“Consumer Republic: Using Brands to Get What You Want, Make Corporations Behave, and Maybe Even Save the World”, par Bruce Philp. Un livre pour retrouver votre pouvoir de consommateur.
Par Le Minarchiste, depuis Montréal, Québec.
Bruce Philp est un spécialiste de l’image de marque et de la publicité basé à Toronto. Sa théorie dans Consumer Republic est que les marques de commerce donnent énormément de pouvoir aux consommateurs. De plus, Philp croit que, grâce à l’internet et aux médias sociaux, ce pouvoir n’a jamais été aussi grand que maintenant.
L’acétaminophène est un produit efficace contre les maux de tête. En Amérique du Nord, la marque la plus populaire est Tylenol, qui a environ un tiers du marché. Pourtant, il existe des alternatives génériques parfaitement équivalentes significativement moins dispendieuses. Pourquoi alors est-ce que les gens achètent quand même Tylenol même s’il est plus cher ? La réponse est parce que la marque agit comme une police d’assurance pour le consommateur; il impose au fabricant une forme d’imputabilité plus forte que bien des règlementations.
En 1982, un criminel a trafiqué des contenants de Tylenol sur les tablettes d’une pharmacie de Chicago, causant la mort de 7 personnes (voir ceci). L’entreprise Johnson & Johnson a répondu avec panache pour défendre leur marque. Ils ont été transparents avec les médias, ils ont détruit des produits d’une valeur de plusieurs millions de dollars par précaution et ils ont amélioré les caractéristiques de sécurité des contenants pour prévenir ce genre de chose. Leur part de marché est passée de 37% à 7% pour ensuite remonter à 30%. Ainsi, beaucoup de gens paient plus cher pour la marque Tylenol parce qu’ils savent que si quelque chose tourne mal, l’entreprise fera ce qu’il faut pour corriger la situation pour défendre son image de marque.
Suite à un défaut majeur sur leur camionnette Tacoma résultant en l’apparition de rouille, Toyota a offert aux propriétaires de ces véhicules de les racheter à 150% de leur valeur (voir ceci). Pourquoi ? Pour conserver son image de marque axée sur la qualité et la fiabilité.
Lors d’une étude, les participants étaient confrontés à deux téléviseurs complètement identiques, excepté que l’un d’eux portait la marque Philips et l’autre ne portait aucune marque. Les chercheurs ont ensuite demandé aux participants le prix qu’ils seraient prêts à payer pour chaque téléviseur. Les gens qui ont évalué le téléviseur Philips lui ont attribué une valeur de 20% supérieure à la valeur attribuée à l’autre téléviseur. Pourquoi ? Parce que ces gens attribuaient une valeur au sentiment de sécurité que la marque apporte. Une marque indique que des gens endossent le produit qu’ils fabriquent.
En 2009, Walmart a décidé d’éliminer des centaines de marques de produits dont la vélocité des ventes était faible. Par la suite, le trafic dans les magasins a fortement chuté, les consommateurs n’appréciant par le manque de choix. Il n’a suffit que de quelques mois avant que l’entreprise face marche arrière et se plie à la volonté de ses clients qui ont voté avec leurs pieds et leurs portefeuilles (voir ceci). Ceux-ci ont dicté à l’une des plus grandes corporations au monde comment elle devait gérer ses magasins.
En 2010, la pétrolière BP a été impliquée dans une importante catastrophe écologique : l’explosion de Deepwater Horizon. Peu après l’événement, le président Obama a baptisé l’événement « the BP oil spill ». Il n’a pas été mention de TransOcean, ni d’Halliburton, mais bien de BP. Pourquoi ? Parce que contrairement à ces deux autres entreprises impliquées dans le désastre, BP avait une marque et un logo; elle faisait affaire face à face avec le grand public à ses stations services. La Maison Blanche savait qu’en ciblant et nommant l’entreprise qui avait une marque, elle engendrerait la réaction la plus active en sachant que BP allait sortir les grands moyens pour défendre sa marque (voir ceci). La réaction de BP face à la catastrophe a été bien au-delà de ce qui aurait pu être exigé d’elle de la part du gouvernement et des régulateurs. C’est son désir de protéger sa marque qui l’a poussée à en faire autant, même si pour certains (incluant moi-même) ce n’était toujours pas assez.
