Le Roi contre le Marchand, fable de défense des marchands

Osons dans cette petite fable de l’Ecureuil, de la couleuvre et du Soleil offusqué, une défense de déviants controversés : les marchands.

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Marchands hollandais dans un tableau de Thomas Wyck

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Le Roi contre le Marchand, fable de défense des marchands

Publié le 26 novembre 2012
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Osons dans cette petite fable de l’Ecureuil, de la couleuvre et du Soleil offusqué, une défense de déviants controversés : les marchands.

Par Pierre Fouquet.

Marchands hollandais dans un tableau de Thomas Wyck

Introduction

Après avoir modestement tenté dans mon dernier texte de défendre les vendeuses de charmes, je m’apprête à prendre partie pour un autre type de déviants. Non il ne s’agira pas des proxénètes, des drogués ou même des politiques mais bien des plus controversés d’entre eux : les marchands. Ces infâmes profiteurs, dominant par la violence économique les foules éparses des damnés de la Terre.

Une simple observation des dernières campagnes politiques permet de trouver une opposition identique au monde de la finance chez l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle. Pour comprendre la source de cet antagonisme, un simple syllogisme suffit : les États sont atteints par la crise, la crise est due au monde de la finance, il faut punir la finance.

Malheureusement ce n’est pas nouveau car à chaque fois qu’il y a une crise économique, c’est le financier qui devient le bouc émissaire. Remontons le temps : Philippe le Bel trouvant ses caisses vides les remplira d’écus tachés par le sang des templiers. La Révolution guillotinera les fermiers généraux. Sous la République le manège continue avec les deux cents familles et le mur de l’argent.

Mais à chaque fois, le véritable coupable c’est l’État! Aujourd’hui la crise des subprimes n’a pas conduit l’État français à vider ses caisses, mais elle lui permet de trouver un excellent bouc-émissaire. Les causes profondes de la dette ne sont pas la crise actuelle mais l’incapacité de l’Etat à boucler un budget en équilibre depuis plus de  trente ans.

Mais pourquoi l’État montre-il rageusement du doigt le monde de la finance et plus largement le pouvoir économique alors que ces difficultés ne peuvent lui être imputées?

En partant de l’exemple du procès de Fouquet, nous tenterons de faire la lumière sur la perception du pouvoir politique, sur le pouvoir économique et ses conséquences quant-à l’édification du droit des marchands sous l’infâme Colbert.

I)                  De la haine du politique envers le monde marchand.

  • Du procès de Fouquet au colbertisme.

La situation du royaume au XVIIe siècle est semblable à la nôtre. La France est lourdement endettée, le dernier budget en équilibre date de l’assassinat d’Henri IV, son épouse, la trop italienne Marie de Médicis dilapide les réserves de son Navarre d’époux. Dans le but de tenir le train de vie de l’État, on emprunte puis on réemprunte pour payer les intérêts. Louis XIII, Anne d’Autriche et Mazarin reprirent le même système, menant les finances de l’État à la banqueroute avant de le recommencer. Lors des premières années du règne du jeune Louis Dieudonné le budget était consommé deux années à l’avance.

Dans ce jeu de dupes, c’est Nicolas Fouquet qui est le metteur en scène, homme de confiance de Mazarin, il sauva la France par sa capacité à trouver de nouveaux subsides lors de la Fronde. Récompensé, il devient surintendant des finances. Le système Fouquet est fort simple, plutôt que d’augmenter les impôts, il préfère orchestrer des montages financiers permettant à la monarchie de toujours obtenir les fonds nécessaires.  Après la mort de Mazarin, le jeune Louis décide de devenir le Roi-Soleil. La plupart des ministres pensaient que le roi retournerait rapidement courir les jupons plutôt que s’intéresser aux ennuyeuses affaires publiques. Colbert qui a compris l’ambition de Louis XIV, lui propose de sacrifier Fouquet, pour que nul ne doute de la supériorité du monarque.

