Dexia condamnée pour ses emprunts toxiques ? La vérité semble plus nuancée.
Par Thibault Doidy de Kerguelen.
Le TGI de Nanterre ramène les intérêts de trois emprunts aux taux légaux
Vous avez certainement lu dans la grande presse cette information reprise en cœur par les abonnés à une grande agence de presse : « La Seine St-Denis remporte une victoire » (Le Monde), « La Seine St-Denis l’emporte contre Dexia » (Le Point), qu’en est-il exactement ?
Tout d’abord, rappelons que le département de Seine St-Denis avait assigné Dexia au civil en février 2011 à propos de 11 emprunts toxiques, souscrits à l’époque de la majorité communiste. Cette assignation est intervenue après que la banque ait refusé de renégocier les emprunts concernés. Le jugement qui vient d’être rendu ne concerne que trois d’entre eux.
Pour ces trois emprunts, le Tribunal de grande instance de Nanterre a annulé les taux d’intérêts prévus contractuellement et les a remplacés par le taux d’intérêt légal en vigueur. Contrairement aux cris et aux chants de victoire des élus du 93 et de leurs avocats, complaisamment relayés par la grande presse, il ne s’agit pas d’un jugement sur le fond, mais d’une décision prise sur la forme.
En effet, le Tribunal de grande instance de Nanterre a estimé que les télécopies qui ont précédé la signature des contrats définitifs pouvaient être qualifiées de « contrat de prêt » et que l’absence de mention du Taux Effectif Global (TEG) dans ces télécopies entraînait l’application du taux d’intérêt légal.
Un jugement en demi-teinte alors que s’exerçait la pression des médias et des politiques
Les juges donnent clairement l’impression de s’être engouffrés dans ce qui peut sembler une faille formelle afin de donner satisfaction aux politiques, alors que sur le fond, le dossier était juridiquement inattaquable. Rien ne permet donc d’affirmer, comme certains, que cette décision permettra à des dizaines de collectivités de gagner à leur tour si elles saisissent les tribunaux. Outre que les demandes du Conseil Général portaient sur 11 emprunts et seuls trois sont concernés par le jugement, le département réclamait que les taux de la banque Dexia soient déclarés usuraires et, par voie de conséquence, que les emprunts soient annulés et, cerise sur la gâteau, que lui soit versé par la banque des dommages et intérêts. Rien de tout cela ne lui a été accordé par le tribunal et le Conseil Général se voit au contraire contraint de reprendre sine die le remboursement de l’intégralité de ses emprunts, trois au taux légal (ce qui constitue tout de même une belle économie) et huit aux taux réclamés par Dexia.
Cette affaire appelle quelques réflexions
Tout d’abord le principe d’irresponsabilité qui prévaut décidément de plus en plus souvent, pour ne pas dire de manière constante chez les élus politiques de France. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, les collectivités locales, en particulier les gros départements comme la Seine St-Denis, un des plus riches de France, disposent d’équipes et de conseillers très bien formés qui sont tout à fait capables de déchiffrer un contrat d’emprunt et qui savent pertinemment en tirer les tenants et les aboutissants. Venir dire, quelques années après, parce que la conjoncture a tourné en leur défaveur, qu’ils ont été trompés est un mensonge. Ils ont souscrit en toute connaissance de cause. Mais, d’une part, les commerciaux de chez Dexia avaient des arguments auxquels peu d’élus restent insensibles et d’autre part le réflexe du « après le déluge » est presque un réflexe conditionné chez les élus de la république. De faibles taux pendant que je suis élu qui risquent d’enfler une fois que je serai parti, c’est plutôt vu comme une bonne affaire par la majorité des élus.
Ensuite, que dire des collectivités qui ne sont pas du tout perdantes au jeu des taux d’intérêts indexés sur des indices ou des paniers de valeurs ou de monnaies ? Voici une carte de France des collectivités qui ont souscrit ce type d’emprunt auprès de Dexia. Est-ce que celles qui s’en tirent plutôt bien devront payer pour les autres ? Va-t-on les obliger à payer plus parce que celles qui ont choisi de mauvaises options bénéficieraient de dégrèvements ? Après tout, l’idéologie de l’égalité ne voudrait-elle pas que toutes les collectivités paient le même taux ?
Enfin, voyons en face de qui il s’agit. Dexia est moribonde et ne survit que par les aides des États français et belge. Ce sont 5,5Md€ (dont 2,6 rien que pour la France) que les deux États ont versé en novembre 2012 à l’ex banque franco luxembourgo belge. Et tout laisse à penser qu’il va falloir repasser au pot en 2013. C’est-à -dire que toute « victoire » d’une collectivité locale française ne fait qu’accroître le déficit de la banque (publique…) et donc accroître la part d’impôt que les contribuables français et belges devront verser à l’établissement. Autrement dit, ce que les contribuables des départements mal gérés croiront avoir économisé sera en fait réparti sur l’ensemble des contribuables. Une « sacrée victoire », n’est-ce pas ?
