Deux économistes du FMI affirment que l’institution s’est trompé dans sa méthodologie pour calculer l’impact de l’austérité. L’occasion pour eux d’appliquer la même méthodologie erronée pour à nouveau de mauvais conseils !
Par Baptiste Créteur.
Deux économistes du FMI, Olivier Blanchard et Daniel Leigh, l’affirment : le FMI s’est trompé sur l’austérité, qui serait encore plus destructrice de croissance et d’emploi que prévu.
Que les politiques d’austérité soient mauvaises pour la croissance et l’emploi, c’est désormais admis par la plupart des économistes. Mais qu’elles le soient encore plus qu’on ne le pensait, c’est ce qu’ont découvert deux d’entre eux, et pas les moindres : Olivier Blanchard, un Français chef économiste au FMI, et Daniel Leigh, économiste dans la même institution. Selon eux, l’utilisation d’un mauvais coefficient de calcul a débouché sur une sous-estimation des effets négatifs de l’austérité en Europe.
La plupart des économistes admettent la nocivité des politiques d’austérité. La règle démocratique est un gage de vérité en sciences ; ce qui est valable pour l’économie l’est aussi pour le climat. Mais deux d’entre eux vont encore plus loin : la plupart des économistes affirment que les politiques d’austérité sont nocives, mais elles sont en réalité très nocives ; l’erreur viendrait d’un mauvais coefficient de calcul.
«Nous démontrons que, dans les économies développées, une plus forte consolidation fiscale est allée de concert avec une croissance plus faible que prévu, écrivent-ils. Une explication naturelle est que les multiplicateurs fiscaux étaient nettement plus haut que ce que les prévisions estimaient implicitement.» Le «multiplicateur» en question est le coefficient reliant l’évolution des dépenses publiques (ou des impôts) au taux de croissance de l’économie. Lorsque ce coefficient est de 0,5, par exemple, cela signifie qu’un point de dépense publique en moins, ou d’impôt en plus, entraîne une baisse de 0,5 point de l’activité.
Le coefficient incriminé permet de calculer l’impact sur la croissance d’une baisse des dépenses publiques ou d’une hausse des impôts. Cela signifierait que les effets sur l’économie d’une hausse des impôts sont équivalents à ceux d’une baisse de la dépense publique – un parti pris lourd de conséquences.
La dépense publique et les hausses d’impôts n’affectent pas les mêmes individus. Les hausses d’impôts ne touchent que ceux qui en paient, alors que la dépense publique touche tout le monde et principalement ceux qui ne paient pas d’impôts. Ils n’ont pas les mêmes comportements, et l’impact de ces hausses ou baisses est donc différent. Les keynésiens, inspirateurs des modèles utilisant ces coefficients, ne peuvent l’ignorer : les propensions à consommer sont différentes, c’est-à -dire que l’impact d’une variation de revenu pour des populations différentes n’est pas le même. Portant leur intérêt sur la consommation, ils ne peuvent pas l’ignorer.
La décorrélation entre hausses d’impôts et baisse des dépenses publiques, ou entre baisses d’impôts et hausse des dépenses publiques, néglige une relation importante : celle qui relie dépenses publiques, impôt et déficits, puis endettement. Comme ils l’évoquent dans leur article, « Jusqu’à présent, on a appliqué au temps de crise le multiplicateur des périodes normales, explique Xavier Timbeau. Or, dans une crise, tout le monde panique. Les gens ne se conduisent pas de la même façon et personne ne peut anticiper le futur. » Les décisions des agents économiques se fondent sur la confiance, aussi bien entre eux que dans l’avenir. Ne pas prendre en compte l’impact de l’endettement sur la confiance, c’est considérer qu’un funambule se déplace de la même façon qu’un danseur de ballet.
Il y a deux façons de le calculer, explique Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE. Soit en faisant de l’analyse historique, en regardant les liens passés entre les politiques budgétaires et l’activité ; soit en construisant un modèle économique et en étudiant les relations entre ses différents composants. Dans les deux cas, ce ne sont pas des modèles neutres : leur construction comporte toujours une part d’a priori, qui correspondent à des idéologies.
