Le dernier ouvrage de Benoît Malbranque présente de façon concise et abordable la méthodologie économique. Un livre dense, bien écrit et érudit.
Par Pierre François.
Quel rôle l’étude de l’histoire joue-t-elle dans le progrès des connaissances économiques ? Quelle relation les jugements de valeur doivent-ils entretenir avec les énoncés scientifiques ? Qu’est-ce qu’une théorie économique et comment en évaluer la validité ? Quelle doit être la place des mathématiques dans la recherche en économie ?
Toutes ces questions relèvent de la méthodologie économique, une branche de la science économique souvent négligée en France par les étudiants, voire par les économistes eux-mêmes. Et pour cause : il n’existait jusqu’à présent aucun ouvrage en français présentant de manière synthétique, et dans un langage clair, cette discipline.
La parution d’Introduction à la méthodologie économique, le dernier ouvrage de Benoît Malbranque, vient récemment de pallier ce manque. L’auteur, chercheur à l’Institut Coppet, expose dans cet ouvrage l’histoire des idées en méthodologie économique et présente les débats contemporains qui agitent cette discipline.
Le livre est composé de six chapitres. Les trois premiers sont historiques. Ils décrivent l’évolution de la pensée méthodologique en économie depuis les premières réflexions sur ce sujet à la fin du XVIIIe siècle. Les trois derniers sont davantage argumentatifs. Ils traitent de la place des mathématiques, du rôle des statistiques et de l’histoire, de la relation entre les énoncés de théorie économique et les jugements de valeur.
Les premières réflexions sur la méthodologie économique apparaissent à la fin du XVIIIe siècle, et sont l’œuvre d’économistes classiques français : Condillac, Destutt de Tracy, et surtout Jean-Baptiste Say (chapitre 1). Dans son Traité d’Économie Politique de 1803, Say pose les fondements de la méthodologie économique déductiviste et axiomatique. Selon lui, l’économiste doit partir de « principes généraux incontestables », puis procéder par déductions, afin de parvenir à la découverte de lois économiques.
Cette conception est ensuite développée et précisée en Angleterre au XIXe siècle, par des économistes comme Nassau Senior et John Cairnes.
Le raisonnement économique, selon Cairnes, doit être bâti sur des faits ultimes, « dont l’existence et le caractère sont aisément vérifiables, qui sont d’une importance primordiale au regard des questions de la production et de la distribution des richesses, et qui offrent ainsi une base stable à partir de laquelle il est possible de déduire les lois guidant ces phénomènes » ( J. Cairnes, cité et traduit par B. Malbranque). C’est la publication de The Scope and Method of political economy, un ouvrage de John Neville Keynes, qui parachève en 1891 l’évolution de cette tradition méthodologique.
À la fin du XIXe siècle, l’orthodoxie méthodologique déductiviste est menacée par la montée en puissance de l’école historique allemande (chapitre 2). Les économistes de l’école historique allemande remettent en cause l’universalité des lois économiques. Ils prétendent qu’« aucune politique économique n’est valable de manière universelle et intemporelle ; au contraire, elle dépend de l’état d’avancement et des conditions historiques de chaque économie nationale. » Ce sont les économistes de l’école autrichienne, Carl Menger en tête, qui défendent l’orthodoxie classique face à l’école historique allemande. Cet affrontement intellectuel est connu sous le nom de « bataille des méthodes » (Methodenstreit).
L’approche méthodologique qui enlève l’adhésion des économistes après la Seconde Guerre mondiale n’est toutefois ni le déductivisme, ni l’historicisme, mais le  « falsificationnisme popperien » (chapitre 3) : « Le falsificationnisme soutient qu’une théorie économique, pour être scientifique, doit pouvoir être testée à des fins d’information ultérieure. En somme, l’économiste doit produire des théories qui pourront être invalidées par les faits. », explique l’auteur.
