La véritable lutte contre l’inégalité passerait par une meilleure formation, un encouragement à l’investissement et à l’innovation. Idées combattues officieusement par ceux qui détiennent l’État.
Par Lucien Oulahbib.
La richesse ne vient ni de l’inégalité ni de la domination. Cette évidence, on le sait, n’en est pas une puisque son contraire – la richesse provient de l’inégalité qui vient de la domination – est enseigné jusqu’au doctorat dans les différentes branches des sciences sociales, économie et science politique comprises, du moins en France – et dans certains départements américains et anglais. On l’a reconnu, il s’agit de la version communiste tendance Rousseau, reprise par Babeuf, amplifiée par Lénine et Bakounine. La version communiste tendance Marx et Kautsky se veut plus subtile : elle énonce toujours que cette inégalité provient de la détention privée de moyens de production, posés comme sources de la richesse, mais elle l’élargit à « l’héritage de conditions favorables initiales », ce qui serait préjudiciable, et qu’il s’agirait donc de supprimer. Comment ? Par l’appropriation collective dans la version maximale (socialisme « scientifique » disait Marx), par la taxation progressive maximale dans sa version « morale » (social démocratie).
Sauf que rien ne dit d’une part que l’inégalité soit source de richesses s’il n’existe pas une « organisation rationnelle » (comme le disait Weber) qui mette en valeur les moyens de production (les posséder seulement ne sert à rien) ; d’autre part il n’est pas sûr que l’appropriation collective et la taxation soient à même de supprimer cette inégalité dans la détention des moyens comme il a été vu dans les pays dominés par les régimes soviétique et maoïste, puis sociaux-démocrates – même la Suède a abandonné aujourd’hui cette vision.
Suite à ces expériences défectueuses, les post léninistes et les rousseau-marxistes tendance social démocrate (en gros respectivement le Front de Gauche et le PS/Europe écologie les Verts) ont tenté de reprendre le problème non pas en faisant une autocritique, mais en optant pour la fuite en avant théorique – et donc sectaire à terme, encouragés par les méfaits des courants étatistes colbertistes d’où sont issus le gaullisme et le centrisme. Ils repartent désormais, depuis les années 1970-90, du Marx romantique très féru de Rousseau [1] en posant que l’inégalité signifie non pas seulement la propriété privée, mais le fait qu’il existe des rôles et des métiers différents, on dirait aujourd’hui, en plus, des genres différents (d’où la nécessité par exemple de supprimer la différence sexuelle, culturelle…). Or, ce serait cette différence qui serait source d’aliénation, on dirait aujourd’hui de « domination », à l’origine de « l’inégalité » des richesses puisque l’inégalité issue de la « domination » susciterait de meilleures positions susceptibles d’acquérir de meilleures parts de richesse.
La solution serait donc d’effacer ces différences et donc de supprimer la domination. Sauf que cette solution, cette espèce de naturalisme artificiel – retour au bon sauvage abonné en permanence à des nuits blanches culturelles, sorte de vastes séances d’endoctrinement collectif à la destruction de tout ce qui « vaut » – a déjà été appliquée au début de l’expérience soviétique et de l’expérience Garde Rouge maoïste et khmer rouge (destruction des villes et envoi des intellectuels à la campagne) [2]. Nous en sommes au même point aujourd’hui : au nom de la lutte contre « l’inégalité » issue de « la » domination, tout ce qui peut en être la source supposée va être traqué, jusqu’à tout mettre sur le dos de l’inégalité. Sauf que le résultat engendre plus d’oligarchie masquée appelée « justice » avec ses hordes de supplétifs qui ont beau jeu ainsi de justifier leur position somme toute avantageuse (emploi à vie de la fonction publique).
Nous sommes alors dans une situation bien pis : la lutte supposée contre « l’inégalité » qui serait issue de la « domination » a produit encore bien plus de pauvres et d’exclus. Les nouveaux maîtres expliqueront que la lutte n’a pas été assez loin : il faut élargir l’appropriation collective, supprimer encore plus les différences. Pourtant la véritable lutte contre l’inégalité des conditions initiales passerait par une meilleure formation, un encouragement à l’investissement et à l’innovation. Sauf que ces trois mots – formation, investissement, innovation – sont bien prononcés officiellement mais combattus officieusement par ceux qui détiennent l’État puisqu’ils ne feraient à terme que produire de la « croissance » et donc des « richesses » susceptibles de remettre en cause la nécessité de voir sans cesse élargies les prérogatives étatiques. En plus les idées crypto-religieuses de « frugalité », de « décroissance » ont la côte ou le retour vers la religion primitive des forces obscures, le désir d’ordre total aussi, là où les différences sont écrasées parce qu’elles suscitent trop de choix, de conflit intérieur. D’où le désir de certains d’être… dominés par l’imposition d’une seule façon de voir les choses. Voilà le paradoxe ultime auquel a abouti le « post » modernisme et sa liturgie (ou post « sunna ») : détruire toute différence rendue synonyme de domination, tout en désirant en secret en être l’incarnation même (ou le califat caché). Et critiquer cet état revient à s’opposer au « Progrès » et à la « République ». Le règne de la domination totale, masquée, commence. Au nom de la « Justice », bien sûr. Celle des nouveaux (im)puissants. Volontaires.
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Notes :
- Rousseau première version : le Rousseau du Discours sur l’Inégalité, du Contrat Social, d’Émile… car le Rousseau des Confessions est bien plus complexe. ↩
- Mais Lénine a dû reculer en réinsufflant un peu de « marché » avant que Staline et les successeurs de Mao n’imposent définitivement le retour vers l’époque féodale masquée (les membres du Parti sont les nouveaux oligarques, mais ce au nom du peuple tout entier). ↩
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