Petit récit à visée pédagogique contant l’histoire d’une économie primitive et libre et de son évolution progressiste vers l’utopie socialiste.
Par Acrithène.
À l’occasion du franchissement de la barre des 3 millions par la statistique officielle du chômage, je vous propose une série de trois articles synthétisant quelques idées fondamentales sur le fonctionnement du marché du travail.
- Dans ce premier article, je raconte l’histoire d’un petit village agricole sujet au progressisme social. L’analyse porte sur les notions que les étudiants américains appellent ECON101, c’est-à -dire les raisonnements sur l’équilibre des marchés décrits dans un premier cours d’économie.
- Dans le second billet, j’ajouterai un second produit et un second village, afin de replacer la discussion dans un contexte « international ».  (lien à venir)
- Enfin, dans le dernier billet, je rendrai l’histoire un peu plus dynamique, pour expliciter l’effet de l’instabilité conjoncturelle sur l’emploi. (lien à venir)
Suivant cette feuille de route, laissez-moi vous conter aujourd’hui l’histoire d’une économie primitive et libre et de son évolution progressiste vers l’utopie socialiste.
Un village rustique
La peuplade dont je vous narre le « combat social » s’était installée le long d’un fleuve, en une région si désertique qu’il suffisait de s’éloigner de quelques lieues pour que la terre devienne stérile. Et parmi les terres cultivables, possédées par les capitalistes, celles les plus proches du fleuve donnaient les meilleurs fruits, jusqu’à 100 quintaux de blés l’année, tandis que les terres des champs les plus éloignés avaient des rendements parfois deux fois moindres. Voici une carte des champs et de leurs rendements.
Allocation et salaires dans un marché libre
La culture d’un champ nécessitait l’emploi d’un travailleur à temps plein. L’organisation de la production et des échanges était laissée aux principes de la liberté et du consentement mutuel, ce qu’on appelle aujourd’hui la loi du marché.
Comme la peuplade comprenait 25 paysans, l’issue du marché fut la suivante.
- Les 25 champs les plus productifs furent mis en culture ;
- Et le salaire des paysans fut fixé au niveau du rendement du 26ème champ le plus fertile, soit 65 quintaux de blé pour l’année.
Il était impossible qu’il en soit durablement autrement. En effet, à supposer que le salaire fut en dessous de 65 quintaux de blé par paysan, alors des propriétaires de champs n’étant pas parmi les 25 les plus productifs trouveraient rentables de mettre leur terrain en culture. Ainsi, ils priveraient les champs les plus proches de la rivière de main d’œuvre, et ces derniers seraient contraints d’élever leurs salaires jusqu’à 65 quintaux pour s’assurer que ceci ne se produise plus. Inversement, si le salaire devait trop largement dépasser 65 quintaux, on ne trouverait pas 25 champs rentables, et certains paysans se retrouveraient sans travail. Une telle situation mettrait les travailleurs en concurrence pour un nombre d’emplois insuffisants et ferait baisser les salaires jusqu’à 65 quintaux.
C’est la dure loi du marché que le marché du travail n’est à l’équilibre que lorsque le niveau des salaires est égal à la productivité du meilleur emploi non existant.
Le salaire minimum
Un jour, les villageois se réunirent pour élire un chef. C’était un homme progressiste et très généreux qui leur avait promis à tous davantage de blé pour nourrir leurs familles. Qui pouvait contester l’humanisme d’une telle idée ? Aussi son premier acte en tant que gouvernant fut de décider que les salaires seraient désormais égaux à 80 quintaux de blé, et non plus à 65.
Hélas, un certain nombre de champs produisant moins de 80 quintaux, leurs propriétaires décidèrent logiquement de ne plus les exploiter. Seuls 20 champs restant en culture, 5 paysans se retrouvèrent sans emploi.
Évidemment cela créa du mécontentement, et certains se sentirent floués par la mesure. Pour autant, à l’élection suivante, le chef fut réélu avec 80% des voix, soit celles des 20 paysans ayant profité de sa politique.
Une charge sociale pour aider les chômeurs
Mais comme le grand chef était un homme très généreux et non un politicien soucieux de ses seuls électeurs (ce qui n’est pas toujours le cas), il eut pour souci de secourir ces nouveaux démunis.
