Les causes du chômage ne se trouvent pas à nos frontières mais à l’intérieur du pays, la « compétitivité des nations » étant un faux concept.
Par Acrithène.
Suite de ma série de billets sur l’emploi… Je propose dans ce second billet de remettre la question de la mondialisation à sa juste place dans le débat sur le chômage, c’est-à -dire à une place bien moins centrale que celle que lui donnent les hommes politiques, les syndicats et les journalistes.
L’enjeu le plus important sera de vous convaincre que les causes du chômage ne se trouvent pas à nos frontières, mais à l’intérieur du pays, et d’éjecter le concept pipologique de la compétitivité des nations.
Oubliez la compétitivité !
Le débat économique est régulièrement pourri par des notions qui ne sont pas pertinentes. La compétitivité en est un des meilleurs exemples.
Ce concept obsède les politiciens pour deux raisons.
La première est que chacun y trouve son intérêt. Certains en font une contrainte obligeant à réduire le coût du travail et à accroître la productivité, les autres s’en servent pour justifier davantage de protectionnisme.
La seconde raison est que la compétitivité est un concept tellement répandu par les commentateurs et accepté par le grand public, qu’il est impossible de la déclarer hors sujet.
Pourtant, appliquée aux nations, la compétitivité est une arnaque intellectuelle. Elle agglomère grossièrement un certain nombre de concepts économiques, principalement les coûts, la productivité, la qualité… et les analyse dans le cadre d’une relation de rivalité. Cette analyse est viciée pour deux raisons grossières :
- La réduction des coûts, les gains de productivité et les améliorations qualitatives sont des fins en soi, et ce même dans une économie autarcique. Loin d’être les moyens de la compétitivité, c’est la compétition qui constitue un moyen d’inciter les individus à réaliser ces objectifs.
- La rivalité entre deux groupes suppose a) une communauté d’intérêt claire au sein de chaque groupe et b) une divergence d’intérêt entre les deux groupes. Or, lorsque Mercedes baisse le prix de ses automobiles, peut-on dire que « la France » est lésée ?  Renault peut-être, mais les consommateurs français, qu’il s’agisse de particuliers ou d’autres entreprises, certainement pas. Aussi, le raccourci qui consiste à décrire une compétition entre France et Allemagne au même titre qu’il existe une compétition entre Mercedes et Renault n’est pas pertinent.
Suis-je une espèce de marginal qui ne comprend rien au monde ?
Alors que j’écris ce billet, j’ai à côté de moi l’excellent Economie Internationale de P. Krugman (Princeton) – espérons qu’il m’apporte quelque crédit auprès des keynésiens qui l’adorent – et M. Obstfeld (Berkeley), un manuel de 700 pages réputé être la référence sur le sujet, et dont l’index passe sans ménagement de « Comores » à « Compte courant ». Ces gens-là , non plus, ne croient pas le concept de compétitivité pertinent.
Les avantages comparatifs
Si je classe la compétitivité dans les notions hors sujet, il me faut vous proposer un cadre de réflexion alternatif. Pour la plupart des gens, si un pays ne peut rien faire mieux que le reste du monde, alors il sera incapable d’exporter quoi que ce soit. Pourtant, note Paul Samuelson avec un peu de sexisme, ce n’est pas parce qu’un avocat sait tout mieux faire que sa secrétaire qu’il la met au chômage. Le principe sous-jacent à la remarque de Samuelson est celui des avantages comparatifs, énoncé par David Ricardo au début du XIXe siècle.
Prenons deux villages et deux biens, le blé et les moutons. Le tableau suivant résume le nombre de travailleurs nécessaires à la production d’une unité de mouton et d’une unité de blé dans chaque village.
