De certaines conséquences de M. Ricardo

Si la théorie de l’avantage comparatif est fondamentale pour comprendre la dynamique économique, sont déplacement au niveau des « nations » a été une erreur.

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NPG L241; David Ricardo by Thomas Phillips

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De certaines conséquences de M. Ricardo

Publié le 15 mars 2013
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Des pays entiers ont été « spécialisés » sur la base de la théorie de l’échange international de David Ricardo, notamment en Afrique dans des matières premières brutes à faible valeur ajoutée.  S’il est vrai que le libre échange est généralement justifié par les économistes sur la base de la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo, une théorie présentée dans les manuels comme supérieure à la théorie des avantages absolus d’Adam Smith, l’histoire des manuels a sans doute induit la profession – et le grand public – en erreur.

La loi des avantages comparatifs en économie est extrêmement importante pour comprendre dans quelle mesure l’échange crée de la valeur. De nombreux intellectuels oublient bien souvent à quel point le fait de se spécialiser dans l’activité où nous sommes le moins mauvais comparativement et d’échanger pour tout le « reste de nos besoins » est fondamental pour le développement.

Faire son pain soi-même prendrait plusieurs heures par exemple. Obtenir une baguette requiert de descendre au coin de la rue et de donner une pièce de 1 €. Pour le client, le seul temps économisé par cet acte d’échange nous donne déjà une idée, si cette personne gagne par exemple 15€ de l’heure dans son activité principale, de la valeur dégagée par cet échange. Si faire une baguette soi-même prend 2 heures, cette baguette coûte en réalité à la personne au moins 30€ ! L’échange nous permet de réduire les coûts d’opportunité dans un contexte de spécialisations alternatives.

Ainsi les avantages comparatifs sont cruciaux entre individus ou firmes et l’on peut remercier David Ricardo pour cette théorie. Cependant, cette théorie porte en elle les germes de sa contradiction.

En effet, elle repose en premier lieu, sur l’idée que les avantages des individus sont fondés sur des différences de dotations avant l’échange (on parle d’avantage exogène). Par exemple le fait qu’une personne a un talent musical ou un bananier dans son jardin. Comme l’a rappelé James Buchanan, c’est alors l’avantage, ou la différence, qui cause l’échange. Pourtant, comment envisager l’échange si nous n’avons pas de différences par exemple ? Cette réflexion, certes irréaliste, nous permet de comprendre que cela peut être l’échange qui cause la différence ou l’avantage. On parle alors d’avantage endogène, dans le sens où l’avantage se construit à travers l’échange. C’est en fait la position de Smith dans les chapitres introductifs de la Richesse des nations dans lesquels est posée l’idée, évolutionniste, que les hommes naissent relativement égaux et que c’est davantage le système d’échange qui nous pousse dans des directions différentes, et nous confère ainsi des avantages relatifs.

En deuxième lieu, la théorie de Ricardo, telle qu’elle est posée dans le chapitre 7 de ses Principes sur l’échange international, traite explicitement d’échange entre pays (alors que ce sont les individus et les firmes qui échangent à l’intérieur et entre pays). L’exemple typique est celui de la production de drap en Angleterre et de vin au Portugal. Ricardo a ainsi pratiqué une nationalisation du concept d’échange et de sa logique, injectant implicitement dans le raisonnement économique la vision « Nous contre eux », même si sa volonté était de démontrer les avantages du libre échange.

En troisième lieu, cette nationalisation de l’échange dans le cadre des avantages comparatifs a logiquement induit une vision de spécialisation industrielle entre pays donnant lieu à un commerce international inter-branches : « la France » se spécialise dans la production de blé, « l’Allemagne » dans celle de machines et les deux pays échangent leur spécialisation. La réalité est toute autre : c’est au contraire un commerce international intra-branches qui caractérise les relations économiques entre nations. Pour filer la métaphore de l’anthropomorphisme au plan commercial, les deux pays « produisent » chacun à la fois des automobiles et du blé et les échangent.

Un produit n’est d’ailleurs plus « made in France » ou « made in China » mais en réalité « made in the world » puisque les chaines de valeurs sont internationalisées : un iPhone est un bon exemple avec ses composants venant des quatre coins de la planète, son assemblage en Chine et sa conception aux USA. Le « made in… » n’a plus aucun sens, quoique puisse penser un célèbre ministre français à marinière. Cela signifie aussi que les importations sont en réalité dans une large mesure le contenu des exportations : ainsi, vouloir les diaboliser n’a, une nouvelle fois, aucun sens.

En quatrième lieu, cette vision de la spécialisation « nationale » a logiquement légitimé dans de nombreux PVD des politiques industrielles (donc assez loin du laissez faire original) consistant à développer l’avantage comparatif « national ». C’est ainsi que des experts internationaux bien intentionnés ont pu « jouer aux Lego » en spécialisant des pays entiers selon les enseignements de la logique ricardienne, les rendant ainsi en réalité fragiles, du fait de l’absence de diversification économique, et très vulnérables à la volatilité des marchés internationaux quant au prix de la marchandise dans laquelle ils se sont spécialisés.

