Joël Henry, travailleur social, et Michel Chauvière, sociologue et directeur d’études au CNRS, dénoncent la «marchandisation» des services sociaux et en profitent pour afficher une idéologie qui sent bon les lendemains qui chantent.
Par Baptiste Créteur.
Les services sociaux sont l’une des nombreuses prérogatives que s’est arrogé l’État et que la Commission Européenne le somme d’ouvrir à la concurrence. Cette remise en cause du monopole de l’État est évidemment dénoncée par les étatistes opposés au marché pour qui secteur privé et concurrence incarnent, par principe, le mal absolu.
Quand un travailleur social et un sociologue unissent leur force contre le marché, leur argumentation commence par évoquer les situations difficiles des individus auxquels sont destinés les services sociaux comme un rempart contre toute tentative de retirer à l’État ses chères prérogatives.
Remplissant une fonction importante d’inclusion sociale et participant à la cohésion territoriale, les services sociaux, sous différentes modalités, agissent -généralement dans la discrétion- dans une multitude de situations au bénéfice de familles, d’enfants, de jeunes, de personnes âgées et de tant d’autres personnes blessées par la vie, marginalisées ou handicapées.
C’est dit : ces publics sont fragiles, blessés par la vie ; on ne peut donc pas mettre les services sociaux en concurrence. Il ne s’agit pas de savoir s’il est légitime ou juste que les services sociaux soient du ressort exclusif de l’État, ce qui est un présupposé tacite des deux auteurs, ni de savoir si la prise en charge par l’État est plus efficace ; il s’agit d’un tir de barrage idéologique.
En effet, dans la logique libérale de l’Union européenne, les services sociaux, à l’instar de tous les services publics, sont visés par la marchandisation, ouverts à des opérateurs poursuivant des buts lucratifs en direction de clients solvables au contraire de la vocation universelle du service social, des droits de créance des ayants droit, de l’égalité de traitement, de la justice sociale et du pacte républicain.
Les droits créance, qui donnent à certains des droits et supposent de donner à d’autres le devoir de leur permettre de jouir de ces droits, sont fondamentalement opposés aux droits individuels. Ces droits et devoirs feraient partie d’un contrat social, condition nécessaire d’une justice sociale qui s’affranchit de la question de la justice individuelle. Il serait naturellement juste que certains travaillent au profit des autres et se voient spoliés d’une partie des fruits de leur travail par la suite redistribués. Cette distinction entre deux classes d’individus – ceux qui ont des droits d’un côté, ceux pour qui les droits des premiers sont autant de devoirs de l’autre – est par essence contraire à l’égalité de traitement. Pour autant, le travailleur social et le sociologue n’hésitent pas à habiller les services sociaux de ces valeurs et à estimer qu’il s’agit de la meilleure défense contre le marché – comme n’hésitent pas à le faire les opposants à la liberté.
Les obligations de rentabilité, la concurrence sur les marchés, le New Public Management portent de graves atteintes à la clinique des pratiques sociales notamment en termes de temps nécessaire et imprédictible, de charges de travail convenables.
Si le temps nécessaire et imprédictible à la réalisation d’une tache et une charge de travail convenable constituaient des critères, rares sont les fonctions que le secteur privé pourrait assurer. Il n’existe dans la nature aucune garantie, pas plus qu’il n’en existe dans l’économie ; toute tentative d’offrir à certains individus des garanties sur quelque domaine que ce soit se sont toujours soldées par des échecs.
En outre, l’achat de prestations par les pouvoirs publics nécessite un mandat administratif fixant a priori les conditions des missions enjointes, ce qui met à mal le rôle de détection de besoins et d’innovation historiquement tenu par les associations reléguées à de simples prestataires de service. La sélection des publics les plus rentables ainsi que le désengagement des financements publics secrètent, en outre, le développement du bénévolat caritatif certes utile mais à condition de ne pas se substituer au savoir faire des travailleurs sociaux.
L’impossibilité de fixer a priori les conditions des missions de l’État explique sans doute la posture des hommes politiques et fonctionnaires qui refusent toute réduction ou stabilisation de la dépense publique. Il en va de même dans toute initiative privée ; la nature n’offre jamais aucune garantie.
