Le droit de chasse bouscule les libertés publiques, qu’il s’agisse du droit de propriété ou de la liberté d’association.
Voilà déjà bien longtemps que le droit de chasse bouscule les libertés publiques, qu’il s’agisse du droit de propriété ou de la liberté d’association. Dans la décision Chabauty c. France du 4 octobre 2012, le requérant conteste devant la Cour européenne les dispositions de la loi Verdeille du 10 juillet 1964. Celles-ci contraignent les propriétaires de terrains dont la superficie est inférieure à vingt hectares, à adhérer à une association de chasse agréée, sauf si leurs convictions personnelles s’opposent à la pratique de la chasse. Le requérant, lui-même petit propriétaire et peu désireux d’intégrer ses terres dans une telle association, ne peut s’appuyer sur des considérations éthiques puisqu’il est lui même chasseur. La Cour refuse de lui donner satisfaction, faisant prévaloir l’intérêt général poursuivi par la loi Verdeille sur des intérêts purement patrimoniaux.
La loi Verdeille
La loi Verdeille organise la création d’associations communales, ou intercommunales, de chasse agrées (ACCA et AICA). Ces associations, régies par la loi du 1er juillet 1901, donnent lieu à un agrément préfectoral. Elles sont obligatoires dans vingt-neuf départements, sans doute les plus giboyeux, et facultatives dans les autres. Dans l’hypothèse où elles sont facultatives, leur création est alors subordonnée à l’existence d’une demande émanant d’au moins 60 % des propriétaires représentant 60 % des terrains situés sur le territoire de la commune. Une fois l’association créée, tous les chasseurs membres de l’ACCA ou de l’AICA perdent l’exclusivité du droit de chasse sur le terrain dont ils sont propriétaires, mais ils gagnent le droit de chasser sur l’ensemble du territoire de l’association. Il s’agit de favoriser une meilleure gestion des ressources cynégétiques, de lutter contre le braconnage, de garantir le caractère démocratique de la chasse puisqu’elle n’est pas réservée aux seuls propriétaires de terrains, mais aussi, et surtout, d’offrir aux chasseurs une zone de chasse plus étendue.
Ces principes ont servi de justification à d’importantes restrictions aux libertés publiques, prévues par la loi Verdeille elle-même.
À la liberté d’association tout d’abord, puisque les propriétaires des terrains d’une superficie inférieure à vingt hectares sont tenus d’adhérer à l’ACCA. Or, la liberté d’association implique le droit d’adhérer, ou de ne pas adhérer à une association, principe confirmé par la Cour européenne elle même dans son arrêt du 30 juin 1993, Sigurjonsson c. Islande. Au droit de propriété ensuite, dans la mesure où les propriétaires contraints d’adhérer à une ACCA ne sont plus entièrement libres d’affecter leur bien à l’usage de leur choix.
Le droit de refuser la chasse
La Cour européenne, dans une décision Chassagnou et autres c. France du 29 avril 1999, a reconnu l’existence d’une double atteinte à la liberté d’association et au droit de propriété, respectivement garantis par l’article 11 de la Convention et l’article 1 du Protocole n°1. Pour la liberté d’association comme pour le droit de propriété, elle a estimé que les contraintes imposées aux propriétaires de terrains étaient disproportionnées par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis par le législateur, particulièrement lorsque les intéressés refusent d’adhérer à une ACCA pour des motifs liés à leurs convictions personnelles, c’est-à-dire lorsqu’ils sont hostiles à la chasse et veulent faire de leurs terres un refuge pour les animaux.
Sous l’influence de cette jurisprudence, le parlement a voté la loi du 5 juillet 2000 qui modifie la loi Verdeille. Elle prévoit que les terrains dont les propriétaires ont clairement manifesté leur opposition à la chasse par conviction personnelle ne seront pas intégrés dans le territoire de l’association, quelle que soit leur superficie. C’est donc un véritable droit de refuser la chasse qui est établi, pour des motifs liés aux convictions du propriétaire des lieux.
Le droit de propriété
Dans l’affaire Chabauty c. France, la situation est un peu différente, car le requérant n’a pas de convictions hostiles à la chasse. Au contraire, il est titulaire d’un permis de chasse et veut conserver le contrôle entier de ses terres, afin de les louer à d’autres chasseurs, opération plus lucrative que l’adhésion à une ACCA. Il appuie donc son recours sur le non respect de l’article 1er du Protocole n° 1 et de l’article 14 de la Convention, c’est-à-dire sur une discrimination qui entraverait sur l’exercice de son droit de propriété.
En effet, la loi de 2000, issue de la jurisprudence Chassignou, a autorisé tous les propriétaires à opposer une certaine forme de « clause de conscience » pour refuser de participer à une ACCA. Mais pour ceux qui ne peuvent s’appuyer sur des motifs d’ordre éthique, comme M. Chabauty, la distinction entre grands et petits propriétaires subsiste. Ceux qui possèdent plus de vingt hectares peuvent se soustraire à l’obligation d’adhérer à l’association de chasse, les autres y demeurent contraints, conformément au principe traditionnel de la loi Verdeille. Pour le requérant, cette distinction entraine une discrimination dans l’exercice de son droit de propriété.
La Cour rappelle qu’une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle dépourvue de « but légitime« , ou si les moyens employés ne sont pas proportionnés au but poursuivi. En l’espèce, elle se réfère à la jurisprudence française du Conseil d’État qui estime que la création des associations de chasse repose sur un « motif d’intérêt général, visant à prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique« . La condition du « but légitime » est donc acquise. Quant aux moyens employés, ils ne sont pas disproportionnés, puisque le petit propriétaire peut toujours invoquer des considérations éthiques pour refuser d’intégrer ses terrains dans l’ACCA.
L’arrêt Chabauty c. France refuse un élargissement de la jurisprudence Chassignou, élargissement qui reposerait sur motifs pour le moins personnels. Le requérant, en effet, n’est pas mû par son refus éthique de la chasse et la volonté de faire de ses terres un havre de tranquillité pour les animaux. Il refuse d’intégrer ses terres à l’association de chasse pour mieux les louer à des chasseurs. Il recherche simplement le plus grand profit, et la Cour européenne a sans doute ressenti quelque répugnance à l’idée de donner satisfaction à une revendication faisant prévaloir, non sans cynisme, l’intérêt privé sur l’intérêt général.
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Sur le web.
Pour autant que je puisse en juger l’analyse est bien menée et surtout avec une clarté remarquable qui honore l’auteur.
En revanche la conclusion me choque. En effet cette loi n’est rien molns qu’une dépossession d’une partie du droit de propriété et je ne vois pas le cynisme du propriétaire aux motifs évoqués. Qu’en serait-il d’un propriétaire qui refuserait la chasse pour pouvoir louer son étang, ou ses bois à une association écolo pour pouvoir observer les animaux chez lui réfugiés ?
Y aurait-il une propriété « bien pensante »? Dans un pays à tendance collectiviste certainement !
Merci pour l’article.