Le marché, le vice et la vertu

Sur les marché américains, le vice a battu la vertu. Une preuve de plus de l’immoralité du capitalisme ?

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Le marché, le vice et la vertu

Publié le 18 janvier 2013
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Parmi les bilans 2012, on a appris que le « Vice Fund » aux États-Unis (regroupant des valeurs réputées immorales) avait eu de meilleurs résultats boursiers que des placements plus moraux, comme l’Ave Maria Catholic Values Fund. De là à dire que le vice a battu la vertu, il n’y a qu’un pas, franchi allégrement par ceux qui trouvent le capitalisme par nature immoral. La réalité est plus subtile. D’une part, tout dépend de ce qu’on classe dans vice et vertu, d’autre part, on oublie que le marché véhicule ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Le marché n’est pas immoral, seuls les hommes ont un comportement moral ou immoral.

Le marché : deux volontés libres qui se rencontrent

Depuis des années, il existe des fonds de placements éthiques, appelés, en langage politiquement correct, « investissements socialement responsables ». Des organismes se chargent de noter les entreprises sur le plan éthique et vendent ces notes à des fonds de placements qui sélectionnent les valeurs et constituent un portefeuille correspondant aux attentes éthiques de leurs clients. Mais quelle éthique ? Les définitions habituellement utilisées sont tout à fait discutables. Mais la liberté de choix inhérente au marché permet à ceux qui le souhaitent d’ajouter un élément éthique aux classiques critères financiers d’un placement (liquidité, rendement, risque). Le marché est donc capable de répondre aux aspirations éthiques des épargnants, s’ils en ont.

En soi, le marché, pas plus que le capitalisme, n’est ni moral, ni immoral, car une institution ne fait pas de choix moraux. Seuls les hommes font des choix qui peuvent être jugés moraux ou immoraux. Dire que la finance est immorale n’a donc pas de sens.

Cependant, on peut dire que le marché, parce qu’il repose sur des choix libres, a un fondement éthique, que les autorités morales ont reconnu. Tel Jean Paul II qui évoque les « avantages solides du marché » (Centesimus annus § 40) : « Et, surtout, ils placent au centre la volonté et les préférences de la personne qui, dans un contrat, rencontrent celles d’une autre personne ». Voilà bien la supériorité du marché, qui procède de la liberté d’initiative et d’échange, droits individuels fondamentaux des personnes : deux volontés libres se rencontrent pour librement signer un contrat et échanger.

Victoire du vice ?

Il est vrai qu’on peut faire un bon ou un mauvais usage de sa liberté : deux individus peuvent conjuguer leur liberté pour faire le mal. Il peut exister un marché de la prostitution des enfants, que le bon sens commun jugera contraire aux droits fondamentaux et à la dignité des enfants. Que l’échange libre, échange de droits de propriété, soit une forme institutionnelle infiniment supérieure à la contrainte, étatique, ne fait pas disparaître ce risque. La liberté des actes doit tenir compte de la dignité des personnes.

Pour revenir aux placements, il ne faut donc pas être surpris si ce sont créés aux États-Unis des fonds vicieux, dont le fameux « Vice Fund ». S’il y a une « demande de vice » il y aura une « offre de vice ». A priori, on peut se lamenter de ce qu’en 2012 ce fonds a eu un rendement de 21,11%, supérieur à celui de fonds réputés plus moraux, comme le fonds « Ave Maria Catholic Values Fund », dont la progression n’a été que de 13,27%. Victoire du vice sur la vertu, du cynisme sur la bonté. Après tout, Bernard de Mandeville, au début du 18° siècle, avait bien expliqué dans sa Fable des abeilles que les vices privés font la prospérité publique. Le capitalisme, en cherchant la prospérité, encouragerait l’immoralité.

Toutefois, si l’on observe le long terme, on remarque que les résultats sont différents : pour l’anecdote, le fonds vicieux a progressé de 2,78% en cinq ans, contre 14,66% pour le fonds vertueux. À long terme, la vertu a battu le vice.

Où est le mal ?

En fait, il faut aller au fond des choses, et se demander ce que l’on considère comme un vice. Le fonds vicieux en cause favorise les placements dans le jeu, les boissons, le tabac, les armes. Activités immorales ? Le jugement de valeur n’est pas évident. Si un musulman condamne toute consommation d’alcool, le chrétien peut aimer le vin : il est présent dans les miracles de Jésus comme dans la liturgie ! En revanche, l’abus d’alcool peut être vu comme immoral par le même chrétien. Les armes servent à se défendre contre une agression injuste, et n’ont en cela rien d’immoral, mais on peut en faire usage pour des agressions criminelles.

On pourrait faire la même analyse pour ce que l’on entend par « éthique ». Les fonds sont généralement considérés comme « éthiques » quand ils concernent l’environnement ou les relations sociales. Mais les dégradations des biens environnementaux relèvent-elles de l’éthique ou viennent-elles d’un manque de reconnaissance des droits de propriété – car on gaspille ou pollue ce qui n’appartient à personne ? Quant à la protection sociale, on déplore son insuffisance dans les pays émergents, mais c’est un problème de développement et non de morale. D’ailleurs, l’État providence est-il un exemple de moralité suprême ?

Adam Smith, dans sa « théorie des sentiments moraux », donnait la bonne réponse à Mandeville. Il y a, disait-il, des comportements vraiment immoraux, qui nuisent à la prospérité générale ; en revanche une partie de ce que Mandeville appelle vices sont des « vertus mineures ». Il n’y a aucune immoralité, loin de là, à rechercher son bien propre et à vouloir vivre mieux pour soi-même ou pour faire le bonheur des siens. C’est le marxisme, au 19° siècle, qui a façonné nos mentalités contemporaines pour nous faire croire que rechercher notre intérêt (et en particulier l’infâme profit) était immoral par nature. La haine des riches qu’on observe encore aujourd’hui vient de là.

Changer les structures ou moraliser les personnes ?

Une grande partie des difficultés posées par les placements « éthiques » vient de ce que la morale peut varier d’un groupe à l’autre en raison de conceptions différentes de l’homme. Prenons l’exemple des interdits alimentaires : c’est la supériorité du marché que de permettre de trouver des biens correspondant à sa propre conception du bien et du mal. Personne n’est obligé de boire d’alcool et chacun peut acheter, suivant sa conception, des produits hallal, casher ou s’abstenir de manger de la viande un vendredi de carême ! En revanche, il existe des principes éthiques universels, qui reposent sur la dignité inaliénable des personnes et les normes morales naturelles, inscrites dans le cœur de chacun. Il est loin d’être certain que les placements éthiques reposent sur ces piliers pourtant incontournables.

Je le rappelle : ni la finance, ni le capitalisme, ni le marché n’est par nature immoral ; seuls les actes humains peuvent l’être. Tous ceux qui se proposent de moraliser le capitalisme devraient plutôt s’occuper de l’éducation des consciences, car le capitalisme ne sera « moral » que si les hommes le sont. Saint Augustin l’avait compris en affirmant : « Ne dites pas : les temps sont bons, les temps sont mauvais. Soyez bons et les temps seront bons ». Évidemment, sur le marché politique c’est moins « vendeur » que « le grand soir » qui va changer les hommes en changeant les structures. Mais c’est la vérité : la grandeur de l’homme libre est d’avoir une conscience morale.


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  • Un livre vraiment excellent d’André Comte-Sponville, « Le capitalisme est il moral », explique très clairement pourquoi une telle question n’a pas de sens et relève de la confusion des ordres.

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