Les clichés d’un ancien compagnon sont-ils protégés par le droit à l’image ? Quid des photos de charme ?
Par Roseline Letteron.
La captation de l’image
Le juge commence par apprécier le contenu des photos litigieuses. Le juge fait observer qu’elles sont le plus souvent dénudées, que Virginie G. est même parfois présentée « embrassant un homme » ou « dans des ébats amoureux« . Son visage est généralement parfaitement visible ce qui rend le modèle identifiable, d’autant que l’une des photos est accompagnée d’un titre qui mentionne son prénom et la désigne ainsi sans équivoque. Par cette appréciation du contenu des photos, le juge entre dans la subjectivité de l’intéressée. Photographiée nue par son compagnon, sur des clichés qui permettent de l’identifier, elle est en droit d’espérer que son image soit considérée comme un élément de sa personnalité, et protégée comme telle. A ce stade, le juge sanctionne la seule captation de l’image, qui suffit à engager la responsabilité de son auteur.
La diffusion de l’image
Le défendeur estime que Virginie G. a accepté la diffusion de son image. Il déduit ce consentement du fait qu’elle l’a accompagné en 2004 à la remise d’un prix, une de ces photos ayant été récompensée lors d’un concours de photographies. Le juge écarte le cliché de son raisonnement juridique, d’autant que c’est la seule qui représente la requérante habillée, « assise, vêtue d’une robe noire« . Il ne cherche pas à savoir si cette présence à la remise du prix vaut ou non consentement. Il se borne à mentionner que toutes les autres photos ont été diffusées sur internet à l’insu de la principale intéressée. Aucun consentement n’a donc été obtenu, ni même sollicité.
Le seul cas dans lequel il est possible de se passer du consentement formel de l’intéressé est celui d’une personne célèbre, dès lors que son image est captée à l’occasion de ses activités publiques. Virginie V. n’est pas une personne célèbre, et ses photos dénudées n’ont évidemment rien à voir avec ses activités professionnelles. Dès lors, M. Juan F. a effectivement commis une violation du droit à l’image de Virginie G.
Il est vrai qu’il n’est pas tout à fait impossible d’invoquer la liberté d’expression pour justifier une atteinte au droit à l’image. La Cour européenne, en particulier, admet assez largement que l’image des personnes célèbres, même captée dans des circonstances privées, soit diffusée dans la presse, lorsque l’objet de cette diffusion est de participer à « un débat d’ordre général« . Dans un arrêt, d’ailleurs très discutable,Van Hannover c. Allemagne du 7 février 2012, la Cour considère ainsi que la diffusion de photos du prince Rainier de Monaco, prises à son insu dans un cadre privé, n’emporte pas violation de l’article 8 de la Convention, puisque le journal se borne à verser une pièce à un débat public portant sur la santé du prince.
En l’espèce, les photos de M. Juan F. ne participent à aucun débat public, et la liberté d’expression, même artistique ne saurait donc prévaloir sur le droit dont dispose Virginie G. sur son image. Le juge condamne donc le défendeur à verser 5000 € de dommages et intérêts à la victime, sachant qu’il avait déjà retiré les photos litigieuses des sites internet.
Les sites de vengeance
La solution, parfaitement équitable, ne doit pas cacher le nombre de situations comparables qui ne donnent pas lieu à contentieux, tout simplement parce que les victimes n’osent pas saisir le juge. On voit ainsi se développer aux Etats-Unis, et il en existe déjà dans notre pays, des sites de « vengeance » sur lesquels des hommes peuvent diffuser des photos « de charme » de leur ancienne compagne. Lorsque celle-ci proteste, elle est invitée à payer le site pour que les photos soient retirées, technique qui s’apparente au chantage pur et simple. Pour la première fois, vingt-cinq jeunes femmes ont déposé une plainte contre un site de ce type situé au Texas, et son hébergeur. La décision de justice sera certainement intéressante, car le juge texan, s’il veut garantir le droit à l’image de ces victimes, devra écarter la liberté d’expression, garantie par le Premier Amendement de la Constitution fédérale.
En tout état de cause, cette utilisation pour le moins perverse d’internet doit inciter chacun, et surtout chacune, à prendre quelques précautions. Les photos prises par un compagnon apportent souvent un plaisir narcissique, comme celles diffusées sur les réseaux sociaux. Mais demain ? N’est-il pas possible que quelqu’un utilise ces clichés à notre insu, pour nous nuire ? Une bonne question à se poser avant de sourire à l’objectif.
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