Frédéric Bastiat était-il libéral ?

On range généralement Frédéric Bastiat parmi les théoriciens minarchistes. Mais était-il même libéral ?

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Frédéric Bastiat

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Frédéric Bastiat était-il libéral ?

Publié le 6 avril 2013
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On range généralement Frédéric Bastiat parmi les théoriciens minarchistes. Mais était-il même libéral ?

Par François-René Rideau.

Bastiat n’était pas libéral et encore moins minarchiste

D’aucuns libéraux aiment à clamer que Frédéric Bastiat, héros de tous les libéraux, était comme eux un minarchiste. Or non seulement Bastiat n’était pas minarchiste, il n’était même pas libéral. Quoi ?

Les libéraux sont unis par leur théorie du droit qui défend la propriété individuelle et par là délégitime les interventions de l’État dans les affaires humaines. Cependant, parmi les questions qui divisent les libéraux depuis longtemps, il reste celle de savoir si l’État est une institution utile voire nécessaire ou s’il est par nature une institution parasite aussi nocive que superfétatoire.

Selon leur réponse à cette question, les libéraux se rangent alors parmi les minarchistes, qui réclament un état minimal réduit à faire régner l’ordre, et les anarchistes pour qui le progrès des relations humaines passe par l’abolition de l’État.

Bien sûr, avant de répondre à la question, encore faut-il avoir défini ce qu’on entend précisément par État. Malheureusement, alors qu’il y a là lieu à un examen conceptuel pour élucider le cœur du débat, d’aucuns préfèrent ressortir l’argument aussi bien d’ignorance que d’autorité selon lequel Bastiat aurait tranché pour le minarchisme. Or s’il a tranché, c’est bien en sens inverse !

Car enfin, entendons-nous : nous battons-nous sur des mots ou sur des concepts ?

Pour ce qui est des mots, non seulement Bastiat ne s’est jamais réclamé du minarchisme mais si tant est qu’il fait jamais mention de libéralisme dans son œuvre c’est pour se prononcer explicitement contre le libéralisme !

En effet, le premier mot n’existait même pas à l’époque, le débat auquel il répond ne faisant pas encore fureur. Le second mot existait mais n’avait pas de sens bien précis sinon d’être un mot fédérateur pour de nombreux opposants à l’ancien régime, dont les idées variaient notamment dans chaque pays, et plus encore d’un pays à l’autre.

En France, plus spécifiquement, libéral pouvait avoir un sens restreint pour s’appliquer au parti du même nom et aux thèses qu’il avançait. Or, les libéraux, à travers notamment leur tête de file, Adolphe Thiers, ne défendaient de libertés que celles qui les arrangeaient et c’est à cette occasion que la seule mention de libéralisme dans l’œuvre de Bastiat en est une ferme dénonciation.

 

Le sens changeant des mots

Le terme que Bastiat revendiquait haut et fort était celui d’économiste, s’attachant ainsi à une tradition qui depuis son origine avait pour objet l’étude des interactions mutuellement volontaires entre humains et la dénonciation de l’intervention de l’État, c’est-à-dire de la violence irresponsable dans ces affaires humaines.

Ce mot correspond bien à ce que nous entendons aujourd’hui en France par libéral et si nous devons arguer non pas sur les mots mais sur les concepts, alors Bastiat était sans aucun doute un libéral au sens actuel, et sans conteste l’un des plus grands et des plus aimés parmi nous.

Cependant, notons que ce mot économiste a lui-même de nos jours un sens fort différent, depuis qu’à la fin du XIXe siècle les États ont fondé des chaires d’économie dans leurs universités pour faire la propagande étatique et fournir des justifications à leurs spoliations.

Et notons par là-même que le mot libéral n’a actuellement de sens bien défini en France que parce qu’un opprobre général en réserve l’usage sérieux à un petit groupe d’intellectuels qui l’a adopté, cependant qu’il a été déserté par tous les politiciens à la Thiers, leurs propagandistes professionnels les journalistes et autres spécialistes du détournement de langage qui ne s’en servent que comme invective vide de sens.

