Utiliser l’indice Big Mac pour affirmer que l’euro est surévalué par rapport au dollar, c’est prendre ses désirs pour des réalités.
Par Georges Kaplan.
Se basant sur la dernière mise à jour de l’indice Big Mac de The Economist, un certain nombre de commentateurs (comme Alexandre Delaigue ou Charles Sannat) nous affirment que l’euro est surévalué de 11,7% par rapport au dollar américain.
Comment en arrive-t-on à cette conclusion ?
Eh bien c’est très simple : aux États-Unis, un Big Mac coûte $4,37 tandis que dans la zone euro, le même sandwich se vend €3,59 ; soit, avec un euro à $1,3570, l’équivalent de $4,88 ; c’est-à-dire 51 cents de plus qu’outre-Atlantique. Le raisonnement de The Economist consiste alors à calculer la valeur de l’euro exprimée en dollars qui permettrait de faire en sorte que nos Big Mac à €3,59 valent effectivement $4,37 comme aux États-Unis. En l’occurrence, il faudrait que le dollar monte de 11,7% (ou que l’euro baisse de 10,5%, ce qui revient au même).
Seulement voilà, il se trouve que le Big Mac ne se vend pas au même prix dans toute la zone euro. En France, il vaut effectivement €3,60 – soit un chiffre très proche de la moyenne – mais si vous allez vous payer le même sandwich en Estonie, il ne vous en coûtera que €2,7 euros tandis que chez nos amis Italiens, il va vous falloir débourser pas moins de 3,85 euros. Ainsi donc, avec le même calcul, on en conclut que l’euro italien ne serait pas surévalué de 11,7% mais de 19,6% tandis que son frère jumeau estonien serait sous-évalué de 16,1%.
Mieux encore : même en France, même à Paris, le prix d’un Big Mac n’est pas le même partout – loin de là. Une petite enquête réalisée par Challenges.fr en avril dernier concluait que le prix du sandwich, d’un McDonald’s parisien à l’autre, pouvait varier de €3 à €4,2 pour une moyenne à €3,75 (alors que, selon The Economist, le Big Mac français moyen valait à l’époque €3,6). On en conclut donc qu’entre le 18 et le 24 avril 2012, l’euro parisien était surévalué de 31% sur les Champs Élysées tandis qu’il était sous-évalué de 6% sur le boulevard Poissonnière.
La loi du prix unique
Le sandwich phare de McDonald’s a la double particularité d’être très standardisé à l’échelle mondiale et d’être composé de produits exclusivement locaux ; par exemple, si la recette de votre Big Mac est, pour l’essentiel, identique à celle de son frère jumeau américain, les ingrédients dont il est composé sont à 76% français (100% européens) sans compter le coût du travail, de l’immobilier, des taxes etc. C’est-à-dire que votre Big Mac est un des produits les plus Made in France qui soit et que son prix en euro est une mesure tout à fait acceptable du pouvoir d’achat de l’euro en France.
Or, le principe sur lequel se fonde le modèle de The Economist, c’est la loi du prix unique ; l’idée selon laquelle dans un monde sans coûts de transport ni barrières douanières, un même produit devrait se vendre partout au même prix à la valeur de la devise près. Par exemple, si je constate que le Big Mac européen vaut €3,59 soit $4,88 et qu’il ne coute que $4,37 aux États-Unis, je devrais en théorie (i) échanger des euros contre des dollars, (ii) utiliser ces dollars pour acheter des Big Mac américains, (iii) vendre ces derniers dans la zone euro et empocher 51 cents de bénéfice à chaque fois. Ce faisant, je ferais remonter le dollar face à l’euro, monter le prix des Big Mac américains et baisser le prix des Big Mac européens jusqu’à ce que le différentiel – et donc l’intérêt de la manœuvre – disparaisse.
