La conjoncture politique nous amène à réfléchir au rôle des partis dans une démocratie en général, et en France en particulier.
Par Jacques Garello.
Avez-vous en poche votre carte de l’UMP, de l’UDI, du PS, du MRG ou du FN ? Bien que ma question soit innocente, je soupçonne un certain nombre d’entre vous d’avoir fui tout militantisme partisan. Mais, de grâce, ne vous désintéressez pas pour autant du débat politique !
La conjoncture politique nous amène simplement à réfléchir une fois de plus au rôle des partis politiques dans une démocratie en général, et en France en particulier.
Les partis ont accompagné les premiers pas de la démocratie moderne. Avec le système parlementaire anglais apparaissent deux partis : les Whigs, opposés au despotisme royal et attachés à la liberté économique, et les Tories, moins ouverts aux idées de la Grande Révolution.
Ainsi, d’entrée de jeu, les partis ont été introduits dans la vie politique comme les liens naturels entre un choix de société (libéral chez les Whigs, conservateur chez les Tories) et une représentation électorale. Après la création en 1920 du Labour party, issu des syndicats ouvriers, les Whigs disparaîtront, car il n’y a que peu de place pour trois partis dans le scrutin uninominal à un tour pratiqué par les Anglais.
Aux États-Unis, bien qu’il y ait entre les deux partis une opposition traditionnelle sur l’étendue du pouvoir fédéral (les démocrates en veulent plus, les républicains en souhaitent moins), l’importance de la vie politique locale fait en sorte que le rôle des partis n’est guère apparent aujourd’hui que pour les élections au Congrès et à la Maison Blanche.
Par contraste avec les Anglo-Saxons dans l’ensemble bi-partistes, l’échiquier politique européen est plus complexe à cause de scrutins de liste, ou de scrutins proportionnels, ou de scrutins à deux tours.
Donc, dans les contours et la vie des partis politiques, deux éléments sont déterminants :
- la doctrine, le choix de société ;
- les mécanismes électoraux.
La France fait-elle exception à ce constat ? Le XIXème siècle sera dominé par le clivage entre républicains et monarchistes, et chez les monarchistes légitimistes et orléanistes, mais aussi par la permanence du bonapartisme, qui brouille singulièrement les cartes. Avec la IIIème République les partis affirment leurs spécificités : conservateurs « de droite », radicaux et socialistes (congrès de Tours de 1920 créant la SFIO). La deuxième guerre fait voler les partis en éclats, mais ils reviennent nombreux après la Libération. Seul le gaullisme fait exception, il se veut rassemblement du peuple français autour de l’homme providentiel.
Les mécanismes électoraux de la IVème République conduisent à l’essaimage et à l’instabilité, le régime d’assemblée trouve vite ses limites. D’inspiration gaulliste la Vème République inverse la tendance, les partis sont amenés à se regrouper pour faire élire leur chef. À gauche, le regroupement se fait autour du Programme Commun, plus solide dans l’opposition qu’au pouvoir. À droite, la mollesse doctrinale du centrisme, obnubilée par la « troisième voie », ainsi que le refus de doctrine du gaullisme conduiront les partis à ne plus être que les points de passage obligés vers les joutes électorales.
Aujourd’hui, à gauche comme à droite, les considérations électorales l’emportent sur toute autre. La pensée politique s’installe dans le vide. D’ailleurs il faut être très perspicace pour percevoir de véritables alternances dans les politiques menées : par exemple la Sécurité Sociale, l’Éducation Nationale, les entreprises publiques, la construction européenne ont traversé l’histoire française depuis plus d’un demi-siècle sans prendre une seule ride.
Y a-t-il quelque chance d’un renouvellement des partis français ? Elles me paraissent minimes.
D’une part (et conformément aux analyses du « public choice »), la logique électorale veut que l’on aille chercher les voix chez les adversaires et concurrents. Les discours et les programmes (quand ils existent) se font de moins en moins discriminants. On confectionne des patchworks électoraux, chacun des éléments ayant pour objectif de séduire une catégorie spécifique d’électeurs. Nos partis ne sont pas des fanatiques de la précision ni de la cohésion.
D’autre part, le financement des partis (loi Balladur) ne peut provenir que de l’État (exemple unique dans les démocraties occidentales !), qui ne subventionne que ceux qui peuvent se prévaloir de candidats élus. Difficile de mener des campagnes électorales face aux moyens fastueux des grands partis existants, et obligation pour les petits de se plier aux désirs des grands.
Donc, globalement, nos partis ne sont devenus que des centrales électorales, permettant d’avoir les investitures en temps voulu, et les moyens financiers suffisants. Voilà aussi pourquoi les hommes politiques ont tant de mal à affirmer quelque vue indépendante car le moment venu il faudra bien avoir l’aval du parti.
De la sorte, les partis ne peuvent intéresser que ceux qui ont en vue une carrière électorale, et qui de plus acceptent une discipline de bon aloi. J’en tire une conclusion qui ne vous surprendra pas. Puisqu’une démocratie repose sur un choix de société, qui lui-même implique des valeurs de référence et des programmes cohérents, il faut ou bien remettre le débat d’idées au cœur des partis – ce qui n’est pas pour demain – ou bien demander à la société civile de mener ce débat d’idées pour qu’il prenne un jour valeur électorale, de nature à intéresser enfin les partis politiques. « C’est maintenant ou jamais ».
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Sur le web.
« Les partis … Le fait qu’ils existent n’est nullement un motif de les conserver » Simone Weil, 1940,
http://opentruc.fr/share/va/Simone_Weil_Note_sur_la_suppression_generale_des_partis_politiques.pdf