Dans d’autres pays où le mot ne fait pas autant repoussoir, son sens à la fois est plus flou et ne couvre pas les mêmes concepts, au point qu’aux États-Unis où il est ouvertement revendiqué par une large fraction de la population, son sens actuel est à l’opposé diamétral, signifiant plus ou moins la même sens que socialiste en France : une sensibilité de gauche réclamant davantage d’actions de l’État, moins de libertés économiques, un relâchement des mœurs encadré par mainmise bureaucratique sur la santé, etc.

 

Qu’entendons-nous par État ?

Donc si nous devons débattre les concepts il faut examiner le concept de minarchiste avant de pouvoir prétendre en affubler Bastiat.

Ainsi, un libéral respecté et respectable m’affirme sa thèse minarchiste selon laquelle « L’objet de l’État est de protéger les droits naturels des individus ».

Mais de quoi parle-t-on ? S’agit-il de décrire le phénomène historique connu sous le nom d’État, où une organisation s’arroge un monopole de la violence sur un territoire, établi depuis des lustres par la conquête, l’usurpation, et le meurtre de masse ?

Depuis quel jour béni cet État, de criminel et archi-nuisible ennemi du peuple, a-t-il changé du tout au tout et s’est-il mué en bénéfique ami de la société ?

Identifions ce moment historique et célébrons-le !

Était-ce sous H’ldw’gh, chef des Francs, connu pour avoir dépeuplé des villes entières ? Était-ce sous la Terreur de Robespierre ? Sous la botte de Napoléon ? Sous Pétain ? Est-ce que de Gaulle fut notre sauveur, ayant magiquement transformé l’État ? Non, non, non et non. À aucune de ces révolutions l’État n’a pas changé de nature, il n’a changé que de mains. Certes, il s’est adapté au progrès technique et moral, il a affiné les méthodes de ses rapines, élaboré sa propagande, éliminé certaines mesures oppressantes qui ne rapportaient plus pour en adopter d’autres qui lui rapportent davantage. Il n’en reste pas moins en toutes ses activités et à tout instant un parasite qui draine les ressources de la société au bénéfice de ses agents.

Si la protection des droits individuels est aux antipodes de l’action historique du phénomène État, l’affirmation selon laquelle l’État est censé défendre ces droits est-elle un énoncé valide d’un point de vue prescriptif plutôt que descriptif ?

Fort bien, mais à qui ou quoi cette prescription s’applique-t-elle ? Cette prescription prétend-elle s’appliquer au phénomène décrit précédemment ? Mais par quelle magie attend-on d’un monopole violent qu’il fasse soudain le contraire de ce qui constitue tout à la fois son principe de base, la condition de sa survie, et l’intérêt de ses agents ?

Autrement dit : les libéraux, combien de divisions ?

D’ailleurs, s’il existait une force humaine supérieure capable de renverser un État donné, les détenteurs de ladite force possèderaient de facto le monopole précédemment détenu par l’État renversé. Changement de main, pas de nature. Ils auraient beau abdiquer, le sceptre serait ramassé par un militaire moins hésitant à s’en saisir, quitte à ce que le territoire soit divisé entre belligérants rivaux. Autrement dit, pour reprendre Mencius Moldbug, la souveraineté est une réalité irréductible. La seule façon par laquelle l’intérêt des détenteurs de chaque once de pouvoir politique subséquent soit aligné avec l’intérêt des citoyens sous leur autorité respective est que l’État statique et centralisé ait été atomisé en un magma dynamique de petites entités chacune réduite à un seul individu, auquel cas nul n’aurait le monopole de la violence sur autrui — et cette collection de souverainetés individuelles constituerait ni plus ni moins que la solution « anarchiste ». Un réseau décentralisé de citoyens armés peut-il résister à une organisation centralisée d’oppression bureaucratique ? Comme le remarquerait aussi Moldbug, la possibilité d’un tel résultat (et son impossibilité actuelle, dirait-il) est une question de technologie militaire plutôt que de philosophie juridique.

