Un petit regard sur les épisodes historiques de surendettement public peut nous offrir quelques leçons pour la France qui a vu cette année sa dette publique dépasser le cap des 90% du PIB.
Par Acrithène.
Cette année, la dette publique de la France a franchi le cap des 90% du PIB. Si la crise européenne est inédite à de nombreux égards, c’est loin d’être la première fois que des économies avancées atteignent un tel niveau d’endettement. Aussi un petit regard sur les épisodes historiques de surendettement public peut-il nous offrir une perspective sur les conséquences du franchissement de ce cap.
Carmen Reinhart (Harvard), Vincent Reinhart (Morgan Stanley) et Kenneth Rogoff (Harvard) ont répertorié 26 occasions au cours desquelles des économies avancées avaient franchi le seuil des 90% et présentent les caractéristiques de ces épisodes dans le Journal of Economic Perspectives de cet été [1].
Trois grands enseignements sont à retenir de ce retour sur l’histoire des deux derniers siècles :
- Lorsque la dette publique dépasse les 90% du PIB, la croissance économique est significativement affectée.
- Ce ralentissement économique n’est pas empêché par le maintien de taux d’intérêts faibles, tels qu’en bénéficient actuellement des pays comme l’Allemagne ou la France.
- Enfin, et surtout, lorsque la dette publique franchit le seuil des 90%, c’est en moyenne pour une durée proche du quart de siècle !
Les précédents historiques
La frise historique droite représente les épisodes de surendettement (>90% du PIB) des économies avancées depuis deux siècles. Si ni l’Allemagne, ni la Suisse, ni le Danemark ou ses voisins scandinaves n’y figurent, c’est qu’ils n’ont à ce jour jamais atteint ce niveau de dette. Au contraire, certains pays comme l’Italie ou la Grèce semblent être abonnés au surendettement depuis leur existence moderne. Cela laisse songeur quant aux effets pervers du secours que nous leur portons en nous imaginant naïvement que cela n’impactera pas la bonne tenue de leurs comptes publics dans le futur.
D’autres nations comme la France et le Royaume-Uni ont connu pendant de longues périodes de tels niveaux d’endettement, en grande partie de par leur engagement dans les affaires du monde. D’ailleurs, il semble qu’avant la Seconde Guerre mondiale, la guerre perpétuelle entre les nations européennes les condamnait éternellement à l’endettement massif.
La première source du surendettement, c’est donc les guerres, les conflits napoléoniens et mondiaux représentant trois épisodes importants. L’« avantage », c’est que pour les pays n’étant pas soumis aux réparations de guerre (comme la France de 1870, ou l’Allemagne de 1918), les dépenses à l’origine de l’endettement disparaissent d’elles-mêmes. La durée de ces endettements est assez variable. Les pays du Benelux, très fortement touchés par la Grande Guerre se sont pourtant débarrassés de leur dettes en quelques années tandis que le Royaume-Uni a maintenu un endettement public supérieur à 90% du PIB de 1917 à 1964, soit pendant près d’un demi-siècle ! Les guerres de plus faible ampleur peuvent aussi créer de forts niveaux endettements : j’évoquais dans un autre article la dette d’indépendance des États-Unis.
L’autre source évidente de dette, ce sont les crises économiques : la dépression de 1873-1896, la crise des années 1930, la crise des subprimes. Elles se conjuguent d’ailleurs assez souvent avec les conflits armés. Je vous avais en revanche montré que la dette actuelle n’était pas une conséquence de la fin des Trente Glorieuses, mais en était en grande partie l’héritage.
Il y a enfin les endettements qui surgissent au milieu de la paix et de la prospérité. Dans le cas de l’Italie et de la Grèce contemporaines, la convergence de l’inflation en vue de l’intégration monétaire a pu y participer. La chute soudaine de l’inflation fait s’envoler les taux réels sur l’ancienne dette. Certains y verront le signe que l’inflation est la solution pour faire disparaître la dette… En vérité cela montre que l’inflation est une forme d’imposition pernicieuse, qui en disparaissant, plombe le budget des États.
La principale cause de la dette de paix et de prospérité est l’État-Providence. On peut dire qu’il s’agit de la dette la plus douloureuse, car ses causes ne disparaissent ni avec l’armistice ni avec le retour d’une conjoncture favorable.
