Détentions secrètes de la CIA : la Macédoine coupable de traitements inhumains

La Cour européenne s’est montrée très ferme à l’égard de la Macédoine qui a participé activement avec la CIA à une entreprise de torture et d’internement arbitraire.

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Détentions secrètes de la CIA : la Macédoine coupable de traitements inhumains

Publié le 30 décembre 2012
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La Cour européenne s’est montrée très ferme à l’égard de la Macédoine qui a participé activement avec la CIA à une entreprise de torture et d’internement arbitraire.

Par Roseline Letteron.

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu, le 13 décembre 2012 un arrêt El Masri c. Ex-République yougoslave de Macédoine  particulièrement remarqué. La Cour s’y montre très ferme à l’égard de ce pays, qui a participé activement aux « remises extraordinaires » (« Extraordinary Renditions »). Après le 11 Septembre, les États-Unis se déclaraient en guerre contre le terrorisme, invoquaient le GWAT (Great War against Terrorism), puis le GWOT (Global War on Terror), et faisaient pression sur leurs alliés pour qu’ils remettent secrètement à la CIA des personnes suspectées d’avoir participé à des activités terroristes. Les services américains les conduisaient alors dans des lieux de détention secrets, zones de non-droit où il était possible de torturer et de prolonger l’enfermement de ces personnes qu’aucun système juridique ne protégeait plus.

Dans sa décision Babar Ahmad et a. c. Royaume-Uni du 6 juillet 2010, la Cour définit la notion de « remise extraordinaire » comme désignant le « transfert extrajudiciaire d’une personne de la juridiction ou du territoire d’un État à ceux d’un autre État, à des fins de détention et d’interrogatoire en dehors du système juridique ordinaire, la mesure impliquant un risque réel de torture ou de traitements inhumains ou dégradants« .

Un cas emblématique

La Macédoine a fait partie de ces États sollicités par les États-Unis pour participer à cette entreprise de sous-traitance, ou plutôt de délocalisation de la torture et de l’internement arbitraire. Dans un rapport de 2006 effectué précisément à la demande du Conseil de l’Europe, le suisse Dick Marty mentionnait parmi les pays européens participants la Pologne et la Roumanie, mais aussi la Macédoine. M. El Masri, le requérant de l’arrêt du 13 décembre 2012 avait alors été entendu par la Commission d’enquête.

M. El Masri, citoyen allemand d’origine libanaise, s’est rendu en autocar de son domicile près de Neu Ulm à Skopje, en Macédoine, dans les derniers jours de l’année 2003. Il souhaite alors prendre quelques jours de vacances. À la frontière serbo-macédonienne, il est arrêté, au motif que son passeport présenterait des irrégularités, interrogé par la police puis transféré et détenu dans un hôtel de Skopje. Questionné sans relâche sur ses liens éventuels avec des terroristes islamistes, il se voit refuser tout contact avec l’ambassade d’Allemagne. Après vingt trois jours de détention, il est conduit à l’aéroport, subit ce que la CIA elle même qualifie de « Capture Shock Treatment« , mélange de violence et d’humiliation, et embarqué dans un avion pour Kaboul. Une fois arrivé, il est roué de coups, jeté dans une cellule ou il est détenu durant quatre mois et subit bon nombre d’interrogatoires. En mars 2004, M. El Masri et plusieurs de ses co-détenus entament une grève de la faim. Après un mois, le requérant est alimenté de force, mais il peut enfin rencontrer des représentants des services américains et allemands. En mai 2004, M. El Masri est remis dans un avion qui atterrit dans un lieu inconnu, puis embarqué dans un camion qui le laisse en pleine campagne. Pris en charge par des hommes armés, il apprend qu’il est en Albanie. Accompagné à l’aéroport de Tirana, il est enfin remis dans un avion pour Francfort.

La recherche d’un juge

La question posée n’est pas celle de la réalité du calvaire subi par monsieur El Masri, dont le témoignage a été corroboré par de multiples éléments, considéré comme parfaitement fondé aussi bien par le rapport Marty que par la résolution du Parlement européen du 30 janvier 2007, qui fait expressément référence à son cas, que par un rapport diligenté par une commission d’enquête parlementaire du Bundestag allemand. Le problème posé est plutôt celui du juge compétent pour condamner les responsables et indemniser la victime.

Le requérant, rentré en Allemagne, commence par saisir la justice allemande qui a émis, en janvier 2007, des mandats d’arrêt à l’encontre de treize agents de la CIA, dont les noms ne furent pas rendus publics. Le juge allemand, certainement de bonne volonté, s’est heurté à une farouche rétention d’information et un refus de toute coopération, tant de la part des autorités macédoniennes qu’américaines.

