Parmi les sources de l’évolution des inégalités américaines ces trente dernières années, se trouve l’incapacité de l’Université à répondre au besoin de main d’œuvre qualifiée induit par les changements technologiques.
Par Acrithène.
La hausse des inégalités est un des sujets brûlants aux États-Unis ainsi qu’en Europe. Aux États-Unis d’abord car elles sont criantes et croissantes. En Europe ensuite, car l’État-providence a choisi de cacher le symptôme avec un remède de cheval appelé dépense publique et dont les effets secondaires aggravent la maladie. Introductif au problème, le premier graphique illustre la hausse de la part des plus hauts revenus dans leur total aux États-Unis.
Si l’on veut traiter la maladie, il faut d’abord en isoler l’origine. Ce qui m’amène sur les travaux de deux professeurs d’Harvard, Claudia Goldin et Lawrence F. Katz dont la grande thèse est que l’une des principales sources de la hausse des inégalités se trouve dans les évolutions de la performance du système d’éducation.
La thèse est simple. Pour un niveau de qualification donné, le salaire progresse d’autant plus rapidement, que la demande de travail des entreprises croît plus rapidement que la population ayant ce niveau de qualification. C’est l’évolution de la rareté ou de l’abondance relative d’un talent qui fait sa valeur marchande.
Or Goldin et Katz notent que de l’après Seconde guerre mondiale aux années 1970, la part des diplômés de l’Université au sein de la population active a crû très rapidement, tandis que sa progression a fortement ralenti par la suite. Or la demande de main d’œuvre diplômée a, de son côté, continué à croître très rapidement dans les décennies suivantes. Donc, depuis 40 ans la demande de matière grise croît nettement plus rapidement que la matière grise elle-même, ce qui cause la hausse rapide de sa rémunération.
Inversement, si la part des travailleurs peu qualifiés décroît, elle décroît moins vite depuis les années 1970 que dans les décennies précédentes. L’idée est que lorsqu’une personne accède à un plus haut niveau de qualification, cela profite aussi à celles qui restent peu qualifiées, car la réduction de leur abondance améliore leur situation sur le marché du travail.
Le premier des deux graphiques qui suivent montre la part des diplômés de l’Université dans la population active américaine. Le second, montre le taux de croissance en dix ans de la part des diplômés dans la population active, illustrant le ralentissement observé par Goldin et Katz.
Si Goldin et Katz ont raison d’insister sur le rôle clé de la formation universitaire dans la dynamique des inégalités, on devrait observer une forte hausse de la prime au diplôme à partir des années 1980. Le graphique qui suit illustre clairement ce phénomène des trois dernières décennies, avec une forte hausse de la prime au diplôme universitaire. Au contraire, dans la première partie du siècle cette prime avait fortement décru, reflet des débuts de la démocratisation de l’Université. À noter que les gains enregistrés à partir des années 1980 n’ont affecté que les diplômés du supérieur, tandis que la prime aux « bacheliers » n’a pas progressé.
Si les inégalités croissantes dérivent d’un changement dans l’abondance et la rareté relatives des mains d’œuvre non-diplômés ou diplômés, cela devrait aussi s’observer par des tensions sur le temps travaillé. La pénurie de main-d’œuvre très qualifiée devrait provoquer une hausse du temps travaillé par les personnes les plus instruites, et inversement. Le graphique qui suit illustre ce phénomène. De gauche à droite, sont classés les postes en fonction du niveau moyen d’éducation des personnes les occupant. Par exemple, la partie entre 90 et 100 regroupe les 10% d’emplois dans lesquels le niveau d’éducation est le plus avancé. Chaque courbe représente l’évolution au cours  de la part de chaque niveau de compétence dans le totale des heures travaillées.
- On y voit que durant la décennie 1980-1990, les 65% d’emplois aux niveaux d’éducation les moins avancés ont vu leur part du total des heures travaillées décroître, et ce de manière d’autant plus forte que l’emploi était peu qualifié. L’inverse s’est produit pour les 35% d’emplois les plus qualifiés, traduction d’une trop grande rareté du personnel diplômé.
- Durant la décennie 1990-2000, la tension sur les heures travaillées s’est concentrée sur les 15% d’emplois où le niveau de qualification était le plus fort. À la différence de la décennie qui précède, ce sont les emplois dont le niveau de qualification était médian qui ont subi la forte baisse.
La conclusion est simple. Les inégalités viennent de l’incapacité de l’enseignement supérieur à produire la main d’œuvre qualifiée réclamée par les évolutions technologiques de nos sociétés.
