Parce qu’un con qui marche va toujours plus loin qu’un intellectuel assis, deux frères sont partis sur les routes depuis de longs mois, traversent les frontières, les villes et les campagnes à l’occasion d’un tour du monde à durée indéterminée, sans casques ni golden-parachutes. Au fil de leur voyage, ils livrent leurs impressions sur des expériences qui les ont marqués.
Aujourd’hui, leur regard s’arrête sur la marginalisation de la communauté aborigène.
Par Greg, depuis Darwin, Australie.
Si vous souhaitez voir un Aborigène en Australie, votre meilleure chance est de vous rendre au supermarché. Pas qu’ils soient particulièrement attirés par les métiers de mise en rayon et de tenue de stock mais il se trouve systématiquement un petit groupe à procrastiner à l’entrée du magasin, demander une pièce et/ou picoler. En trois mois sur place, et après avoir traversé le pays du nord-est ou sud-ouest (de Cairns à Perth), je ne me souviens pas avoir vu un seul centre commercial sans « aborigène glandeur » à l’entrée, même au fin fond du bush. Et il est tout à fait certain que j’ai croisé beaucoup plus d’Abos type « chômeurs en fin de droits » qu’en train de bosser. Selon les sources leur espérance de vie est de 10 à 20 ans plus faible que celle des autres Australiens et 10 ans de moins que la moyenne des indigènes au Canada et en Nouvelle-Zélande. Le taux de chômage et d’incarcération est aussi beaucoup plus élevé que pour le reste de la population (un prisonnier sur cinq est aborigène alors qu’ils ne représentent que 3% de la population). Enfin, les Nations Unis ont évalué que les Aborigènes ont la pire qualité de vie au monde après la Chine alors que l’Australie est quatrième de ce même classement.
Il y a 40 ans, les sources d’un tel phénomène auraient été limpides tant l’histoire des Aborigènes avec l’Australie sauce « colonie » est loin d’être rose. Mais au-delà des innombrables injustices et violations de droits que les Aborigènes ont subi, c’est finalement un processus de mise sous tutelle qui s’est lentement installé et qui aboutit aujourd’hui à la marginalisation de ces communautés.
En débarquant en 1770, l’explorateur James Cook « offre » les deux tiers de l’Australie à la Grande-Bretagne au nom du principe de Terra nullius, déclarant que le territoire était donc inoccupé. C’est sur cette base que les Britanniques justifièrent l’expropriation et la colonisation des terres aborigènes. Cette occupation provoqua immanquablement la colère des locaux dont les lances ne soutinrent pas vraiment la comparaison face aux armes à feu européennes. D’après l’historien australien Henry Reynolds, la résistance aborigène continua pourtant pendant bien plus d’un siècle, réussissant parfois à faire fuir les nouveaux arrivants de par leur nombre. Ce à quoi les colons répondaient par de sanglantes représailles. En marge de ces affrontements, les maladies européennes et l’alcool ravageaient les communautés indigènes l’une après l’autre.
En 1838, sont créés les postes de Chef protecteur des Aborigènes dont le rôle consistait à veiller à leurs droits. En contrepartie un contrôle social est mis en place, jusqu’à déterminer quels individus pouvaient se marier, où ils devaient résider, ainsi que la mainmise sur la gestion de leurs moyens financiers. La mise sous tutelle des Aborigènes débute sérieusement.
La politique de « protection » se poursuit dans les années 1860 quand les Aborigènes, accusés de tuer le bétail et de menacer les colons, commencent à être déplacés dans des réserves où des missionnaires furent chargés de les convertir à la chrétienté et aux valeurs de l’homme blanc. Ils n’ont alors d’autre choix que de vivre reclus dans des villages sédentaires, délaissant une vie nomade pluri-millénaire.
En 1869, afin de s’assurer du bien-être des enfants métisses, le gouvernement est autorisé à enlever ces enfants à leurs parents pour les placer au sein d’institutions (missions, orphelinats, internats) ou de familles blanches. Officieusement, le gouvernement parie sur l’assimilation biologique de ces enfants et la disparition des Aborigènes. Ces fameux « Chefs protecteurs » se distinguent quelques décennies plus tard sur la question en déclarant : «Toutes les caractéristiques indigènes de l’Aborigène australien sont généralement éradiquées à la cinquième génération, et le sont invariablement à la sixième. Le problème de nos métis sera rapidement éliminé par la disparition complète de la race noire, et par la submersion rapide de sa progéniture au sein de la blanche.» ou encore «Éliminons les Aborigènes pur-sang et permettons la mixture des métis parmi les Blancs, et peu à peu la race deviendra blanche». Ces enlèvements, aujourd’hui connus sous le nom de Générations volées, se sont poursuivis jusqu’en 1969 et le constat est accablant. Le rapport «Bringing Them Home» dévoilé en 1997, révèle que les enfants placés étaient souvent punis en cas de pratique de leur langue natale, afin de les couper de leurs racines. Parmi 502 cas étudiés, 17% des filles et 8% des garçons des « générations volées » furent victimes d’abus sexuels au sein des institutions d’accueil, des familles d’adoption ou au travail. Les enfants «volés» ont en moyenne, par la suite, connu un taux d’éducation légèrement plus faible que les autres enfants aborigènes, un taux de chômage légèrement plus élevé, et un taux d’incarcération pour crimes et délits trois fois plus élevé.