Le rôle de détection des besoins et d’innovation est loin d’être incompatible avec le marché. Les entreprises jouent ce rôle au quotidien pour répondre aux besoins de leurs clients. Il semblerait en revanche que l’État et les entreprises publiques manquent régulièrement de discernement et aient une certaine tendance à refuser l’innovation perçue comme une menace…
Le développement du bénévolat caritatif est tout sauf une menace pour les publics auxquels les services sociaux sont destinés. Qu’une solidarité privée se développe, mise en œuvre par des individus aux profils et compétences divers, est non seulement bien moralement, mais c’est aussi un gage d’efficacité, dans la mesure où les donateurs ou bénévoles consacrent leurs ressources à ce qui est utile. Évidemment, que la société civile assume le rôle que l’État voudrait jouer à sa place n’arrange pas les étatistes, mais il semblerait jusqu’à présent que les missions de l’État lui soient attribuées pour compenser ce que la société civile ne peut pas faire et non l’inverse.
[T]rès peu souvent nommés en tant que tels, [les services sociaux] sont amalgamés dans le grand ensemble des services publics, fondus dans les services d’intérêt économique général où ils ont été indûment classés par le droit communautaire tandis que leurs ayants droit sont réifiés («chosifiés») dans diverses catégories génériques (les chômeurs, les jeunes délinquants, etc…). En outre, l’action sociale, thématique électoralement peu porteuse, est malencontreusement confondue avec l’assistanat, là où il s’agit de solidarité nationale et avec le laxisme, quand il est nécessaire de fournir une aide compréhensive et une protection spécialisée à des personnes, familles et groupes en difficulté.
Tout le propos est donc, pour Joël Henry et Michel Chauvière, de faire reconnaître un statut distinct des services sociaux par rapport aux services publics, puisque ces derniers n’en sont pas et peuvent être pris en charge par le marché. De la même façon, il serait erroné de catégoriser les ayants droits car cela empêcherait un traitement individualisé. On sent là toute la capacité d’innovation et d’adaptation dont sont capables des services sociaux étatisés.
L’action sociale serait une thématique électoralement peu porteuse – ce que contredisent des décennies de victoires électorales de l’État-providence et de l’intervention étatique aux élections où le marché et la liberté étaient absents – injustement confondue avec l’assistanat et le laxisme que les deux auteurs tiennent pourtant à évoquer.
Les rares fois où il est invoqué, l’espoir mis dans les services sociaux se limite au soutien de l’économie sociale et solidaire, tiers secteur constituant, certes, une avancée mais qui reste confiné dans les logiques des marchés et de la concurrence. Or, de par leur histoire, leur nature et leur mission, les services sociaux sont des services non économiques d’intérêt général malheureusement non encore officiellement reconnus comme tels par la doxa libérale et le droit communautaire qui les assimile à des entreprises.
L’économie sociale et solidaire n’est pas tout à fait confinée à des logiques de marché et de concurrence. Mais elle représente toutefois une concurrence aux yeux des auteurs qui sont opposés à ce concept abject selon lequel les individus seraient différents.
Il serait utile de définir les services non économiques d’intérêt général pour mieux comprendre pourquoi un service non économique a besoin de l’argent des contribuables pour fonctionner et pourquoi il est légitime et nécessaire qu’il détienne un monopole sur ses fonctions. Mais il faudrait pour cela préalablement définir l’intérêt général qui est soit la juxtaposition des intérêts individuels si on considère que la société est l’ensemble des individus qui la composent, soit une création chimérique sans lien avec le réel si on considère que la société est un ensemble distinct de ce qui la compose.
L’absence d’évocation des services sociaux […] résulte donc d’une méconnaissance, d’une sous-évaluation de leur importance quantitative et qualitative, d’une image déformée, d’une ambition limitée, autant d’éléments qui contribuent à nuire aux bénéficiaires et à entretenir l’insécurité des professionnels. Cet oubli est d’autant plus incompréhensible et inadmissible que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale,valeur gravée dans le marbre de l’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958.
Le message est clair : on ne parle pas assez d’eux, c’est trop injuste, et ils se sentent dévalorisés par rapport à leur importance quantitative et qualitative. D’autant plus que la constitution de 1958 sanctifie des principes contraires aux droits individuels mais que les partisans de la morale altruiste brandissent désormais dès lors que quelqu’un a l’étrange idée d’évoquer la liberté.