Mais au-delà de l’origine des surendettements, ce qui frappe, c’est leur durée. Reinhart(s) et Rogoff calculent que la durée moyenne de ces épisodes de surendettement au-delà de 90% du PIB est de 23 ans. Cela signifie qu’au regard de l’histoire, 2035 paraît une date consensuelle pour un retour de la dette publique française en-deçà de 90% du PIB.
Effets sur la croissance et les taux d’intérêts de la dette publique
Ce quart de siècle de surendettement qui semble nous être promis a-t-il une importance ? Les données recueillies montrent que oui, et surtout que les désagréments ne dérivent pas seulement de la hausse des taux d’intérêts. Autrement dit, ce n’est pas parce que la France et l’Allemagne ont vu paradoxalement leurs taux d’intérêt chuter qu’elles n’ont pas lieu de s’inquiéter pour l’effet de la dette publique sur leur activité économique.
Le tableau qui suit indique, pour chaque pays, ses taux de croissance annuels moyens et ses taux d’intérêt moyen, en distinguant les années où la dette publique était inférieure à 90% du PIB et celles où elle les dépassait. On remarque que l’effet sur les taux d’intérêts est historiquement beaucoup moins clair que l’effet sur la croissance économique. Ainsi, en période de surendettement, les États-Unis empruntent généralement à des taux très inférieurs, mais leur croissance est pourtant extrêmement affectée.
Si l’on tente d’organiser cette analyse par épisode, on constate que s’il n’est finalement pas si rare que les périodes de surendettement coïncident avec des taux d’intérêt réels plus faibles, elles s’accompagnent en revanche dans l’immense majorité des cas d’un ralentissement de la croissance économique. La matrice qui suit indique, pour chaque épisode de surendettement, si les taux d’intérêts et les taux de croissance se trouvaient en-dessous ou au-dessus de la moyenne historique du pays considéré.
Pour prendre pleinement conscience de la gravité du problème, essayons de mettre un chiffre par habitant pour le coût d’un ralentissement de la croissance économique lié au surendettement. Le tableau suivant représente la perte par habitant et par année, au terme d’une période de surendettement public, selon sa durée et la perte de croissance annuelle occasionnée. Je prends le cas du français moyen de 2011, et je prends l’hypothèse que sans dette publique nous aurions une croissance annuelle réelle de 2% par habitant. Si je lis donc la première case en haut à gauche, j’obtiens « si l’épisode de surendettement dure 15 ans et occasionne une croissance annuelle par habitant de 0,50%, alors le français moyen aura un revenu de 6 973€ inférieur à si la croissance avait été de 2% ». 6 973€, c’est plus du quart du PIB français par habitant…
Un tableau plus haut vous montrait que le surendettement pouvait facilement coûter un bon point de pourcentage à la croissance économique, et ce sur une période dépassant souvent les vingt années. Vous constaterez de cette analyse de sensibilité que cela à un coût final énorme sur le niveau de vie.
Les aspects inédits de l’épisode actuel
Par rapport aux antécédents historiques, la crise européennes de la dette publiques a au moins deux caractéristiques inédites : le déclin démographique et la pression fiscale qui s’exercent sur nous.
Commencez par réfléchir à ce petit problème : si l’État a un déficit égal à 5,2% du PIB (France 2011), quelle part du pouvoir d’achat des citoyens doit-il prélever pour résoudre ce déficit ? Une réponse spontanée pourrait-être 5,2%, mais cela néglige l’existence d’impôts préalables.
Dans un pays où les recettes de l’État représentent 50,7% du PIB, les citoyens ne disposent en moyenne, pour leur propre consommation, que de 49,3% du PIB. Aussi si on leur prélève 5,2% supplémentaire, c’est 5,2%/49,3%=10 ,5% de leur pouvoir d’achat dont on doit les priver. Soit le double. Donc, à niveau de déficit égal, plus les impôts existants sont forts, plus la facture est douloureuse pour le pouvoir d’achat du contribuable. En 1912, l’État représentait environ 10% des dépenses de la nation, contre cinq fois plus aujourd’hui. Le poids de 5,2% de déficit dans les consommations privée a donc quasiment doublé !