Dans cet exemple, le village A semble plus « compétitif » que le village B. On s’attendrait donc à ce que le village B soit incapable d’exporter le moindre bien. C’est ce que dirait l’analyse des compétitivités. Pourtant…
Un travailleur qui souhaiterait acquérir une unité de mouton, aurait deux stratégies : la produire, ou produire du blé pour l’échanger contre une unité de mouton. S’il adopte la stratégie de l’échange, il obtiendra [Production de blé par personne]*[Prix du blé] en monnaie, puis devra diviser ce résultat par le prix du mouton pour obtenir le nombre d’unités de mouton que lui apportera sa production de blé.
Autrement dit :
- la stratégie « produire du blé pour acheter du mouton », permet d’acquérir [Production de blé par personne]*[Prix du blé]/[Prix du mouton] unités de moutons.
- Similairement, la stratégie « produire du mouton pour acheter du blé », permet d’acquérir [Production de mouton par personne]*[Prix du mouton]/[Prix du blé] unités de blés.
Distinguons désormais trois cas :
[Prix du blé]/[Prix du mouton] < 1/2
Dans les deux villages, pour obtenir du blé, il vaut mieux produire du mouton puis l’échanger. Je vous détaille l’analyse pour le village A, et laisse la vérification des autres cas à votre guise.
- Dans le village A, un travailleur peut produire une unité de blé.
- Ou bien produire une demie unité de mouton, qui, multiplié par [Prix du mouton]/[Prix du blé] donneront davantage que 1 unité de blé car [Prix du mouton]/[Prix du blé]>2. Cette stratégie est donc plus avantageuse que la première.
La même analyse conduira l’habitant du village B à adopter la même stratégie. Ce cas est absurde, car si tout le monde produit du mouton pour acheter du blé, à qui achètera-t-on le fameux blé ? Le marché serait déséquilibré et le prix du blé s’envolerait, ramenant le ratio des prix au-dessus de 1/2.
[Prix du blé]/[Prix du mouton]> 2/3
Dans les deux villages, pour obtenir du mouton, il vaut mieux désormais produire du blé puis l’échanger. À nouveau, le marché est déséquilibré car tout le monde veut acheter du mouton alors que personne n’en produit. Le prix du blé s’écroulera, ramenant le ratio en dessous de 2/3.
1/2 < [Prix du blé]/[Prix du mouton] <2/3
C’est le seul cas plausible et stable. Il est intéressant pour le village A d’adopter la stratégie de culture du blé en vue de l’achat de mouton, et pour le village B la stratégie de l’élevage de moutons en vue de l’achat de blé. Alors, le village A exportera du blé, et le village B du mouton.
Je ne m’attarde pas trop, et vous renvoie à l’article Wikipédia pour comprendre comment cette coopération améliore le bien-être des deux villages.
Pour faire court, chaque village doit renoncer à moins d’unités de blé pour acquérir une unité de mouton et inversement. Ce qui est important à saisir pour notre sujet, c’est qu’une analyse pertinente des rapports commerciaux entre nations ne repose pas sur une simple comparaison des performances d’un pays par rapport à un autre, mais d’une comparaison inter-branches/inter-pays. Le statut d’exportateur de moutons du village B ne provient pas de sa supériorité dans l’élevage d’ovins, mais du fait que sa productivité ovine est, comparativement à sa productivité céréalière, meilleure que dans le village A. Par exemple, si sa productivité céréalière s’envolait soudainement, le village B passerait d’exportateur à importateur de moutons, alors même que les conditions d’élevage des moutons resteraient inchangées dans les deux villages.
La question des travailleurs peu qualifiés
L’objet principal de cet article était avant tout de mettre à terre un débat absurde, et je n’ai pas pour l’instant tant parlé explicitement de l’emploi.
C’est simplement parce que le sujet des échanges internationaux s’y prête beaucoup moins qu’on le croit, bien que les gouvernants cherchent à mettre la question des échanges au centre du débat pour éclipser leurs responsabilités intérieures. Je rappelle une dernière fois que je ne crois pas que la productivité, les coûts ou la qualité soient sans rapport avec l’emploi, mais juste que ce rapport précède et dépasse toute considération internationale.
