mario Draghi se propose de racheter les obligations de ces États au travers des fameuses Outright Monetary Transactions annoncées début septembre. C’est encore pour cette même raison que tout ce que Bruxelles compte de bureaucrates – à commencer par le président de la BCE lui-même – martèle à qui veut bien l’entendre que « l’euro est irréversible » et que « les craintes de dissolution de l’union monétaire sont infondées. » Mais ils auront beau fausser le thermomètre ou pratiquer la méthode Coué, la réalité ne changera pas pour autant : ce risque existe et, du point de vue de la plupart des investisseurs, il reste encore aujourd’hui beaucoup trop élevé [4].

La crise de l’euro, ce n’est que cela : une crise purement et exclusivement politique, la énième démonstration que les promesses, surtout quand elles sont émises par des États souverains, n’engagent que ceux qui les écoutent. Mais la grande ironie de l’histoire, c’est qu’au rythme où vont les choses en général et la planche à billet de M. Draghi en particulier, ce sont des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas qui vont finir par nous envoyer paître et quitter la zone euro. Il ne nous restera alors plus qu’à lancer les rotatives à plein régime et à regarder la suite du film en espérant que pour la première fois de l’histoire de la monnaie, un miracle se produira.

—-
Sur le web.

Notes :

  1. L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et la Portugal.
  2. La convergence tardive des taux grecs est due au fait qu’Athènes n’a rejoint la zone euro que deux ans après les autres (en janvier 2001).
  3. C’est-à-dire, indirectement, vous et moi.
  4. Sauf peut être pour l’Irlande et le Portugal qui, en demandant le soutien du fonds de stabilité financière européen, donnent quelques garanties en la matière.
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  • L’euro est effectivement une construction politique qui nous est bien utile quand on voyage ou on échange en Europe.
    Elle aurait pu fonctionner si certains hommes politiques comme Chirac et Schroeder ne s’étaient pas assis sur les critères à respecter dans le traité d’Amsterdam : 3 % de déficit et 60 % de dette. Quand les plus grands pays donnent le mauvais exemple, la porte est ouverte à tous les dérapages.
    Personne n’a aucun intérêt à ce que l’euro disparaisse. L’Allemagne et les Pays-Bas ne nous enverrons pas paître mais ils exigeront des garanties et le pouvoir français actuel ne semble pas vouloir les donner.

  • Attention au sens de l’expression « prime de risque ».

    Quand les taux montent sur le marché secondaire, il s’agit d’un taux fictif. En effet, cela ne signifie pas que le taux de l’obligation monte, puisque son taux est fixé par contrat, mais que le montant payé par l’acheteur « d’occasion » sera inférieur au montant nominal qu’avait initialement prêté le vendeur.

    Imaginons qu’un vendeur ayant prêté 100, pressé de retrouver de la liquidité, récupère seulement 90 d’un éventuel acheteur. Ce dernier touchera le taux fixé par contrat auquel il faut ajouter la décote à la revente, soit en gros 10% dans l’exemple (c’est plus compliqué dans la réalité puisqu’il faut tenir compte des durées des titres). Le taux fictif du marché secondaire monte donc de 10%. Ici, le marché constate une décote sur le bon échangé, comme n’importe quel titre dont le cours fluctue en fonction des anticipations de l’offre et de la demande. Inversement, quand le taux baisse, cela signifie que la demande pour le titre est plus importante que l’offre disponible.

    Ainsi, GK a raison de dire qu’il n’y a pas « d’attaque » des vilains marchés contre les gentils Etats. Il y a simplement moins d’acheteurs pour s’encombrer de titres signés « PIGS », moins de volontaires pour racheter les bons des Etats mal gérés.

    Il est également important de comprendre que les besoins exponentiels des Etats augmentent l’offre tandis que la demande peut rester inchangée. La conséquence évidente est qu’en réalité, loin de subir une attaque des vilains marchés qui ne penseraient qu’à se gaver, les Etats irresponsables ont tendance à détruire mécaniquement leur propre marché. Etonnant, non ?

    • Hello Bubulle,

      Mmmmh non : ce taux n’a rien de fictif. Ce n’est pas le taux coupon de l’émission mais ce sera bien, pour chaque point de courbe, le taux qui sera réclamé par le marché pour une nouvelle émission.
      Que ce soit sur le marché primaire ou secondaire, le spread (vs. Bund par exemple) est bien une prime de risque comme la pente de la courbe est, elle-même, une prime de risque.

    • Si t est le taux facial, N le nominal, M la maturité résiduelle et P le prix d’achat de l’obligation au marché secondaire (exprimé en % du nominal) alors :
      P = somme {i = 1…M} ( (N.t) / (1 + k)^i ) + N / (1 + k)^M )
      k étant le taux de marché de l’obligation ; c’est-à-dire le taux sans risque (i.e. valeur-temps de l’argent) augmenté d’une prime de risque.
      Par exemple, une obligation avec un nominal de 100, un taux facial de 5% et une maturité résiduelle de 5 ans, si vous la rachetez à 90, le taux que vous toucherez sera de 7,47%.

      • Hello GK, toujours un plaisir de vous lire.

        Mon propos était de rappeler que les taux d’intérêts, de même que la pente positive de la courbe des taux, ne satisfont pas le besoin de couverture du risque. Sur la courbe, le taux monte en fonction de la durée des engagements. A une plus longue durée d’immobilisation du capital correspond une rémunération plus attractive : c’est la rémunération légitime du capital, le risque étant couvert autrement. C’est la même chose avec un emprunt immobilier pour un particulier : les intérêts versés à la banque ne sont pas une prime de risque mais la rémunération normale du service rendu. Le risque (de non remboursement) est assuré par ailleurs, ou pas.

        Je partage votre avis sur l’existence d’une prime implicite lorsque la courbe des taux se déforme, par exemple quand elle dérive rapidement vers le haut, que les taux courts deviennent supérieurs aux taux longs ou que des écarts apparaissent entre émetteurs. Je considère en revanche inapproprié de parler de prime de « risque », en ce sens que tout investissement est par définition risqué. Assurer (et assumer) le risque n’a rien à voir avec la rémunération naturelle et normale d’un investissement.

        Dans votre formule, le taux facial demeure bel et bien inchangé. Typiquement, même avec des taux très élevés sur le marché secondaire, la Grèce verse encore aujourd’hui des intérêts bien inférieurs sur sa dette (ce qui lui reste à rembourser après les plans d’aide). Autrement dit, le problème est moins le taux du marché que la cause du recul de P.

        Egalement d’accord avec vous à propos de l’influence du marché secondaire sur les nouvelles émissions. Ceci dit, c’est parfois l’inverse qui se produit, à l’instar de l’Espagne qui a récemment émis à des taux inférieurs à ceux affichés par le marché secondaire.

  • M. Kaplan vous êtes clairement un de mes contributeurs de CP favori – cependant vous avez presque un an de retard sur H16 qui a commenté ce même graphique en décembre 2011 😉

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