Par Guillaume Nicoulaud.
Si vous lisez ces mots, c’est que la fin du monde n’a finalement pas eu lieu et que vous êtes désormais entièrement absorbés par l’affaire la plus urgente du moment : demain, ce sera Noël.
Comme chaque année, vous allez donc vous trimbaler un sapin et passer des heures à ramasser ses aiguilles. Comme chaque année, vous allez vous farcir quelques heures de cuisine pour préparer ces figures culinaires imposées que vous mettrez plusieurs semaines à digérer. Comme chaque année, vous allez courir les magasins pour tenter de dégoter in extremis ce cadeau absolument indispensable que vous réclame votre petit dernier.
Comme chaque année, enfin, vous allez devoir vous cogner le discours sentencieux du mauvais coucheur familial qui vous expliquera des heures durant que ces traditions païennes souillent la commémoration de la naissance du Christ ; que ces cadeaux ne sont que le signe de l’abject mercantilisme dans lequel baigne notre époque ; qu’en sacrifiant à ses coutumes factices, vous jouez le jeu du grand capital (mondialisé et néolibéral).
En cette veille de Noël, je vous propose donc quelques petits éléments de mise au point.
Ce fameux 25 décembre
Ce 25 décembre, donc, toute la chrétienté fêtera la naissance de Jésus-Christ de Nazareth. Pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi : Noël n’a été intégré au calendrier liturgique que tardivement, probablement entre l’édit de Milan (313) par lequel Constantin accordait la liberté de culte à ses sujets et 354, sous le pontificat de Libère, date à laquelle une première célébration de la nativité est attestée.
Naturellement, le 25 décembre n’a que très peu de chance (1 sur 365) d’être la véritable date d’anniversaire du Christ puisque rien, ni dans les écritures ni ailleurs, ne nous permet de dater précisément, fût-ce à un an près, cet événement. Néanmoins, si cette date n’est que pure convention, elle ne doit rien au hasard : avant de devenir la date de naissance symbolique du Christ1, le 25 décembre c’était le dies natalis solis invicti, le jour de naissance de Sol Invictus, le soleil invaincu devenu sous le règne d’Aurélien la divinité principale de l’empire.
Désormais autorisée et même activement soutenue par le pouvoir impérial, la jeune Église n’avait de cesse que concurrencer les cultes païens ; c’est probablement2 pour cette raison que le dies natalis de Sol Invictus est devenu le dies natalis du Christ ; le Natale italien.
Mais si la date de Noël s’impose si facilement dans l’empire, ce n’est pas tant grâce au dieu de synthèse d’Aurélien3 car le 25 décembre, dans le calendrier julien4, c’est le lendemain du solstice d’hiver, le moment où les jours recommencent à rallonger, un événement déjà fêté depuis la nuit des temps dans de nombreuses cultures et notamment celles de l’Europe pré-chrétienne comme les celtes et les peuples germaniques qui célébraient ce même jour la fête de Yule. Notre Noël dérive ainsi très probablement du neue helle germanique, la « nouvelle lumière », le moment où le Soleil gagne sur les ténèbres, la promesse d’une nouvelle année, de nouvelles récoltes, la vie qui poursuit son cours.
Noël est une extraordinaire collection de symboles païens. L’habitude de se réunir en famille autour d’un bon repas, les chants et les histoires que l’on raconte aux enfants sont des traditions bien antérieures à la christianisation de l’Europe.
Ce sapin qui trône dans votre salon a très probablement des origines celtiques ; c’était autrefois un épicéa que nos lointains ancêtres décoraient de pommes, de blé, de guirlandes de gui et couronnes de houx.
De même, bien avant qu’elle ne devienne un dessert, on avait coutume, ici comme en Scandinavie, de faire brûler une grosse bûche durant toute la veillée du solstice d’hiver.
Enfin, bien sûr, on ne peut pas évoquer Noël sans parler de ce sympathique barbu qui, pour on ne sait quelle obscure raison, s’obstine à gâter nos têtes blondes.
De qui Père Noël est-il le nom ?
On ne sait pas qui il est celui-là. La seule chose dont on soit à peu près sûr, c’est qu’il est le résultat de la fusion, opérée au début du XIXe siècle aux États-Unis5, entre le Father Christmas anglais et Saint Nicolas européen.
Le premier, s’il a donné son nom à notre Père Noël, n’a eu que très tardivement pour fonction d’offrir des cadeaux aux enfants ; il est apparu au début du XVIIe siècle, vieux bonhomme bien nourri et vêtu d’une houppelande verte, et n’était rien de plus qu’une personnification de l’esprit festif de Noël.