Il serait temps que les élus assument leurs responsabilités. Si les collectivités estiment avoir été flouées par des engagements trop importants mais néanmoins légaux, qu’elles se retournent contre les responsables, les vrais, ceux qui ont souscrit, les élus signataires. Mais qu’ils cessent d’agir en irresponsables et de reporter en permanence le coût de leur mauvaise gestion sur les contribuables…
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Sur le web.
France, pays de cons !
Il serait également utile de revenir sur la qualification de pret « toxique » complaisamment (sur)relayée par notre presse dont le zèle à défendre le financement du pouvoir en place m’étonnera toujours..
N’était-ce pas un simple prêt adossé à la parité EUR/USD ?
Non, un emprunt sur l’écart CMSGBP 10 ans et le LiborYen 6 mois, un emprunt sur la parité USD/JPY et un emprunt sur l’écart EUR/CHF-EUR/USD
Comme d’habitude, le TDK ne fait pas dans la dentelle… Mais c’est tellement bon de lire des choses qui sortent de la langue de bois! Merci Contrepoints et merci TDK!
Dans la fonction publique, le principe est l’annuité des budgets. Autrement dit, aucun Ministère ne peut stocker des avoirs, au-delà de l’année. C’est assez sain.
Les collectivités, par contre, peuvent se constituer du patrimoine, et il y a de bonnes raisons à cette latitude, mais il est délirant que des élus locaux puissent boursicoter avec de l’argent public. C’est aussi simple que cela.
Les rserves de ces collectivités devrzient obligatoirement être constituées d’obligations d’Etat, point barre..
Voilà une copie des conclusions du TGI concernant le jugement du contrat de prêt dénommé FIXIL (un des trois jugement déclarés comme étant une « victoire du CG93) :
requête de CG93 : Le contrat met en place une opération spéculative incompatible avec l’intérêt public départemental
Réponse du TGI : « …Le Département de Seine Saint Denis n’a pas cherché à réaliser une opération spéculative mais à souscrire un nouvel emprunt structuré à des conditions de taux d’intérêt les plus avantageuses possibles, pour refinancer la dette issue d’un précédent emprunt, de même type destiné à financer des investissements réalisés par le Département dans l’intérêt général. Le Département est donc mal fondé à soutenir l’illicéité du contrat litigieux ».
requête de CG93 : Le contrat n’a pas été signé avec une personne compétente
Réponse du TGI : « Le Département soutient que ni son son président de CG ni son vice président par délégation n’avaient le pouvoir de conclure le contrat en raison de son caractère illicite. Le premier moyen tiré de lillicité du contrat étant mal fondé, le deuxième moyen l’est par voie de conséquence ».
requête de CG93 : Le consentement du département a été vicié par l’erreur sur les qualités substantielles du contrat.
Réponse du TGI : « Aussi du fait de sa pratique ancienne et soutenue de gestion de l’endettement du département, au moyen d’emprunts structurés, doté d’un organe possédant les compétences techniques requises en la matière, dirigé par un président affirmant lui même avoir effectué une gestion volontairement active de la dette par le recours à ces emprunts dont il dit avoir mesuré les risques et les avoir pris délibérément, le département de Seine Saint Denis est mal fondé à soutenir qu’il n’a pas, en souscrivant l’emprunt structuré litigieux, mesuré le caractère spéculatif des taux qui lui ont été proposés et qu’il a cru souscrire à de simples taux variables….Il y a lieu d’ajouter que le contrat structuré est venu réaménager la dette issue d’un précédent emprunt lui aussi structuré….La société DEXIA n’était tenue que d’une obligation d’information qu’elle a respectée en l’espèce, ainsi qu’il a été précédemment démontré. Le Département est donc mal fondé à voir mettre en jeu la responsabilité de la Banque….Il sera débouté de ses demandes ».
requête de CG93 : Sur le taux effectif global et la demande de substitution du taux légal au taux conventionnel
Réponse du TGI : « … L’article L312-3 du code de la consommation stipule que le TEG déterminé, comme il est dit à l’article L313-1 doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt régi par la présente section…. Il est constant que le contrat de prêt en cause est soumis à ces dispositions légales d’ordre public…. Il s’ensuit que la stipulation de l’intérêt conventionnel est nulle et que le taux légal doit être substitué au taux contractuel depuis la conclusion du contrat de prêt ».
Dans le privé, payer un prêt avec un autre, on appelle ça de la cavalerie et ça vous emmène tout droit en prison. Au CG 93, on appelle ça du refinancement ; quand on le souscrit, on fait le mariole en se prenant pour un Dieu de la Finance, et quand ça vous pète à la gueule, on se déclare incompétent….et on se fait massacrer par le Tribunal de Grandes Instances (mais par contre, on a tous les médias de son coté qui regardent ailleurs, j’ai envie de vomir).