Une autre façon de prendre cette prescription, c’est comme une définition de ce qu’on entend ou voudrait entendre par État, un deuxième sens du mot bien distinct du premier sens de monopole de la violence comme phénomène historique ou comme concept juridique.

L’État en ce sens serait une institution utilisant effectivement la violence pour protéger les droits naturels de l’individu indépendamment de son organisation, de son histoire, etc. Mais alors, en ce sens, l’État n’existe pas, n’a jamais existé, n’existera jamais et ne peut pas exister à moins encore une fois d’être réduit à une collection de souverainetés individuelles. Car seuls les individus, en déployant leurs propres resources, peuvent chacun se défendre sans violer le droit d’autrui dans l’opération. Tout transfert forcé des ressources de l’un pour protéger l’autre serait ipso facto une violation des droits du premier et donc de la prescription définitionnelle. La réalité elle-même est anarchiste et l’étatisme, minarchiste ou pas, est une chimère : le concept d’État qui a ce sens prescriptif est à l’opposé du concept d’État qui a le sens descriptif précédent.

 

Ce que Bastiat n’a pas dit

Ayant visité les concepts, revenons à Bastiat.

Mon interlocuteur cite donc à l’appui de sa thèse minarchiste le dernier paragraphe de l’État :

« Quant à nous, nous pensons que l’État, ce n’est ou ce ne devrait être autre chose que la force commune instituée, non pour être entre tous les citoyens un instrument d’oppression et de spoliation réciproque, mais, au contraire, pour garantir à chacun le sien, et faire régner la justice et la sécurité. »

Il s’agit clairement d’un énoncé prescriptif dont le lien avec le phénomène historique est explicitement mis en doute. Plus encore, ce paragraphe intervient à la fin d’un long pamphlet où Bastiat dénonce systématiquement l’État, aussi bien le phénomène historique de monopole de la violence que le mythe universellement propagé par ses propagandistes que le bilan nécessairement négatif des actions d’un tel monopole. Bastiat en appelle à l’institution d’un concept qu’il définit prescriptivement dans cette même phrase, à l’opposé radical de la réalité de l’État dont il fait la description fort peu glorieuse dans tout le reste de cet essai.

Deux concepts opposés dans un même mot, cela porte à faire des confusions et contresens graves plutôt qu’à donner des conseils efficaces.

Mais à aucun moment, Bastiat ne confond les deux sens du mot État pour attribuer à l’un des deux concepts une des propriétés de l’autre ; à aucun moment il n’est amené aux contresens que cette confusion engendre à profusion chez des esprits moins clairs qui se proclament alors minarchistes. Donc si Bastiat n’a pas eu la présence d’esprit ni la discipline intellectuelle d’introduire une distinction lexicale entre les deux concepts d’État monopole de la force et d’État institution de défense des droits, il semble avoir fort bien distingué les deux concepts ; et il n’a jamais présagé des formes idéales ou même possibles que prendrait une telle institution de défense des droits — et en particulier sur la présence ou non d’un monopole légal.

Ne reprochons pas à Bastiat de n’avoir pas éclairci cette opposition conceptuelle quand la question n’était pas posée à l’époque, n’ayant semblé le sujet le plus pertinent à débattre ni pour ses prédecesseurs ni pour ses successeurs immédiats. Bastiat a été un innovateur en de nombreux points ; sa carrière écourtée l’empêcha de l’être sur davantage.

Il nous donc faudra attendre Albert J. Nock et son livre de 1935 Notre ennemi, l’État, pour trouver un auteur qui distingue explicitement par le mot État le monopole de la violence et le mot gouvernement l’organisation de défense des droits individuels.