Cela ne signifie pas qu’il n’y ait aucune problématique légitime liant le marché du travail aux échanges internationaux. En particulier, lorsqu’on introduit dans le modèle de Ricardo plusieurs types de travailleurs non substituables, on conserve le résultat global d’un gain au libre-échange, mais on découvre que certains types de travailleurs peuvent (pas nécessairement) être lésés : en particulier ceux dont la rareté (et donc la valeur) est anéantie par l’ouverture des frontières (théorème de Stolper-Samuelson). Je pense notamment aux travailleurs peu qualifiés, aux délocalisations etc.
Si suivant l’idée qu’on doive refuser que les salaires passent sous un certain seuil « humaniste », comme le défendent les supporters du SMIC, le commerce international pourrait donc créer du chômage. On paierait alors le refus de la baisse des salaires de ces travailleurs par la hausse du chômage qui les affecte. Dans le bullshit politico-médiatique, on pourrait peut-être, et très vaguement, rapprocher cette idée de celle du dumping social.
Plusieurs arguments réduisent considérablement la portée du résultat de Stolper et Samuelson.
D’abord, ces travailleurs sont principalement consommateurs de produits à faible valeur ajoutée. Leur pouvoir d’achat est donc très positivement affecté par le libre-échange avec des nations disposant d’une main-d’œuvre bon marché abondante. Rien ne devrait faire plus plaisir à ces travailleurs que la baisse du prix des denrées alimentaires maintenus artificiellement haut par la politique agricole commune. De même, les industries qui les emploient sont consommatrices de biens intermédiaires et sont plus productives grâce à l’importation de ces biens à bon marché.
Une deuxième objection importante est l’effet dynamique de l’ouverture. Analyser le partage d’une production fixe de biens manufacturés entre ouvriers de pays pauvres et riches est un raccourci. En accroissant la richesse des pays pauvres le commerce accroît aussi la consommation de biens manufacturés. Demandez à un syndicat allemand ce qu’il pense des débouchés chinois…
Troisièmement, comme l’a bien expliqué Krugman, les délocalisations (qui soit dit en passant se font très largement de pays riches à pays riches) cachent un phénomène plus profond qui est le changement des modes de production. Entre l’option de la main-d’œuvre occidentale et celle de la main-d’œuvre des pays émergents se trouve celle de l’automatisation. Les emplois délocalisés auraient pour la plupart disparu de toute manière sous l’effet du changement technique (ce qui n’est pas pour autant créateur de chômage).
Si l’on combine les deux dernières objections, on peut raconter une histoire assez intéressante, que je pique à J. Bhagwati (Columbia). L’ouverture commerciale se serait substituée à la robotisation de manière très favorable, dans la mesure où un ouvrier taïwanais consomme davantage de biens manufacturés qu’un robot allemand. Les ouvriers européens trouveraient en effet un moindre désavantage à voir un de leurs emplois européens peu qualifiés offert à un Taïwanais, qui en retour créera une demande de biens manufacturés, qu’à un robot allemand qui n’adressera de la demande qu’à des ingénieurs et techniciens qualifiés.
Par ailleurs, le théorème Stolper-Samuelson raisonne, comme Ricardo, à productivité constante. Or, l’hypothèse la plus probable est que la spécialisation améliore la productivité, soit par apprentissage soit par rendements d’échelles, et il est raisonnable de penser que cet effet d’enrichissement généralisé l’emporte.
Enfin, admettons un instant que les travailleurs peu qualifiés soient effectivement lésés par le commerce mondial. Laissez-moi alors ajouter un argument mathématique qui fera frémir les libéraux qui me lisent, mais dont l’objet est principalement de convaincre les autres du mal fondé des entraves au commerce au nom de l’emploi. Pour soigner cette lésion, faut-il opter pour le protectionnisme ? Le fait que, même dans le modèle de Stolper et Samuelson, la richesse nationale globale augmente grâce au libre-échange implique qu’il existe une combinaison libre-échange + redistribution qui soit, du point de vue de chacun, strictement supérieure à une correction protectionniste ou à un obstacle à la liberté des salaires. Lorsque grandit la taille d’un gâteau, il est toujours possible, quitte à opter pour la redistribution, de rendre tout le monde plus heureux que quand le gâteau était plus petit ! Ce qui ne signifie pas que je défends cette option…
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Sur le web.