Assisté par l’American Civil Liberties Union (ACLU), le requérant a, en décembre 2005, déposé une plainte aux États-Unis contre l’ancien directeur de la CIA et des agents non identifiés de son personnel. Elle fut rejetée au nom du secret d’État qui, selon le juge américain, doit primer sur l’intérêt individuel du requérant à ce que justice lui soit rendue. La Cour Suprême a confirmé cette décision en octobre 2007, refusant l’examen de l’affaire.

Restait la Macédoine, dont une première enquête administrative menée par le ministère de l’intérieur concluait que M. El Masri avait séjourné durant trois semaines dans un hôtel de Skopje, et qu’il avait passé d’excellentes vacances… La plainte pénale déposée en octobre 2008, et accompagnée de tous les éléments de preuve réunis notamment par le rapport Marty, a été déclarée sans fondement par le procureur de Skopje, dès décembre 2008. Un examen pour le moins rapide.

Face à ce qui ressemble fort à un déni de justice, la Cour européenne va introduire un peu de souplesse, voire accepter quelques entorses aux principes généraux gouvernant son contrôle. Puisque seule la Macédoine peut être condamnée, elle va s’efforcer d’aplanir les obstacles procéduraux, et la rendre responsable de l’ensemble des mauvais traitements infligés au requérant.

Aplanir les obstacles procéduraux

La règle de l’épuisement des voies de recours internes donne lieu à une interprétation compréhensive. La Cour constate ainsi que quatre années se sont écoulées entre la libération du requérant, et la saisine de la justice macédonienne. Mais ce délai s’explique par le contexte de l’affaire, les « démentis » et « dénégations » persistantes des États concernés, qu’elle considère comme la mise en Å“uvre d’une véritable « politique de dissimulation ». Il était donc logique que le requérant attende de disposer d’éléments de preuve suffisants pour saisir le juge macédonien.

La Cour se montre d’une égale souplesse en matière de preuve. Faisant observer que l’État défendeur nie toute implication dans l’affaire, elle autorise le requérant à fournir toutes les pièces utiles, qu’elles proviennent des différentes enquêtes internationales, des investigations menées par les autorités allemandes, voire des câbles diplomatiques diffusés sur Wikileaks. À partir de ces éléments, la Cour procède à un renversement de la charge de la preuve : dès lors que le requérant fournit des éléments sérieux à l’appui de sa requête, les autorités macédoniennes ne peuvent se borner à opposer le secret d’État. Elles doivent « fournir une explication plausible et satisfaisante » des événements qui se sont déroulés lorsque M. El Masri était en Macédoine. Dès lors que ces explications font défaut, la Cour en déduit que les allégations du requérant sont établies, « au-delà du doute raisonnable« .

Dès lors, la Cour peut utiliser tous les éléments de preuve apportés par le requérant, et elle ne s’en prive pas. Elle condamne très lourdement la Macédoine pour traitements inhumains et dégradants (art. 3), à la fois ceux subis par M. El Masri sur le territoire macédoniens, mais aussi pour le risque de torture encouru par sa remise à la CIA. Les autorités macédoniennes ont également violé l’article 5 de la Convention européenne, puisque la détention du requérant n’a pas été décidée ni contrôlée par un juge, l’article 8 car il y a eu une ingérence évidente dans sa vie privée, et l’article 13 puisque ses griefs n’ont jamais donné lieu à une enquête sérieuse des autorités macédoniennes. In fine, la Macédoine est condamnée à verser au requérant 60 000 € pour dommage moral, somme relativement ridicule si l’on considère le calvaire que le requérant à subi.

Et le cerveau de l’affaire ?

Dans sa note sous cette décision (RDH), Nicolas Hervieu est évidemment fondé à se réjouir de cette sévérité de la Cour et d’observer que cette jurisprudence conduit presque à reconnaître un « droit à la vérité » dont seraient titulaires les victimes de ces exactions. Force est de constater cependant que la Macédoine est, comme il le note justement, un « État complice« . Considérer qu’elle est coupable des mauvais traitements infligés à Kaboul au requérant parce qu’elle a accepté de le livrer à la CIA relève d’une fiction juridique, une fiction louable puisqu’il s’agit de réparer le dommage qu’il a subi, mais une fictions tout de même. Les coupables principaux doivent être recherchés ailleurs, aux États-Unis, pays qui, comme la Macédoine, refuse absolument de lever le secret sur ces affaires.

Mais les États-Unis restent drapés dans leur splendide isolement juridique. Il ne peuvent évidemment pas être poursuivis devant la Cour européenne des droits de l’homme. Leurs agents ne peuvent pas davantage être poursuivis devant la Cour pénale internationale, puisque ce pays a retiré sa signature de la Convention de Rome. Certes, les autorités macédoniennes méritaient la condamnation qui les frappe, mais il n’en demeure pas moins qu’elles apparaissent comme le maillon faible, le sous-traitant qui assume l’intégralité d’une responsabilité qui devrait incomber largement au donneur d’ordre.