Une fois de plus, les principes ne sont pas évoqués mais considérés comme des présupposés – même lorsqu’ils s’opposent aux droits naturels et imprescriptibles de l’homme – et l’efficacité du marché n’est jamais mentionnée. Alors même qu’ils évoquent sans cesse ceux qu’ils prétendent défendre, les partisans de l’intervention étatique ne se posent jamais la question de l’efficacité – question qui devrait intervenir après la question fondamentale préalable à chaque intervention étatique, celle de sa légitimité.
Très bon billet, comme toujours. J’y lis avec dégoût « En effet, dans la logique libérale de l’Union européenne … » et dès ce moment je mesure le degré d’inculture crasse de ces gens-là! L’Union européenne serait libérale et on ne m’a pas prévenu?
J’avoue aussi que d’entendre ainsi parler de « doxa libérale » dans une époque qui fait l’apologie du social à tout bout de champs me fait doucement rire mais me laisse tout de même un arrière goût amer.
Cela dépend du sens que l’on donne à « libéral » En anglais britannique c’est « libéral ». En anglais américain c’est « gauchiotte à donf » car la gauchiasse amerloque a trouvé intelligent de se déclarer libérale. Come Pol Pot. Et ça a marché
les deux conclusions fondamentales, et axes des études de Friedman sont, selon Gary S Becker (www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/M/bo5667282.html), :
-« competition in ALL walks of life generally improves outcomes to consumers ».
– » individuals in the vast majority of situations know their interests better than government oficials or anyone else ».
La concurrence est une condition sin e qua non à la quête d’une productivité optimale même dans les services sociaux et solidaires, et cette productivité, se traduit, par définition, par une meilleur qualité des services rendus, à moindre coût (N’omettons pas pour justifier ce dernier point, le coût implicite lié au service public, et un coût global pour le contribuable toujours bien supérieur à celui du tarif annoncé, et à celui de toute entreprise pourvoyant le même service, au sein d’un marché libre). Elle permettrait par ailleurs au cosommateur de services sociaux de pouvoir choisir de manière responsable et induvidualistes les prestations auxquelles il pourrait avoir le droit, notament en cas d’accident, ou les causes sociales qu’il aura lui même choisi, objectivement et librement, comme étant utile de défendre. C’est donc en intégrant la juxtaposition de la définition individuelle de l’action solidaire par chacun de ses citoyens, et la différenciation et la mise en concurrence des offres qui la compose, qu’il pourra être fourni une offre de service adpatée, efficace et efficiente.
L’allocation, bénévole et volontaire, de ressources financières propres aboutit nécessairement à des meilleurs choix de financements, mais l’amélioration des services rendus consécutive requiert inévitablement des efforts de la part des organismes financés, et des risques, qui doient être appréciés librement par chacun des bénéficiaires.
La liberté, c’est pouvoir exploiter l’Autre et la nature pour devenir riche, privilégié et respectable, seul but ultime de l’existence.
La liberté, c’est pouvoir interagir avec l’Autre sur la base du consentement mutuel pour pouvoir atteindre vos buts propres sans interférer avec les siens.
La liberté, c’est pouvoir jouir de ses propres inétêrets, préalablement définis de manière respnsable indépendante et individualiste, et donc rationnelle et objective, tout en considérant que l’autre bénéfie lui aussi pleinement de ce même pouvoir de jouissance, rendant son entrave irrationnelle et irresponsable.
Second degré ou ignorance crasse ?
oh ben moi qui croyait que le « seul but ultime de l’existence » c’était de pouvoir déguster à chaque repas du bébé communiste à la sauce de prolétaire exploité. Je suis fort marri.
« La liberté, c’est pouvoir exploiter l’Autre ».
L’exploitation des uns par les autres, c’est avant tout le socialisme qui le fait, en déshabillant Paul contre son grès pour pouvoir habiller Georges !
Waren: « déshabillant Paul contre son grès pour pouvoir habiller Georges ! »
En fauchant au passage le slip, le pull et les chaussettes pour « les frais de fonctionnement solidaire ».
Je vois que monsieur confond avec le socialisme, régime parasite qui a besoin d’exploiter les autres pour survivre.
t’appelles ça « survivre » ? Moi j’appelle ça une mafia, hein, et une mafia ne survit pas, elle vit très grassement…
Les commentaires sur blogs.mediapart.fr sont intéressants :
« Cet article manque d’exemples concrêts. »
« Qu’est-ce que ça veut dire, pourriez-vous être plus clairs? »
Façon très policée d’exprimer le fait que le post de blog en question n’est que le déballage convenu d’un charabia pédant maniant des termes creux.