En d’autres termes, si la loi du prix unique tient, la parité d’une paire de devises devrait refléter fidèlement le pouvoir d’achat respectif de ces monnaies (i.e. théorie de la parité des pouvoirs d’achat). De ce qui précède, il suit que si le Big Mac de la zone euro est plus cher que son homologue américain, c’est que le pouvoir d’achat de l’euro est trop élevé par rapport à celui du dollar et donc, que l’euro est surévalué.
De la théorie au monde réel
Il n’aura sans doute pas échappé au lecteur que notre monde réel est encore loin de satisfaire aux hypothèses de la loi du prix unique. Même si les coûts de transport ont considérablement baissé ces dernières décennies, même si les politiques protectionnistes sont bien moins répandues aujourd’hui qu’elles ne l’étaient naguère, il n’existe pas pour autant un marché planétaire du Big Mac et ce n’est pas demain la veille que vous irez acheter des sandwiches en Inde pour les revendre en Italie.
L’indice Big Mac est donc un instrument à manipuler avec grande précaution : si, par exemple, nos gouvernements avaient eu l’idée de commencer l’année en instaurant une taxe spéciale de 25% sur les produits de la restauration rapide, la surévaluation de l’euro telle que mesurée par l’indice Big Mac n’aurait pas été de 11,7% mais de 39,8%. C’est évidement idiot ; à peu près aussi idiot que de dire que l’euro des Champs Élysées est surévalué par rapport à celui du boulevard Poissonnière.
Par ailleurs, dire qu’une monnaie est surévaluée, c’est poser l’hypothèse implicite que vous en savez plus que le marché. Si l’on peut effectivement dire que le Bolivar vénézuélien était affreusement surévalué en janvier, c’est parce que son cours est fixé arbitrairement par l’administration Chavez (qui vient d’ailleurs de le dévaluer de 31%) ; en revanche, utiliser l’indice Big Mac pour affirmer que l’euro est surévalué par rapport au dollar, c’est prendre ses désirs pour des réalités.
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Sur le web.
et le bigMac roumain avec du canasson dedans, ça coûte combien ?
Je ne trouve pas cet article très bon (sauf que comme d’habitude le Kaplan est toujours très agréable à lire). En effet, pour que la loi du prix unique s’applique, on a pas besoin d’un marché unique du big mac : on a juste besoin d’une paire de marché (locaux) du big mac chacun en équilibre localement (respectivement au USA et en Europe) avec un bien qui, lui, respecte la loi du prix unique. Le système MacDo est suffisamment bien géré partout pour garantir qu’il est effectivement à l’équilibre avec le système économique local, lui-même à l’équilibre par rapport aux hydrocarbures, pour lesquels la loi du prix unique s’applique. C’est ce qui fait la valeur de l’indice MacDo pour la mesure du cout de la vie (ce qui est un peu différent du prix de la monnaie).
Non pas que j’approuve l’idée que l’euro est sur-évalué : dans un marché de devises parfaitement libre, la monnaie ne peut pas être « sur- » ou « sous- » évaluée : ça ouvrirait la porte à des arbitrages monstrueusement rémunérateurs ; ou alors c’est prendre les arbitragistes professionnels sur les monnaies, dont c’est justement le métier, pour des imbéciles, tous autant qu’ils sont. Ceux qui pensent que l’euro est sur-évalué n’ont qu’à tirer les conséquences de leur croyance : vendre de l’euro (sur-évalué d’après eux), acheter un max de dollars (ou yen ou pétrole ou n’importe quoi pourvu que ça soit coté en autre chose que de l’euro, peu importe), et profiter du bénéfice. Sauf qu’en réalité, si ils font ça il seront bien heureux si ils s’en tire sans perte.
Mais alors pourquoi le BigMac€ est-il plus cher que le BigMac$ ? Peut-être parce que le MacDo européen supporte des frais immobiliers bien supérieurs au MacDo US. Ou peut-être parce qu’il est plus taxé, relativement au bien standard, en Euroland qu’aux USA. Certes les taxes sur l’aliment sont assez faible partout (encore un bon point pour l’indice MacDo), mais le MacDo supporte les taxe sur les salaires, l’immobilier, etc. ou … pour plein d’autre raisons.
