L’inégalité des chances, par Raymond Boudon

Raymond Boudon est décédé. L’occasion de revenir sur l’un de ses ouvrages dans lequel il dénonce les inepties sur la « reproduction des conditions sociales ».

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L'inégalité des chances, par Raymond Boudon (Crédits Pluriel, tous droits réservés)

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L’inégalité des chances, par Raymond Boudon

Publié le 16 avril 2013
- A +

Par Bogdan Calinescu.
Un article de l’aleps.

Raymond Boudon c’est l’anti-Bourdieu par excellence. Celui qui dissout les idées reçues sur les inégalités, ce mot clé, utilisé à satiété (aujourd’hui encore) par une gauche érigée en donneuse de leçons. Rarement un sujet a été autant déformé et dévoyé. Et, le comble, les inégalités n’ont cessé de diminuer, justement grâce à l’économie capitaliste.

Avec une démonstration étayée et des arguments très solides, Boudon montre d’abord que l’école n’est pas l’endroit où l’on fabrique les inégalités. Il n’y a pas de liaison simple et mécanique entre inégalités scolaires et inégalités sociales. Plusieurs facteurs interviennent. Les données empiriques prouvent que dans la plupart des sociétés industrielles, l’inégalité des chances devant l’enseignement à décru de manière régulière ces dernières décennies. Autrement dit, un fils d’ouvrier a eu, avec le temps, de plus en plus de chances d’accéder aux études universitaires. Toutefois, cette baisse des inégalités face à l’ascension scolaire n’a eu que des effets modestes sur l’héritage social. Ce ne sont pas les politiques publiques égalitaristes qui ont fait diminuer les différences entre les conditions sociales mais le travail et l’égalité des chances. Dans ses démonstrations, Raymond Boudon s’appuie sur des études empiriques réalisées dans plusieurs pays dont les États-Unis, la Suède, la Norvège ou l’Angleterre. De même, Boudon a pu constater que les inégalités scolaires – qui sont inévitables dans toute société libre – ne sont pas le facteur déterminant des autres inégalités. Il a aussi observé que, contrairement aux clichés, il n’y a pas plus d’inégalités dans les pays anglophones…

Les inégalités sont déterminées par plusieurs facteurs et non pas seulement par l’école comme essaient de le suggérer les sociologues marxisants. Pour Bourdieu, dans le domaine des inégalités, il existe un mécanisme de répétition : un fils d’ouvrier aura – toujours – de très faibles chances d’entrer à l’Université. Pire encore, ses chances ne changeront pas avec le temps. Raymond Boudon dénonce cette théorie de la répétition mécanique de l’inégalité. Dans nos sociétés modernes et démocratiques, les enfants d’ouvriers peuvent très bien accéder aux études supérieures s’ils le souhaitent. Certains le font, d’autres pas. Et ce n’est pas simplement à cause de leur héritage social. Ce qui compte c’est bien le désir de mobilité sociale. Il ne suffit pas de créer les conditions d’une ascension sociale à travers l’école, il faut aussi une volonté. Bien entendu, cette volonté est beaucoup plus présente chez les enfants qui proviennent des familles plus aisées. Mais la fameuse « reproduction sociale » n’est pas prouvée empiriquement.

Raymond Boudon démontre aussi que les réformes pédagogiques visant à compenser les disparités culturelles et sociales n’atténuent pas les inégalités devant l’enseignement. Au contraire, on peut très bien le constater aujourd’hui, à force de « victimiser » l’enfant et de déconsidérer le travail individuel, on a provoqué encore plus d’échec scolaire. La politique égalitariste ne diminue pas les inégalités.

Raymond Boudon a été la cible de ses pairs bien pensants. Ses travaux sont d’une actualité criante et il est très important de ne pas les oublier et les faire connaître sans cesse.

• Raymond Boudon, L’inégalité des chances, Fayard/Pluriel, 2011, 352 p. Édition originale : 1973.


Sur le web.

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  • Une parfaite vérité!Mais sera t’ elle entendue?

  • Il est dommage d’écrire sur Bourdieu en l’ayant si peu lu (ou compris…). Ce que vous suggérez sous les termes de « volonté » et « désir de mobilité » constituent des dispositions sociales inégalement distribuées (parce que l’encouragement à la poursuite d’études et l’information sur les rendements différentiels des filières le sont). J’aimerais présenter un exemple très simple pour pointer les limites de cette « sociologie de la liberté » : il s’avère que filles et garçons (déconsidérons leur origine sociale) manifestent statistiquement des préférences scolaires différentes. Les unes se dirigent souvent vers les matières dites littéraires quand les seconds forment l’essentiel des classes « scientifiques ». À moins de naturaliser ces affinités (« les garçons seraient spontanément plus doués pour les maths, les filles pour l’artistique et le littéraire » soit une idée reçue et réfutée) il faut bien se convaincre de leur détermination sociale c’est-à-dire de tout un travail de préparation inconscient qui maquille des injonctions collectives en vocations individuelles. Vous observerez alors sans doute que les choix résultants s’effectuent rarement sous sentiment de contrainte. Pareillement les élèves adaptent et ajustent automatiquement leurs ambitions scolaires en fonction des influences externes qu’ils subissent sans ressentir pleinement ce « calcul ». En matière d’éducation l’égalité formelle (« tous peuvent aller à l’Université, en classe prépa, en BTS… ») et l’égalité vécue ne garantissent pas une égalité réelle tributaire de variables multiples et largement extra-scolaires. Contre l’adage, vouloir n’est pas pouvoir. Et contre les déclarations des agents, on ne veut que ce que l’on nous incite à vouloir.

    Puisque ses verdicts (en apparence neutres et objectifs) sanctionnent des compétences dont l’acquisition et la stimulation dépendent largement des milieux sociaux d’origine des élèves (la maîtrise d’une « belle langue », la culture générale, l’intérêt aux exercices scolaires etc.) l’école ne fabrique pas les inégalités mais les ratifie voire les renforce pour graver dans le marbre du bulletin les hiérarchies acceptées par tous en raison de la méconnaissance généralisée des principes sur lesquels elles se fondent. Ce constat n’oblige aucun recours à une théorie conspirationniste (« Les dominants organisant l’exclusion des dominés du corps d’élites »… vu que les élites elles-mêmes se persuadent souvent de tout devoir à leur « génie personnel » tout ceci étant vécu sur le mode de la grâce). Il ne s’agit pas non plus de nier certains progrès comme la réforme Haby : l’école réussit son apparente raison d’être dans la transmission de savoirs et la distribution de capacités techniques. Reste qu’elle fonctionne toujours comme centre de tri social dont la mission politique ne peut survivre que sous couvert et sous annonce d’une mission pédagogique partiellement réalisée.

    Quant à affirmer que « la fameuse « reproduction sociale » n’est pas prouvée empiriquement » on touche à l’obsession de la contradiction. Ouvrez n’importe quelle tableau de mobilité sociale (l’INSEE en fournit suffisamment) et comparez avec une table de mobilité parfaite pour comprendre votre erreur. Dire en revanche des « inégalités [qu’elles] n’ont cessé de diminuer, justement grâce à l’économie capitaliste » me semble nettement moins évident qu’il ne vous paraît…

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