La Patrie et la Liberté

Alors que la classe politique devrait, selon la mythologie en vigueur, représenter les Français, voilà qu’elle croit incarner la France.

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La Patrie et la Liberté

Publié le 30 décembre 2012
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Alors que la classe politique devrait, selon la mythologie en vigueur, représenter les Français, voilà qu’elle croit incarner la France.

Par Aurélien Biteau.

L’exil de Depardieu en Belgique a provoqué un véritable tollé parmi la classe politique et les « élites » françaises : il a réveillé en elles ce sentiment certainement endormi depuis tant d’années de l’attachement à la Patrie et de ses intérêts. L’opportunité était belle à saisir pour ces hypocrites et dans leur grande habitude, ils ne se sont pas retenus de dévoyer totalement le sens du terme « Patrie ». J’y reviendrai plus tard.

Je voudrais d’abord faire remarquer que l’expression « exil fiscal », dont je ne connais pas l’origine, est une expression très intéressante : aujourd’hui pour l’opinion publique, elle signifie le départ volontaire, souhaité et égoïste de personnes qui font passer leur propre intérêt monétaire avant ceux de leur pays auquel elles ne devraient plus sentir la moindre attache puisqu’elles agissent ainsi.

Or le terme « exil » a un sens très précis et très grave qui est totalement à l’opposé du sens qu’on lui accorde aujourd’hui : l’exil a toujours signifié un châtiment ou un drame pour celui qui doit le vivre, qu’il s’agisse d’une punition juridique ou d’une obligation par les faits de quitter son pays d’attache. L’exil, c’est abandonner son pays par contrainte pour devenir ailleurs un étranger, c’est quitter la naturelle amitié des siens pour être un « autre » chez les autres, aussi accueillants puissent-ils être. L’exil, dans son sens strict, a toujours été un déchirement, et c’est bien pour ça qu’il a pu servir autrefois de punition pour le pouvoir. Pourquoi l’opinion utilise-t-elle le terme « exil » si elle doute de l’attachement des exilés à leur pays ? C’est un véritable contre-sens !

Ce que devrait révéler l’utilisation de l’expression « exil fiscal », au contraire, c’est le pouvoir démesuré de la puissance publique et de l’autorité que l’on cherche à éviter ou à fuir, comme l’a toujours signifié le mot « exil ». Sans un pouvoir écrasant, pas d’exil, pas d’exilés. Qu’il y ait des exilés français, des personnes qui se définissent comme tel, c’est un signe inquiétant, certainement pas de leur prétendu égoïsme, mais de la place qu’a pu prendre l’État français dans le pays de France.

J’en reviens ainsi à cette soudaine volonté des hommes politiques d’invoquer la Patrie contre les exilés fiscaux. Ils prétendent que la France souffre, que la crise qu’elle traverse nécessite que l’on verse des impôts plus importants et que c’est presque une trahison à « l’effort national » que de quitter le pays pour s’installer à l’étranger afin de payer moins d’impôts. Et ils proposent, contre les « traîtres », la déchéance de nationalité ou l’expropriation « pour l’exemple ».

Mais outre qu’ils justifient bien de cette façon l’emploi du mot « exil », il y a confusion. Nul ne verse d’impôts à la France et nul n’en a jamais versé. C’est l’État français qui les perçoit. Et l’État n’est point la France. La France est un ensemble de choses, un peuple, un territoire, de multiples pays et régions, des langues, une culture, des cultures, etc., un ensemble flou et difficile à définir, mais qui tient parce que les individus qui y vivent se sentent une histoire et une amitié commune.

En poussant davantage les Français à l’exil, les hommes politiques sont responsables de la déliquescence de ce sentiment commun : eux qui fabriquent des étrangers, qu’ils osent prétendre servir la France quand ils la défont, voilà qui mérite bien le nom de trahison à la Patrie ! Évidemment, leur véritable souhait est de sauver à tout prix les meubles de leur République, si bonne avec eux, et qui, elle non plus, n’est pas et n’a jamais été la France (à moins de considérer que la France soit née en 1792).

Et bien sûr, augmenter les impôts et écraser les libertés du peuple français ne produira aucun résultat positif pour le pays, simple leçon d’économie. Les « élites » françaises assaillent de coups la Patrie et la jettent à terre, ils l’anéantissent méticuleusement par leur bêtise, mais invoquent son nom pour justifier le désastre qu’ils provoquent. Salir le nom de la France de cette sorte, n’est-ce pas une trahison à la Patrie ?

L’affaire Depardieu est révélatrice du sentiment de toute-puissance qui habite les hommes politiques : ils n’en sont plus à penser qu’ils servent la France, ils croient désormais incarner la France à eux seuls. Ne pas leur obéir, les fuir, c’est pour eux trahir la France, alors même qu’ils la détruisent objectivement. Alors qu’ils devraient, selon la mythologie en vigueur, représenter les Français, les voilà qui croient être la France. C’est un grand-écart dangereux parce que dans cette nouvelle conception de la politique, le peuple tout entier est jeté hors de France. Il n’est plus à la base de la Nation, devant faire ses choix – au travers de représentant qui ne sont que ça, des représentants. Désormais, la base c’est l’État et le législateur, qui définissent les orientations du peuple et le guident (droit contre un mur), tout écart étant une « trahison ». Le Français n’est pas français pour le sentiment national qui l’habite, il est Français seulement parce qu’il obéit à l’État, et devrait perdre ce titre lorsqu’il fuit le pouvoir.

Comment dès lors, concilier la Patrie et la Liberté ? Aimer l’une ne signifie-t-il pas abandonner l’autre ? Je ne le crois pas. Je pense au contraire que les deux sont irrémédiablement liés et qu’il ne faut pas accepter les dévoiements de sens entretenus par les politiciens.

Comme on l’a vu, un État qui sort de son rôle et écrase les libertés du peuple ne peut obtenir qu’une chose : la déliquescence du sentiment national et la destruction systématique du pays. La Patrie ne peut donc s’entretenir que dans l’exercice de la liberté. Elle est le fruit du travail et de la libre action de générations d’individus, de familles qui se sont librement liées les unes aux autres et qui ont produit, parce qu’ils en étaient assez libres, une Nation toute entière qu’ils ont aimée, parce qu’elle est le produit spontané de leurs efforts cumulés et des efforts de leurs pères.

Bien sûr, l’Histoire retient aussi les moments tragiques, les guerres et les tyrannies que la Nation a subis : mais justement, on ne les retient que comme des malheurs où la Patrie fut menacée. Il y a bien des adorateurs de la sanglante Révolution ou des exploits guerriers d’un Napoléon, mais il est aisé de prouver leur erreur : les misérables qui ont mis en péril le pays ne doivent leur existence qu’aux efforts productifs passés des générations précédentes. Ce sont elles qui constituèrent les véritables grands hommes de la France.

Il n’y a pas de choix à faire entre la liberté de l’individu et les intérêts de la France : l’un est l’autre. La liberté de l’individu est l’intérêt de la France, car elle doit son existence et sa prospérité aux efforts de celui-là, à ses attaches, aux sentiments qu’il exprime, et ça, seulement tant qu’il en est libre.

Défendre la liberté aujourd’hui, c’est bel et bien défendre la Patrie. Soutenir l’impôt destructeur, c’est l’anéantir.

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