Le coefficient de la discorde comporte donc un parti pris intrinsèque et un parti pris dans son mode de calcul, les deux correspondant à des idéologies. On comprend que les économistes l’aiment bien : on peut en discuter à l’infini sans jamais tomber d’accord et sans qu’on puisse jamais a priori savoir à quel point on a tort, puis discuter à l’infini des raisons de ses erreurs – sans jamais remettre en cause la pertinence d’un modèle qui ne permet de comprendre le passé qu’en adaptant le modèle aux faits. Comme l’affirmait Keynes, « à long terme, nous sommes tous morts », et les économistes adeptes du multiplicateur seront tous morts avant qu’on s’aperçoive de la supercherie.
Or, selon Blanchard et Leigh, le multiplicateur «de crise» pourrait être jusqu’à trois fois supérieur à celui des périodes «normales», utilisé jusqu’à présent. Les deux économistes l’avaient déjà écrit dans le très officiel rapport annuel du FMI, publié en octobre 2012 (page 41) : «De nombreux documents, dont certains issus du FMI, suggèrent que les multiplicateurs fiscaux utilisés dans les prévisions se situent autour de 0,5. Nos résultats indiquent que ces multiplicateurs se sont en fait situés entre 0,9 et 1,7» depuis le début de la crise. En clair, l’impact de l’austérité serait, selon les cas, de deux à trois fois plus important que prévu.
Dans le très officiel rapport du FMI, on trouve donc d’intéressantes discussions permettant d’affirmer que l’austérité a un effet destructeur à court terme. En respectant la logique keynésienne qui veut que toutes choses soient égales par ailleurs, si, à niveau de prélèvement égal, l’Etat distribue moins, ou si, à niveau de dépense égal, il prélève plus, il y a moins d’argent dans l’économie. Toutes choses étant égales par ailleurs, il n’y a aucun effet sur l’endettement et aucun lien entre dépense publique et prélèvements. Donc, à court terme, dans un modèle imaginaire mal construit et en ne tenant sciemment pas compte de facteurs cruciaux, l’austérité serait mauvaise et son impact serait plus important que prévu.
L’article de Blanchard et Leigh a fait réagir l’économiste Paul Krugman, Prix Nobel d’économie 2008. «Le FMI était moins enthousiaste vis-à -vis de l’austérité que les autres grands acteurs, rappelle-t-il sur son blog. Si lui-même dit qu’il s’est trompé, cela signifie que tous les autres […] se sont encore plus trompés. Et il a le mérite de vouloir repenser sa position à la lumière des faits. La véritable mauvaise nouvelle, c’est que bien peu d’autres acteurs font la même chose. Les dirigeants européens, qui ont créé des souffrances dignes de la crise de 1929 dans les pays endettés sans restaurer la confiance financière, persistent à dire que la solution viendra d’encore plus de souffrance.» Ne pas déduire, cependant, que le FMI remet en cause l’austérité dans son principe. Comment le pourrait cette institution qui a participé, notamment, à l’élaboration du très sévère programme grec ? C’est plutôt l’intensité des politiques d’austérité que remet en cause le Fonds, puisque leurs effets se révèlent plus importants que prévus. Cela rejoint d’ailleurs la position officielle du FMI : sa directrice générale, Christine Lagarde, réitère régulièrement ses appels à des trajectoires plus «douces» de diminution de l’endettement et du déficit budgétaire.
Ce n’est pas parce que le FMI dit qu’il s’est trompé que sa nouvelle copie est bonne. On sent pourtant toute la détermination de l’organisme, qui affirme que l’austérité est bonne dans le principe, mais pas trop, et qu’il faut la pratiquer, mais doucement. Diminuer l’endettement et le déficit budgétaire sans trop se presser – il n’y a pas d’urgence, après tout.
«Il y a deux FMI, la tête et le corps, estime cependant Xavier Timbeau. En Grèce, c’est lui le plus ferme sur l’austérité, encore plus que la Commission et que la BCE. Quoi que disent Blanchard ou Lagarde, sur le terrain, le Fonds applique le plan décidé entre le pays et ses créanciers. Il faudra du temps pour que le changement infuse dans l’institution et en Europe. Il y a aussi le risque qu’il reste confiné dans les hautes sphères du FMI, sans percoler vers le terrain.» L’Europe semble d’ailleurs s’engager dans cette direction. Fin 2012, la Grèce a ainsi obtenu un délai supplémentaire de la part de ses créanciers. Et si le gouvernement français s’accroche obstinément à son objectif de 3% de déficit budgétaire pour 2013, auquel il est le seul à croire, c’est en dépit des conseils du FMI et de Bruxelles, qui prônent désormais un «ajustement plus doux» pour le Vieux Continent. Après l’essorage.
