Chypre : en attendant le bank run

À Chypre, si la panique n’a pas eu lieu, l’île vit toujours sous un sévère régime de contrôle des capitaux et de limitation des retraits bancaires. Le danger d’un bank run subsiste et n’a jamais été aussi grand.

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Chypre : en attendant le bank run

Publié le 3 avril 2013
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À Chypre, si la panique n’a pas eu lieu, l’île vit toujours sous un sévère régime de contrôle des capitaux et de limitation des retraits bancaires. Le danger d’un bank run subsiste et n’a jamais été aussi grand.

Par Stéphane Montabert.

Sitôt le « plan de sauvetage » chypriote entériné et les banques rouvertes, l’île a tout bonnement disparu des écrans radars médiatiques.

Il y eut bien quelques frayeurs lorsque les agences levèrent enfin leur rideau à nouveau – on plaça des vigiles devant certains établissements bancaires, histoire d’éviter tout mouvement de panique – mais la transition se passa sans heurts, au point d’être célébrée par la presse et les autorités locales.

Si ce n’est qu’il n’y a pas eu de transition.

Chypre vit toujours sous un sévère régime de contrôle des capitaux et de limitation des retraits bancaires. L’île fonctionne au ralenti, l’économie se réduisant aux maigres flux d’argent liquide encore en circulation. La panique n’a pas eu lieu mais la pénurie est toujours là ; les virements vers l’étranger sont limités à 5000 euros par personne, par banque et par mois ; aux guichets, les clients ne peuvent retirer que 300 euros par jour. Les autorités ont beau jeu de célébrer la sérénité des habitants alors qu’il s’agit plutôt de soumission.

Le danger subsiste et n’a jamais été aussi grand : celui d’un bank run. Vous en avez peut-être entendu parler sans qu’on vous l’explique. Dans la mesure où il frappera Chypre tôt ou tard (ainsi que d’autres pays) mieux vaut se livrer à quelques éclaircissements.

Le client d’une banque y dépose son argent, mais la banque ne laisse pas cet argent dormir au fond d’un coffre, même si c’est l’image qu’elle souhaite souvent donner. Si elle agissait ainsi, comment pourrait-elle payer ses salariés, ses locaux, l’électricité, sans piocher dans la caisse ni réclamer des frais prohibitifs ? L’argent de tous les comptes représente une somme conséquente. La banque récolte d’un côté mais prête de l’autre. La banque est un intermédiaire économique entre l’épargnant, qui dépose l’argent et exige de le retrouver, et l’emprunteur, qui a immédiatement besoin d’une somme et qui est prêt à payer pour cela.

Sans entrer dans le détail des réserves fractionnaires, les prêts ne sont ni plus ni moins que la location d’une certaine somme d’argent, contre un loyer lui aussi payé en argent. Le taux d’intérêt pratiqué par la banque représente en quelque sorte le coût du loyer. Il dépend d’une multitude de facteurs, allant de l’environnement économique à la confiance de la banque envers le demandeur. La banque prête d’autant moins gratuitement que le versement des intérêts est son principal moyen de subsistance !

Bien entendu, parmi toute la population des créditeurs et des débiteurs de la banque, il y a des moutons noirs, des gens dont le solde du compte courant est négatif, ce qui les transforme de facto en emprunteurs, et d’autres venus emprunter de l’argent mais qui, pour diverses raisons, ne parviendront jamais à rembourser. Heureusement, en général, les mauvais payeurs sont une minorité, faute de quoi les banques n’auraient qu’à mettre la clef sous la porte.

Le taux pratiqué par les banques avec tout un chacun doit tenir compte de tous ces risques. Le fixer correctement est tout un art. Qu’il soit trop élevé et les clients renonceront ou iront voir un établissement concurrent ; qu’il soit trop faible et la banque perdra en rentabilité et périclitera, voire risquera sa survie si les emprunteurs font défaut en masse… C’est ce qui s’est passé avec la crise des subprimes et l’effondrement des prix immobiliers.

Mais à Chypre le problème est différent.