Les raisons données habituellement au procès de Fouquet sont la jalousie du jeune Louis XIV ou la juste punition royale pour ses magouilles. Il n’en est rien, Fouquet n’a fait que continuer d’utiliser un système dont l’ensemble des grands du royaume profitait. Le jugement de l’Écureuil est surtout le procès des méthodes financières qui n’auront plus lieu. Pourtant le procès au monde de la finance n’eut pas de réelle conséquence car la situation fiscale ne s’améliorera pas au cours du règne de Louis XIV.

L’école des choix publics, l’une des écoles de l’analyse économique du droit, nous permet de comprendre pourquoi l’État n’a pas réformé ses finances. Cette théorie ne perçoit plus l’État comme une entité issue d’un contrat ou de la simple nature. Selon cette théorie les politiciens et les fonctionnaires se comportent de la même façon que les consommateurs et producteurs et poursuivent leurs intérêts propres, tout en sachant que l’argent en jeu n’est pas le leur.

Si l’on poursuit la logique de l’école du choix public : le procès de Fouquet devient évident, il  permet à Colbert et Louis XIV de maximiser leur pouvoir. L’argent public n’était pas le leur, ils ont donc moins de raisons d’être vertueux dans son utilisation. Mais ils ne pouvaient décemment expliquer la vérité au peuple, car cela aurait entraîné des troubles dans le royaume, ils ont donc tout simplement utilisés un bouc émissaire.

Les oppositions entre Fouquet et Colbert sont révélatrices de leur antagonisme sur leurs philosophies économiques. Si l’écureuil fait confiance au financier, le colbertisme est une doctrine interventionniste. Elle est la variante française de la théorie économique du mercantilisme dont les principales caractéristiques sont la thésaurisation des richesses, la protection du marché intérieur, à l’exportation et la mise en place de commandes publiques. Le colbertisme, ce n’est pas l’État au service du citoyen, c’est l’économie au service de l’État, préfigurant le capitalisme d’État et l’économie administrée. L’objectif final du ministre de Louis XIV n’est pas une croissance qui bénéficierait à tous les sujets du royaume, mais un enrichissement mesuré au stock d’or. Pour Colbert le fric c’est chic.

  • L’application en droit des théories de la couleuvre

Pour redresser l’économie et les finances que l’écureuil aurait saccagées, Colbert décide de donner une unité économique au territoire. L’émergence d’un marché national ne pourra se faire qu’en renforçant le protectionnisme. Pour les importations, l’Administration surtaxera les produits qui pourraient concurrencer l’économie française.

La politique de Colbert vise à susciter la création d’une manufacture royale pour chaque grande catégorie de produits importés. Les financiers du royaume refuseront de soutenir les manufactures. Ils savent qu’elles n’ont pas été créées pour faire bénéfice mais pour conquérir à tout prix un marché intérieur à la gloire du roi.

Colbert va leur octroyer des monopoles, ainsi que de nombreux bénéfices judiciaires. Le contentieux des manufactures sera réglé par les cours de parlements sans passer par des tribunaux ordinaires. Mais il y a aussi un revers à la médaille, le statut des manufactures est composé de nombreuses contraintes : durée du privilège, soumission à de nouveaux règlements souvent plus stricts que le droit commun. L’installation des manufactures ne se fera pas sans heurts, et la Couleuvre devra subir des émeutes de la part des populations. Les manufactures ne survivront que grâce aux commandes du roi et de la cour, elles ne fonctionnent qu’en circuit fermé avec les deniers publics. De plus les dirigeants des manufactures dénués de toute motivation entrepreneuriale refuseront d’assumer les risques d’un chef d’entreprise.

Mais Colbert ne désirait pas seulement mieux contrôler le droit des affaires, il cherche aussi a développer la législation du jus mercatorium.

II)                  Le développement limité du droit des affaires sous les rayons du roi soleil.

  • Les avancées du droit des marchands sous les rayons du soleil.