Au chapitre 4, Benoît Malbranque aborde l’épineuse question de la relation entre la science économique et les mathématiques, à travers la présentation, entre autres, des œuvres d’Augustin Cournot et de Léon Walras. Malbranque défend dans ce chapitre la conception méthodologique de l’école autrichienne, selon laquelle l’usage des mathématiques est inapproprié en économie. Selon lui, la modélisation mathématique n’est féconde qu’à condition qu’il existe une régularité dans les faits économiques. Or, « l’environnement économique que l’économiste veut exprimer ne peut pas être exprimé en termes de constantes ». En outre, la modélisation mathématique a des conséquences néfastes. Elle pousse les économistes à entretenir une croyance erronée « en l’existence d’un équilibre général », et à « faire abstraction des choix humains et de la capacité qu’ont les individus à prendre des risques. »
Benoît Malbranque n’est guère plus indulgent avec la pratique visant à utiliser l’économétrie et l’histoire économique pour tester la validité des théories (chapitre 5). Selon lui, l’histoire économique ne peut qu’illustrer une théorie, elle ne peut pas l’infirmer ou en prouver la véracité. L’économétrie peut au mieux établir l’existence d’une corrélation entre deux phénomènes, mais elle ne peut pas prouver l’existence d’une relation causale, et encore moins fournir des prédictions fiables. L’étude des données empiriques ne permet pas de trancher entre deux théories concurrentes, comme c’est le cas dans les sciences de la nature. L’étude des faits, en somme, ne permet pas d’apporter de connaissances véritables.
La présentation que l’auteur fait de l’économétrie ne rend toutefois pas entièrement justice à cette discipline.
D’une part, les chercheurs en économétrie ont dépensé beaucoup d’énergie à développer des méthodes permettant d’isoler empiriquement des relations causales entre les phénomènes économiques (méthode des variables instrumentales et expériences randomisées en microéconométrie, causalité à la Granger en économétrie des séries temporelles).
D’autre part, l’économétrie permet la quantification, et en cela elle est complémentaire de la théorie. C’est une chose de dire, par exemple, que la croissance économique prend sa source dans l’accumulation du capital par tête et dans l’augmentation de la productivité totale des facteurs, mais c’en est une autre de quantifier l’importance respective de ces deux variables.
Au chapitre 6, « Science et recommandation », l’auteur défend la pertinence de la distinction entre les énoncés « de fait » (ce qui est), et les énoncés « de valeur » (ce qui devrait être). En partant de cette distinction, l’auteur soutient que les économistes ne devraient se préoccuper que de l’étude de ce qui est, et non de l’étude de ce qui devrait être, car les jugements de valeur relèvent de la philosophie, et non de la science : « l’économiste peut et doit considérer les mesures économiques hors de tout jugement moral ».
Il faut toutefois souligner que la recommandation de Benoît Malbranque ne s’applique qu’aux jugements de valeur politiques et moraux. Elle ne s’applique pas aux jugements de valeur épistémiques. En effet, affirmer, comme le fait l’auteur, que « les chercheurs devraient poursuivre objectivement la vérité » revient à énoncer un jugement de valeur épistémique [1].
Outre le fait qu’il soit, en France, le seul ouvrage sur le marché à présenter de façon concise et abordable la méthodologie économique, Introduction à la méthodologie économique a bien d’autres qualités. C’est un livre dense, bien écrit et érudit (le nombre de notes en fin d’ouvrage en témoigne). Par ailleurs, toutes les affirmations sont étayées par des arguments et des références à la littérature économique (qu’elle soit en français, en anglais, ou en allemand). Autant de bonnes raisons de se procurer cet ouvrage.
• Benoit Malbranque, Introduction à la méthodologie économique (2013), à télécharger gratuitement sur le site de l’Institut Coppet.
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Note :
- Sur cet argument, voir Hilary Putnam, « For Ethics and economics without the dichotomies », Review of Political Economy, Vol. 15, No. 3, 2003. ↩
RT @Contrepoints: Qu’est-ce que la méthodologie économique ? Le dernier ouvrage de Benoît Malbranque présente de façon conci… http://t.co…
Mouais, j’ai parcouru le texte, et je suis assez sévère.