L’argent des comptes courants étant la matière première dont a besoin la banque pour fonctionner, que se passe-t-il si la rumeur laisse entendre que la banque est en difficulté ? Certains clients s’inquièteront et s’empresseront de retirer leurs billes. La banque devra s’exécuter dans les délais les plus brefs : garder l’argent à disposition du client est le fondement même du contrat bancaire, aucune relation ne peut s’instaurer sans cette base. Mais voilà, si suffisamment de clients ont la même idée au même moment, les agences bancaires manqueront de liquidité, puis seront tout simplement incapables d’honorer leurs engagements, puisque l’argent des comptes a été prêté à l’extérieur. La confiance dans la banque s’effondre, la panique se répand, tout le monde veut récupérer son solde mais il n’y a pas de fonds suffisants pour tout le monde. La banque est soudainement insolvable. C’est le bank run.

Cette situation de faillite a ceci de particulier qu’elle récompense les plus craintifs. Les inquiets et les méfiants sont les premiers à retirer leurs avoirs lorsque les rumeurs se font insistantes, et de ce fait, ils sont les seuls à s’en sortir sans dommages. Les autres – sereins, lents à la détente, cyniques et incrédules – arrivent trop tard et n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.

Chypre est-elle dans cette situation ? Oui, de toute évidence.

En février, des épargnants de la zone euro ont retiré 18 % des avoirs qu’ils détenaient auprès des banques chypriotes – et peuvent aujourd’hui sabler le champagne d’avoir été si bien inspirés. Ceux qui n’ont pas cédé à la panique se retrouvent frappés de plein fouet. On parle aujourd’hui d’une « taxe » pouvant atteindre 60 % pour les détenteurs de comptes de plus de 100 000 euros.

Lors d’un bank run, paniquer en premier est de loin la stratégie la plus rentable.

Tant le grand public – un temps menacé par le « plan d’aide » – que les grands comptes rongent leur frein. Ils n’ont pas le droit de retirer plus que ce que le gouvernement chypriote leur accorde. La limite de retrait fixée à 300 euros par jour n’est probablement pas due au hasard. Face à l’hémorragie de leurs comptes, les établissements bancaires de Nicosie sont probablement incapables de concéder davantage.

Au moins la posture actuelle donne-t-elle l’illusion que les restrictions viennent de l’État chypriote et non des banques elles-mêmes.

Évitera-t-on le bank run ? On ne pourra l’affirmer que lorsque toutes les contraintes artificielles sur les mouvements de capitaux auront été levées, lorsque n’importe quel Chypriote pourra entrer dans une agence bancaire, fermer son compte et en ressortir avec le solde en liquide, en toute sérénité.

Nous en sommes loin.

Le reste de l’Europe peut croire le calme revenu. Pour les Chypriotes, contraints d’aller quémander chaque jour la limite légale de retrait, l’attente est insupportable. Et que dire des détenteurs de gros comptes à Chypre, dont les avoirs sont sabrés de plus de la moitié ?

Le gouvernement chypriote est dans la même impasse qu’un malfrat qui tient en joue un individu et espère que celui-ci continuera à lui obéir aveuglément, même quand il n’aura plus une arme pointée sur lui. Soit l’État fait perdurer les limites de retrait pour que perdure l’illusion de stabilité, soit il les lève et tout peut alors arriver… C’est inévitable.

Et ce n’est pas encore le pire. Si par extraordinaire la situation à Chypre revenait à la normale sans bank run, il ne fait aucun doute que les capitaux quitteront l’île (en panique ou en bon ordre, c’est selon) et l’activité économique du pays s’est durablement effondrée en ce mois de mars. Chypre vient donc de rejoindre le club toujours plus nombreux des pays alternant économie en récession / emballement de la dette et du déficit de l’État / nouveaux plans d’aide et de rigueur, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Le plan de secours qui vient d’être infligé à l’île ne sera donc pas le dernier.


Sur le web.

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  • Peuple de mous…révoltez vous un peu

  • le peuple n’est pas mou ; il est en revanche complêtement anesthésié ;reste à savoir combien de temps va durer l’anesthésie …..