 

Rendre à Bastiat ce qui est à Bastiat

Mais après avoir éclairci ce que Bastiat n’a pas dit en faveur de l’État, peut-on trouver ce qu’il aurait dit sur le concept d’anarchisme ?

Nous savons de par son échange avec Proudhon que le mot ne lui faisait pas peur et qu’il savait à la fois célébrer ce que Proudhon incluait de liberté dans le mot et rejeter ce qu’il y incluait de socialisme.

In fine, Bastiat ne s’est pas prononcé explicitement sur le concept, qu’encore une fois il ne jugea jamais comme le plus pressant à éclaircir. Toutefois, nous possédons des signes sûrs que s’il avait une opinion sur ce concept elle n’était pas celle d’un rejet radical.

En effet, Gustave de Molinari, jeune collaborateur et ami proche de Bastiat, dans ses Soirées de la rue St Lazare de 1849, distinguait lexicalement d’une part le concept de gouvernement comme organisation fournissant des services de sécurité et d’autre part le concept de monopole sur de tels services de sécurité, et dénonçait ce monopole comme porteur d’injustice autant que d’inefficacité.

Or, Bastiat, qui a très certainement lu ces Soirées voire en a discuté le contenu avec Molinari, non seulement n’a pas dédit Molinari après coup, mais fin 1850, sur son lit de mort, déclarait clairement Molinari comme étant son successeur intellectuel. Si tant est que Bastiat aurait été minarchiste plutôt qu’anarchiste, il n’a donc pas jugé cette divergence d’opinion comme assez importante pour mériter de déshériter Molinari.

Prétendre de Bastiat qu’il était minarchiste est donc un mensonge éhonté. Non seulement Bastiat ne s’est pas explicitement prononcé sur la question, mais il n’a pas jugé la question assez importante ou urgente pour qu’il lui soit utile d’en débattre publiquement. Et tout indique qu’il a des sympathies anarchistes, sinon des convictions bien nettes à ce sujet. Il faut une certaine dose de mauvaise foi pour mettre dans la bouche d’un mort le parti-pris d’un débat qui n’existait pas à son époque, et sur lequel les seuls indices disponibles semblent indiquer qu’il aurait penché en sens inverse. Laissons à Bastiat ce qu’il a dit et ce qu’il n’a pas dit, les concepts qu’il a su distinguer par des explications claires et ceux qu’il n’a pas su séparer par des noms distincts. Et surtout, débattons des concepts plutôt que des mots.

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  • « Les libéraux sont unis par leur théorie du Droit qui défend la propriété individuelle et par là délégitime les interventions de l’État dans les affaires humaines. » Cette acceptation est fausse. « Les Libéraux » per se ne defendent pas la propriété individelle au rang auquel les libertariens eux l’érigent.
    J’ aimerai rappeler que pour faire simple,il y a deux notions du droit de propriété.

    -La notion Romaine « usus et abusus » :Tu peux détruire ce qui est a toi, l’abimer, personne n’a rien a dire.
    -La notion AngloSaxonne :. Tu es plutôt l’usufruitier de ta propriété que propriétaire. Tu as un long « lease ».

    Les premières sociétés ont évolué vers des sociétés codifiées et dictatoriales,
    les secondes vers le « common law » et des démocraties.
    L’évolution historique a montré que les deuxièmes avaient raison le les premières tort.

    Un droit absolu engendre la tyrannie, un droit non absolu le compromis.

    • Je dois m’inscrire en faux contre cette analyse : le système juridique de la République romaine est justement un calque antique des systèmes modernes de common law, en particulier l’américain : système accusatoire, grande place laissée à la transaction et à l’arbitrage en matière de justice.
      Le droit romain n’a précisément été codifié qu’une fois la dictature impériale en place, et même après cinq siècles de cette dictature.
      Mais même une codification en soi n’est pas une mauvaise chose dès lors qu’elle reste réduite : en mettant un petit corps de règles en ordre on instaure la liberté : c’est le cas de la loi des Douze Tables romaine, du Bill of Rights américain.