L’auteur est sans doute érudit, sur l’histoire des idées, mais semble ignorant de ce qu’est l’économétrie, et de ce à quoi elle prétend. Clairement, le texte est ignorant de la méthodologie qu’il appelle orthodoxe. D’ailleurs, l’article de Contrepoints le dit. On ne peut critiquer l’économétrie sans commenter les variables instrumentales. Non les économistes ne confondent pas corrélation et causalité, et oui il est possible de déterminer des liens de causalité par des observations statistiques.
Par ailleurs, le texte surestime largement la prétention « prévisionniste » de l’économie orthodoxe, notamment néo-classique. Ce n’est pas parce qu’on fait des mathématiques qu’on cherche à faire des prévisions du niveau des sciences dures. Les mathématiques ne sont qu’une langue formelle, les raisonnements « autrichiens » ne sont pas plus ou moins mathématiques que d’autres.
C’est qui encore celui-la ? Encore un qui n’a pas le courage d’écrire sous son nom – c’est tellement plus facile de cracher de derrière un loup – et de plus pour écrire des idioties. Non, l’économétrie n’est pas une science et n’est pas une école valable d’économie.
Décidément, Contrepoints, vous feriez mieux de cesser d’accepter les textes sous pseudonyme, ça pourrit le milieu libéral.
Ce qui pourrit le milieu libéral, ce sont les gens inutilement agressifs.
Ce n’est que le zèle pro-socialiste passionné de mathématiciens pseudo-économistes qui transforme un outil purement analytique d’une économie logiques a une image utopique de la bonne et plus favorable des situation .
Ludwig von mises
La quasi-totalité des modèles (pour ne pas dire la totalité) fondée sur les statistiques (économétrie) sont des modèles gaussien. Ils ont prouvé leur défaillance ces dernières années, et donc leur incapacité à être applicable à l’économie réelle… c’est bien pour des cours théoriques simplistes afin d’amuser les étudiants un peu naïfs.
Ce que l’on peut reprocher à l’approche autrichienne, c’est de ne pas avoir compris que l’utilisation des mathématiques pouvait valider leur propre théorie par l’utilisation des lois de puissance… alors que des mathématiciens avaient déjà (et français en particulier) avancé dans d’excellents travaux. Avec cela, l’école d’économie autrichienne aurait balayé le keynésianisme et l’école de Chicago depuis bien longtemps!
L’économétrie n’est pas assimilable aux modèles probabilistes. D’ailleurs les modèles financiers reposant sur des modèles gaussiens ne viennent pas de l’étude empirique des faits. En revanche, les économètres passent beaucoup de temps à regarder si les observations confirment ou non les hypothèses probabilistes de la théorie.
Seule l’économétrie peut permettre de mesurer l’écart entre l’hypothèse gaussienne et la réalité.
En disant que les modèles gaussiens ont prouvé leur défaillance, vous faîtes de l’économétrie, c’est-à -dire que vous soumettez un modèle théorique au test empirique des données observées.
Aucun modèle théorique n’est fondé sur l’économétrie, au mieux est-il confirmer ou réfuter par l’économétrie, c’est-à -dire l’étude empirique de ce qu’on observe.
L’économie est une science « humaine », autrement dit ses paramètres se modifient avec la perception que les gens en ont. Elle tient donc autant de la psychologie que des mathématiques, et on l’a bien vu avec la « crise » qui a fortement obéré la France, quand les belges s’en sont moins intéressés, et ont donc eu un effet bien moins violent.
Mais faire tourner de lourds programmes mathématiques peut constituer des indications intéressantes, quand il s’agit de données brutes : évolution du nombre de retraités par rapport aux actifs, par exemple.
Les mathématiques ne peuvent diriger l’économie, mais elles lui sont un appoint sérieux quand il s’agit de modéliser des hypothèses.