Dans un système de retraite par répartition, les cotisations par actif doivent croître au même rythme que le ratio de dépendance démographique (Retraités/Actifs) et la croissance du montant moyen des pensions. Une telle évolution aboutira à un taux de cotisation représentant la moitié du salaire brut en 2040.
Par Acrithène.
Dans l’un de mes derniers billets, je vous présentais les projections alarmistes sur l’avenir du système de retraites par répartition. Mais me contentant de reprendre les scénarios envisagés par le Comité d’orientation des retraites, je n’ai pas vraiment contribué à votre compréhension des mécanismes qui expliquent le dérapage prévisible des comptes de la Sécurité Sociale. Ce billet a pour objet de me rattraper, d’être moins descriptif et plus analytique.
Pour commencer cette analyse sur une base consensuelle, rappelons brièvement ce qu’est la retraite par répartition en citant un site internet de la République française, vie-publique.fr : « Dans un système de retraite par répartition, les cotisations, versées par les actifs au titre de l’assurance vieillesse, sont immédiatement utilisées pour payer les pensions des retraités. »
Mais, moins consensuelle, petite parenthèse sur la manière dont l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) définit une chaîne de ponzi, dans son document « Réponses relatives à l’affaire Madoff » : « Ce type de fraude consiste à rembourser les premiers investisseurs avec l’argent des suivants, en faisant croire aux premiers qu’ils ont réalisé une bonne affaire et en cachant aux seconds que leur argent a disparu en les remboursant avec l’argent des troisièmes. »
Je laisse votre esprit faire les rapprochements nécessaires… et vous propose quelques calculs dérivant de la définition consensuelle.
La dynamique des cotisations
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Commençons par déterminer quelle est la part du salaire des actifs qui doit être prélevée pour payer les pensions.
Au total, les dépenses du système des retraites sont égales à la pension moyenne (P) versée à chaque retraité, multipliée par le nombre de retraités (R). Soit :
Pour que les comptes soient équilibrés, il faut prélever le même montant aux actifs sous forme de cotisations. En posant C la cotisation moyenne par actif employé, A le nombre d’actifs, et e le taux d’emploi, on obtient :
En réarrangeant, on peut déterminer la cotisation moyenne par salarié :
Le rapport de la population retraitée (R) à la population active (A) est appelé par les démographes ratio de dépendance (D). On peut donc réécrire :
Pour étudier la stabilité du système, passons aux taux de croissance, noté , de la cotisation moyenne par salarié. On obtient [1] :
Ce qui signifie que, à l’équilibre comptable, le taux de croissance de la cotisation moyenne est déterminé par :
- Le taux de croissance de la pension moyenne par retraité (+)
- Le taux de croissance du ratio de dépendance (+)
- Le taux de croissance du taux d’emploi (-)
Gardez cette formule en tête pour le reste de l’article.
Paul Samuelson, un des plus grands économistes keynésiens de l’après-guerre, s’enthousiasmait de cet arithmétique dans un article de Newsweek de 1967.
La beauté de la Sécurité Sociale, c’est son déséquilibre actuariel. Tous ceux qui atteignent l’âge de la retraite obtiennent des pensions qui excèdent largement ce qu’ils ont payé – dix fois plus que leurs cotisations (ou cinq fois plus, une fois comptabilisées les cotisations de leurs employeurs) !
Comment est-ce possible ? Cela vient du fait que le produit national croît à un taux d’intérêt composé, et qu’on peut s’attendre à ce que cela continue aussi longtemps que porte notre regard. Il y a toujours plus de jeunes que de vieux dans une population croissante.
Et plus important, avec des revenus réels croissant de 3% par an, la base fiscale sur laquelle repose les pensions est toujours plus grande que les cotisations jadis payées par la génération désormais à la retraite.
La Sécurité Sociale repose fermement sur ce qu’on a appelé la huitième merveille du monde – les intérêts composés. Une nation en croissance est le plus grand jeu de Ponzi jamais conçu.
Les chiffres des dernières années
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D’après les données pour les trois dernières années disponibles, pour maintenir le système à l’équilibre, la cotisation moyenne aurait dû croître, hors inflation, d’environ 4% par an. Cette forte hausse des cotisations nécessaires dérive principalement de la hausse du ratio de dépendance, mais aussi dans une moindre mesure de la dégradation du marché du travail, comme l’atteste la baisse du taux d’emploi.