Les marques nous donnent du pouvoir face au marché et aux grandes entreprises, mais pour pleinement profiter des effets bénéfiques de ce pouvoir, il nous faut assumer notre penchant pour la consommation, qu’elle soit ostentatoire ou non. La consommation ostentatoire n’est pas nécessairement une forme de vanité ou d’affichage de notre statut socio-économique. Il s’agit en fait de plus en plus d’une forme d’expression de son individualité et d’affirmation de sa personnalité. En évitant d’accorder de l’importance aux marques, nous nous privons de leur pouvoir.
Le consumérisme est associé à la liberté individuelle. Les régimes totalitaires, qu’ils soient Nazi, Soviétiques ou théocratiques, comportent tous un volet anti-consommation. La consommation est une expression d’autonomie personnelle et de diversité, ce qui déplaît à ces régimes qui préfèrent l’homogénéité. Dans les anciennes monarchies européennes, la consommation ostentatoire était une façon d’enfoncer les barrières entre les classes aristocratiques.
Selon Philp, les groupes de focus sont une perte de temps car les gens ne disent pas la vérité. C’est avec leur portefeuille que les gens s’expriment de la manière la plus fidèle à ce qu’ils pensent vraiment. Ainsi, durant ces discussions de groupe, les gens n’osent pas avouer devant les autres qu’ils sont influencés par les marques. La fausse conclusion dérivée de ceux-ci est que la marque n’a pas tant d’importance, ce qui pousse les entreprises à prendre de mauvaises décisions, ce qui résulte souvent en un focus sur les baisses de coûts (et de qualité) pour gagner des parts de marché.
Selon Philp, de nos jours, beaucoup trop de gens négligent la qualité de ce qu’ils achètent et s’acharnent plutôt à payer moins cher de façon à pouvoir acheter le plus de choses possibles. La marque perd ainsi de l’importance et nous nous retrouvons avec des produits de piètre qualité et peu durables. Nous ne sommes pas victimes de l’obsolescence hâtive, nous faisons partie intégrante de l’équation. Ce sont nos choix de consommation qui influencent l’équilibre entre prix, qualité et durabilité. Prenons les automobiles comme exemple car il s’agit d’un bien pour lequel la durabilité est une qualité prisée par les consommateurs. Leur durabilité a énormément augmenté au cours des dernières décennies. De nos jours, les voitures sont munies de garanties de plusieurs années ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. Ce sont les désirs des consommateurs qui ont forgé ces changements.
Dans les mots de l’auteur :
“Regardless of where cheapness begins, the outcome is products that don’t last, plundering the planet and filling landfill sites with the wreckage of our short-term thinking. Cheapness exports jobs. Cheapness gives too much power to too few retailers. Cheapness turns shopping into a sport. It encourages us to consume for the sake of consuming. Cheapness discourages respect for the work of others and, ultimately, our own. Cheapness is, indisputably, toxic to our way of life. »
Dans son livre “No Logo”, l’auteure Naomi Klein blâmait l’entreprise Nike pour ses pratiques douteuses dans les pays du Tiers-Monde. L’image de Nike en a été très négativement affectée. Klein s’est attaquée à l’une des marques les plus prisées du monde, et Nike a réagi. L’entreprise a fait énormément pour améliorer les choses en changeant ses pratiques commerciales significativement. Aujourd’hui, Nike est classée comme l’une des corporations les plus éthiques (voir ceci). Quelle a été la motivation pour cette transformation ? Préserver la valeur sociale et monétaire de sa marque. On en vient alors à se demander pourquoi Klein tient tant à ce que l’on vive dans un monde sans logos…avec tous les changements positifs que Nike a fait pour préserver l’image du sien.
