Justice fiscale : quelle frontière entre impôt et spoliation ?

Où se situe la limite de la justice fiscale ? Comment distinguer impôt légitime et spoliation fiscale ?

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Justice fiscale : quelle frontière entre impôt et spoliation ?

Publié le 2 janvier 2013
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Où se situe la limite de la justice fiscale ? Comment distinguer impôt légitime et spoliation fiscale ?

Par Florent Belon.

Quelle différence entre impôt et spoliation ? À cette question, le Conseil constitutionnel a répondu dans sa décision relative à la loi de finances pour 2013 en date du 29 décembre 2012.

Ce que dit le Conseil

Les médias ont insisté sur l’annulation de la contribution dite « exceptionnelle de solidarité sur les très hauts revenus d’activité » s’appliquant aux revenus d’activités pour la fraction supérieure à 1 million d’euros par personne physique au taux de 18%, permettant ainsi un prélèvement total de 75% sur cette même fraction (article 12de la loi de finances pour 2013 – projet article 223 sexies A du CGI).

Néanmoins, le Conseil ne s’est pas prononcé sur le taux de 75%, mais sur l’assiette de la taxe. Le fait que la taxe soit par tête et non par foyer fiscal comme l’impôt sur le revenu a été jugé comme méconnaissant le principe d’égalité devant les charges publiques :
« deux foyers fiscaux bénéficiant du même niveau de revenu issu de l’activité professionnelle pourraient se voir assujettis à cette contribution ou au contraire en être exonérés, selon la répartition des revenus entre les contribuables composant ce foyer ; qu’ainsi, en soumettant à cette contribution exceptionnelle les revenus des personnes physiques, sans tenir compte […] de l’existence du foyer fiscal, le législateur a méconnu l’exigence de prise en compte des facultés contributives ; qu’ainsi, il a méconnu le principe d’égalité devant les charges publiques. »

S’il ne s’est pas prononcé concernant cette contribution sur le taux de 75%, cela ne signifie pas qu’il ne l’aurait pas jugé comme excessif et contraire à la Constitution : « il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, notamment ceux tirés de ce que les « effets de seuil » et le caractère confiscatoire de cette imposition méconnaîtraient le principe d’égalité devant les charges publiques, que l’article 12 doit être déclaré contraire à la Constitution. »

En revanche, d’autres dispositions ont été annulées en raison du taux d’imposition marginal total jugé excessif qu’elles auraient engendré :

  • le taux marginal de 45% du barème de l’impôt sur le revenu fut jugé conforme en tant que tel, mais le taux marginal de 21% de la taxe à la charge des bénéficiaires d’une retraite supplémentaire à prestation définie dite « retraite chapeau » ou « article 39 » fut annulé car le taux global aurait été de plus de 75% ;
  • le taux du prélèvement sur bons anonymes porté à 60% (article 9 de la loi de finances pour 2013) aurait entrainé une taxation globale au taux de 90,5 % ;
  • le taux de la contribution salariale sur stock-options et attribution gratuite d’actions porté à 17,5 voire 22,5% pour les plans attribués à compter du 28 septembre 2012 (article 11 de la loi de finances pour 2012) aurait porté le taux global de prélèvement à plus de 68%, 72%, 73% ou 77% selon les cas ;
  • la soumission au barème progressif des plus-values de cession de terrains à bâtir pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2015 aurait porté le taux de taxation marginale totale à 82%.

Si le Conseil constitutionnel ne fixe pas de montant marginal maximal, on peut retenir que le taux de 65-70% devrait être la frontière entre une fiscalité respectant la lecture de la Constitution par le Conseil et la spoliation via une progressivité débridée.

Ce que l’on peut en penser

Il est tout à fait positif que le Conseil constitutionnel pose une limite au taux marginal de prélèvement. Il est encore plus rassurant que le Conseil fasse une appréciation du taux de prélèvement en globalisant plusieurs prélèvements (prélèvements sociaux fortement augmentés pendant le Gouvernement Fillon, contributions sociales en tous genres qui ont fleuri sous le gouvernement Fillon, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus introduite par le gouvernement Fillon).

Néanmoins, il existe de nombreux prélèvements indirects qui obèrent également le fruit du travail et de l’épargne. On ne peut écarter les cotisations sociales obligatoires dont une grande part ne sont pas génératrices de droits sociaux présents ou futurs et éventuels, mais en pure perte au-delà de certains seuils. On ne peut écarter les taxes sur la consommation (TVA, TIPP, et autres taxes dont la limite est celle de l’imagination kafkaïenne des « imposteurs » [1] et les besoins des différents lobbys).

En outre, il n’est pas tenu compte de l’ISF (le plafonnement de l’ISF est le plafonnement des impôts directs à 75% des revenus, il s’agit d’un taux moyen. Ainsi, marginalement c’est plus de 75% de prélèvements directs qui sont opérés) ni des droits de mutation à titre onéreux (droits d’acquisition d’immeubles, de parts sociales…), ou à titre gratuit (droits de donation et de succession), ni des taxes d’habitation et foncières.

Si l’on ajoutait l’ensemble de ces prélèvements au taux marginal de 70% d’impôts directs, le taux marginal global d’imposition serait de plus de 90% (calcul excluant la contribution sur les très hauts revenus d’activités annulée par le Conseil constitutionnel).

Que l’on juge qu’il y ait une limite est rassurant. Mais que l’on fixe cette limite à 70% en retenant les impôts directs, soit plus de 90% tous prélèvements confondus, avec un Conseil constitutionnel composé quasi exclusivement de membres anciens présidents dits de droite voire libéraux pour certains ou nommés par eux, ceci n’est plus si rassurant.

Le plafonnement des impôts directs dit bouclier fiscal (anciens article 1er et 1649-0 A du CGI) avait en 2007 fixé cette limite à 50% des impôts directs, ce qui paraissait non pas un niveau souhaitable, mais encore acceptable.

Cinq ans après, le niveau est fixé par le Conseil constitutionnel à 70%, soit 20 points plus haut ou 40% de plus.

La tendance n’est par conséquent pas si positive que cela.

Et par-dessus-tout, que la lecture de la Constitution contenant en son article 2 le droit de propriété puisse aboutir à la conformité d’un taux de prélèvement global total pouvant dépasser 90% a de quoi désespérer.

La Constitution d’un État de droit devrait prévoir un taux maximum global de prélèvements obligatoires en % PIB mais également un taux maximum individuel. Ces taux ne seraient raisonnablement pas supérieurs à 30% pour le premier et 50% pour le second.


Note :

  1. Terme désuet pour désigner la personne en charge du recouvrement de l’impôt. Voir Littré.
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