Alain Lambert : « La dépense publique est une addiction, un véritable cancer » – Partie 1/2

Alain Lambert, Sénateur de l’Orne, nous entretient de ses impressions quant à l’état actuel de la politique et de nos finances publiques.

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Alain Lambert : « La dépense publique est une addiction, un véritable cancer » – Partie 1/2

Publié le 5 décembre 2012
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Ancien Ministre délégué au budget, Alain Lambert a été Maire UDF d’Alençon de 1989 à 2002 et Sénateur de l’Orne. Avec Didier Migaud, il est l’un des pères de la LOLF, nouveau dispositif budgétaire qui a pour but de fixer des objectifs à l’action de l’État. Sympathisant libéral, Alain Lambert a participé à l’Université libérale d’automne organisée par le PLD. Contrepoints l’a rencontré pour lui demander ses impressions quant à l’état actuel de la politique et, surtout, de nos finances publiques.

Entretien réalisé par Yann Henry le 27 novembre 2012.

Contrepoints (CP) : Diriez-vous que le quinquennat de Sarkozy a été libéral ?

Alain Lambert (AL) : Même s’il a souvent été qualifié de libéral, il me semble que son quinquennat ne l’a pas été. En effet, il a eu une certaine propension à amplifier le rôle de l’État et du politique, y compris en économie, ce qui est antinomique avec la pensée libérale. Pour être tout à fait juste avec lui, il a dû présider, de 2008 à 2010, dans une période où la crise bancaire et financière mondiale a rendu l’intervention des États obligatoire.

CP : Vous faites allusion au sauvetage des banques ?

AL : Oui, tout à fait.

CP : Les libéraux étaient en général plutôt hostiles à ces actions. Vous les justifiez par la crainte d’un risque systémique ?

AL : C’est un sujet très technique, mais j’ai tout de même le sentiment qu’effectivement toutes les conditions d’une crise systémique étaient réunies. Cette crise s’est déclenchée aux États-Unis avec la faillite de Lehman Brothers et l’administration américaine a fait le choix d’injecter des liquidités en quantité quasiment illimitée. Cela a entraîné des distorsions de concurrence considérables entre les établissements financiers et ainsi déclenché une spirale interventionniste.

CP : François Hollande a été élu il y a maintenant 6 mois. Quel premier bilan en retirez-vous ?

AL : C’est un peu tôt, même si j’observe déjà qu’il avait basé son programme sur des hypothèses économiques trop optimistes. Les collectifs budgétaires proposés ne sont pas à la hauteur de la gravité de la situation des dépenses publiques. En fait, il n’y a pas eu de réel changement par rapport aux politiques précédentes. Le redressement des comptes est plus subi que choisi et se fait principalement par des prélèvements fiscaux supplémentaires et très peu sur les dépenses.

CP : Quel regard portez-vous sur l’élection du président de l’UMP ?

AL : Elle a atteint un niveau d’incongruité probablement unique au monde. Je suis très inquiet : cela peut affecter l’image de la politique et de la démocratie, indispensables au bon fonctionnement d’une société. Cela ressemble à un divorce entre une classe politique « parisienne » et la réalité vécue par les Français. Il faut reconstruire la démocratie à la base, c’est-à-dire l’enraciner dans la vie locale. Il faut tout reconstruire dans les partis pour faire émerger de nouvelles personnes, plus responsables, plus jeunes et préparer l’avenir. La génération des 25 et 35 ans doit s’investir d’urgence dans la politique.

 

Les partis politiques sont devenus des centrales d’achat de suffrages

 

CP : Vous pensez au principe de subsidiarité et à la démocratie directe ?

AL : Un peu aux deux. Les démocraties dépendent souvent dans leur fonctionnement des incidents qu’elles rencontrent. Nous avons la chance de vivre sur un continent qui n’a pas connu la guerre depuis plus de 65 ans. Ces libertés semblent aussi naturelles que l’air que l’on respire, alors qu’elles sont en permanence menacées. Pour prendre une image informatique, le logiciel démocratique a besoin d’être réinitialisé. Cela ne pourra se faire qu’en impliquant les citoyens. Nous sommes actuellement dans un système où les partis politiques sont devenus des centrales d’achat de suffrage qui payent des sondages pour connaître le choix de consommation électorale des citoyens. Afin de les flatter au lieu de les guider.

CP : Jean-François Copé sera-t-il plus ouvert aux idées libérales ? Le libéralisme doit-il forcément passer par l’UMP ?

AL : Jean-François Copé se recommande parfois des idées libérales donc il pourrait, en théorie, être plus réceptif. Mais en pratique, l’UMP est composé de militants qui ne sont pas issus de cette tradition : le libéralisme n’est pas inscrit dans les gènes de l’UMP. Toutefois, il peut être défendu dans d’autres partis.

CP : L’UDI ou le Modem sont-ils de meilleurs choix ?