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  • Reste pour les USA la commission intéraméricaine des droits de l’homme sur le fondement de la déclaration inter-américaine des droits de l’homme et certains organismes de l’ONU…

  • La Macédoine n’assume pas grand chose : 60 000 euros dans un cas pareil c’est ridicule. Mais surtout, si les faits sont avérés, dans ce genre d’affaire c’est de lourdes peines de prison contre les responsables qui aurait du être décidé (pas par la cour des droits de l’homme qui n’en a pas le pouvoir, mais par la justice macédonienne et américaine).

    Et pour l’isolement juridique des USA ce n’est pas le problème : il y a quelque chose qui s’appelle la diplomatie. Vu que les américains ont violé les droits d’un citoyen allemand reconnus par le droit international (ne serait-ce qu’en lui refusant la protection consulaire allemande, et en encourageant l’État Macédonien à violer ses obligations conventionnelles à l’égard de l’État allemand) le gouvernement allemand aurait du prendre des mesures de représailles (par exemple en refusant toute nouvelle collaboration avec les USA dans les affaires de terrorisme) tant que les responsables américains ne sont pas jugés, ou ont au moins démissionné. Ou alors rêvons un peu il aurait pu faire preuve de panache et de réciprocité : publier l’identité des agents américains suspectés et proposer une récompense pour leur capture si ils ne se mettent pas d’eux même à la disposition de la justice allemande. Évidemment ce genre de chose n’arrivera jamais car les gouvernements européens ne sont pas seulement lâche, ils sont complices.

  • Si vous défendez des types qui ne se gènent pas à assassiner à l’aveugle des civiles en faisant péter dans les foules leurs bombes vous ne vallez finalement pas mieux qu’eux.

    Des privations de sommeil ou des simulations de noyades pour préserver la vie d’innocent en vaut largement la chandelle.

    D.J

    • Ne vous emballez pas D.J.
      Il ne s’agit absolument pas, pour moi du moins, de « défendre » des ennemis ni de m’élever contre la coercition physique poussée.

      Il s’agit simplement de pointer la tyrannie que représente un soi disant intérêt général qui inféode tout droit individuel et empêche réparation à un innocent lésé ( c’est excatement le même problème pour ce qui est des incarcérations « provisoires » sans preuves), et de souligner qu’ à mon avis les USA filent un mauvais coton collectiviste ( je ne pense pas que les « founding fathers » approuveraient la collectivisation et le « big governement » actuels.

    • Et comment on sait que ce sont des terroristes sans passage devant un juge, sans procédure contradictoire, sans possibilité de consulter un avocat, sans même que le public ne sache qui est enfermé ?

      J’imagine que si j’assassine mon voisin et que je dit « terrorisme » j’aurais le droit de m’en sortir sans même avoir à être interrogé par la police…

      C’est vous qui ne valait pas mieux que les terroristes puisque pour vous la fin justifie les moyens !

      • @ Arno,

        On commence à connaître la chanson.  » Tout les prisonniers à Guantanamo sont innocents, tout les ceux qui sont interogée par la CIA dans les prisons secrètes sont innocents « . On a tendance à oublier qui sont ceux qui ont assassiné en 1 jour 3000 citoyens américains. Dans ce genre de combat on ne fait pas non plus d ‘omelette sans casser des oeufs. Surtout quand c’est la vie de civiles qui sont en jeux.

        D.J

        • Personne n’a jamais dit que tous les prisonniers à Guantanamo sont innocent. Là n’est pas la question.

          Cela dit faut quand même noter que même avec la justice d’exception qui leur est réservé il a été impossible de condamner (voir simplement de poursuivre) un grand nombre des prisonniers de cette prison : ce qui montre le degré de sérieux de la manÅ“uvre ! A coté de pontes d’Al-Qaïda (contre lesquelles les procédures normales aurait largement permis une condamnation) se trouve effectivement des malchanceux.

          « Dans ce genre de combat on ne fait pas non plus d ‘omelette sans casser des oeufs » Tiens mais c’est exactement ce que ce disent les terroristes.

          « Surtout quand c’est la vie de civiles qui sont en jeux. » Évidemment l’armée américaine ne tue jamais aucun civils. J’imagine que vous allez applaudir si les talibans enlève des soldats américains, les torturent et les condamne sans jugement ? Pas moi.

          Les américains qui commettent ce genre d’action devrait être jugé non seulement pour enlèvement et séquestration, torture et acte de barbarie, crime contre la paix… mais aussi pour trahison envers leur propre pays, dont ils bafouent les valeurs originelles et dont ils mettent en danger la sécurité (et oui mépriser la souveraineté d’État étrangers et les traités internationaux ce n’est pas sans risque).

        • Et là on ne parle même pas de Guantanamo, dont les prisonniers sont connus. On parle d’une « procédure » encore plus arbitraire.

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