En matière d’ajustement doux, personne n’est mieux placé que des instances nationales ou supra-nationales, au sein desquelles l’identification d’une erreur et la proposition d’une correction doivent infuser assez longtemps pour « percoler » vers le terrain, ce qui laisse présager de la célérité avec laquelle l’austérité sera menée – un objectif de déficit de 3% du PIB pour 2013 – soit 23% du budget de l’Etat – est donc un peu prématuré. Qu’un déficit budgétaire, même mesuré, puisse être un objectif, ne semble plus choquer personne, en tout cas pas les très sérieux économistes du FMI et de l’OFCE.
Il faut un ajustement plus doux pour le Vieux Continent incontinent, qui éprouve les plus grandes difficultés à se contrôler lorsqu’il s’agit d’arroser l’économie d’argent gratuit du contribuable et moins cher que gratuit des créanciers. « L’essorage » dont parle le FMI n’étant pas celui de la dette publique colossale, c’est certainement celui de l’irresponsable secteur privé, qui s’est endetté notamment pour financer sa croissance future et doit aujourd’hui rembourser – au contraire d’un Etat qui s’endette uniquement pour financer sa croissance présente et ne devra rembourser que demain, ou après-demain, ou plus tard pourvu que l’ajustement soit doux.
Malheureusement pour nos amis keynésiens et ennemis de l’austérité, l’ajustement sera d’autant plus intense et douloureux qu’on aura maintenu artificiellement à l’équilibre une situation déséquilibrée. Cette expérience de l’austérité forcée leur donnera de nouveaux éléments à inclure dans leur modèle ; espérons que cela suffira à les réconforter.
Lire aussi :
Les libéraux, qui ont eu tout faux depuis 30 ans, persistent dans leur déni et leur idéologie nauséabonde, en abondant la misère !
Si vous voulez vous donner la peine d’énoncer ne serait-ce qu’un début d’argument, vous pourrez ouvrir les yeux des libéraux sur leurs erreurs et le caractère nauséabond de leur idéologie.
Pfff!
Pfff: « Les libéraux, qui ont eu tout faux depuis 30 ans »
Les pays les plus libéraux s’en sortent, les autres non.
Chômage, richesse médiane, services et social même (qui ne sont pas à crédit) tout est en clair dans les rapports économique et sociaux.
S’il existe bien un consensus, c’est sur le fait qu’il faut libéraliser.
Même Flamby le reconnaît !
Il n’y a de débat qu’au sujet du calendrier: Maintenant ou plus tard.
Si la crise était due au libéralisme, la solution serait un train de mesures socialistes: RTT, avancement de la retraite, nationalisations, durcissement du droit du travail.
Puisque c’est le contraire, c’est donc que les libéraux avaient raison depuis 30 ans.
« Deux économistes du FMI, Olivier Blanchard »
« Olivier Blanchard ». STOP, n’allez pas plus loin. Tout est dit.
Allons, allons, comme le dit Krugman : « Si lui-même dit qu’il s’est trompé, cela signifie que tous les autres […] se sont encore plus trompés. Et il a le mérite de vouloir repenser sa position à la lumière des faits. » Espérons qu’il la repensera une fois pour toutes à la lumière des faits à venir, et que Krugman fera de même…
Cher Baptiste, vous reprochez a Pfff de ne pas argumenter, mais je ne vois pas le moindre argument explicatif dans votre article expliquant en quoi l’austérité est la solution, je ne vois qu’un sous-entendu parfaitement axiomatique voulant que le Keynésianisme (lequel…) « c’est de la crotte » (la c’est pas sous-entendu en l’occurrence). De l’idéologie a l’état brut.
Il y a deux liens en bas de l’article…
@ Djonne
pas faux…
Djonne: « mais je ne vois pas le moindre argument explicatif dans votre article »
Ah ? Ils sont pourtant là et absolument limpides.
Vivre en dépensant 20%* de plus que ses recettes pendant 38 ans d’affiliée n’est absolument pas possible.
Un état est pérenne et a besoin de bâtir ou entretenir à chaque minute de sont existence, utiliser la dette pour combler les trous d’une très mauvaise gestion c’est voler les investissements des enfants et vivre à crédit sur leurs dos.
Partant de ça, évidemment que quand un sur-endetté doit adapter son niveau de vie ça fait très, très mal mais la seule alternative c’est encore plus de dettes avec la faillite au bout.
