Thatcher et l’Europe : un héritage politique méconnu

Oui, l’Europe aurait pu être libérale, et Thatcher avait su le prouver en détaillant chaque rôle qu’elle entendait conférer aux institutions communautaires, mais telle n’est pas la voie que l’UE empruntât.

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Thatcher et l’Europe : un héritage politique méconnu

Publié le 10 avril 2013
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Oui, l’Europe aurait pu être libérale, et Thatcher avait su le prouver en détaillant chaque rôle qu’elle entendait conférer aux institutions communautaires, mais telle n’est pas la voie que l’UE empruntât.

La reine du libéralisme décédée, les hommages ne tardèrent pas, et les insultes non plus.

En tant que thatchériste convaincu, j’aurais pu, comme nombre de mes pairs libéraux, écrire un vibrant hommage à Maggie en la remerciant d’avoir su montrer ce qu’était la politique et notamment le fait d’avoir des convictions et de les assumer. J’aurais pu également, en bon nostalgique, me replonger dans ses Mémoires, soit deux conséquences tomes publié (10 Downing Street et Les chemins du pouvoir) ou relire son excellente biographie écrite par Jean-Louis Thiériot (Margareth Thatcher : de l’épicerie à la Chambre des Lords).

Au lieu de cela, j’ai eu le plaisir de redécouvrir un texte quasiment méconnu de la Dame de Fer : son discours tenu à La Haye le 5 mai 1992 sobrement intitulé « L’architecture politique de l’Europe ».

Peu conséquent (une vingtaine de pages), le discours est cependant toujours d’actualité et gagnerait à être d’avantage connu pour la bonne et simple raison qu’on ne peut comprendre l’Europe d’aujourd’hui sans l’avoir lu et compris. À lui tout seul, ce monologue résume l’intégralité des problèmes européens et propose des solutions concrètes, franchement inspirées du libéralisme.

L’idée est la suivante : oui, l’Europe peut être libérale (et Thatcher saura le prouver en détaillant chaque rôle qu’elle entend conférer aux institutions communautaires), mais telle n’est pas la voie que nous empruntons.

 

Thatcher et la PAC : au-delà du « I want my money back »

On retrouvera notamment dans ce discours la critique de l’interventionnisme maladif en matière agricole et leurs conséquences : le combat contre la Politique Agricole Commune contre laquelle Lady Thatcher se montra particulièrement virulente n’était pas seulement justifié pour des raisons financières (on se souviendra longtemps de son célèbre « I want my money back » prononcé lors du Sommet de Dublin le 30 novembre 1979) mais bien en raison de l’entrave que cette politique désastreuse constitue au libre-échange.

Thatcher dira ainsi :

« Nous avons constaté, à maintes reprises, que des institutions conçues pour régler un ensemble de problèmes ponctuels peuvent devenir des obstacles face aux problèmes nouveaux – et qu’elles peuvent d’ailleurs en elles-mêmes constituer des problèmes. La Politique agricole commune en est un exemple. À l’origine, ses objectifs modestes étaient loin d’être déraisonnables. Nous savons pourtant tous que la Politique agricole commune constitue à présent une coûteuse source de problèmes, susceptible de faire échouer les négociations de l’Uruguay Round. Au nom de la protection de l’agriculture, nous avons cessé d’importer des produits alimentaires en provenance des pays les plus pauvres […] Pourtant, dans la partie industrialisée du monde, le contribuable et le consommateur doivent allonger 270 milliards de dollars, en additionnant subventions et coûts plus élevés. Et la Banque mondiale a calculé que si les tarifs douaniers étaient diminués de moitié, les pays les plus pauvres y gagneraient tout de suite 50 milliards de dollars »

Elle poursuit malicieusement :

« Au cas où vous trouveriez cette opinion quelque peu anti-européenne, je dois préciser qu’elle a été exprimée dans un éditorial des pages économiques du Frankfurter Allgemeine Zeitung du 4 mai dernier ».

Affirmer que Thatcher est une anti-européenne convaincue relève de l’ignorance totale.

Maggie aura su par exemple reconnaître les mérites du vieux continent tant pour résoudre les problèmes de l’après-guerre que pour sa lutte contre le bloc de l’Est durant la Guerre froide :

« L’Europe occidentale s’est […] unie contre la menace soviétique et, adoptant les préceptes anglo-saxons, elle est devenue libre et très prospère. Cette prospérité, dont furent privés les peuples d’Europe orientale et de Russie, a fini par démobiliser les dirigeants communistes et par pousser la base à la révolte ».

Au-delà de ces compliments, Thatcher ira plus loin et analysera comme personne les principaux problèmes européens avant même que ceux-ci ne surviennent. Elle en profite pour donner sa vision de l’Europe autour de trois questions phares :

  1. Comment faire face au déséquilibre engendré par la réunification et la résurrection de l’Allemagne ?
  2. Comment réformer les institutions européennes afin qu’elles reflètent la diversité de l’Europe post-communiste et soient véritablement démocratiques ?
  3. Comment s’assurer que la nouvelle Europe contribue à la prospérité économique du monde et à sa stabilité politique, au lieu de les menacer ?

