Fannie Mae et Freddie Mac : l’interventionnisme, source de la bulle immobilière

Les causes de la bulle immobilière américaine et de sa titrisation sont à trouver dans des sociétés semi-publiques créées par le gouvernement des États-Unis, Fannie Mae & Freddie Mac

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Fannie Mae et Freddie Mac : l’interventionnisme, source de la bulle immobilière

Publié le 26 février 2013
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Les causes de la bulle immobilière américaine et de sa titrisation sont à trouver dans des sociétés semi-publiques créées par le gouvernement des États-Unis, Fannie Mae et Freddie Mac, et non simplement dans l’activité spéculatrice des marchés.

Par Acrithène.

Qui a causé la bulle immobilière de crédits pourris qui a éclaté aux États-Unis en 2007-2008 ? Les traders de Goldman Sachs bien sûr ! Ou alors peut-être deux entreprises étroitement attachées au gouvernement américain : Fannie Mae et Freddie Mac (F&F). Finalement, entre les banques d’affaires et F&F, le choix du responsable a une importante portée idéologique. La première réponse met la crise sur le dos du désormais mythologique capitalisme néolibéral, la seconde, qu’on entend moins souvent à la télévision, rend responsable l’interventionnisme étatique, thèse aussi renforcée par le rôle de la politique monétaire dans cette affaire.

Pour comprendre le rôle de F&F et des banques d’affaires dans la crise des subprimes, il faut d’abord comprendre le principe de la titrisation, et le fonctionnement de ce qu’on appelle le marché des mortgage backed securities (MBS).

La titrisation consiste à agréger des actifs en titres financiers afin de les revendre à d’autres investisseurs. Par exemple, dans le cas qui nous intéresse, un crédit immobilier américain faisait souvent le voyage suivant.

  1. D’abord, un ménage américain se rendait dans une agence de crédit pour acheter une maison. L’agence lui octroyait le crédit.
  2. Puis, l’agence confiait le crédit à F&F ou à une banque d’affaires. Le rôle de ce nouvel acteur est de titriser les crédits. Pour ce faire, il en agrège une grande quantité au sein d’un pool de crédit, afin de mutualiser les risques.
  3. Puis le titre financier ainsi créé est vendu à des investisseurs du monde entier. Ce titre financier, appelé Mortgage Backed Security (traduire titre adossé à des crédits hypothécaires), rapporte à son propriétaire le remboursement des crédits qu’il contient… en tout cas la part de ceux dont les ménages emprunteurs ne feront pas défaut.

Ce système a été beaucoup critiqué car la personne qui émet le crédit, et qui est donc en charge de contrôler la solvabilité de l’emprunteur, n’est pas celui qui encourt le risque de non remboursement, vu qu’il refile la patate à des investisseurs zinzins. Il y aurait donc clairement une incitation à prêter à n’importe qui. L’objet de ce billet est de vous expliquer le rôle de F&F dans ce système.

Fannie Mae, Freddie Mac et l’État américain

À l’étape de la titrisation se trouvent deux institutions particulières, Fannie Mae et Freddie Mac (F&F). Elles sont particulières car leur statut et leur fonctionnement en font des sociétés à la fois privées et publiques. Elles sont créées par le Congrès et on les appelle Government-Sponsored Entreprises (GSE). L’origine de ces sociétés se trouve dans le New Deal de F. Roosevelt, Fannie Mae (créée en 1938) ayant à l’époque pour rôle de financer auprès des marchés financiers des cautions gouvernementales offertes aux ménages souhaitant acquérir des maisons.

Depuis les années 1970, ces deux sociétés sont en charge d’animer le marché de la titrisation des crédits immobiliers. Une activité que ne développeront les banques d’affaires qu’à partir des années 1980. C’est donc la puissance publique qui se trouve à l’origine de la création de ce marché. La mission de F&F était double :

  1. Racheter les crédits immobiliers aux agences de crédits, les titriser, puis les revendre à des investisseurs en fournissant une assurance de remboursement. Cela signifie qu’en de nombreux cas, F&F conservaient le risque de non remboursement du crédit, même après l’avoir revendu sur les marchés financiers. En échange de cette assurance, les deux sociétés recevaient une commission, un peu comme votre assureur automobile reçoit une prime d’assurance.
  2. Racheter des crédits immobiliers et les conserver. Ce qui signifie qu’une part des crédits rachetés par F&F n’étaient pas revendus sur les marchés.

Pour remplir cette mission, les deux sociétés recevaient des subventions de l’État sous forme d’une réassurance tacite. Autrement dit, si F&F se trouvaient en difficultés financières, il était couramment admis que l’État américain les renflouerait (ce qui est effectivement arrivé). Concrètement, cela permettait à F&F d’emprunter sur les marchés au même taux que le Trésor Américain. La deuxième forme de soutien étatique provenait d’une dérogation aux règles prudentielles et de détention de fonds propres s’appliquant au reste du secteur bancaire. Autrement dit, F&F avaient besoin d’un capital moindre que les autres banques pour fonctionner.