La question que pose cette conclusion est celle de la marge de progression du système éducatif. La progression de l’enseignement se heurte-t-elle aux limites intellectuelles des hommes ? Difficile de faire des statistiques en France sur l’évolution de l’Université ou du nombre de bachelier, vu que le niveau des diplômes universitaires et du baccalauréat s’est extrêmement dégradé. Cependant rappelons qu’un enfant d’enseignant a 4 fois plus de chance de finir en première année de classe préparatoire que la moyenne. Généralement, ce chiffre sert à crier à l’inégalité des chances. Propos typique de la doctrine de l’école méritocratique, dont l’idéal serait de hiérarchiser équitablement, plutôt que d’instruire au maximum. Non, ce chiffre montre simplement l’énorme potentiel de nivellement par le haut. Les inégalités doivent se combattre dans les classes.
—
Sur le web.
Bibliographie :
- Claudia Goldin & Lawrence F. Katz, 2007. « Long-Run Changes in the Wage Structure: Narrowing, Widening, Polarizing, » Brookings Papers on Economic Activity, Economic Studies Program, The Brookings Institution, vol. 38(2), pages 135-168. (lien)
- Claudia Goldin & Lawrence F. Katz, 2008. The Race between Education and Technology, Harvard University Press
Dommage qu’outre leurs variables d’analyse, les deux auteurs n’aient pas introduit un facteur « complexité » qui se constate pourtant dans toutes les disciplines de travail !
Facteur présent dans maints domaines, autant ceux liés aux technologies & méthodes … qu’à l’évolution inhérente à la mentalité des salariés.
Complexité amplifiée encore par l’avalanche de mesures de « protection sociale » qui compliquent plus qu’elles ne semblent apaiser l’ambiance !!!
La surprise que semblent éprouver certains, à la découverte de ce qu’est devenu en quelques siècles la pyramide sociale, est aussi consternante que sont sommaires les conclusions qu’ils en tirent et les solutions qu’ils avancent pour y remédier.
Et il en sera de même tant que manquera aux déclarations les mieux intentionnées l’intégration du fait démographique, que Marx lui-même a ignoré, jusqu’à ce que de nos jours la dimension désormais planétaire de la pauvreté, donne un sérieux coup de vieux à la lutte des classes et à l’affrontement gauche/droite.
En occident comme ailleurs, dans les pays développés comme dans les autres, la société des hommes est, a toujours été et sera jusqu’à sa fin, irrévocablement faite d’inégalités. L’exception y domine la masse ; le pouvoir y domine le peuple, la force la faiblesse, l’intelligence la sottise, le savoir l’ignorance , la richesse la pauvreté etc. ; dans tous leurs aspects. Et plus les richesses augmentent – qu’elles soient d’ordre matériel ou immatériel – Plus s’accroît l’écart entre un sommet qui n’a pas d’autres limites que la cupidité humaine et les capacités de la planète et, à l’opposé, une base peuplée de la pauvreté absolue, dernier état de la condition humaine. Il existe des chiffres et un mécanisme vieux comme le monde, dont il faudrait pourtant avoir clairement conscience avant de tenter sincèrement quoi que ce soit d’utile pour secourir durablement les plus nécessiteux d’entre nous. Or l’élite n’a le courage, non seulement d’affronter mais simplement d’évoquer ce mécanisme infernal. A fortiori la pseudo élite se nourrissant de la pensée unique et ceux qui la suivent en prisonniers idéologiques : À l’aube de notre ère, la Terre était peuplée d’environ 250 millions d’êtres humains. Elle en compte plus de 7 milliards aujourd’hui, dont 1,2 à 1,4 milliard vivent dans un état de pauvreté profonde. L’homme et le progrès dont il est porteur ont ainsi créé, en 20 siècles, 5 fois plus de miséreux qu’il n’y avait d’individus de toutes conditions sur terre au début de leur entreprise. Et la population augmente, quotidiennement, de 220 à 250 000 âmes qui viennent dans leur grande majorité surpeupler la base d’une société dans laquelle le « descenseur social » prend le pas sur l’ascenseur du même nom démontrant, s’il en était besoin, que la pauvreté est plus facile à partager que la richesse.
Outre le véritable escamotage du fait démographique par la plupart des « docteurs » penchés sur le cas des pauvres, la pyramide sociale, pour aussi schématique qu’elle soit, met en évidence le fait que les pauvres des uns sont les riches des autres, dans une relativité universelle dont non seulement les uns et les autres se moquent, mais qu’ils contribuent à masquer avec un égoïsme comparable à celui des riches du sommet qu’ils ne font qu’imiter et jalouser dans leur impuissance. Tous ceux qui confondent richesse avec confort et bonheur avec richesse, démontrent ainsi que le sort d’un milliard et demi de pauvres réels et profonds leur importe peu, comparé aux enjeux de leur propre lutte, se limitant à arracher à leurs riches ce qu’ils leur envient, avec une rapacité au moins égale à la leur. Mais le plus grave est qu’en dépit de leurs principes, ils méprisent ainsi ceux dont ils sont eux-mêmes le riches et se prétendent les défenseurs. Ils négligent, dans un égoïsme médian qui vaut n’importe quel autre, que tout ce qu’ils parviennent à obtenir pour améliorer leur propre confort est autant de moins pour plus pauvres qu’eux et, in fine, pour ces pauvres authentiques auxquels ils contribuent à arracher littéralement le pain de la bouche.