  • « Évitera-t-on le Bank Run ? » … « face à l’hémorragie de leurs comptes, les établissements bancaires de Nicosie sont probablement incapables de concéder davantage de toutes façons. »

    Le vrai danger d’un bank run n’est pas que les clients retirent leurs fonds en masse mais que les banques n’aient plus assez de liquidités pour répondre à ces demandes. Depuis 2012, la BCE s’est officiellement engagée à fournir de toutes les liquidités nécessaires, sous conditions, distinguant crise de liquidité et crise de solvabilité. En l’état de sa doctrine, un bank run ne peut pas se produire, sauf si la BCE le décide.

    Le problème n’est pas de savoir si on évitera un bank run mais de comprendre ce que veut la BCE.

    • Si les détenteurs de compte retirent leur argent, la BCE peut suppléer au manque de liquidité (la banque « emprunte » des liquidités
      à la BCE), mais cette opération ne peut être que de faible amplitude et à court terme, faute de quoi la BCE en arrive à se substituer à la banque et à faire disparaître celle-ci.

      Exmple simpliste: 8 gusses déposent chacun 10 crédits à la banque, qui a 20 crédits de capital. Ca fait 100 crédits. Elle prête 60 crédits à Monsieur A, donc 60 crédits sont dehors. Mauvaise rumeur, 5 clients viennent clôturer leur compte: la banque ne les a pas, elle n’a que 40 crédits en caisse. Elle doit emprunter 10 crédits à la BCE pour fournir les liquidités au cinquième… La BCE accepte mais fronce les sourcils.

      Supposons maintenant que les 3 derniers clients surgissent et souhaitent eux aussi clôturer leur compte: encore 30 crédits empruntés à la BCE. Notre banque se retrouve alors avec zéro clients et un emprunt de 40 crédits auprès de la BCE. En collatéral, elle n’a à proposer que son capital (20 crédits, insuffisant) et les 60 crédits que lui doit Monsieur A.

      Si la BCE accepte, les clients sont contents mais la BCE devient de facto le créancier réel de Monsieur A. Elle aura complètement phagocyté la banque intermédiaire, qui ne sera plus qu’une écorce vide (dissoute, nationalisée, utilisez les termes que vous voulez). Et si Monsieur A fait défaut, elle en sera de sa poche, alors que ce n’était pas forcément dans les plans de la BCE.

      En revanche, si la BCE refuse, la banque est en faillite et les clients venus clôturer leur compte n’auront rien. Bank Run.

      Dire que « un bank run ne peut pas se produire, sauf si la BCE le décide » revient dans ces conditions à dire « un bank run ne peut pas se produire sauf s’il se produit ». La BCE peut-elle décider de ne jamais laisser un bank run se produire? J’en doute! La BCE n’a certainement pas vocation à absorber les dettes pourries des banques de Chypre, puisque celles-ci viennent des emprunts d’Etat grecs et du haircut infligé au secteur privé (ici les banques chypriotes) justement parce que la BCE ne voulait pas entacher son bilan…

      • « la BCE ne voulait pas entacher son bilan »

        On dirait bien que la BCE se moque d’entacher son bilan : après l’aide de 10 milliards de l’Europe (sans compter les milliards du FMI et de la Russie), ce qui reste de liquide à Chypre pèse moins de 1/10000e de la masse monétaire de la zone. En outre, depuis les LTRO, la BCE assume pleinement son rôle de remplacement du marché interbancaire défaillant. Un bank run à Chypre est peut-être possible mais cela n’a plus aucune importance. Je ne suis pas en train de dire que tout ceci est merveilleux : à bien des égards, c’est plutôt scandaleux, mais c’est ainsi.

        A Chypre, une banque a été mise en faillite, quelques dépôts vont être taxés : il n’y avait pas d’autres choix du fait de la carence en créanciers juniors ou même seniors. Les autres banques seront sauvées quoi qu’il arrive, conformément au 2e plan qui a été négocié par les parties.

        Au-delà, Mario D (sans doute inspiré par la prose de Vincent B !) est le premier à réclamer des règles ex-ante claires pour régler leur sort aux banques mal gérées (règles qui n’ont rien à voir avec le cas chypriote, contrairement aux déclarations intempestives de Jeroen D). Pour l’instant, ce sont les gouvernements européens qui n’en veulent pas. On se demande bien pourquoi, hein !

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