  • « fin 1850, sur son lit de mort, déclarait clairement Molinari comme étant son successeur intellectuel ».

    Merci d’indiquer une référence. Je n’ai pas trouvé autre chose que ceci : http://fr.wikisource.org/wiki/Neuf_jours_pr%C3%A8s_d%E2%80%99un_mourant.

    Pour tout dire, il semble plutôt que Bastiat et Molinari divergeaient sur leurs conceptions respectives de l’organisation de la société, donc de l’Etat. Molinari reste enfermé dans l’opposition entre autoritarisme et individualisme, indispensable pour justifier sa pensée, tandis que Bastiat s’élève au dessus de la vaine mêlée pour distinguer coercition et adhésion volontaire.

    Molinari, héritier ? Dans sa nécrologie de Bastiat, il critique sans fard l’oeuvre de son ancien ami. Sacré héritier ! Molinari a-t-il éprouvé le besoin de « manger son père » ? Citations :

    « Malheureusement Bastiat ne suivit pas toujours, dans l’exécution d’une si belle oeuvre, la voie que lui avaient tracée les maîtres de la science. »

    « Mais pourquoi faut-il qu’au lieu d’employer, à l’exemple de Rossi, ce style plein de magie à illuminer d’une clarté nouvelle les vérités fondamentales de l’économie politique, Bastiat s’en soit servi parfois pour les combattre comme s’il ne les avait pas comprises ? »

    • 1- En recherchant dans les sources primaires, je ne trouve pas de confirmation de ce testament intellectuel, que je dois donc concéder n’être qu’une rumeur diffusée sur l’internet. Mea culpa pour n’avoir pas cherché confirmation *avant* de publier.

      2- Effectivement, Molinari a du mal a digérer la critique de Malthus et Ricardo par Carey et Bastiat. Lire à ce sujet la lettre de Bastiat au Journal des Économiste, http://books.google.com/books?id=XAFbAAAAQAAJ&pg=PA209#v=onepage&q&f=false et la réponse de Roger de Fontenay à la séance du 10 janvier 1952. http://books.google.com/books?id=0EUKAQAAMAAJ&pg=PA217#v=onepage&q&f=false

      Molinari lit mal Bastiat. Bastiat lit mal Molinari. Cela arrive entre les meilleurs amis. Non qu’ils soient toujours bien inspirés de bien se lire, comme quand ils défendent la propriété littéraire perpétuelle (qui copie qui dans cet argument commun, je n’ose plus le dire sans vérification).

  • http://bastiat.org/fr/pdfe1846.html :

    « Il est des choses qui ne peuvent être faites que par la force collective ou le pouvoir, et d’autres qui doivent être abandonnée à l’activité privée. Le problème fondamental de la science politique est de faire la part de ces deux modes d’action. La fonction publique, la fonction privée ont toutes deux en vue notre avantage. Mais leurs services diffèrent en ceci, que nous subissons forcément les uns et agréons volontairement les autres. D’où il suit qu’il n’est raisonnable de ne confier à la première que ce que la seconde ne peut absolument pas accomplir.

    POUR MOI, JE PENSE que lorsque le pouvoir a garanti à chacun le libre exercice et le produit de ses facultés, réprimé l’abus qu’on en peut faire, maintenu l’ordre, assuré l’indépendance nationale et exécuté certains travaux d’utilité publique au-dessus des forces individuelles, il a rempli à peu près toute sa tâche. En dehors de cercle, religion, éducation, association, travail, échanges, tout appartient au domaine de l’activité privée, sous l’œil de l’autorité publique, qui ne doit avoir qu’une mission de surveillance et de répression.

