Si le constat est juste, le remède à la crise du logement proposé par la fondation Abbé Pierre est pire que le mal.
Par Thibault Doidy de Kerguelen.
Au-delà des agitations politiciennes, des affirmations idéologiques et des coups de menton des grands « yakas », la réalité du problème du logement prend un vrai visage et une réalité palpable lorsque la fondation Abbé Pierre rend son rapport annuel sur le « mal-logement ».
Une situation qui empire d’année en année
À travers le logement, c’est à une description précise, émaillée d’exemples, de la misère qui gagne notre pays que la Fondation se livre. La multiplication des familles monoparentales qui appauvrit, le chômage de plus en plus long, de plus en plus lourd, le nombre croissant de Français n’ayant que le RSA pour vivre, la misère, la vraie, pas celle des banlieues, qui touche les zones rurales, les communes périurbaines, la pauvreté cachée de ceux qui n’ont plus que les terrains de camping payés à la semaine comme solution d’hébergement, l’entassement dans des lieux sordides où le manque d’hygiène provoque la résurgence de maladies que l’on croyait éteintes chez nous, les retraités qui quittent les villes et font valoir leurs droits à des logements sociaux dans des communes qui n’arrivent déjà pas à satisfaire les besoins locaux…
Mais avions-nous besoin de ce rapport pour savoir tout cela ? Ne voyons-nous pas surgir de temps en temps des illustrations de cette réalité ? Qui n’a pas vu, le long de son parcours en train le matin surgir ici ou là , le long de la voie ferrée des cabanes de planches et de bâches ? Qui ne s’est pas étonné au moins une fois de voir des gens entrer et sortir de campings en plein hiver dans des zones non touristiques ? Qui n’a pas remarqué un matin de bonne heure sur un parking de zone industrielle une voiture dont les vitres étaient couvertes de buée ?
Le rapport a cet avantage d’être précis et à chercher à quantifier. Plus de dix millions de personnes seraient touchées par la crise du logement et 3,6 millions subiraient le « mal-logement ». Des cabanes aux squats, en passant par le camping à l’année, « l’exclusion du logement est devenue un phénomène massif qui touche au moins 700 000 personnes », indiquent les auteurs du rapport.
Autre constat que fait l’association : les ordres d’expulsion commencent à grimper. Près de 119 000 décisions de justice ont été prononcées l’an dernier, soit 3000 de plus qu’en 2011. Alors que stagnent les revenus de ceux qui disposent encore d’un emploi stable (voire diminuent par l’augmentation de la pression fiscale), les dépenses de logement explosent dans les budgets des ménages. Entre 2000 et 2010, les loyers ont augmenté de 47 % dans le parc privé, et de 29 % dans le parc social. Forcément, le nombre d’impayés s’envole, et le financement des dispositifs de soutien, comme le Fonds de Solidarité Logement (FSL), est de plus en plus sous tension.
Du fait de la hausse continue du chômage l’an dernier et d’une précarité croissante, les relais d’intervention d’urgence (centres communaux d’action sociale, associations) sont submergés par les appels au secours.
Après le constat, vient la conclusion : « le bouclier de la protection sociale n’est plus calibré pour répondre aux problèmes d’exclusion ».
Des bribes de solutions qui laissent perplexes
Les propositions ou pistes de réflexion de la Fondation peuvent laisser perplexes. Application plus rigoureuse de la loi sur le « droit au logement », davantage de sévérité dans la mise en application de la loi sur le relèvement du seuil minimal de 25 % de logements sociaux, imposition d’une mixité sociale dans les métropoles régionales au marché immobilier tendu, les zones touristiques du littoral et certaines zones transfrontalières qui connaissent un phénomène de ségrégation territoriale et relèguent les « mal-logés » extra muros…
Bref, ces mesures ne font que renforcer une politique que ce même rapport dénonce comme étant terriblement inefficaces, des mesures à contresens du mouvement naturel. Nous savons, après cinquante ans d’expérience, que la mixité sociale est un leurre idéologique. Chaque fois que vous imposez une population exogène dans un quartier ou une ville, vous créez un phénomène de rejet qui presque toujours, prend la forme d’un départ de la population d’origine remplacée par ceux de la population imposée. Après quelques années, vous avez modifié la composition sociale du quartier en question, mais vous n’avez pas plus de mixité.
Je suis étonné que la plupart des intervenants sur le sujet du logement se contentent de raisonner à périmètre de marché constant. Mais peut-on en vouloir à une association dont le but est de soulager les misères hic et nunc, de ne pas prendre le recul nécessaire à une réflexion en profondeur ?