Par l’ordonnance de 1673 la vile couleuvre, va édicter le premier texte législatif, qui prétend concerner l’ensemble de la matière commerciale. Pour la première fois le droit des marchands est traité comme un droit savant.

Cette ordonnance est composée par un conseil des réformes, qui a été mis en place en 1669 par  le contrôleur général des finances. Ce conseil est composé d’anciens marchands, qui connaissent parfaitement le droit des marchands, comme Jacques Savary, un ancien drapier lyonnais reconverti dans la politique grâce au génial Fouquet.

En 1701, Colbert crée le conseil du commerce, qui sera composé de négociants, il a pour but de conseiller le roi pour les lois relatives aux marchands. Ce conseil va être doublé par un bureau de commerce (pour l’exécutif) présidé par notre cher Colbert. Ces négociants qui y siègent sont élus par les chambres de commerce composées de marchands, ainsi que d’anciens juges consulaires. Les membres de ce conseil ont beaucoup Å“uvré pour aider à identifier le droit des marchands et donc à assurer l’autonomie du droit des marchands.

Toute ces évolutions sont le fruit d’une mutation de la perception du commerce et du monde des affaires, il n’est plus si mal vu de faire de l’argent. Cela est en parti du à Jacques Savary, qui réalisera une véritable ouverture vers le monde du commerce. Grâce à son livre le parfait négociant, véritable bible juridique. Le drapier lyonnais déculpabilise l’activité lucrative, car le marchand est utile au peuple, sa richesse sert le commun profit. Il tentera de pousser les nobles à faire du commerce. Il blâme le désintérêt tout Français pour les choses du commerce. Par son Å“uvre Savary vient compléter les carences et les silences de l’ordonnance de 1673.

  • Un constat de carence, des rayons un peu palot.

Malgré ses nombreuses avancées, le droit des marchands fait figure de parvenu dans l’univers juridique français. Le conseil du commerce reste un échec du fait du décalage existant entre pouvoir politique et pouvoir économique. En théorie Colbert a toutes les attentions pour ceux qu’on n’appelait pas encore chefs d’entreprise, mais en réalité il ne supporte aucune remise en compte de sa politique par les commerçants. Adam Smith dira de Colbert qu’il a été : « trompé par les sophismes des marchands et des manufacturiers, toujours avides d’obtenir un monopole contre leurs concitoyens ». Adam Smith avait tout compris des  fragilités des options colbertiennes, marquées par un capitalisme sans capital, des entreprises sans entrepreneurs et un Etat qui ne respecte pas ses engagements.

Quant-à l’ordonnance de 1673, elle n’offre qu’une photo du droit des marchands de l’époque. Dès sa publication elle sera assez mal appliquée, car il avait une distorsion assez forte entre le droit des livres et la réalité du commerce. Cette non application des normes issues de l’ordonnance permet de vérifier l’approche Hayekienne de la sélection du droit. Hayek à théorisé l’aspect cognitif d’une règle de droit naturel. Il explique que la connaissance humaine progresse quand il y a plusieurs règles en concurrence : par essai et erreur, les hommes améliorent leurs connaissances, adoptent des règles de plus en plus adaptées aux besoins des justiciables. Ainsi Colbert refusant d’adapté le jus mercatorium empêche la création d’un droit réellement adapté au monde des affaires, celui ci préférant inévitablement suivre un droit issu de la pratique qui a lui comprit les réalités économiques.

Par cette méthode évolutionniste l’on obtient alors un cercle vicieux du droit des marchands : l’État se méfiant du monde des affaires, tente de l’encadrer, mais sa codification est trop stricte, le commerçant contourne les règles établies, ce que n’aime pas l’État, donc l’État établit des normes punitives envers le droit des marchands…

Ainsi la principale cause de la hantise du pouvoir politique envers le pouvoir économique est finalement due à l’incapacité du pouvoir politique à établir des normes suivies par les marchands. L’histoire du droit des marchands n’est en quelque sorte qu’une course de l’État contre la pratique, à peine rattrapée et codifiée, elle est déjà dépassée. Cette peur du monde des affaires poussera le politique a utiliser l’économique comme bouc-émissaire et conduira a leur procès politique, dont Fouquet fut la plus célèbre des victimes.