Les origines de Saint Nicolas, en revanche, sont mieux connues : c’est Nicolas de Myre, un évêque de l’actuelle Turquie, qui fut convoqué par l’Église pour devenir le protecteur des enfants et, accessoirement, le distributeur officiel de cadeaux du 6 décembre. Son nom, Sinter Klaas en vieil hollandais, est devenu Santa Claus aux États-Unis avant de fusionner complètement avec Father Christmas.
Or voilà : si, lors de la christianisation des peuples germaniques et scandinaves, l’Église a ressenti le besoin d’invoquer Nicolas de Myre, ce n’est sans doute pas sans raison. C’est certainement qu’il y avait, là aussi, une tradition païenne à christianiser ; une tradition qui impliquait qu’un personnage aussi invisible que mythique distribue des cadeaux aux enfants. Nous entrons ici dans le domaine de la conjecture et, n’ayant aucune prétention en matière historique, je vais me contenter de vous raconter un conte ; un conte de Noël, cela va de soi.
Il y a bien longtemps, avant que l’Europe ne devienne chrétienne, les mortels comme les dieux d’Ásgard avaient coutume de célébrer dignement la nuit du solstice d’hiver, la fête de Yule. C’est cette nuit qu’Odin, « père de Yule », choisissait pour traverser le Bifröst et, chevauchant Sleipnir, son fier destrier à huit pattes, il parcourait le ciel en chassant6.
Naturellement, les prouesses de l’animal – qui pouvait voler et parcourir d’immenses distances en un rien de temps – avaient vite fait de l’épuiser ; il fallait donc le nourrir. Sachant cela, les enfants avaient pris l’habitude de remplir leurs chausses de carottes et de blé à l’attention de Sleipnir et de les déposer près de l’âtre avant d’aller se coucher. Toujours selon la légende, Odin, sensible à cette délicate attention, ne manquait jamais de les remercier en remplaçant ces victuailles par des friandises et des cadeaux.
Qu’avons-nous là ? Un vénérable barbu (« longue barbe » est un des nombreux noms d’Odin), manifestement d’origine nordique (vous admettrez avec moi que le traineau de notre Père Noël et sa houppelande y font penser au moins un peu), qui chevauche un cheval (comme Saint Nicolas) à huit pattes (comme les huit rennes du Père Noël) qui a la faculté de voler et qui passe la nuit de Noël à distribuer des cadeaux (comme le Père Noël) aux enfants qui ont eu la gentillesse de nourrir sa monture (comme Saint Nicolas). Le moins que l’on puisse dire c’est que notre sympathique petit papa Noël entretient quelques similitudes frappantes avec le maître d’Ásgard.
L’esprit de Noël
Quoi qu’il en soit – et ça c’est une certitude – cette habitude qui veut que nous offrions des cadeaux à nos enfants le jour du solstice d’hiver n’a rien d’une déformation mercantiliste de Noël ; elle lui est, de loin, antérieure.
Ce faisant, à l’image de nos sapins et de nos bûches de Noël, nous ne faisons que perpétuer les traditions séculaires de notre vieille Europe. Pensez-y quand vos monstres surexcités ouvriront leurs cadeaux : même si vous n’êtes pas chrétien, même si vous ne vénérez aucun dieu, ce que vous célèbrerez ce soir-là, en famille et au travers de la joie de vos enfants, c’est la vie qui continue.
Joyeux Noël à toutes et à tous !
NB : Celles et ceux qui utilisent un autre calendrier que celui de Rome – notamment nos amis orthodoxes – voudront bien me pardonner : ce texte est déjà trop long.
Article initialement publié en décembre 2017.
- Pour ce qui est de l’année, Denys le Petit s’est sans doute trompé de quelques années – même Benoît XVI l’admet volontiers. ↩
- Il n’existe aucune certitude à ce propos ; bien que probable, cette interprétation reste sujette à débats. ↩
- Sol Invictus a été créé de toutes pièces en reprenant des attributs d’Apollon et du dieu indo-iranien Mithra à qui il doit notamment sa date de naissance. ↩
- Dans notre calendrier actuel, le solstice d’hiver a habituellement lieu entre le 21 et le 22 décembre. ↩
- Profitons-en pour tordre le coup à une idée reçue : ce n’est pas Coca-Cola qui a inventé le Père Noël ni même la couleur rouge de sa houppelande. La firme d’Atlanta, dans sa campagne publicitaire de 1931, n’a fait qu’utiliser à son profit une iconographie déjà existante en privilégiant la couleur qui l’arrangeait le mieux. ↩
- J’évoque Odin, Ásgard et le Bifröst sans vraiment vous en dire plus : si vous ne connaissez pas ces choses-là, demandez à n’importe quel gamin de 10 ans et il vous l’expliquera. Par ailleurs, si vous demandez comment un gamin à peine vieux d’une décennie peut connaître aussi bien la mythologie scandinave, c’est très simple : c’est grâce aux comics de Marvel et à Hollywood qui les a remis au goût du jour ces dernières années (ravages du capitalisme, édition culturelle). ↩
Excellente vulgarisation des origines de nos fêtes 🙂 Merci, j’ignorais les détails concernant Sleipnir et la barbe d’Odin, j’en étais juste resté aux Saturnales.