    Si cette grande et fondamentale ligne de démarcation était ainsi établie, le pouvoir serai fort, il serait aimé, puisqu’il ne ferai jamais sentir qu’une action tutélaire. Il serait peu couteux, puisqu’il serait renfermé dans les plus étroites limites. Il serait libéral, car, sous la seule condition de ne pas froisser la liberté d’autrui, chaque citoyen jouirait, dans toute sa plénitude, du franc exercice de ses facultés industrielles, intellectuelles et morales. J’ajoute que la puissance de perfectibilité qui est en elle étant dégagée de toute compression réglementaire, la société serait dans les meilleures conditions pour le développement de sa richesse, de son instruction et de sa moralité.

    Mais, fût-on d’accord sur les limites de la puissance publique, ce n’est pas une chose aisée que de l’y faire rentrer et de l’y maintenir. Le pouvoir, vaste corps organisé et vivant, tend naturellement à s’agrandir. Il se trouve à l’étroit dans sa mission de surveillance. Or, il n’y a pas pour lui d’agrandissement possibles en dehors d’empiètements successifs sur le domaine des facultés individuelles. Extension du pouvoir, cela signifie usurpation de quelque mode d’activité privée, transgression de la limite que je posais tout à l’heure entre ce qui est et ce qui n’est pas son attribution essentielle. Le pouvoir sort de sa mission quand, par exemple, il impose une forme de culte à nos consciences, une méthode d’enseignement à notre esprit, une direction à notre travail ou à nos capitaux, une impulsion envahissantes à nos relations internationales, etc. Et veuillez remarquer, messieurs, que le pouvoir devient coûteux à mesure qu’il devient oppressif. Car il n’y a pas d’usurpations qu’il puisse réaliser autrement que par des agents salariés. Chacun de ses envahissements implique donc la création d’une administration nouvelle, l’établissement d’un nouvel impôt; en sorte qu’il y a entre nos libertés et nos bourses une inévitable communauté de destinées.

    Donc si le public comprend et veut défendre ses vrais intérêts, il arrêtera la puissance publique dès qu’elle essayera de sortir de sa sphère; et il a pour cela un moyen infaillible, c’est de lui refuser les fonds à l’aide desquels elle pourrait réaliser ses usurpations. »

    Avec ça, Bastiat ne serait pas minarchiste ?

    • J’aime cet article par son côté iconoclaste … tels ceux que Contrepoints me permet de publier. Je le trouve bien construit,mais ne partage pas le fond de l’analyse et m’inscris plutôt dans la suite des autres commentaires de l’article. Ayant lu les Harmonies économiques, je ne peux m’empêcher de considérer Bastiat comme un penseur libéral authentique, dans le sens où il promeut la liberté tant dans la sphère politique que la sphère économique et même sociale. Il s’inscrit également en faux contre le socialisme qui naquit à son époque. Je ne partage donc pas l’analyse, mais apprécie que le débat soit ainsi lancé! Cordialement,PhB

    • Indiscutable et tellement édifiant par les temps qui courent!

    • C’est une profession de foi électorale pour ce faire élire (et cela a marché), dont il n’a aucune valeur sur la pensé réel de l’auteur.

  • Dans l’article Bastiat dit « Comment est-il arrivé que le parti libéral soit tombé dans cette étrange contradiction de méconnaître la liberté, la dignité, la perfectibilité de l’homme, et de leur préférer une Unité factice, stationnaire, dégradante, imposée tour à tour par tous les despotismes au profit des systèmes les plus divers? » Parler de contradiction montre bien la nature du problème.

  • Fare est un tortionnaire de diptères apparemment.