D’une certaine manière cette nationalisation de l’échange est aussi à la source de la séparation artificielle dans les manuels entre l’étude de la croissance économique et celle du commerce international et de la concurrence. En réalité croissance et échange sont les deux faces de la même pièce. De même, la logique ricardienne débouche sur une vision économique caractérisée par la rareté. (Cette tendance est amplifiée par la vision des rendements de Ricardo qui sont en fait constants, qui est, d’une certaine manière, la conséquence logique de l’avantage exogène). Or, lorsque l’on saisit la fusion profonde entre croissance et échange, c’est une vision économique en termes d’opportunités qui émerge : ce sont les opportunités d’échange qui font le potentiel de croissance.

La vision smithienne du développement repose sur l’idée que l’ouverture économique permet d’étendre « la taille du marché ». L’origine du développement vient de l’augmentation de la productivité par la division du travail et la spécialisation (qui donne lieu à l’innovation), elles-mêmes dépendantes du penchant de l’homme à l’échange. Et c’est l’accroissement de l’étendue du marché qui permet d’élever le degré de division du travail et de spécialisation – donc de productivité et in fine d’augmentation des revenus.

Ouvrir le marché et ainsi étendre sa taille permet d’intensifier la croissance « organique » dans les réseaux d’échange, qui transcendent les frontières entre pays, industries ou branches. Cette croissance est évidemment ralentie par les « coûts de transactions » érigés par une logique nationale, protectionniste : ce sont alors des opportunités d’échange – et donc de croissance – qui sont détruites.

Si la théorie de l’avantage comparatif est fondamentale pour comprendre la dynamique économique, son déplacement au niveau des « nations » a été une erreur, menant à l’opposé de la thèse de son auteur.

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  • Mouai, on ne peut pas reprocher à Ricardo que des gens interprètent mal sa théorie, comme le fait un peu l’article.

    De plus les avantages comparatifs permettent d’expliquer les échanges intra-branches. Il suffit d’accroître le niveau de détail : une Renault n’est pas une BMW.

    De plus, dès qu’on généralise le modèle ricardien à n pays k biens on obtient plusieurs pays produisant la même chose, et éventuellement se l’échangeant.

    Et l’article néglige l’Histoire, le basculement du monde dans le libre-échange dans la seconde moitié du XIXème est l’oeuvre de Ricardo, c’est de lui que se revendiquait la ligue de Manchester.

    • « on ne peut pas reprocher à Ricardo que des gens interprètent mal sa théorie »

      Remarque étonnante, puisque l’article explique que Ricardo a lui-même dévoyé sa théorie en la généralisant aux pays, au lieu de se limiter sagement aux échanges entre individus : « Ricardo a ainsi pratiqué une nationalisation du concept d’échange ».

      • Les avantages comparatifs sont valides à n’importe quelle échelle. Ricardo s’intéressait au commerce international, on ne peut pas lui reprocher d’avoir exposer le principe dans ce contexte.

        C’est aussi bête que de reprocher à Archimède d’avoir centré l’analyse de la densité sur les couronnes en or.

        Ricardo n’a pas dévoyé sa théorie, il l’a développé pour traiter le problème qui le préoccupait, sans interdire la généralisation.

        De plus, la répartition des individus par avantage comparatif est présente dans le modèle d’équilibre général, c’est-à-dire dans la théorie la plus standard enseignée par les économistes.

  • @ Acrithène :
    Pas vraiment. Ricardo ne s’intéressait pas au commerce international, il s’intéressait à la distribution du produit net entre propriétaires fonciers, capitalistes, travailleurs, comme il le dit explicitement dans la préface de ses Principes de 1817.

    Et le système de Ricardo ne repose pas sur la loi des avantages comparatifs. Il repose sur la théorie de la valeur travail et la théorie de la rente différentielle qui en découle (Chapitres 1 et 2 de ses Principes).

    Sa défense du libre échange ne fait d’ailleurs pas appel à la loi des avantages comparatifs (à laquelle il ne consacre que quelques paragraphes au chapitre 7). Il défend la liberté commerciale pour la raison qu’elle réduit le prix des subsistances, et qu’elle enraye donc temporairement la baisse tendancielle du taux de profit.

    • Les avantages sont comme vous le dîtes décrits dans le chapitre 7 de son traité.

      Ce chapitre s’intitule « Du commerce extérieur ».

      La théorie est donc bien découverte dans le contexte de la problématique du libre-échange.

      De plus le principe des avantages comparatifs et énoncé en 1815, soit deux ans avant les Principes de Ricardo, dans un essai de Robert Torrens intitulé An Essay on the External Corn Trade.

      A nouveau, on est dans le cadre du débat des Corn Laws.

      • Certes, mais vous sous-entendiez que Ricardo avait compris les implications importantes de la loi des avantages comparatifs, qu’il se contentait seulement de l’appliquer au problème qui le préoccupait (le commerce international), et qu’on ne peut pas lui reprocher d’avoir exposé le principe dans ce contexte.

        Or, c’est faux. S’il avait compris la portée de cette idée, il y aurait consacré plus que quelques lignes et il l’aurait appliquée aux échanges interpersonnels. Au lieu de cela, il a construit un système farfelu autour de l’idée que les capitalistes gagnent ce que les travailleurs perdent, et que l’économie est un jeu à somme nulle.* Très loin des avantages comparatifs, donc.

        * « Dans tout le cours de cet ouvrage, j’ai cherché à prouver que le taux de profit ne peut jamais hausser qu’en raison d’une baisse des salaires », dans le même chapitre 7.

        (Rothbard prétend même que ce n’est ni Ricardo ni Torrens, mais James Mill qui a découvert cette loi en 1808).

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