Les racines du mal
Pourtant, il y a unanimité sur le constat (y compris dans le rapport de la Fondation de l’abbé Pierre), même si nous ne le formulons pas tous de la même manière. Le marché français du logement ne connait que deux problèmes, l’un survenant conséquemment à l’autre : le déficit d’offre et la paupérisation des demandeurs.
Or, en quoi le fait d’imposer la mixité sociale ou de réquisitionner quelques centaines de logements va résoudre l’un ou l’autre de ces problèmes ?
À la base du grave problème de logement de notre pays, il y a le mode de financement de notre système social. 50 % des revenus d’un salarié étant prélevés en amont de son salaire, ce dernier est sous-évalué et rend la part « logement » lourde, voire trop lourde. L’État tout- puissant croit pallier ce problème (qu’il génère) par des HLM dont il n’est pas capable d’assurer la construction en assez grand nombre pour absorber l’accroissement de la demande toujours plus importante d’année en année. Toujours plus grande car l’appauvrissement augmente le nombre de Français admissibles aux HLM, car ceux qui y sont ont tendance à y rester.
Il y a un accroissement de la population d’année en année, car la multiplication des familles monoparentales augmente le besoin, car chaque année 200 000 étrangers (l’équivalent d’une grosse ville) s’installent dans notre pays, créant une demande nette (ils ne libèrent, par définition, aucun logement). L’État croit aussi résoudre le problème par des aides (APL). Sauf que la demande augmentant, les charges sur le travail augmentent, provoquant plus de chômage, donc de demandeurs…
Soigner le mal à son origine
Il semble évident que nous sommes au bout de la logique. L’attitude dogmatique et idéologique qui prévaut aujourd’hui est un emplâtre qui va (peut-être) satisfaire quelques beaux esprits, mais en rien résoudre le problème.
Comment faire croire que l’État, dont la principale préoccupation dans les années qui viennent sera de réduire son déficit de fonctionnement tout en maintenant le réservoir électoral des fonctionnaires, va trouver les ressources nécessaires à la construction de 800 000 logements sociaux ?
Cet objectif n’a d’éventuelles chances d’être approché qu’à condition que l’investissement privé s’engouffre dans le projet. Sans nous étendre sur l’effet déplorable que le risque « réquisition » peut faire planer sur des investisseurs privés, la paupérisation des demandeurs rend peu rentable, donc peu incitatif la construction privée. Reconnaissant cet état de fait sans l’avouer, l’État instaure des incitations fiscales, histoire de ramener l’investissement à un niveau acceptable de rentabilité. Si vous supprimez ces incitations, c’est la catastrophe que nous connaissons.
Sans faire de l’Allemagne un exemple en tout, reconnaissons que le marché y est beaucoup plus serein. Il n’y a quasiment pas de problème de logement, depuis la reconstruction, les landers n’ont cessé de construire ou d’inciter à la construction. Dès lors, les loyers sont raisonnables, puisqu’il n’y a pas de pénurie de logement (toujours cette sacrée loi de l’offre et de la demande), que le chômage est faible, et que les propriétaires ont la possibilité d’expulser les locataires dès le deuxième loyer impayé. Pas de surcoût d’assurance, pas de crainte de se retrouver avec deux années sans revenus.
Le gouvernement n’a pas les moyens de sa politique
Le déséquilibre qui existe entre l’offre et la demande en France trouve son origine dans les charges sociales qui pèsent sur le travail et paupérisent les demandeurs.
Plutôt que s’attaquer à ce problème, le gouvernement a choisi une autre voie, celle des mesures autoritaires. Il n’existe qu’une voie pour que cela ait une chance de fonctionner : construire, construire, construire à tour de bras, ce qui rééquilibrera ainsi le marché et dégonflera les prix. Le problème, c’est que le gouvernement n’a pas les moyens de sa politique, et que comme on ne rame pas éternellement à contre-courant, viendra un jour où il faudra prendre les bonnes mesures… Un jour, plus tard, « trop » tard ?
Lire aussi :
Et si nous suprimions les safer, la main mise des mairies sur les réserves de terrains, et autres organismes parasites d’Etat : un gros potentiel existe pour la construction et le batiment. Mais voilà !