  • PS: Une recherche plus approfondie montre que Bastiat était présent lors de la réunion de la Société d’Économie Politique du 10 octobre 1849 où ce chapitre du livre de Molinari fut discuté. http://books.google.com/books?id=0EUKAQAAMAAJ&pg=PA83#v=onepage&q&f=false Le passage pertinent est celui-ci:

    M. Coquelin ayant pris pour point de départ de la discussion l’opinion de M. de Molinari (qui pense que, dans l’avenir, la concurrence pourra s’établir entre des compagnies d’assurance, capables de garantir la sécurité aux citoyens qui seraient leurs clients), a fait remarquer que M. de Molinari n’avait pas pris garde que, sans une autorité suprême, la justice n’avait pas de sanction, et que la concurrence, qui est le seul remède contre la fraude et la violence, qui seule est capable de faire triompher la nature des choses dans les rapports des hommes entre eux, ne pouvait pas exister sans cette autorité suprême, sans l’État. Au dessous de l’Etat la concurrence est possible et féconde; au dessus, elle est impossible à appliquer et même à concevoir.

    M. Bastiat a parlé dans le même sens que M. Coquelin; il croit que les fonctions de l’Etat doivent être circonscrites dans la garantie de la justice et de la sécurité; mais, comme cette garantie n’existe que par la force, et que la force ne peut être que l’attribut d’un pouvoir suprême, il ne comprend pas la société avec un pareil pouvoir attribué à des corps égaux entre eux, et qui n’auraient pas un point d’appui supérieur. M. Bastiat s’est ensuite demandé si l’exposé bien net bien clair et bien palpable de cette idée, que l’État ne doit avoir d’autre fonction que la garantie de la sécurité, ne serait pas une propagande utile et efficace en présence du socialisme qui se manifeste partout, même dans l’esprit de ceux qui voudraient le combattre.

    Bastiat était donc bien minarchiste, même si par incompréhension avouée.

    Cela fait un bien mauvais argument d’autorité (par le même argument, on prendrait aussi bien Bastiat comme autorité pour justifier la religion catholique qu’il admettait suivre sans discuter ce qui le dépassait), mais ma foi j’ai eu tort de mettre en doute le minarchisme de Bastiat, et d’accuser mes contradicteurs d’ignorance. Dont acte. Mea culpa.

    Il reste que l’important, ce sont les concepts et pas les mots. Si la contribution de Bastiat au débat est (1) l’incompréhension de la structure d’un marché libre, (2) la confusion entre suprématie de fait a posteriori et monopole de droit a priori, et (3) la croyance en ce que l’État serait « un point d’appui supérieur » plutôt que la violence sociopathe exercée par la lie de la société exonérée de toute responsabilité civile et pénale, cela reste une bien mauvaise référence en faveur du minarchisme.

    • « cela reste une bien mauvaise référence en faveur du minarchisme ». Ils en étaient à explorer la voie : il faut analyser leurs débats avec bienveillance. On peut difficilement leur reprocher de ne pas avoir proposé une autoroute dès le début.

      Ceci dit, la profession de foi de Bastiat de 1846 est lumineuse, à tel point qu’elle pourrait constituer la base d’un texte constitutionnel simple et clair délimitant l’Etat, encore aujourd’hui et dans n’importe quelle nation et culture. L’intemporalité et l’universalité de ce texte sont caractéristiques des grandes idées qui esquissent la vérité.

      • Je ne fais aucun reproche à Bastiat. Je fais un reproche à ceux qui utilisent Bastiat comme étendard du « minarchisme », ce que je trouve dégoûtant, quand on voit le peu que Bastiat a contribué à l’argumentaire — et qu’il n’a jamais publié, i.e. cette prise de parole dans une réunion.

  • J’aime pas cet article. Parce que pour moi la question n’a aucun intérêt.
    Pour moi la question posée par le libéralisme réel, pratique, n’est pas « quelle organisation sociale idéale cherchons-nous ? » mais plutôt « dans quel sens faut-il tirer la situation actuelle pour l’améliorer (un peu) ? » : seront libéraux ceux qui cherchent à pousser vers plus de liberté, moins de lois, moins de règles obligatoires (par opposition à des règles morales) pesant sur les personnes (par contre + de règles pesant sur l’état, pourquoi pas) ; seront anti-libéraux les autres.
    Bastiat était donc libéral. Point barre.