Références :
- P. Krugman & M. Obstfeld, International Economics, Pearson, 2006
- D. Ricardo, On the Principles of Political Economy and Taxation, 1817
- J. Bhagawati, Free Trade Today, Princeton University Press, 2002
- W. Stolper & P. Samuelson, « Protection and Real Wages », Review of Economic Studies, 1941
RT @Contrepoints: Politique de l’Emploi (2/3) : Le leurre de la mondialisation Les causes du chômage ne se trouvent pas à nos f… http: …
Faut rire ?
Si le travailleur du village A gagne 10 sesterces /mois et celui du B 1 seul, le seigneur ne va faire travailler 2 fois plus le B et le A vendra son terrain à un qatari pour vivre … en attendant de rejoindre le B.
« C’est sous l’égide du ouinouin rose Jacques Delors, ministre du Dépeçage et du Déficit du Dieu décoré de la Francisque, que la loi bancaire 84-46 du 24 janvier 1984 (dite de « modernisation » !) abrogea la loi du 2 décembre 1945 (séparation des banques d’affaires, dépôts, crédits, contrôles par des commissaires du gouvernement). Elle fit disparaître la distinction fondamentale des activités bancaires sous un titre unique, les « établissements de crédit » , les libérant ainsi de toute contrainte sur l’origine et l’investissement de leurs ressources. C’est ce que les ouinouins roses nommèrent fièrement « banque universelle rose » . Aujourd’hui, la banque benête est devenue un véritable oligopole contrôlé par 4 Seigneurs Capitalistes (ils ont tout avalé) : BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole et Caisse d’épargne-Banque populaire. En 2008, Société générale, à elle seule, a évacué vers une structure de défaisance (fosse septique formée des contribuables benêts) près de 45 milliards d’euros de titres toxiques. Pour financer la connerie rose, le ouinouin Delors a titriser la dette du Benêtland (marché des OAT, devenue négociable à court terme au contraire des anciens bons du trésor), créé les bases du Monep et du Matif, et ainsi engraissé les Seigneurs Spéculateurs.
Dans la foulée, la titrisation de la dette benête a été introduite par la loi du 23 décembre 1988, sous l’impulsion de Pierre Bérégovoy. Vu la faillite et le besoin exponentiel d’endettement, il fallait appâter les Seigneurs Capitalistes par de juteuses spéculations sur le dos du benêt … Plus tard la limace rose à impôts, Flamby Normal 0 ième, criera au scandale … dans la grande tradition du concours de la caste.  » Extrait de « Le foutage de gueule sexialiste » Éditions Impériales
http://www.cheminade2012.fr/Le-Glass-Steagall-Global-et-le-precedent-francais_00242
http://fr.wikipedia.org/wiki/Titrisation
http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0202011112235-hollande-demande-a-l-allemagne-d-annuler-le-nouveau-contrat-sur-les-obligations-francaises-312581.php
Fautes d’orthographes, Cheminade, des bouts de Glass-Steagall act : tous les poncifs les plus usés y sont.
Il manque Lordon quand même …
nan, pas tous. il manque la loi de 73. Yéti est un troll FN
Et sinon, un commentaire par rapport à l’article?
« Aujourd’hui, la banque benête est devenue un véritable oligopole contrôlé par 4 Seigneurs Capitalistes (ils ont tout avalé) : BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole et Caisse d’épargne-Banque populaire. »
des purs capitalistes en effet
http://blog.morsay.net/post/33489215817/ce-nest-pas-ca-le-capitalisme