Il décida donc que désormais, de chaque champ cultivé serait prélevé 5 quintaux de blé l’année afin de nourrir les chômeurs. Pour les propriétaires de champs, cela était finalement assez semblable à une baisse de 5 quintaux du rendement de leur terre. Aussi, deux des champs ne produisant que 80 quintaux, il n’apporterait à leur propriétaire que 75 quintaux de les cultiver. Mais cette culture coûtant les 80 quintaux du salaire minimum, les deux champs en questions furent mis en jachère en attendant des jours plus propices aux affaires… et les deux paysans qui les exploitaient vinrent s’ajouter à la masse des nécessiteux, désormais au nombre de 7.
Réduction du temps de travail
Le chef eut alors une dernière idée. S’il n’y avait désormais plus assez de champs mis en culture pour occuper tout le monde, il fallait simplement qu’un champ occupe plus d’une personne. Pour cela, son idée était de réduire le temps que la loi autorisait à travailler quotidiennement. Ainsi, un technocrate avait-il calculé qu’il ne faudrait plus 1 mais 1,1 travailleur pour cultiver un champ. Aussi, était-il convenu qu’une telle mesure accroîtrait de 10% l’offre d’emploi. On convoqua les 18 paysans ayant toujours un emploi pour leur demander leur avis – cela s’appelait le dialogue social – et ces derniers exigèrent que cette mesure n’entraina point de baisse des salaires. Ce qui fut accordé.
Ainsi, il coûtait désormais 80*1,1=88€ d’exploiter un champ. Et les champs dont le rendement était inférieur à ce coût furent à leur tour laissés en friche. Seuls les 12 champs bordant le fleuve furent laissés en culture, occupant 13,2 paysans. Les 11,8 autres se retrouvant sans emploi.
Plus tard, la situation catastrophique contraignit le chef socialiste à s’allier à la prêtresse des flots pour assurer sa réélection. Mais en échange de son soutien, cette dernière exigea qu’il soit interdit de cultiver les champs bordant le fleuve car l’agriculture, en ces endroits, troublait la quiétude des crocodiles sacrés… Mais je préfère arrêter ici ce chapitre et laisser le reste à votre imagination.
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Sur le web.
@ Acrithène
Il y une petite erreur (ou quelque chose qui m’échappe). Tu dis que le prélèvement de 5 quintaux est « assez semblable à une baisse de 5 quintaux du rendement de leur terre », ce qui est parfaitement exact du point de vue du propriétaire.
Mais la production totale, elle, ne change pas! Les champs qui produisaient 100 avant produisent toujours 100.
Le fait d’assimiler les prélèvements à une baisse de rentabilité afin de savoir quels champs ne seront plus cultivés marche très bien, mais pour le calcul de la production (réelle) totale, ça ne marche pas.
Bref, dans le dernier tableau, la production totale (réelle) est de 1200 et pas 1140.
D’ailleurs le chef du village et ses amis auto-proclamés défenseurs du bien commun ont maintenant beau jeu de faire remarquer que les paysans du village ont aujourd’hui la plus forte productivité de tout le pays, puisqu’elle est passée de 87.4 quintaux / travailleur à 90.91 quintaux / travailleur, et que ce sont ces salauds de propriétaires qui, non contents de licencier 11.8 paysans, s’en mettent plein les poches sur le dos des pauvres travailleurs.
C’est ça la magie du socialisme: on baisse la production totale, on augmente le chômage et grâce à tout cela, la productivité augmente!
Bien vu, pas fait gaffe à mettre à jour la fonction excel. Bon cela ne change pas fondamentalement le raisonnement et les résultats 😉
Non, c’est sûr 😉
Mais personnellement ça m’a perturbé lorsque j’ai voulu montrer qu’en mettant en place des mesures débiles comme celles décrites, qui font diminuer les richesses créées, qui causent du chômage etc., on en arrive à faire… augmenter la productivité! Normal en même temps quand on interdit aux moins productifs de travailler…
Evidemment, toute similitude avec un pays affichant une productivité parmi les plus élevée au monde et dans lequel les syndicats se plaisent à ressortir en permanence cette stat pour démontrer la « supériorité » du système par rapport aux enfers ultra-néo-méga-hyper-giga-libéraux est purement fortuite…
Parce que le chef du village va laisser ces salauds de propriétaires décider de ce qui est mis en culture ou pas ?
non.