Conclusion

Il convient aussi de relativiser mes propos, il ne faut absolument pas croire que nous avons tenté de limiter le cours de l’Histoire à l’opposition entre le pouvoir politique et économique, cette vision moniste du chemin qu’a emprunté l’humanité est une erreur intellectuelle dont le communisme n’en est que l’exemple le plus criant.

Enfin n’oublions pas que ceux qui portent ce monde, les innovateurs, les entrepreneurs qui nous ont  permis grâce à l’aide de l’Etat de passer de l’homme des cavernes à l’homme internet. Tous ces individus qui soutiennent notre société comme Atlas soutient le monde, tous ces titans pourraient un jour nous abandonner et notre beau pays pourrait bien ne pas s’en relever. Alors je vous en pris, prenons garde à la révolte d’Atlas.

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  • « En 1701, Colbert crée le conseil du commerce, qui sera composé de négociants »

    Allons, en 1701, il y a dix-huit ans que Colbert est mort. Comment ajouter foi à votre démonstration ?

    • Il se peut qu’un détail fasse s’écrouler une construction, ce n’est pas le cas ! Le développement de cette « fable » et sa pertinence reste malgré les objections d’esprits savants. Ce qui montre que l’on peut être très savant…. et ne rien comprendre. La  » foi » n’a en l’occurrence aucun intérêt. Évoquer n’est pas démontrer non plus, à supposer que l’histoire puisse démontrer quoique ce soit ! Cf.Paul Valery. Donc confusion du commentaire !

      • il s’agit d’une erreur de ma part, dans la version original il était écrit : « en 1701 dans la ligné du colbetinisme le conseil du commerce… »
        une erreur factuelle qui ne remet pas en compte la démonstration, comme le démontre Baruch. merci de la remarque Le Nain.

  • Expliquer la chute de Fouquet par une sorte de jalousie du Roi n’est guère sérieux.
    La fortification de Belle-Ile est une cause plus importante, entre autres toutes plus valables.

  • Le royaume de France est pluriel, les coutumes, les usages commerciaux sont différents suivant les villes et les régions. Je vois l’ordonnance de 1673 comme une tentative d’unification du droit du commerce. Elle échouera comme tant d’autres sous l’Ancien Régime par les pesanteurs des habitudes et des corporations. C’est pour cela que la loi Le Chapelier dynamitera les corporations en 1791, permettant la libéralisation du commerce et la liberté pour tout un chacun d’entreprendre sans entrave.

    Le texte de l’ordonnance:
    http://partages.univ-rennes1.fr/files/partages/Recherche/Recherche%20Droit/Laboratoires/CHD/Textes/Ordonnance1673.pdf

  • « Mais pourquoi l’État montre-il rageusement du doigt le monde de la finance et plus largement le pouvoir économique alors que ces difficultés ne peuvent lui être imputées? »

    Depuis la rupture de l’étalon-or, c’est à la finance qu’échoit le rôle de contenir le politique.
    Le politique ne s’est évidemment pas laissé faire, et il l’a pervertie.
    Voilà tout.

    Dans un contexte de monétaire stable et de libéralisme économique, la finance fonctionne correctement.
    En plus, elle est bien moins importante.

    Selon moi la solution est la démocratie directe, et non l’étalon-or.
    En effet la politique en démocratie représentative a montré qu’elle peut tout subvertir, et l’étalon-or ne lui résisterait pas.

    Mais la démocratie directe met la politique sous contrôle populaire.
    C’est une révolution copernicienne dans la gouvernance.
    Oui: Le peuple est plus lucide et surtout plus soucieux du long terme que les mégalomanes narcissiques charismatiques et incultes que la démocratie représentative met à leur tête; que le conformisme cadenassé que l’oligarchie leur impose.

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