Joli ! Merci 🙂
Et joyeux Noël !
Pour aider les parents qui ont des enfants déjà très rationnels alors vous souhaiteriez prolonger leur rêve, j’ai une histoire à vous proposer qui ne trahit ni la version religieuse ni le mythe du père Noël :
Quand les 4 rois mages se mirent en route en suivant l’étoile la plus brillante dans le ciel, un d’entre eux, un peu distrait, et qui ne voyait pas l’étoile masquée par un nuage suivit l’étoile polaire et ainsi se retrouva en Laponie, bien loin de Bethléem.
Vexé d’avoir loupé sa mission et pour ce faire pardonner il jura d’apporter des cadeaux à tous les enfants, cette même nuit de chaque année, jusqu’à la fin des temps !
Bonne nuit les petits !
Intéressant mais faux !
Le solstice d’hiver oscille entre le 21 et le 22…
Alors 3 ou 4 jours plus tard ce n’est plus le solstice !
Cette légende infiniment répétée n’en est pas plus exacte…
Euh, Pascal, vous avez lu l’article avant de réagir ? Il semble que non.
D’après les calculs il serait né 7 ans auparavant puisque sous le règne d’Hérode, mort en 4 avant notre ère!
L’historien Jean-Christian Petitfils (« Jésus », Fayard) avance comme probable cette hypothèse -7, année où se produit la triple occurrence d’une conjonction très rare entre Jupiter, Saturne et Mars, que les astronomes modernes n’ont eu aucun mal à calculer. Or cette manifestation cosmique parfaitement naturelle « colle » au récit de la Nativité et notamment aux fameux rois mages, guidés jusqu’à Béthléem par leur non moins fameuse étoile.
Denys le Petit se serait trompé de 7 ans. C’est finalement peu avec les moyens limités d’un moine-historien du 5ème siècle.
Je ne veux pas rouvrir l’éternel débat entre chrétiens et néo-païens, mais enfin, il y a tout de même un point qu’il faut garder à l’esprit : nous sommes, ici, en France. Or les Français qui critiquent la dérive mercantiliste de Noël ont d’une certaine manière raison dans la mesure où, dans notre pays, et ce depuis des siècles, Noël est le jour consacré à la célébration de la naissance du Christ.
Guillaume Nicoulaud a bien évidemment le droit de contester la validité de ce point de vue ; mais il commet une erreur en évoquant des traditions païennes antérieures qui ne concernent pas notre pays, dans la mesure où elles sont germaniques et scandinaves. En effet : si l’on considère que la France existait dès l’Antiquité, alors il faut évoquer les traditions païennes des celtes… sur lesquels les historiens sont réduits, fautes de sources fiables, aux conjectures (d’ailleurs, le simple fait que ces traditions aient été oubliées montre bien qu’elles n’étaient pas solidement implantées) ; et si l’on considère que la France est née avec les Francs, peuple germanique il est vrai, il est néanmoins inutile d’évoquer des divinités qu’ils avaient abandonnées, les Francs s’étant convertis en masse au christianisme lorsqu’ils s’imposèrent dans une Gaule romanisée… et chrétienne.
Un raisonnement analogue pourrait être envisagé pour bon nombre de pays en Europe. Ainsi, en Allemagne, on présente aujourd’hui le père Noël comme « une vieille coutume allemande ». D’accord. Alors pourquoi, au XIXe siècle – à l’époque où les Américains ne connaissaient que Saint Nicolas, ou Saint Nick (c’est ainsi que Clement Clark Moore l’appelle dans son célèbre poème, Santa Claus n’étant apparu que des décennies plus tard) – les petits Allemands, eux, attendaient que les cadeaux soient distribués par le Christkindel, cet Enfant Jésus figuré, comme chacun sait, par une jeune fille couverte de blanc, et portant une couronne de bougies… une tradition qu’on retrouve en Autriche, en Suisse alémanique et en Moselle germanique, ainsi que dans les pays nordiques, sous le nom de fête de Sainte Lucie. Alors certes : le point est discuté de savoir s’il s’agit bien de Sainte Lucie de Syracuse, ou bien d’une réminiscence populaire d’une déesse antique, symbolisant le retour du printemps… sur laquelle on ne sait rien. Mais le fait est qu’on est bien loin du Père Noël !