« Mais alors pourquoi le BigMac€ est-il plus cher que le BigMac$? »
Pour les raisons indiquées par Georges Kaplan justement. Relisez-le attentivement!
De plus le Big Mac, ne vient jamais seul, il est très souvent dans un menu, qui doit varier selon les pays. Ce menu est calculé au plus juste en tenant compte des spécificités locales : ticket Resto en France par exemple.
Le coût d’un Maxi Best-of Big Mac est à 90% le prix du sandwich. Les frites ne coutent pas cher du tout et les boissons ne coûtent rien.
Considérer le sandwich seul, et non le menu, permet donc d’analyser un produit sur lequel la marge est minimale partout dans le monde.
Au contraire, c’est sur les frites et les boissons que les fast-food font leur marge, ce qui rendrait la comparaison bien plus difficile car elle doit être fortement variable d’un établissement à l’autre : le prix est relativement proche dans tous les MacDo de France, alors que je suis convaincu qu’un restaurant dans la banlieue de Clermont-Ferrant à des frais bien moindre que celui place de Passy, ne serait-ce que pour le loyer.
Une différence toutefois : les Mac Do US sont généralement propriétaire de leurs locaux (le CEO de Mac Donald le disait lui même, il ne fait pas dans la restauration, mais dans l’immobilier) alors qu’en France, les restaurants sont souvent loués.
J’avais les mêmes objections en lisant Charles Sannat.
le Big Mac est 100% Made in France.
Tellement vrai !
Dites-moi si je me trompe, mais vous enfoncez des portes ouvertes là. Y a-t-il des gens pour utiliser le Big Mac Index comme base de calculs sérieux? C’est un indice, dont le nom même indique le caractère superficiel, et qui n’a jamais eu la prétension de montrer des écarts d’évaluation de manière rigoureuse, exhaustive et absolue. Qui sont ces amateurs qui cherchent le buzz avec leurs calculs de coin de table?
super avec les sucs digestifs en plus
En effet, le prix de l’euro est ce qu’il est, on peut dire que les directeurs de banques centrales se trompent font une mauvaise politique, certains peuvent spéculer…mais dire que l’euro est surévalué est juste un façon de dire « il faut se baisser le prix de l’euro ».
Ceci dit j’ai le un article façon décroissance avec dans le titre « il faut payer le prix réel des chose » et quand vous faites la remarque que c’est déjà le cas..on vous dit que non…on vous démontre par un long discours que vous avez tort…
Ne peut-on pas également considérer que toutes choses égales par ailleurs, si la valeur de l’euro remontait suffisamment i.e le niveau général des prix baissait, le big mac index € descendrait jusqu’à égaliser le big mac US, et donc que l’euro est en fait sous-évalué non pas par rapport au dollar, mais dans l’absolu ?
« Dans l’absolu », ça ne veut rien dire. La monnaie est un bien comme un autre qui s’apprécie vis-à-vis des autres biens. Parler de sur ou sous-évaluation n’a pas de sens non plus lorsqu’on parle d’une monnaie à taux de change libre : la combinaison prix/quantité déterminée par un marché est nécessairement la meilleure combinaison possible à l’instant t.
pas la meilleure ou alors il faut préciser ce que vous voulez optimiser…
c’est plutôt le résultat d’un équilibre et surtout ça vaut ce qu’on le paye…
» la combinaison prix/quantité déterminée par un marché est nécessairement la meilleure combinaison possible à l’instant t. »
Oui, mais uniquement dans le cas ou le marche est libre et non fausse. Or, compte tenu des interventions des banques centrales US, Japonaises et Suisse pour faire baisser leurs monnaies, c’ est quand meme tres loin d’etre le cas.