En 1996, le Congressional Budget Office estimait ces aides comme équivalentes à une subvention de 6,9 milliards de dollars (de l’époque) par an. En 2001, une mise à jour de cette estimation la faisait passer à 13,6 milliards de dollars par an. Et la bulle immobilière n’avait alors pas encore débuté…

En échange de ce soutien, F&F se voyaient attribuer par le gouvernement l’objectif de cibler plus particulièrement les ménages à revenus faibles ou modérés, les zones géographiques déshéritées ou peuplées de minorités, ainsi que les ménages à revenus modérés ou faibles relativement au niveau de vie de leur quartier.

Suite à l’éclatement de la crise, les deux Governement Sponsored Entreprises ont été renfloués, pour une facture que le Congressional Budget Office estime à 350 milliards de dollars, c’est-à-dire l’équivalent de la dette publique de la Grèce.

Fannie Mae et Freddie Mac dans la bulle

Que le sauvetage de F&F ait coûté une telle somme laisse supposer que ces deux entreprises hybrides, parapubliques à capitaux privés, avaient un poids important. Le premier graphique que je vous propose montre la croissance de F&F entre 1980 et 2009.

En rouge est représentée la valeur des crédits revendus par F&F mais dont elles conservent la responsabilité de la garantie en cas de défaut. Une somme qui atteint presque les 4000 milliards de dollars, pas loin du double du PIB français. La courbe bleue représente la valeur des crédits rachetés par F&F mais non revendus. En vert se trouve l’évolution de la part de marché de F&F, oscillant entre 40 % et 46 % sur la dernière décennie.

Et oui, la vilaine titrisation de l’immobilier trouve au moins la moitié de son origine dans une politique publique, et cela s’observe dans la plus claire comptabilité.

Garantir des crédits plus pourris

Si vous vous rappelez le début de cet exposé, le fait qu’elle sache que son crédit sera revendu à une banque d’affaires ou à F&F crée dans l’agence de crédit une incitation à prêter à n’importe qui. Après tout, si le ménage emprunteur ne rembourse pas, ce ne sera pas pour sa pomme. Quel rôle jouent F&F dans ce mécanisme pervers ?

Un article de Keys et al. dans le Quartely Journal of Economics (2010) répond en partie à cette question.

Quand vous vous rendez dans une agence bancaire pour obtenir un crédit, l’employé de la banque vous pose un certain nombre de questions sur votre âge, votre profession, votre salaire etc. dont il entre les réponses dans un ordinateur chargé de vous donner un score de crédit. Aux États-Unis, cette procédure est standardisée et le résultat obtenu est appelé FICO score.

Pourquoi cela nous intéresse-t-il ? Parce que F&F avaient pour particularité d’accepter le rachat des crédits dont le FICO score était supérieur à 620. Cela signifie que l’agence de crédit qui octroyait un prêt à un ménage ayant un score de 619 avait peu de chance de refiler la patate chaude à F&F. En revanche, si le score était supérieur à 620, l’agence pouvait prêter sans risque, vu que F&F rachèteraient le crédit.

Sur le graphique qui suit sont représentés, chaque année, le nombre de crédits immobiliers à faible documentation (la banque fait le minimum en termes de vérification de la solvabilité de l’emprunteur) accordés selon le FICO score. Ainsi, en 2006, environ 1200 crédits à faible documentation (dans la base de données étudiée) ont été accordés à des ménages ayant un FICO score de 619, contre 3 000 pour un FICO score de 620. Pourtant 619 et 620 sont des scores semblables. Cette forte discontinuité montre l’effet pervers de la politique de rachat de crédits. Vous me direz, 3 000 crédits, cela ne semble pas représenter grand chose. Mais si on prend la fourchette 620-650, et un crédit moyen de 200 000 dollars, on arrive à environ 20 milliards de dollars en 2006 sur les seuls crédits mal documentés présents dans la base de données partielles qu’utilisent les auteurs de l’article.

Plus surprenant, le graphique suivant représente la probabilité de défaut d’un crédit, au fur et à mesure que les mois passent, selon qu’il se trouve juste en-dessous de 620 (615-619) ou juste au-dessus (620-624). Paradoxalement, les crédits avec un FICO score plus faible ont une probabilité de défaut plus faible. Pourquoi ? Parce que les agences de crédits faisaient davantage attention aux informations pertinentes non révélées par le FICO score lorsque celui-ci était inférieur à 620, sachant qu’elles ne pourraient pas revendre le crédit à F&F.

Exemple de lecture : un crédit dont le score est entre 620 et 624 et qui n’a pas encore fait défaut au bout de 15 mois, a une probabilité de près de 12% de faire défaut durant le 16ème mois.

Spéculation immobilière : le match banques d’affaires vs. GSE

Au-delà de votre score de crédit, une chose qui intéresse aussi le banquier auprès duquel vous souhaitez emprunter, c’est votre apport personnel. La raison est simple, si vous achetez une maison à 100 000 euros avec un apport personnel de 20 000 euros, le banquier vous prête 80 000 euros. Si vous ne remboursez pas, l’hypothèque sur votre maison est utilisée, et si votre maison vaut à ce moment plus de 80 000 euros, la banque n’a rien perdu. Donc plus votre apport personnel est important, plus faible est pour la banque le risque de perdre son argent en fonction des variations du prix de l’immobilier.