Les années soixante marquent le début de profonds changements à l’égard des Aborigènes. En 1967, un référendum concernant l’intégration des Aborigènes dans le recensement national est approuvé à 90%. Ils deviennent alors officiellement citoyens australiens. L’année suivante, l’amendement du Pastoral Industry Award entérine la revendication de Vincent Lingiari, qui réclamait un salaire égal aux autres travailleurs. En effet, jusqu’à cette date, les Aborigènes n’étaient payés qu’en rations alimentaires, tabac ou vêtements. En 1970, le statut de Protecteurs des Aborigènes est aboli, et deux ans plus tard, le premier ministre Gough Whitlam verse de la terre dans les mains du même Lingiari, symbolisant le retour des droits de la terre aux Aborigènes Gurindji. Le mouvement du « land right » se poursuit et en 1976, les Aborigènes peuvent revendiquer les terres non aliénées s’ils fournissent la preuve de leur ancienneté territoriale. En 1993, la loi sur le titre de propriété foncière indigène permet de contester la légitimité des droits fonciers de la Couronne britannique. Cela fait suite à la décision un an plus tôt de la Haute Cour d’Australie d’invalider le principe de Terra nullius.
Cependant, les problèmes de discrimination ne disparaissent pas et la dépendance économique prend alors une autre forme dès les années 70. Les revendications salariales obtenues, les éleveurs ne purent plus embaucher autant qu’avant et de nombreux Aborigènes se tournèrent vers les aides de l’État. D’autres, autorisés à rejoindre leurs terres ancestrales mais coupés de leurs traditions depuis des décennies, n’auraient jamais pu survivre de la même manière que leurs aïeuls. Les campements devaient être remplacés par des maisons, il fallait amener l’eau, l’électricité, les routes. Les habitants des communautés se mettent alors à vivre sous perfusion d’argent public passant d’un statut d’exploités à assistés, creusant encore un peu plus le fossé avec le reste de la population.
Dans le même temps, 50% des Aborigènes se sont aujourd’hui intégrés à la société australienne et y occupent tout l’éventail des métiers. Et alors que l’espérance et les conditions de vie des Aborigènes arrosés de subventions sont catastrophiques, les leurs sont comparables à celles des Australiens non-indigènes.
L’activiste aborigène, Noel Pearson, directeur du Cape York Institute for Policy and Leadership qualifie ces aides de sit-down-money (de l’argent pour s’asseoir) fournis par « l’État nounou » et n’a de cesse de critiquer leurs effets pervers. Selon lui :
Le problème de base dans la réforme des affaires autochtones est analogue à celle qui faisait face à l’économie australienne dans les années 1980 et 90 : l’absence généralisée de concurrence dans de trop nombreux secteurs de l’économie, publics et privés. Les gouvernements ont été contraints d’exposer les entreprises publiques et les services publics à la réforme de la compétition. La sclérose analogue affligeant la société indigène est l’absence généralisée de la responsabilité aux niveaux individuel, familial et communautaire. Tout succès de réforme est lié au fait de prendre la responsabilité à la racine.
Les bénéficiaires des aides et les politiques développent un intérêt pour la préservation de leur dépendance mutuelle. Cet intérêt se manifeste par une prise en charge de services par le gouvernement et par le fait que les bénéficiaires considèrent cette assistance comme un droit naturel.
La responsabilité et le pouvoir doivent être restitués aux populations autochtones. Toutefois, le contrôle de la communauté ne fournira pas toutes les réponses. Les réformes qui redonnent le pouvoir aux communautés autochtones doivent également être accompagnées d’un changement de comportement.
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Sur le web.
Lire les autres épisodes de la série :
RT @Contrepoints: Un périple autour du monde. Le phénomène aborigène Parce qu’un con qui marche va toujours plus loin qu’un int… http: …
Cela me rapelle quelque chose…
Toujours le (les) regard lucide de voyageurs qui ne tombent pas dans le « oh, mon Dieu, que c’est beau chez vous! ».Et la pertinence d’une approche libérale de phénomènes récurrents de nombreuses populations « premières » tombées dans l’assistanat humaniste des populations autrefois « conquérantes ».
Ce bel article devrait AMHA apparaitre en « une », dans la demi-douzaine d’articles en exergue
Pour vivre en Aus et avoir vecu en NZ, il y a une dimension du probleme Abo liee au QI.
C est evidemment totalement non politically correct de le dire.