    • Nous sommes bien d’accord, au final. Bastiat était libéral, même s’il rejetait le « libéralisme ». Ce sont bien les concepts qui comptent.

      Et quant à améliorer la situation: c’est bien en la comprenant, et en comprenant les alternatives, qu’on peut l’améliorer, plutôt que d’agir à l’aveugle et renforcer les oppresseurs. La question de savoir s’il est possible de subvertir l’État pour en faire un instrument de bien, ou même de moins pire, est essentielle.

  • Ah … On veut dépoter ? Dépotons. 😀

    Il ne faut pas se fonder sur ce que Bastiat »a écrit » de l’Etat dans le dernier paragraphe de « l’Etat » … ? Les conclusions ne sont jamais produites que pour faire joli.

    Il faut se fonder sur ce qu’il « aurait dit » sur son lit de mort … ?

    Serait-il aujourd’hui interessant d’arrêter de se foutre de notre gueule ? Cet article ne fait que reprend la désormais bonne vieille méthode de l’appropriation anarcho-capitaliste …

    Bref, pardon à l’auteur, mais quand un article est mauvais il est mauvais …

    Il y aurait ici, quant à la méthode employée, manière de faire comprendre à qui veut l’entendre que Tocqueville pourrait être l’inspirateur du Mélenchonisme.

    Pour le reste, non, Bastiat ne s’est jamais proclamé ni n’a démontré d’une proximité quelconque ni avec l’anarachie ni même d’ailleurs avec le libéralisme sui generis. Bastiat n’est qu’un extraordinaire génie, un penseur habile qui en jetant un regard aiguisé sur les événements de son temps a inspiré qui voulait bien le considérer. Molinari, oui, et Antonio Gramsci aussi, et les idées de Madame de Staël autant que celles de Rosa Luxemburg …

    Réduire son oeuvre au virage pré-anarchique, ou même seulement à l’apologétique libérale revient à ignorer son parcours d’élu, l’application qu’il mit à se montrer digne de la confiance de ses électeurs, son ardente confiance dans une démocratie raisonnée. Il y a autant d’emportement libertaire dans cette oeuvre que d’apaisement libéral, et en quotité si égale qu’il est presque déshonorant de n’en garder qu’un bout … toujours celui qui arrange le propos ».

    Façon trop c’est trop.

    • Bastiat a dit : « Ne demander à l’Etat que deux choses : la liberté et la sécurité. Et bien voir qu’on ne saurait lui en demander une troisième sans perdre les deux premières. »

      Bastiat était donc minarchiste.

      Il dit également dans son oeuvre que le fait que l’Etat vienne en aide aux plus pauvres ne lui pose pas de problème (c’est la fait que l’Etat prétende aider tout le monde qui lui en pose).

      Enfin, il dit que l’Etat peut être amené à s’occuper d’autre choses (c’est le cas d’amener l’eau sur la place d’un village qui est cité).

      Autrement dit Bastiat était pour un Etat s’occupant de la police/justice/armée/diplomatie, de l’aide aux plus pauvres, de ce qui relève d’un syndic de copropriété.

      Bastiat était donc à priori un « libéral minarchiste ».

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Frédéric Bastiat (1801-1850) est l’un d’entre eux puisqu’il incarne l’une des figures intellectuelles du libre-échange au niveau mondial et s’illustra tant par ses ... Poursuivre la lecture

Un article de l'Institut Coppet

[caption id="attachment_224997" align="aligncenter" width="318"] Frédéric Bastiat (image libre de droits)[/caption]

COMMERCE INTERNATIONAL — La différence des coûts de production dans l’échange international :

« — Si l’on vous dit : Les terres de Crimée n’ont pas de valeur et ne paient pas de taxes. Répondez : Le profit est pour nous qui achetons du blé exempt de ces charges. — Si l’on vous dit : Les serfs de Pologne travaillent sans salaire. Répondez : Le malheur est pour eux et le profit ... Poursuivre la lecture

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