Les graphiques suivants distinguent les crédits en trois catégories :

  1. Les crédits à haut risque, pour lesquels le FICO score est inférieur à 660 et/ou dont le montant de l’emprunt représente plus de 80 % de la valeur du bien immobilier acheté (apport personnel inférieur à 20 %).
  2. Les crédits à très haut risque, FICO inférieur à 620 et/ou emprunt représentant plus de 90 % du bien acheté.
  3. Les autres crédits.

Les deux graphiques suivants représentent donc la quantité de crédits générés par F&F, dans les catégories « haut risque » et « très haut risque », en comparaison du reste des institutions privées. On y voit à la fois que les deux GSE représentent une part importante de la bulle, mais aussi que les institutions privées ont contracté leurs octrois de crédits très risqués dès 2007, alors que F&F ont adopté la stratégie inverse, choisissant plutôt de souffler à pleins poumons dans la bulle !

Autre activité importante révélée par les comptes de F&F : les deux institutions rachetaient les crédits émis et titrisés par le reste du marché. Entre 2003 et 2007, F&F ont acheté, pour leur propre portefeuille, pour plus de 830 milliards de dollars de crédits titrisés par le reste du marché.

Bref, la crise des subprimes, c’est aussi la crise de l’interventionnisme…


Sur le web.

Bibliographie :

  • Viral V. Acharya, Matthew Richardson, Stijn Van Nieuwerburgh & Lawrence J. White, 2011. Guaranteed to Fail – Fannie, Freddie, and the Debacle of Mortgage Finance, Princeton University Press
  • Benjamin J. Keys & Tanmoy Mukherjee & Amit Seru & Vikrant Vig, 2010. « Did Securitization Lead to Lax Screening ? Evidence from Subprime Loans, » The Quarterly Journal of Economics, MIT Press, vol. 125(1), pages 307-362, February.

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  • Excellent article!
    Je suis par contre étonné par le niveau élevé des taux de défaillance des crédits à faible documentation : « un crédit dont le score est entre 620 et 624 et qui n’a pas encore fait défaut au bout de 15 mois, a une probabilité de près de 12% de faire défaut durant le 16ème mois. »
    Avez-vous une source? J’aimerais chaîner les probabilités de survie de 1 à 24 pour voire leurs chances de vie au bout de 2 ans. Il devrait être très faible.

    • Bonjour,

      La source est l’article de Keys cité dans la bibliographie. Le graphique permet de faire approximativement le calcul que vous proposez…

      Les crédits immobiliers américains ont une particularité qui peut aider à comprendre. Si vous renoncez à rembourser, la banque peut saisir la maison mais ça s’arrête là. Autrement dit, vous quittez votre baraque, et vous ne devez plus rien à la banque. Un peu comme si la maison était une société anonyme.

      Donc si la valeur de marché de votre maison est inférieure à la valeur des remboursements, vous avez intérêt à vous casser….

      Ainsi wikipédia, à l’article mortgage loan, précise :

      In some jurisdictions, mortgage loans are non-recourse loans: if the funds recouped from sale of the mortgaged property are insufficient to cover the outstanding debt, the lender may not have recourse to the borrower after foreclosure. In other jurisdictions, the borrower remains responsible for any remaining debt.

      L’existence d’une limitation de l’engagement financier à la valeur du bien hypothéqué explique en partie l’énorme taux de défaut. Auquel il faut ajouter la variabilité du taux de l’emprunt, ou le fait que certains emprunts sont à très court terme (les emprunteurs doivent réemprunter pour rembourser, et s’ils ne peuvent pas le faire (car la valeur de la maison a diminué, ils font défaut).

      Bref, c’est un marché assez différent de la norme française du crédit immobilier.

  • Finalement, ce n’est qu’un remake de la sempiternelle martingale socialiste : gaver les pauvres au détriment des riches.

    L’originalité est la dimension de l’opération, son coût astronomique, mais surtout le génie avec lequel la dette a été propagée dans le monde entier !

    Quand on vous dit « les banques ne prêtent qu’aux riches », croisez les doigts et répondez « heureusement ! » 🙂

    Tout le reste n’est que de la finance-fiction dont le soufflé retombe avec fracas.

  • En attendant, les ricains renouent avec les mauvaises habitudes pour sortir les States de la crise. Bernanke s’ en félicite, comme tout bon crétin néo-keynésien. Le tout est de savoir quand la nouvelle bulle créée par le monstre explosera en plein vol….

  • Toujours aussi clair et intéressant. Merci.

  • Normalement, il y a toujours un socialiste pour minimiser le rôle de Freddie et Fanny, ou de la législation. Ou alors insister sur leur caractère foncièrement privé (ou celle de la FED).
    Quand on veut être dans le déni on y arrive facilement.

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