AL : Ceux-ci auraient intérêt à assumer la pensée libérale. Mais cela n’est pas sans risque du fait de la dépendance du système politique français aux élections présidentielles avec deux candidats au second tour.

Les porteurs d’idées libérales doivent être issus de formations transpartisanes. Les libéraux sont actuellement trop dispersés sur l’échiquier politique et auraient intérêt à se rassembler.

CP : Un rassemblement dans un parti unique libéral aurait donc du sens ?

AL : Oui, mais il faut faire attention à la sémantique. Il faudrait réhabiliter le vocable de libéralisme, qui est mal compris et stigmatisé dans le débat publique français, alors qu’il occupe pourtant une place historique décisive. Il y aurait aussi un travail sémantique à faire et parler des partis de la liberté. En effet, le mot « liberté » est chéri par les Français et tout le monde s’en réclame. Je ne dis pas qu’il faut mettre son drapeau dans sa poche, mais pour atteindre des objectifs ambitieux il est contre-productif de prendre les gens à rebrousse-poil. Il faut faire attention aux mots que l’on prononce et paraître le moins dogmatique possible car nombre de personnes croient au caractère providentiel de l’État. Il faut avoir une parole sereine et pédagogique, et le meilleur moyen d’ouvrir leur esprit est de leur parler de la liberté, qui n’existe d’ailleurs jamais sans son corollaire qui est la responsabilité.

CP : Vous étiez présent à l’Université d’Automne des libéraux le mois dernier. Qu’est-ce-que cet événement vous a inspiré ?

AL : J’ai eu l’impression de rencontrer une relève générationnelle, non seulement dans les âges, mais aussi dans les idées et dans les pratiques. Les idées libérales sont très anciennes, mais comme pour la démocratie que j’évoquais tout à l’heure, les pratiques libérales ont besoin d’être réinitialisées, et le Parti Libéral Démocrate en donne l’exemple. Cela m’a donné un sentiment de fraîcheur, de renouveau et parfois d’un peu de candeur, contrepartie de la jeunesse.

 

La dépense publique est une addiction, un véritable cancer

 

CP : De candeur ?

AL : Par exemple au sujet des dépenses. Les États sont des paquebots extrêmement lourds dont on ne peut changer l’orientation que progressivement. On ne peut pas couper aussi simplement qu’on le croit, c’est pour cela que je préconise le « zéro valeur », c’est-à-dire une stabilisation des dépenses en euros courants [1]. Cela permettrait de les plafonner sans subir le procès en sorcellerie de la coupe. J’ai beaucoup pratiqué la démarche électorale et conduit des politiques publiques, et je sais qu’il ne faut pas tomber dans les pièges de la démagogie et de la provocation.

CP : La dépense publique représente plus de 56% du PIB (soit 1 120 milliards d’euros), un des plus hauts niveaux de l’OCDE (seul le Danemark est au-dessus). Comment expliquer cette addiction à la dépense, même dans les partis « de droite » ?

AL : La dépense publique est une addiction, c’est la maladie la plus grave de la politique, un véritable cancer qui mène à la dépendance et la perte d’autonomie. La population, quand elle entend que l’État dépense davantage, croit naïvement que sa condition va s’améliorer.

Il existe dans la classe politique des gens qui font l’erreur conceptuelle tragique de penser que les dépenses génèrent quasi-automatiquement de la croissance, ce qui est d’une stupidité confondante. Ils sont imbibés d’une croyance dite keynésienne, alors qu’ils n’ont d’ailleurs certainement pas lu Keynes. Les ministres croient non seulement aux vertus de la dépense publique, mais en plus ils en font un critère de jugement de leur influence, ce qui est la pire des choses. Un ministre qui se déplace ou qui passe au 20 heures doit pouvoir annoncer une nouvelle dépense coûteuse. C’est également le critère de jugement de la presse, qui devrait pourtant exercer un rôle d’analyse pour l’opinion.

Mais cette maladie touche aussi l’élite française. Celle-ci, quel que soit le métier qu’elle exerce, mais c’est particulièrement vrai dans le secteur bancaire, est issue de l’administration. La France est probablement, avec l’ancien bloc soviétique, le seul pays au monde dont la formation des gens qui accèdent aux pouvoirs politique et économique viennent quasi-exclusivement de l’administration. On peut estimer que 80% du PIB est aux mains de gens issus de l’administration.

CP : L’augmentation de la dépense publique se ralentit sous un gouvernement socialiste : n’est-ce pas paradoxal ?

AL : Le ralentissement de l’accroissement de la dépense publique provient de nos engagements européens. L’euro est insoutenable sans discipline budgétaire et si les économies françaises et allemandes continuent de diverger, son effondrement serait possible. Le gouvernement est en fait contraint de trouver une trajectoire soutenable de convergence avec l’Allemagne. Cela suppose d’augmenter les prélèvements, ce que les politiciens français savent parfaitement faire et c’est d’ailleurs ce que le Président français a fait. Mais ils vont devoir s’attaquer bientôt aux dépenses, et là, les spécialistes ne sont pas nombreux.