 

Thatcher et la question allemande

« La puissance de l’Allemagne est un problème – autant pour les Allemands que pour les autres Européens. L’Allemagne est trop grande pour n’être qu’un partenaire comme les autres du jeu européen, mais elle n’est pas assez grande pour établir une suprématie absolue sur ses voisins ».

De par cette citation, Thatcher démontre qu’elle a parfaitement compris le point suivant : l’Europe se fera avec l’Allemagne ou ne se fera pas.

Et l’Histoire lui a parfaitement donné raison, notamment en matière monétaire, puisque la BCE que nous connaissons n’est qu’une pâle copie de la célèbre Bundesbank.

Ayant parfaitement bien compris l’héritage historique des années noires de l’Allemagne, Thatcher avait d’ailleurs anticipé cette construction et ses conséquences :

« L’Allemagne est bien placée pour encourager une […] prudence financière. J’accorderais certainement plus de confiance à la Bundesbank qu’à toute autre Banque centrale européenne pour ce qui est de combattre l’inflation – car les Allemands ont conservé le souvenir, pas si lointain, du chaos et de l’extrémisme politique qu’engendre l’hyper-inflation. Les Allemands ont donc raison de s’inquiéter des conditions de l’Union économique et monétaire qu’ils ont approuvées. Si j’étais allemande, je préférerais que ce soit la Bundesbank qui fournisse l’équivalent moderne de l’étalon or plutôt qu’un regroupement des Banques centrales européennes. »

Mais elle ne l’approuvait pas pour autant. Non pas que l’euro soit un échec parce qu’elle l’avait prédit, mais bien parce que l’Europe n’est pas une zone monétaire optimale au sens de Robert Mundell.

Au-delà du problème monétaire européen, Thatcher combattait un potentiel fédéralisme européen calqué sur le modèle allemand.

Elle résuma d’ailleurs le problème en deux questions :

  1. L’Europe doit-elle devenir un État fédéral, strictement réglementé et bureaucratiquement centralisé, imposant des normes uniformes à tout le continent ?
  2. Doit-elle au contraire, constituer une Europe des États souverains, décentralisée et libérale, fondée sur la concurrence, au sein d’une zone de libre-échange, entre systèmes fiscaux et sociaux propres à chaque pays ?

 

Si Thatcher se méfiait de l’Europe, c’est bien en raison de ses fondements mêmes et non par principe :

« Lorsque les fondateurs de la Communauté européenne rédigèrent le traité de Rome, ils y mêlèrent des ingrédients provenant de deux traditions économiques très différentes. Au libéralisme, ils empruntèrent la liberté du commerce, de la concurrence et des marchés. Le socialisme (sous des habits aussi divers que le catholicisme social ou le corporatisme) leur inspira la réglementation et l’interventionnisme. Et, pendant trente ans – jusqu’à la signature de l’Acte unique européen –, ces deux traditions ont cohabité au milieu de tensions latentes permanentes. »

 

Thatcher et l’Europe : un plaidoyer pour un continent libre et démocratique

Comme le démontre la formulation de deux questions, Thatcher a su croire en une certaine vision de l’Europe.

Cette même vision, le continent s’en est écarté, et les conséquences qu’elle avait su prévoir se sont effectivement réalisées.

La bureaucratie :

« Les meilleurs cerveaux de l’Europe […] ont commis une erreur intellectuelle fondamentale, ils ont estimé que le mode de gouvernement idéal consisterait en une bureaucratie centralisée destinée à faire remonter l’information vers le haut, puis à décider au sommet pour faire redescendre ensuite les ordres vers la base. Ce qui passait pour le summum de la sagesse en 1945 était en fait une illusion grossière. La bureaucratie hiérarchisée peut être une bonne méthode de gestion pour une petite entreprise exposée à une concurrence féroce, mais c’est un facteur de stagnation et d’inefficacité dans presque tous les autres contextes. »

Et donc, le caractère non démocratique de l’Union :

« Notre choix est clair. Soit nous exerçons un contrôle démocratique de l’Europe grâce à la coopération entre les gouvernements et les Parlements nationaux qui disposent d’une légitimité et d’une expérience réelles, et qui sont en outre proches des populations. Soit nous transférons nos pouvoirs de décision à un Parlement polyglotte, n’ayant de compte à rendre à aucune opinion publique européenne véritable et donc appelé à se soumettre toujours davantage à une bureaucratie omnipotente. Aucun propos trompeur sur la souveraineté collective n’y pourra rien changer. »

 

Thatcher décédée, les libéraux sont en deuil. Ils ne devraient cependant pas oublier son héritage politique : la pensée plus que cohérente de cette grande dame est sans conteste une des clés permettant à l’Europe de sortir de la crise actuelle.

Décès de Margaret Thatcher, notre dossier

 

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