Moi aussi, je recevais des (maigres) cadeaux — et des oranges — de Christkindla
D’accord pour les cadeaux parfois symboliques, mais le plus important n’était il pas la « Kàlbsbrucht », les « Suppapàschtetla », les « Kingala und nüdla » ou les » Wianàchtsbredla « , avec le Kugalupf le 25 au matin ?
Il n’est pas certain qu’affirmer que « la France existait dès l’Antiquité » soit un argument bien solide dans le présent débat et, à ma connaissance la population qui habitait ce qui est devenu la France à la lointaine époque que vous évoquez était bien loin d’être massivement convertie au christianisme. Aussi évoquer diverses traditions païennes de Noël ne me parait pas excentrique.
@ Synge
Je disais « si », en évoquant les deux interprétations de l’histoire : l’anthropologique, qui veut que la France ait été constituée, dans son ethnie majoritaire, dès l’Antiquité (les vagues d’immigration successives n’ayant aucune valeur) et la culturelle, qui insiste sur la fusion de trois cultures : celle de la Gaule romaine, celle des souverains francs et celle de la religion chrétienne.
Maintenant, il est évident qu’à l’époque celte, la France n’était pas chrétienne… mais, précisément, je demande qu’on prouve l’assimilation qui est ici faite entre la religion celte et la religion scandinave, prise ici en exemple.
C’est plus important qu’il n’y paraît parce que s’il est vrai que dans certains cas de figure une religion nouvellement apparue se borne à reprendre à son compte des traditions antérieures, l’argument est un peu trop utilisé au sujet du christianisme sans jamais aucune preuve. Lisez les nombreuses études du XIXe siècle consacrées au folklore de nos campagnes, et vous verrez que partout où l’on parle, aujourd’hui, de « traditions païennes solidement implantées », on ne trouvait, à l’époque, que des éléments issus de la religion chrétienne. Et s’ils différaient de l’image véhiculée par l’Église de Rome, c’était seulement parce qu’ils étaient réinterprétés dans un cadre populaire, et non par une quelconque référence à des divinités antiques, ignorées de nos ancêtres, pour la simple et bonne raison qu’elles n’appartiennent pas à notre histoire, mais à celle de l’Europe du Nord !
On connaît les fêtes celtes, Halloween en est une, qu’ils appelaient Samain ou Samonios en gaulois! Les autres étaient au 1er février, mai et août.
En fait, le glissement de Saint Nicolas , évêque de Smyrne, fêté le 6 décembre dans le monde germanique vers le Santa Claus américain du 25 décembre est avant tout du au nom et à l’apparence.
Avant coca cola personne en Alsace (pour parler de chez moi) n’imaginait le » Sàntiklàuis » et son effrayant compère « Hànstràpp » un autre jour que le 5 décembre au soir, quand il passait dans les foyers, annoncé d’un tintement de cloche.
Il nous demandait si nous avions été sages, regardait nos parents pour assentiment, puis nous distribuait de rassurantes friandises qui nous rassuraient sur notre sort…
Ses méthodes, son apparence et d’autres détails que l’on retrouve dans le père Noël américain laissent penser que c’est le même personnage, mais les gens de ma génération n’ont jamais fait l’amalgame.
Le 24 au soir, c’est le Christ Enfant qui vient nous voir, ce « Chrischtkìndla » que nous chantons dans cette « Heilige Nacht », ce petit bébé qui a évolué vers la figure d’un ange, puis d’une jeune fille qui peut être ressemble à Sainte Lucie .
Jamais au grand jamais nous (ainsi que mes ancêtres) n’avions mélangé la fête de St Nicolas et celle de Noël; même si d’autres l’ont fait…
Les Celtes fêtaient également Yule, Dieu de la lumière, comme Zeus. Vous oubliez également que nous sommes Francs, donc germaniques!
3 jours que mon commentaire tout à fait décent attend sa modération !
Votre prochaine demande de contributions je la mettrai aussi ‘ en attente de modération ‘….
amalgame?
c’est juste le mot quand il est dentaire peut être plombage…je viens de le tester..
Joyeux Noël et merci beaucoup pour ce très intéressant et joli historique conte de traditions de la nuit des temps.
Ben voyons! joyeux Noel à tous ça veut dire joyeux Noël à Hitler!! et aux violeurs d’enfants et à ceux qui torturent les animaux..
Non ! monsieur Nicoulaud ! je le dis avec toute la solennité nécessaire et les trémolos que ne renierait pas un Malraux aux invalides…
Je ne veux pas de cette glorification subreptice de ces monstres et je dis Joyeux Noël tout court.