CP : Quels sont les secteurs où il y a le plus de marge de manœuvre ? L’État, les collectivités locales, la sécurité sociale, les ODAC… ?

AL : L’État, c’est 37% de la dépense publique, mais en réalité c’est beaucoup plus car c’est lui qui gouverne. Il est le garant en dernier ressort des autres sous-secteurs (sécurité sociale et collectivités locales) dont il s’ingénie à changer en permanence les missions pour jouer sur leurs recettes et dépenses. Quand on regarde dans le détail, on observe par exemple que des dérives des dépenses locales correspondent à des transferts de l’État. Je pense notamment aux dépenses sociales comme le RSA et l’APA qui ne sont pas contenues par manque de courage politique. Il y a une asymétrie profondément dangereuse : le prescripteur est l’État, et le payeur la collectivité locale. C’est une tragédie qui n’est jamais dénoncée : les gens qui décident d’actualiser les barèmes ne voient pas dans leurs comptes les conséquences de leurs décisions !

Au niveau des collectivités locales, ce sont les communes qui tiennent le moins bien leurs dépenses. Lorsque la taxe professionnelle a été réformée le parlement a accordé de larges compensations. Et dès qu’il y a un surplus de ressources, il est dépensé.

L’État doit impérativement se réformer car il y a surabondance d’effectifs dans les administrations centrales.

 

Je suis pour la suppression du monopole de la Sécurité sociale

 

CP : La sécurité sociale n’a pas moralement le droit d’être en déficit.

AL : Ces déficits sont d’autant plus scandaleux qu’ils ne proviennent pas d’investissements mais des dépenses courantes. Qui plus est, étant donné la démographie actuelle, je ne vois pas comment les dépenses sociales (retraite, maladie et dépendance) pourraient baisser.

CP : Quelles sont les « bonnes » et les « mauvaises » dépenses ? Où faudrait-il couper ?

AL : Je n’aime pas parler de bonnes et de mauvaises dépenses : je préfère parler de celles qui sont efficaces et celles qui ne le sont pas. Au risque de pouvoir choquer certains libéraux, je pense qu’avoir des dépenses publiques élevées avec un service public de très grande qualité serait un choix de société défendable. Tel n’est pas le cas actuellement et je considère cela comme un abus de pouvoir. La qualité et le rapport coût / efficacité d’un service public est un devoir d’État.

CP : Ne pourrait-on pas supprimer certains ministères, comme ceux des sports et de la culture dont de nombreux pays se passent très bien ?

AL : Il faudrait avoir de l’imagination pour contourner le syndrome dépensier français dont nous parlions. Je propose d’introduire une disposition constitutionnelle temporaire (disons 10 ans) limitant à 15 le nombre de ministres. Ainsi il n’y aurait pas d’administration créée pour les besoins de la communication gouvernementale. Ce serait source de stabilité et de rationalité.

Le niveau de mutualisation actuel de tous les risques (chômage, santé, vieillesse) a fait la démonstration de son inefficacité. C’est intenable, sauf à supprimer les libertés des gens. La mutualisation est née sous l’Antiquité, et pour éviter tout aléa moral, il était toujours instauré des tickets modérateurs élevés. Nous avons oublié ces principes fondateurs. Je pense qu’il y a des domaines à renvoyer dans le secteur assuranciel privé pour que chacun assume son propre niveau de risques. Prenons par exemple l’assurance automobile : heureusement qu’il n’y a pas une mutualisation nationale ! Il y a une franchise, même pour les plus modestes, et cela ne choque personne. À l’inverse, évoquer un ticket modérateur de quelques euros pour des frais de santé déclenche immédiatement un tollé…

CP : Vous êtes donc pour la liberté de choix vis-à-vis de la sécurité sociale ?

AL : Tout à fait. C’est le seul moyen de moraliser et de rendre chacun efficace et responsable. J’ai toujours dit à ceux qui m’accusaient d’inhumanité que s’ils croyaient réellement à l’efficacité des services publics ils devaient le démontrer d’abord par une exigence de leur performance.

—-

la seconde partie de l’entretien. Extraits :

–       « Il faudrait obliger les gouvernements à raisonner avec des hypothèses de croissance nulle »

–       « Le SMIC est la première barrière contre l’emploi »

–       « Votre liberté est menacée. Peut-être même n’en disposez-vous plus »

Pour en savoir plus : Le blog d’Alain Lambert

Note :

  1. Les prix courants sont les prix tels qu’ils sont indiqués à une période donnée, ils sont dits en valeur nominale. Les prix constants sont les prix en valeur réelle c’est-à-dire corrigés de la hausse des prix par rapport à une donnée de base ou de référence. On utilise de la même façon les termes euros constants et euros courants.
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