À noter que cette croissance des cotisations ne peut être éternellement plus rapide que l’augmentation des salaires. Si c’était le cas, la cotisation retraite dépasserait le montant du salaire, ce qui n’est évidemment pas possible. Or, le taux de croissance des salaires réels a été, sur la période 1991-2011, de 1% par an en moyenne, soit bien inférieur à ce qu’aurait dû être la hausse des cotisations. Avec une telle différence de croissance, la cotisation moyenne mettrait moins d’un demi siècle à dépasser les salaires !
La contribution du taux d’emploi à cette dégradation est une variable très conjoncturelle liée à la crise, qui a peu d’effet à long terme si on anticipe une stabilisation du marché du travail. En revanche, l’évolution du ratio de dépendance, principale cause de hausse des cotisations, est une variable démographique de long terme. Ses déterminants sont, en gros, le différentiel de natalité entre les années 1930 (ceux qui disparaissent), 1950 (ceux qui prennent leur retraite) et 1990 (ceux qui entrent dans la vie active), et enfin l’allongement de l’espérance de vie. Autrement dit, c’est totalement hors de notre contrôle.
Les projections de long terme
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Évolution du ratio de dépendance
Le graphique qui suit résume l’évolution du ratio de dépendance sur un siècle, de 1950 à 2050. Il montre que nous nous trouvons au tout début d’un choc démographique qui va durer 30 ans, et à l’issue duquel le nombre de retraités par actif aura cru de 70%. Ces projections sont très fiables, car elles concernent principalement des personnes déjà nées.
Elles montrent aussi que, contrairement à ce que tentent d’expliquer nos politiciens les plus courageux aux électeurs inconscients, ce n’est pas tant l’allongement de la vie qui va causer le problème démographique immédiat. Cet allongement est régulier depuis le XVIIIème siècle et ne peut pas expliquer les discontinuités de la courbe. Les explications se trouvent dans les variations historiques de la natalité. La population de retraités croît rapidement sous l’effet de la forte natalité des années 1950 (baby boom) tandis que la faible natalité des années 1980 et 1990 peine à compenser les départs à la retraite. C’est assez fascinant, je trouve, comment des événements en rapport avec la Seconde Guerre mondiale affectent mécaniquement et durement les comptes publiques 65 ans après !
Le graphique suivant présente la variation annuelle du ratio de dépendance entre 2000 et 2020. Il montre encore plus clairement que nous nous trouvons à un tournant. On y voit que le seul effet démographique contraindrait le niveau des cotisations par actif à augmenter d’environ 2% par an afin de maintenir constant le niveau des pensions.
Évolution du niveau moyen des pensions
Cependant, le niveau des pensions ne devrait hélas pas rester constant, mais au contraire continuer à s’élever, reflétant ainsi l’élévation du niveau de vie des dernières décennies. En effet, les retraités qui meurent aujourd’hui avaient cotisé sur la base des salaires des années 1950-1990, tandis que ceux qui prennent leur retraite ont cotisé sur la base des salaires de 1970-2010, évidemment plus élevés. Ces derniers s’attendent donc à un niveau de vie supérieur pendant leur retraite à celui dont ont bénéficié leurs parents.
Le tableau suivant (source) illustre imparfaitement cette évolution du montant des pensions. On voit clairement que les pensions des 65-69 ans sont supérieures à celles des 70-74 ans. Oui, mais bizarrement les 80 ans et plus disposent de meilleurs revenus que les plus jeunes. Cela illustre juste que la tendance est brouillée par un autre effet puissant, le fait que les gens qui vivent plus vieux sont généralement les plus aisés.
Sur la base de la différence entre les deux tranches d’âge les plus jeunes, on déduirait une hausse des pensions d’au minimum 1% par an, hors inflation.
Estimation de la cotisation moyenne par actif
Une fois le taux de croissance des pensions ajouté à celui du ratio de dépendance, on obtient dans les 3% par an de hausse nécessaire de la cotisation moyenne par actif. Ce qui laisse par rapport à la hausse des salaires réels de 1% par an (moyenne observée depuis les années 1990), un différentiel de 2%.
D’après l’observatoire des retraites, le taux de cotisation pour les retraites représentait 26% du salaire brut en 2007 (source). En appliquant une hausse des salaires de 1% par an et une hausse de 3% des cotisations, on obtient l’évolution suivante du taux de prélèvement moyen au titre des retraites d’ici 2040. C’est-à -dire un passage à 50% du salaire brut !