L’immobilier est le marché où la main invisible est la plus visible. En fait, la démagogie étatique, bureaucratique etc. a engendré trois crises, une crise du logement, une crise de l’immobilier et une crise du bâtiment. ça va être rockn’roll…
Pour vos archives…
Eaubonne le 1er fév. « François Hollande avait promis durant la campagne présidentielle la construction de 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants sur son quinquennat.
Cet objectif nécessite la construction de 500.000 logements par an.
« Nous avons un objectif (annuel) de 500.000 logements, il ne sera pas atteint en 2012 et donc nous avons ce devoir (…) d’atteindre cet objectif à la fin du quinquennat ».
C’est IMPOSSIBLE… surtout techniquement !
Homo-Orcus: « François Hollande avait promis durant la campagne présidentielle la construction de 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants sur son quinquennat. »
Ça ne lui coutait pas plus de promettre aussi des poney à toutes les petites filles, quel radin !
On touche du doigt les conséquences de l’intervention étatique.
Petite fable économique: imaginons qu’un beau jour, un gouvernement bien intentionné ait décidé que tout Français, même pauvre, a le droit d’avoir une voiture. Donc l’état va construire des voitures, basiques, pas chères, vendues en-dessous de leur prix de revient. Conséquences: tout le monde va formuler une demande, même des gens ayant des revenus moyens qui pourraient, en faisant un effort financier, acheter une voiture sans recourir à l’aide de l’état.
Devant cette ruée, l’état institue une file d’attente; il faut bientôt un an pour avoir cette fichue voiture. Par ailleurs, le secteur privé, incapable de proposer des prix subventionnés, ne construit plus, sauf pour les gens fortunés. Ah, j’oubliais: il va de soi que des tarifs douaniers décourageront les importations de voitures étrangères. Donc on parvient progressivement à une situation de pénurie des voitures, les basiques comme les cossues.
Des gens voudront avoir une voiture meilleure que le modèle étatique qui, faute de concurrence, se contente de performances médiocres, d’un confort minimum et n’intègre aucune innovation. Mais ces gens vont surpayer leur achat. Les gens qui ont, enfin, obtenu, leur voiture de base, vont la garder le plus longtemps possible pour éviter de refaire à nouveau la queue. Donc, même le marché de l’occasion marche mal.
Ce n’est qu’une fable. Dans la réalité, on sait bien qu’il n’y a pas pénurie d’automobiles; au contraire, on se plaint qu’il y en a trop.
Mais, pour en finir avec la fable, le pire se passera le jour où un autre gouvernement décidera de mettre un terme à ce système. Ce sera, sinon difficile, du moins très difficile. En supprimant le secteur d’état ou en l’obligeant à suivre les lois de l’économie de marché, on va temporairement aggraver la pénurie en attendant que le secteur privé s’organise pour fabriquer suffisamment de véhicules.
Même problème pour le logement: le système actuel produit de la pénurie, comme le démontre trés bien l’article de Thibault, mais il est très difficile d’en sortir sans provoquer une crise politique et sociale.
Alain décrit exactement ce qu’il s’est passé en RDA avec la Trabant, une voiture 2 temps épouvantablement polluante.
La queue était interminable pour se la procurer.
Une solution pour la France!
« Le gouvernement n’a pas les moyens de sa politique » : sans aucun doute possible ! En effet, construire 500000 logements par an représente un coût minimal prévisionnel de 40 milliards rien que pour la construction, auxquels il faut ajouter le foncier et les aménagements publics de base (routes, écoles…)
Vous pouvez trouver une villa de 250 m² avec 4 chambres, deux salles de bains, un garage pour deux voitures pour 133 000 euros en Floride !
Et le rendement locatif est de plus de 2000 euros par mois.
Comme toujours, la liberté protège les plus faibles et surtout, leur donne la possibilité de sortir de cette situation.
Très bon article.
La fiscalité entre aussi en compte : elle est tellement lourde sur les investissements locatifs que l’épargne s’est détournée de ce secteur et que les investisseurs préfèrent l’investissement dans l’immobilier d’entreprise (plus rentable) que dans l’immobilier aux particuliers.
Un exemple : les tours de la Défense devaient intégrer des bureaux et des logements dans les nouvelles constructions. La dernière construite ne comprend que des bureaux.
Selon un hebdomadaire, le maire d’une ville moyenne d’Ile de France aurait utilisé, pendant des années, la carte bancaire de la société d’HLM (dont il est administrateur) pour payer des séjours de vacances, des véhicules et des loisirs à titre privé.
Est-ce que ce type d’abus (qui , parait-il, serait assez fréquent) justifierait pleinement la suppression du logement HLM ?