Pour revenir sur la démographie, depuis le XVIIIème siècle, la population européenne a quintuplé. La dette publique est un processus de Ponzi, et il est évident qu’elle est moins douloureuse quand une personne emprunte mais que deux remboursent. Ainsi que le montrent les projections de l’ONU sur la population mondiale, la population active européenne va décroître dans les décennies futures. C’est la première fois que le poids de la dette par travailleur va croître non seulement sous l’effet de la dégradation des finances publiques mais aussi par déclin de la population active.
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Sur le web.
Référence :
Bravo, c’est brillant ! Tellement simple qu’on ne comprend pas pourquoi que ces faits ne soient pas plus largement partagés !
Très bon article. Merci.
Cela change des médias classiques pitoyables.
Intéressant, cependant comparer l’effet d’une augmentation de la pression fiscale entre 1912 et 2012 sans tenir compte de l’évolution de la productivité et du pouvoir d’achat me semble fallacieux.
De plus, il faut faire attention avec les projections de l’évolution démographique qui sont trop linéaires et donc, ne sont valables que si on continue la tendance à terme.
Bah le fait qu’on soit plus riche est aussi valable pour les comparaisons du ratio Dette/PIB entre 1912 et 2012. Les français de 1912 était aussi moins habitués à la richesse (ils trouveraient fous l’importance que donne un français de 2012 au prix de l’essence). Peut-être qu’une analyse géographique en 2012 de cet effet aurait été intéressante (France vs US par exemple).
Quant à la démographie, les projections de la population active à 25 ans sont quasi certaines – à moins d’un choc migratoire – il ne s’agit que de personnes déjà nées ou à naître dans les 5 années prochaines. Ensuite cela devient plus incertains, mais même la plus grande part de la population active de 2050 est déjà née !
Approche d’analyse originale.
Combinez démographie et mental d’Etats-providence (dans l’U.E.) et vous aboutissez effectivement à votre « processus de Ponzi ». Phénomène devant lequel beaucoup de nos politiciens largement ignares mais soucieux de clientélisme aggravé restent évidemment aveuglés Puis depuis qq décennies s’ajoutent la croissance dopée par des artifices de nature keynésienne. Le tour est joué : sables mouvants garantis !
Je ne pense pas qu’ils soient aveuglés, je pense juste qu’ils n’ont pas le courage de dire la vérité.
pourquoi prendre les analyses de rogoff et reinhardt comme vérité. il existe des modèles non linéaires des effets de la dette (cf le seuil à 110%)
les analyses de rogoff ne sont pas très intéressantes
http://econospeak.blogspot.fr/2010/08/reinhart-and-rogoff-theres-no-there.html
http://cerdi.org/uploads/ed/2012/2012.18.pdf
Où avez-vous vu la moindre analyse, je ne prends à Reinhart et Rogoff que des faits stylisés (durée des épisodes, moyennes…). Vous pensez que 110% est plus pertinent ? Bah, on est à 95% de dette avec 5% de déficit et 0% de croissance, vous n’avez grosso modo que 4 à 5 ans à attendre.
Votre premier lien souligne qu’il ne faut pas généraliser des lois à partir de cas très divers. Je ne crois pas que ce soit ce que je fais, d’ailleurs je consacre toute la dernière partie de mon billet à ce que je crois être des aspects inédits !
Désolé, pas le temps de lire le long article de l’Université d’Auvergne (le rapport signal qualité/temps est trop faible). Peut-être un autre commentateur le fera.
ce n’est pas moi qui prend les 110%. des études récentes (cf supra) montrent des effets non linéaires
@anais
Dans l’article que je cite Reinhart(s) et Rogoff ne considère pas des effets linéaires, vu qu’il utilise une variable dummy below/above 90%.
Par ailleurs, comme le fait remarquer le premier lien que vous donnez, l’échantillon est beaucoup trop hétérogène, et beaucoup trop petit pour en tirer une régression sérieuse, qu’elle soit linéaire ou pas.
J’ai finalement regardé rapidement le papier de l’Université d’Auvergne, franchement, faire des fonctions compliqué à partir de 26 points répartis sur 2 siècle pour en tirer le moindre enseignement, ça n’a donc pas de sens.
Par ailleurs, dans un modèle de stat bien formulé, vous devez avoir une variable explicative et une variable expliquée, ici la dette/PIB et la croissance du PIB. Sauf que la croissance du PIB explique aussi le ratio dette/PIB, ce qui signifie que toute régression, linéaire ou non, entre ses deux variables est ridicule car elles sont mutuellement endogènes.