Le sevrage alcoolique est aussi douloureux, mais la bonne voie serait de boire encore plus ?
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*Les « 3% du PIB » inventé par Mitterrand pour faire passer la pilule cachent en fait un budget en déficit de 20% à peu près, chaque année l’état claque 20% de plus que les rentrées.
*La France dépense de moins en moins pour l’investissement au profits des dépenses de fonctionnement, la SS est en faillite, les transport sont en faillite, les retraites sont en faillite etc. etc.
*Dernier budget positif : 1974
Comme vous l’avez peut-être remarqué, le sujet de l’article n’est pas de démontrer que l’austérité est la solution. Il y a pléthore d’articles sur le sujet sur Contrepoints, dont quelques-uns sont adressés par des liens accompagnant l’article.
J’ai en revanche énoncé quelques arguments – contre le keynésianisme, l’indicateur dont se sert le FMI et son mode de calcul – qui ne me semblent pas ni axiomatiques, ni idéologiques.
@ Djonne
Ce n’est pas en quelques lignes qu’on peut démontrer que telle ou telle théorie ou doctrine portant sur des sujets relativement complexes est juste ou fausse. Si vous souhaitez vous faire une opinion solide et libre sur le keynésianisme, vous n’avez d’autres choix que d’étudier la « Théorie Générale » minutieusement ainsi que de lire un certain nombre d’ouvrages de référence pro-keynes et anti-keynes. Surtout, vous ne pourrez pas faire l’impasse, comme malheureusement le font beaucoup trop d’étudiants, sur l’étude ne serait-ce que des grands économistes classiques du 19ème siécle à propos des thèmes traîtés par keynes dans la Théorie Générale (essentiel!). Après ceci, et seulement après, vous aurez très certainement des arguments et des convictions solides.
Avant que les adversaires du keynésianisme aient à démontrer en quoi il est faux, il faudrait que ses supporters démontrent en quoi il est vrai.
L’idéologie, c’est ce qui fait que l’on tend à considérer une hypothèse non démontrée comme étant objective parce que l’opinion publique et une intelligentsia y croient.
ph11: « il faudrait que ses supporters démontrent en quoi il est vrai. »
En pleine crise de la dette des états je vois pas comment il y arriveraient. C’est une crise majeur et un échec patent de ce système…
Si les retours sur « investissement » des relances keynésiennes étaient même positive ils serait donateur net de lingots d’or tellement ils auraient de richesses.
Mais là ils sont juste pourri de dette jusqu’à la moelle, les impôts explosent, ils ne savent plus comment rembourser.
Je suis sidéré par le niveau de modélisation extrèmement basique atteint par le FMI !!! Effectivement, si pour voir le résultat d’une politique publique, ils modélisent l’ensemble d’une économie via un coefficient multiplicatuer sorti du chapeau, c’est vraiment n’importe quoi ! Et cela se prétend économiste ?
J’ajoute plusieurs autres points en plus de l’article ou ce raisonnement simpliste et linéaire est faux :
– l’économie met une certain temps à s’adapter et à atteindre un nouvel équilibre. Donc les effets à court terme peuvent être différents des effets à long terme. En particulier, je pense qu’une baisse des impôts est bénéfique à long terme car les agents économiques ne dépenseront les liquidités retrouvés que l’année d’après en non lors des annonces du gouvernement. Une hausse des impôts a des effets très négatifs à court terme car au contraire les agents économique anticipent leurs effets. A plus long terme, ils mettent en place des techniques d’évitement de l’impôts qui leur redonne des liquidités.
– le coefficient risque également de dépendre de l’Etat des prélèvements dans l’économie. Une hausse de 1% des impôts quand l’Etat prélève 30% du PIB ou 50% du PIB, ce n’est pas la même chose. L’influence sur le comportement des agents économiques sera très différent. C’est le concept de la courbe de Laffer et l’intérêt de la falt tax faible auquel personne ne consacre de temps pour l’éviter … la façon de mettre en place une politique de hausse ou de baisse des impôts est donc critique dans ses résultats …
– Finalement, ces économistes oublient qu’un gouvernement ne joue pas uniquement avec les impôts prélevés. Il peut aussi travailler sur ses dépenses de fonctionnement et ses dépenses d’interventions. Restreindre le sujet aux impôts est un peu facile car cela revient à sanctuariser toutes les dépenses …