Le problème, c’est qu’il est devenu une banalité (et une évidence) que les charges sociales plombent le marché du travail. Il est donc totalement impossible de leur faire suivre une telle évolution sans faire exploser le chômage et couler le pays. Reste la baisse des pensions et le report de l’âge de la retraite (70,6 ans suggère le Comité d’orientation des retraites !), ce qui constituera les premieres formes de défaut du système sur ses promesses intenables. Autre option, financer le choc démographique par la dette publique, ce qui, d’après le précédent billet, ajoutera au moins 100 points de PIB à la dette publique de 2040. Enfin, certains préconisent l’accueil de millions d’immigrés afin d’empêcher la hausse du ratio de dépendance… Faites votre choix !
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Sur le web.
Note :
- Ce résultat s’obtient en passant au logarithme, puis en dérivant par rapport au temps. ↩
Bravo pour cet article.
Concernant la dernière remarque sur les immigrés. Doit-on en déduire qu’il faudrait naturaliser le même nombre d’immigrés que les hausses que sur votre dernier graphique par colonne ?(Taux de croissance du ratio de dépendance).
Exemple: En 2014, il faudrait naturaliser et faire en sorte que ces personnes cotisent tout au long de leur vie 3% x (la population retraité : 15 millions) = 450 000 personnes.
Oui, les chiffres seraient délirant.
Cela dit, la naturalisation n’est qu’une solution temporaire, car un jour eux aussi seront à la retraite.
D’ailleurs, en y repensant rapidement, c’est par la population active qu’il faudrait multiplier ce pourcentage.
Voir même la population ayant un emploi, non ?
Le plein emploi, en France, est un concept bourgeois …
Plus exactement, ce serait « à supposer que les immigrés aient le même taux d’emploi, et le même niveau de revenus ». Mais c’est loin d’être le cas.
22% de la population active, toute catégorie confondue est au chômage, 20 % de la population active est fonctionnaire (ne cotise pas non plus).
C’est mal barré !!
Super article,
on a mis en place un système de retraites basé sur un phénomène transitoire (peu de chômage, forte croissance, peu de vieux) qui s’est terminé, situation aggravée par le fait que le système est rétributif et non contributif.
maintenant on ne sait plus comment s’en sortir.
Acrithène, bravo pour ce très bon billet !
Comme vous l’indiquez, les économistes ont décrit depuis longtemps la véritable nature des retraites par répartition : une chaîne de Ponzi légalisée qui détruit lentement mais sûrement l’économie, au détriment de tous et d’abord des retraités eux-mêmes. C’est un rappel salutaire pour les cotisants qui doivent avoir en tête qu’ils n’épargnent pas pour leur retraite. S’ils financent les retraités actuels, leurs droits personnels à la retraite sont des faux droits puisque ces derniers dépendent des conditions économiques et des errements idéologiques des politiques. Le dogme de la solidarité intergénérationnelle est une illusion économique.
Quelques remarques (pour chipoter) :
– La formule des taux d’évolution des cotisations ne serait-elle pas plus précise en faisant le produit des trois taux entre eux plutôt qu’en les additionnant ? Est-ce la transformation log qui pose problème ? Sur une seule période de temps, l’écart est faible mais il devient notable à LT (accumulation des écarts selon le principe des intérêts composés évoqués par ailleurs). Exemple avec les taux de 2009 : 0,9% + 2,9% – (-1,2%) n’est pas égal à 1,009*1,029/0,988.
– La conclusion me paraît un peu pessimiste. En effet, on voit que D et e sont inversement proportionnels (une baisse de D amène une hausse mécanique de e). Dit autrement, en agissant faiblement sur l’un ou l’autre, on démultiplie l’effet espéré. Egalement, l’alignement des pensions public/privé permettrait des économies importantes sans léser les retraités. Enfin, il est possible de stabiliser les pensions en valeur (avant inflation et croissance en volume). Il serait intéressant d’avoir une estimation de ces économies combinées à une légère réforme de la fiscalité (suppression de la déduction des frais professionnels pour les retraités).
– Envisagez-vous de compléter votre série d’articles par une analyse des conséquences économiques d’une transition des retraites par répartition vers des retraites par capitalisation ?
-Mathématiquement, si vous avez z=x.y, et g(.) le taux de croissance, vous obtenez 1+g(z)=[1+g(x)].[1+g(y)]
En développant, vous obtenez
1+g(z)=1+g(x)+g(y)+g(x).g(y)
donc
g(z)=g(x)+g(y)+g(x).g(y)
La différence avec la formule que je propose, est que dans ma formule il s’agit d’un taux de croissance « continu », c’est-à -dire en instantanée. La différence avec le taux de période en période, c’est le produit g(x).g(y) …
Mais si g(x)=3% et g(y)=3%, le produit est égal à 0.09%, ce qui est totalement négligeable, même à long terme. Une variable qui croit de 0.09% par an mettra 11 années à croître d’un petit point de pourcentage ! Vu le degré de précision de l’économie, l’approximation est totalement négligeable.