Le monde du marketing a profondément changé à partir des années 1990s. Vu la diversité grandissante de leurs intérêts, les jeunes sont devenus plus difficiles à cibler. Les publicistes ont dû davantage être à leur écoute que par le passé. Puis, cette tendance s’est accentuée avec les chaînes spécialisées, l’internet, You Tube et Facebook. Non seulement les firmes de marketing ont perdu le contrôle sur leurs canaux de communication avec les consommateurs, ils ont en plus dû rendre la communication bidirectionnelle. Les entreprises sont de plus en plus à l’écoute de ce que nous pensons de leur marque et de leurs produits, et elles réagissent.
Nous vivons maintenant à une époque où un consommateur fâché peut, grâce aux nouveaux médias sociaux, attirer l’attention d’une grande entreprise et la faire réagir. Les consommateurs n’ont jamais eu autant de pouvoir que maintenant. Au début des années 1980s, une étude avait évalué qu’un consommateur insatisfait partageait son expérience avec 10 à 16 personnes. Grâce aux réseaux sociaux, ce nombre est passé à 290 (selon une étude de Claudine Ouellet de l’Université Laval).
Prenons l’exemple de Dave Carroll, qui avait filmé les employés de United Airlines briser sa guitare en 2008. Le transporteur refusait de l’indemniser convenablement, jusqu’à ce que la pression des internautes viennent lui forcer la main. La banque HSBC, qui avait voulu introduire un taux d’intérêt sur les comptes à découvert d’étudiants suite à la crise financière en 2007, a dû rebrousser chemin après que des milliers de gens aient joint une page Facebook dénonçant la manœuvre (voir ceci). En 2010, Gap a abandonné son nouveau logo suite aux critiques des internautes (voir ceci). Tropicana avait subi le même sort l’année précédente (voir ceci). La chaine de restaurants Le Commensal a quant à elle fait face à de virulentes critiques concernant l’introduction de plats non-végétariens sur le menu, encore une fois sur les médias sociaux (voir ceci). An avril 2012, Deborah Kudzman a gagné sa bataille contre les Industries Lassonde concernant l’utilisation du mot « Oasis » grâce aux réseaux sociaux (et notamment l’intervention de Guy A. Lepage sur Twitter) et a obtenu le remboursement de ses frais juridiques de $80,000. En moins de 24 heures, les réseaux sociaux avaient permis de régler une histoire qui durait depuis plus de 7 ans! (voir ceci) L’internet a complètement changé la donne et permet maintenant aux consommateurs d’avoir beaucoup d’impact sur les entreprises.
Warren Buffet, reconnu comme étant le plus grand investisseur boursier de tous les temps, a toujours favorisé les actions d’entreprises dont la marque de commerce est très forte. Pour ces entreprises, c’est leur marque qui leur permet de faire des profits et la force de leur marque, qui résulte de la satisfaction de leurs clients, leur confère un avantage concurrentiel durable qui bénéficie au prix de leur action à long terme.
La firme Covalence compile un classement des 100 entreprises les plus « éthiques ». Environ un tiers des 100 entreprises ayant les marques qui valent les plus chères au monde selon Interbrand figure sur la liste de Covalence des entreprises les plus éthiques, même si beaucoup d’entreprise sur cette dernière n’ont pas vraiment de marque de commerce et n’ont donc pas été évaluées par Interbrand. Il est donc clair que les marques motivent un comportement éthique de la part des entreprises.
Notre façon de consommer injecte nos valeurs personnelles directement dans le système commercial. Ce qui motive nos achats, finit par motiver les entreprises qui produisent ce que nous achetons. Notre façon de consommer aide à forger les entreprises desquelles nous achetons. C’est pourquoi les marques nous donnent beaucoup de pouvoir face aux entreprises; bien plus que la réglementation et l’intervention gouvernementale.
Article connexe sur la consommation : Surconsommation : revenir à la sobriété originelle du libéralisme.
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Article intéressant, mais il n’en reste pas moins que les tarifs pratiqués par certaines marques de « luxe » qui font produire en chine sont largement excessif, et que l’on peut trouver une qualité supérieure pour moins cher tout en ayant un excellent SAV
Bah justement: voter avec son portefeuille, c’est également faire les choix qui répondent à ce type d’argument (pas forcément fallacieux, je précise)