Aucune résignation dans ce qui précède, mais bien au contraire un appel à regarder la pauvreté pour ce qu’elle est réellement, à une échelle planétaire qui concerne dorénavant chacun d’entre nous, du plus humble au plus riche. L’histoire nous enseigne qu’une révolution chasse l’autre … jusqu’à celle d’après, aucune n’ayant jamais changé durablement quoi que ce soit à un ordre établi dont il serait temps de prendre conscience et de tenir compte avec l’intelligence dont l’homme est censé être doté.
Visiter à ce sujet : http://claudec-abominablepyramidesociale.blogspot.com
Vous avez une vision très pessimiste des choses :
250 millions d’hommes au début de notre ère. Vous oubliez de préciser qu’il s’agit, par rapport à aujourd’hui, à 250 millions de pauvres. Donc 7 milliards moins 1,4 milliards, cela fait 5,4 milliards de « riches », soit plus de 20 fois la population initiale, contre seulement 4 fois pour les plus pauvres.
D’autre part, le nombre absolu de très pauvres a diminué au cours des quinze dernières années.
Pour le reste, je partage votre point de vue.
Avec des allusions fausses, telles votre
[ L’homme et le progrès dont il est porteur ont ainsi créé, en 20 siècles, 5 fois plus de miséreux qu’il n’y avait d’individus de toutes conditions sur terre au début de leur entreprise. ] …
Vous êtes – Claudec – complètement versé dans l’erreur, voire dans une forme de paranoïa idéologique ! Ayez, voulez-vous, l’intelligence de noter que les gens étant en premier lieu responsables d’eux-mêmes et de leurs actes individuels … si la démographie des pauvres est horriblement élevée et LA source principale de leur maintien en l’état de pauvreté… ce n’est pas du tout par manque d’attention des mieux nantis que vous incriminez dans ce commentaire pessimiste !
Il existe à l’échelle mondiale et depuis bien avant l’apparition des ONG (onusiennes & autres) une armada d’organes en principe fondés sur la charité à l’égard d’autrui ! L’Eglise chrétienne fut en première de ceux-là . Au temps révolu de la colonisation, puis encore après en dépit d’entraves (locales) des structures missionnaires et autres se chargèrent d’établir dispensaires, hopitaux et écoles. Toutes visèrent à un mieux-être des populations. QUI par la suite s’activa pour contrarier les efforts antérieurs ? Ben pardi, les pouvoirs locaux, dont massivement ceux ayant voulu la « décolonisation ». Alors, cessons de geindre et de nous auto-culpabiliser ?
Ayez aussi la clairvoyance de noter qu’aujourd’hui, la déferlante de pauvreté règne dans les pays d’islam (ah ?) et ceux ayant renversé les démocratie naissantes inspirées par l’Occident… pour mieux rétablir des régimes dictatoriaux (ethniques et claniques) d’antan !!!
la demande des employeurs pour des métiers techniques, ceux ci n’ont guère evolués dans le temps, ainsi on forme bcp d’informaticiens ou d’ingénieur très spécialisés et qui me semble il sont tres compétents dans leur domaine. Pourquoi alors en France les informaticiens ne trouvent ils pas de boulot ou alors avec des salaires ridicules? Quand bien meme les entreprises soient taxées, l’informatique rapporte bcp. Je crois qu’on oublie de parler des marges des entreprises et de la répartition des revenus du travail. mais avec le papy boom, la relance eco meme artificiel des années à venir, les employeurs vont avoir toute la peine du monde à trouver des salariés à leur conditions, et fini l’immigration de travail. Je vois bien le patronat français éduquer des singes pour diminuer le salaire moyen, pas sur que ça suffisse…
Les informaticiens ne trouvent pas de travail ?
Dans ma boite, on ne trouve pas de salariés à moins de baisser le niveau demandé.
Comme il est mauvais pour une entreprise de recruter n’importe qui, on baisse la voilure, les gens présents bossent plus, mais des gens compétant au chômage, on en cherche partout, on n’en trouve pas, j’en conclue donc que cela n’existe pas …
Après, des rigolos et des branleurs par contre, on en a à la pelle …
L’economie ne finance pas la continuité dans l’évolution technologique, pourquoi se plaindre que l’inflation prenne le pas d’une mauvaise gestion des ressources.