Cela dérive de l’équivalence de ln(1+x) ~ x au voisinage de 0.
– Je n’ai pas les réponses à toutes ces questions. Cependant, dans l’article, le taux de croissance des pensions est déjà hors inflation. Il ne s’agit que de la croissance en volume.
-Il faut en effet que je fasse un article pour expliquer ce qu’est la retraite par capitalisation.
Si vous voulez une explication détaillée sur les taux de croissance : http://www.parisschoolofeconomics.com/grenet-julien/TD/Annexe2.pdf
Merci.
Excellente analyse économique, comme toujours de la part d’Acrithène.
Reste un point capital d’ordre anthropologique pour achever de rendre monstrueuse la retraite par répartition : Y a-t-il un lien entre dénatalité et retraite par répartition ?
N’est-elle pas indissociable du discours hédoniste, infantilisant, déresponsabilisant du socialisme ?
C’est mon avis: La retraite par répartition est instaurée dans le cadre d’un tel discours politique, et entraîne donc la ruine de la natalité et son propre écroulement.
Où l’on vérifie encore une fois que le socialisme est intrinsèquement nihiliste…
C’est une vraie question Fucius, que je me suis déjà posée mais à laquelle je me garderais de répondre.
Dans un modèle ça fait totalement sens. Dans une société pré-capitaliste, on a un système par répartition à l’intérieur du cercle familial, et donc sachant qu’on sera entretenu par SES enfants, on en fait. Dans le système actuel, on est entretenu par LES enfants, il n’y a donc aucune incitation à en faire.
Un système un peu moins dingue aurait offert une incitation à faire des enfants (et à les élever !). Mais cela n’aurait révélé le ponzi que via l’explosion démographique.
« Dans le système actuel on serait entretenu par LES enfants, il n’y a donc aucune incitation à en faire » Il n’y a pas d’incitation à en faire depuis quelques décennies effectivement et c’est même plus grave puisque qu’il y a eu une incitation à tuer les enfants dans le ventre de leur mère (application de la loi talmudique qui stipule dans Zohar II, 64b : « Le taux de naissance des Non-juifs doit être diminué matériellement ».)
Depuis 1973 neuf millions de bébés français jetés dans les poubelles des hôpitaux de l’assistance publique.
Effectivement, depuis les années 70 il n’y a pas eu d’incitation à faire des enfants et même plus grave il y a eu incitation à tuer nos enfants dans le ventre de leur mère.(application de la loi talmudique qui stipule dans Zohar II, 64b : « Le taux de naissance des Non-juifs doit être diminué matériellement ». Depuis 1973 environ NEUF millions d’enfants français sacrifiés au dieu MOLOCH ou à MAMMON . Où aurions nous mis les neuf millions de métèques d’origine africaine et asiatique si nous n’avions pas massacré nos enfants???
« Enfin, certains préconisent l’accueil de millions d’immigrés afin d’empêcher la hausse du ratio de dépendance »
Comme l’ont noté d’autres ça ne marche que sur une génération, eux aussi auront besoin de « sang frais » pour leur retraite et on arrive en quelques générations à la population mondiale qui devrait immigrer en France pour que le système soit pérenne.
Surtout si a leur retraite ils repartent dans leur pays afin de bénéficier d’un coût de la vie plus faible en autre car non impacté par des cotisations retraite monstrueuse… Leurs retraites deviennent alors un pur déficit commercial en plus …
En regardant ma fiche de paie, je constate que 18% de mon salaire « super-brut » (cotisations patronales comprises) ou 26% de mon salaire brut est prélevé en cotisations retraite. Et d’après la lecture de ces calculs d’Acrithène, le retour sur cet « investissement » sera bien maigre, et dépendra de toute façon d’arbitrages politiques futurs complètement hors de mon contrôle … pourtant les prélèvements sont tellement importants qu’il ne reste pas grande afin d’investir à coté par capitalisation.
Alors quoi faire? On aurait l’impression, en faisant partie de la génération qui commencera à prendre sa retraite à partir de 2030, d’être totalement piégé! Quelle stratégie adopter?