Si c’est un « gentil » pur jus, il va les forcer à mettre en culture, ou les exproprier.
Si c’est un « gentil » cynique, il va verser une subvention à ceux qui exploitent les champs les moins productifs, pour compenser le surcout que le salaire minimum et le partage du travail provoque. Subvention payée par une taxe sur les champs les plus productifs. La production moyenne des 25 champs étant de 87,4, le chef peut sans problème imposer un salaire de 87 ; avec 80 il est encore « gentil », puisqu’il « laisse » aux infâmes propriétaires une ignoble « rente » de 175 q (sur laquelle il prélèvera le juste salaire du planificateur –lui-même–, comme il se doit : 160 –le double du salaire du travailleur — ne seront pas de trop pour ce travail de romain, et les propriétaires seront encore gagnants…)
Paradoxalement, cette fable ne peut pas être convaincante. Soit elle peut être comprise, et ça veut dire qu’un planificateur central est capable d’assurer la même production qu’un marché libre, moyennant un paquet de régulation ad hoc. Soit elle ne peut pas être comprise, et elle ne sera pas non plus convaincante.
Dommage…
Je la trouve au contraire très efficace, beau travail !
La prêtresse des flots ou la prêtresse du flot ?
Que des détails soient oubliés dans une modélisation, ça se comprend, mais que des fondements même du modèle 101 le soient, c’est totalement ridicule.
Le modèle de l’article oublie :
-l’Inflation
-Le fait que le « capitalisme » est fondé sur l’emprunt. Et donc sur une valeur estimée du champ, pas uniquement sur sa production. Dès lors ce seraient les champs « du milieu » qui y gagneraient : au calme, profitant du paysage, peu de pollution, et une utilisation « libre » du terrain sans pour autant perdre le confort puisque le terrain reste fertile.
-Mettre un salaire minimal bien au delà du salaire moyen des paysans n’est jamais arrivé. Et si cela avait été le cas, cela aurait créé une telle inflation que les paysans des champs les plus producteurs seraient devenus proprio de leurs champs.
La prudence est reine dans toutes les sciences. Lorsqu’on « débarque », il vaut mieux ne pas prétendre mettre le modèle 101 par terre en 10min de réflexion. Et si vraiment on le veut, Il ne faut pas écrire un commentaire sur Contrepoints mais envoyer un papier au Journal of Economics pour révéler au monde son génie.
Ici les salaires sont réels, et non nominaux, vous pouvez ajouter tous les phénomènes monétaires que vous souhaitez, cela ne changera rien vu qu’on étudie ici des prix réels (corrigé de l’inflation si vous préférez).
Il suffit que le salaire minimum soit au dessus du niveau de marché pour que les phénomènes décrits aient lieu. Or comme mettre un salaire minimum en dessous du prix de marché n’a aucun sens, votre remarque non plus.
Premièrement je n’ai pas mis « le modèle 101 par terre ». Je dis juste que quand on simplifie (c’est ce qu’affirme l’article) un modèle (donc qui est déjà simplifié, dans un but pédagogique), on ne peut pas oublier certains phénomènes non négligeables.
Bon, certes, je ne suis pas un « expert » en économie, mais je remarque que tels que présentés certains chiffres sont biaisés, comme ceux du salaire minimum. En effet l’article ne se contente pas de mettre un salaire « au dessus du niveau du marché », mais le met au dessus de la moyenne des salaires. Or dans la réalité la moyenne des salaires est bien plus haute que le salaire médian, mettre un salaire minimum au dessus du salaire moyen (et donc du médian) c’est totalement absurde et dès lors les conséquences économiques seraient bien plus dures que celles décrites plus haut.
A l’opposé de ces imprécisions, arrivent des démonstrations tout à fait réalistes, notamment en ce qui concerne la montée « mécanique » de la productivité une fois le temps de travail (avant heure sup) réduit.
Qu’est-ce qui est difficile à comprendre dans le fait que, lorsque le salaire minimum est supérieur à la productivité des activités les moins productives, ces activités disparaissent inéluctablement, au détriment de tous ?
Pourtant, c’est précisément ce qui se passe avec le smic tel qu’il est imposé en France (plus de 2000 euros par mois pour le brut patronal) : le smic est indubitablement supérieur à la productivité moyenne (et donc au salaire moyen) de nombreux secteurs d’activités.